trouverait mathématiquement son avantage à ce que l’Angleterre produise des cotonnades et
le Portugal du vin. Au XXè siècle, Polanyi exprimera des réserves sur une telle
« marketization » de l’économie. Mais au début du XIXè siècle, J.B. Say estimait que la
théorie classique était fermement soutenue par une loi selon laquelle, affirmait-il, l’offre
produit sa propre demande. Selon cette loi, dite de J.B. Say, devenue une base de la théorie
classique, il n’y a donc pas lieu de se préoccuper de chômage ; ne sont chômeurs que ceux qui
ne souhaitent pas travailler ! Pour la théorie classique, le libre fonctionnement des marchés
assure le plein emploi, du moins des personnes qui veulent sincèrement travailler.
On peut pourtant observer, dans une économie monétaire, que tout revenu est le résultat d’une
dépense. Dès lors, si la dépense, pour une raison quelconque, diminue, les revenus et donc
l’emploi diminuent également. Ils risquent alors de provoquer une réaction en cascade,
entrainant une nouvelle chute de la dépense. Il faut donc une vigilance permanente de
l’autorité publique sur son marché intérieur, pour compenser les fluctuations de la dépense (ce
qu’on appelle la demande) et maintenir le revenu et l’emploi à des niveaux élevés, permettant
le développement du marché intérieur.
Dans la vision classique de l’économie, qui suppose le plein emploi des ressources (absence
de chômage), il faut épargner pour investir. En effet, c’est seulement en réduisant la
consommation qu’on peut dégager les ressources nécessaires pour l’investissement. Mais en
situation de sous-emploi, l’investissement ne dépend plus de l’épargne comme le voudrait la
théorie classique. C’est au contraire l’épargne qui résulte de l’investissement, l’investisseur
décidant en fonction non de l’épargne mais de la consommation, et du retour attendu sur son
investissement. L’épargne, comptablement égale à l’investissement, est forcée de s’ajuster au
montant de l’investissement.
Or, l’aide au développement a tendance à reposer sur l’idée classique, rappelée au Chapitre 2,
que les pays pauvres manquent d’épargne et qu’il faut leur apporter l’épargne extérieure
nécessaire (« l’investissement suppose l’épargne », p. 40). S’écartant de ce schéma simpliste,
les auteurs attirent l’attention au Chapitre 9 sur la vraie difficulté, celle du développement des
marchés et des institutions nécessaires: marchés financiers, mécanismes de répartition de
richesse et de réduction des inégalités, etc.. Dans un ouvrage récent publié par l’AFD, Thierry
Paulais fait la même observation en ce qui concerne le financement des villes en Afrique
et
au forum de Busan sur l’efficacité de l’aide au développement (décembre 2011), les pays
émergents, Chine en tête, ont interdit aux pays de l’OCDE de poursuivre dans leur ancienne
voie. Ils ont fait insérer un paragraphe en tête du document soulignant que la coopération Sud-
Sud était différente de la coopération Nord-Sud ; manière sans doute de faire comprendre que
le « vrai besoin »
est précisément celui d’institutions efficaces et que celles-ci ne sauraient
résulter du simple transfert d’apports extérieurs.
Le Chapitre 9 évoque accessoirement le problème actuel du déséquilibre des balances des
paiements. Il faut en effet développer la consommation intérieure des pays excédentaires
(Chine, Japon, Allemagne…) pour rééquilibrer les balances des paiements autrement que par
le surcroît d’austérité appliqué aux pays déficitaires. La difficulté de ce rééquilibrage résulte
sans doute de problèmes techniques et institutionnels. Mais il se heurte aussi à des positions
idéologiques.
La théorie classique du laissez-faire est naturellement défendue par les intérêts qui dominent
les marchés. A court terme cette théorie les favorise. Mais la crise européenne montre que
Financer les villes d’Afrique. L’enjeu de l’investissement local. Thierry Paulais. 2012 Pearson Education
France
Il est tentant de rappeler par analogie un des quatre principes de la coopération chinoise : « répondre aux vrais
besoins ».