Revue Commerce – Novembre 2005 Les hauts et les bas de l’économie MAURICE N. MARCHON Professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée HEC Montréal 13 septembre 2005 Toute reproduction interdite sans autorisation de l’auteur La conjoncture canadienne est au beau fixe lorsqu’on regarde la performance de la bourse canadienne par rapport à celle des États-Unis. L’année 2005 sera la quatrième année consécutive de surperformance de l’indice S&P/TSX par rapport à l’indice S&P 500 en dollars canadiens. Cet indice de performance cache toutefois de profondes différences sectorielles et provinciales. Nous voulons donc mettre en évidence les bons et les mauvais côtés de l’économie canadienne pour se faire une idée de son évolution future. C’est un exercice très utile parce que l’économie canadienne est tiraillée par des tendances contradictoires. Graphique 1 Après 30 ans de sous-performance de la bourse canadienne par rapport à l’indice S&P500 en dollars canadiens, la tendance se renverse sous l’impulsion du prix des ressources naturelles 1.1 1.0 Indice 1.0 déc. 1979 0.9 0.8 0.7 0.6 0.5 0.4 0.3 0.2 déc-79 déc-82 déc-85 déc-88 déc-91 déc-94 déc-97 déc-00 déc-03 Indice de performance relative ((S&P/TSX)/S&P 500 en $CAN)) Source : Standard & Poor’s et Banque du Canada. Page - 2 - Les bons côtés de l’économie canadienne L’augmentation du prix des matières premières s’est d’abord traduite par une appréciation de 36 % du dollar canadien par rapport au creux de 0,625 dollar américain atteint en janvier 2002. Cette appréciation s’explique par un changement de tendance du prix des matières premières en général et de l’énergie en particulier. Le graphique 2 illustre clairement la relation existant entre le prix des matières premières mesuré à l’aide de l’indice CRB (Commodity Research Bureau Index) à terme et le taux de change du dollar canadien. Cette relation s’explique par les flux de capitaux qui sont le principal déterminant des fluctuations des taux de change. D’une part, l’augmentation du prix des ressources naturelles améliore les termes de l’échange, et d’autre part, elle attire les capitaux étrangers qui veulent bénéficier de l’appréciation boursière des entreprises canadiennes actives dans les domaines de l’énergie et des ressources naturelles. De janvier 2002 à septembre 2005, l’indice sectoriel d’énergie du S&P/TSX a bondi de 196 % comparativement à 41 % pour l’indice total. 0.86 0.84 0.82 0.80 0.78 0.76 0.74 0.72 0.70 0.68 0.66 0.64 0.62 janv-95 315 300 285 270 255 240 225 Indice CRB à terme Dollar canadien Graphique 2 Le taux de change du dollar canadien est fortement corrélé avec le prix des matières premières mesuré à l’aide de l’indice CRB (Commodity Research Bureau) à terme 210 195 juil-96 janv-98 juil-99 janv-01 Taux de change du dollar canadien juil-02 janv-04 180 juil-05 Indice CRB à terme Sources : Banque du Canada et Reuters. L’augmentation du prix des ressources naturelles a entraîné une très forte amélioration des termes de l’échange. Ces derniers sont définis par le rapport des prix des exportations aux prix des importations de biens. L’accroissement du prix des matières premières augmente le prix des ressources naturelles exportées alors que l’appréciation du taux de change du dollar canadien diminue le prix des biens Page - 3 - importés. Ce double avantage a fait bondir les termes de l’échange de 18 % de janvier 2002 à juillet 2005 et a contribué, toutes choses étant égales par ailleurs, à l’accroissement du surplus de notre balance commerciale (graphique 3). 95 Bal. com. (milliards de $) 85 75 65 55 45 35 25 15 janv-98 janv-99 janv-00 janv-01 janv-02 janv-03 janv-04 janv-05 Balance commerciale 1.18 1.16 1.14 1.12 1.10 1.08 1.06 1.04 1.02 1.00 0.98 0.96 0.94 Termes de l'échange Graphique 3 L’amélioration des termes de l’échange a soutenu le surplus de la balance commerciale du Canada Termes de l’échange Source : Statistique Canada. L’appréciation du taux de change est globalement positive pour le niveau de vie des Canadiens parce que les biens importés coûtent moins chers (graphique 4). L’appréciation du dollar canadien a également permis à la Banque du Canada de maintenir le taux d’intérêt directeur très bas parce que la baisse du prix des biens importés exerce des pressions déflationnistes sur les prix au Canada. En l’absence de pressions inflationnistes, la Banque du Canada a pu maintenir son taux directeur très bas pour stimuler les secteurs d’activité sensibles aux taux d’intérêt (construction résidentielle et investissement des entreprises) afin de compenser les effets négatifs de l’appréciation du dollar canadien sur le secteur industriel. Page - 4 - Graphique 4 L’appréciation du taux de change du dollar canadien a entraîné une diminution du prix des biens importés 1.57 105 1.52 103 1.47 101 1.42 99 1.37 97 1.32 95 93 1.27 91 1.22 89 janv-98 janv-99 janv-00 janv-01 janv-02 janv-03 janv-04 janv-05 1.17 Indice de prix des biens importés Taux de change du $CA Indice de prix des biens importés 107 Taux de change du $CA Sources : Banque du Canada et Statistique Canada. Les mauvais côtés de l’économie canadienne Il y a toujours un mauvais côté à une médaille. L’appréciation rapide du dollar canadien a frappé de plein fouet le secteur manufacturier canadien (graphique 5). Les exportations réelles nettes de marchandises (différence entre les exportations et les importations de biens en volume) sont passées d’un surplus en taux annuel de 72,3 milliards de dollars en janvier 2002 à un déficit de 6,4 milliards en juillet 2005 après avoir touché un déficit de 17,5 milliards de dollars en janvier 2005. Notez que si le solde de la balance commerciale s’élevait toujours à près de 60 milliards de dollars en moyenne mobile de trois mois en juillet 2005, c’est grâce à l’amélioration des termes de l’échange (graphique 3) qui est venu compenser la détérioration des exportations réelles (volumes) nettes. L’appréciation du dollar canadien et le déplacement des centres de production vers les nouveaux pays émergents, la Chine notamment, ont freiné nos exportations et forcé les entreprises manufacturières du Québec et de l’Ontario à rationaliser leur système de production. La part des emplois manufacturiers au Québec est passée de 18,2 % des emplois en janvier 2003 à 16,3 % en août 2005 (graphique 6). En Ontario, ce pourcentage est passé de 18,1 % à 16,6 % au cours de la même période. La bonne nouvelle est qu’au 2e trimestre de 2005, le taux annuel des gains de productivité du secteur manufacturier bondissait à 5 % comparativement à 0,2 % au 1er trimestre de 2004. Il reste à voir si nos entreprises manufacturières seront capables de maintenir ce rythme à plus long terme. Page - 5 - Graphique 5 L’appréciation du taux de change du dollar canadien a entraîné un effondrement des exportations réelles nettes de marchandises 1.57 65 1.52 55 1.47 45 35 1.42 25 1.37 15 1.32 5 1.27 -5 1.22 -15 janv-96 Taux de change Export. réelles nettes (milliards) 75 1.17 juil-97 janv-99 juil-00 janv-02 Exportations réelles nettes de biens juil-03 janv-05 Taux de change du $CA Sources : Banque du Canada et Statistique Canada. Graphique 6 Le pourcentage des emplois manufacturiers au Québec et en Ontario diminue alors que l’emploi dans les mines et l’énergie augmente en Alberta 19.5 7.5 7.0 18.5 6.5 18.0 6.0 Alberta Québec et Ontario 19.0 17.5 5.5 17.0 16.5 janv-00 5.0 janv-01 janv-02 Manufacturier Quebec janv-03 janv-04 Manufacturier Ontario janv-05 Mines Alberta Source : Statistique Canada. Page - 6 - Par contre, la hausse du prix de l’énergie est en train de provoquer un boom économique en Alberta, notamment grâce à l’investissement dans les sables bitumeux. Le pourcentage des emplois dans les mines et l’extraction pétrolière et gazière est déjà passé de 5,6 % en janvier 2003 à 7,3 % en août 2005 (graphique 6). Le déclin relatif du secteur manufacturier au Québec et en Ontario et le boom des exportations de pétrole et de gaz naturel se répercuteront de plus en plus sur la performance relative des provinces canadiennes. Cette dichotomie en ce qui a trait aux volumes des exportations de biens manufacturiers relativement aux exportations d’énergie est accentuée au niveau provincial par l’évolution divergente des termes de l’échange. Le graphique 7 montre que les termes de l’échange du Canada dominés par les prix de l’énergie s’améliorent, alors que ceux du Québec stagnent. L’explosion du surplus commercial énergétique au cours des prochaines années devrait entraîner une appréciation du dollar canadien qui pénaliserait le secteur manufacturier du Québec et de l’Ontario. Il faut donc s’attendre à ce que la Banque du Canada maintienne le taux d’intérêt directeur à un niveau bien inférieur à celui des États-Unis pour éviter une appréciation du dollar canadien additionnelle et ainsi maintenir l’économie ontarienne et québécoise près du plein-emploi. Graphique 7 Les termes de l’échange du Québec ne s’améliorent pas comme ceux du Canada et de l’Alberta en particulier 1.18 1.16 1.14 1.12 1.10 1.08 1.06 1.04 1.02 1.00 0.98 0.96 0.94 janv-01 juil-01 janv-02 juil-02 janv-03 juil-03 janv-04 juil-04 janv-05 juil-05 Canada Québec Sources : Statistique Canada et Institut de la Statistique du Québec. Page - 7 - On constate donc que si, au cours des prochaines années, l’augmentation très importante du prix relatif de l’énergie se maintient, elle aura des conséquences majeures sur la performance relative des provinces canadiennes et sur la politique monétaire de la Banque du Canada. Page - 8 -