mesure où la vérité se reconnaît. Une telle répartition des valeurs du particulier et de
l’immuable est incompatible avec l’existence d’une histoire à proprement parler. Pour être
validé en tant qu’événement qui s’est réellement passé, l’événement particulier doit être
rattaché à une idée universelle. Autrement dit, les hommes n’ont pas le sentiment d’être pris
dans une histoire sacrée qui les dépasse. Une histoire séculière existe et pouvait donner à
identifier des événements, des symboles, des personnages mais ceux-ci acquéraient une
validité lorsqu’ils pouvaient être attachés à une histoire transcendante, c’est-à-dire
« interprétés ». Autrement, il n’y avait pas d’intelligibilité des événements. Aucune place
n’est donc laissée à la spontanéité de l’action humaine dans le temps.
Dans ces conditions, comment une pensée de la politique, de l’action humaine a-t-elle pu
émerger à l’époque de Machiavel? L’évolution vers la naissance d’un temps humain est
progressive. Pocock montre que c’est avant tout la considération du politique qui a permis le
dépassement de cette subordination des événements particuliers aux universaux, notamment
par la réhabilitation dans le domaine politique de la notion aristotélicienne de prudence,
accompagnée de celle de coutume et d’expérience. Pocock donne l’exemple de Sir John
Fortescue ( env. 1390-1479), juriste anglais, qui définit la prudence comme la capacité à
formuler des statuts qui résisteront au temps pour acquérir l’autorité dont jouissent déjà les
coutumes. En somme, le particulier peut être articulé à l’immuable par la médiation de la
coutume : le particulier est sédimenté dans la coutume, qui, par l’intermédiaire de la prudence,
connaissance du particulier, est érigée au statut de loi éternelle, immuable. Il y a bien ici la
place pour une connaissance autonome du particulier par la prudence, ce qui est relativement
nouveau, selon Pocock. Mais, à certains égards, la pensée du politique reste tributaire d’une
vision providentielle du monde. Cela se remarque à l’incapacité que Fortescue semble avoir à
rendre compte, autrement que par le mystère, des décisions du Roi dans les moments
d’urgence. Le Roi prend des décisions instantanées qui, répétées, prendront force de
coutumes. Mais ces décisions recèlent, pour Fortescue, une force mystérieuse.
Le véritable dépassement de cette conception de l’histoire, où l’horizon de la décision et de
l’action politique est réduite, reconduite à son insertion dans un ordre théologique, a pu être
réalisé grâce à un courant d’idées qui prend une importance toute particulière à Florence :
l’humanisme civique. Avant de définir celui-ci, il convient de l’insérer dans le cadre plus
général de l’humanisme. Pour l’humaniste qui est un philologue à l’origine, la rhétorique est
la rivale de la philosophie, entendue au sens d’une contemplation de la vérité, de même que la
« vita activa » est rivale de la « vita contemplativa », distinction héritée de Platon et
d’Aristote. La vérité est moins un système de propositions qu’un système de relations auquel
l’esprit venait à participer. On insistait donc davantage sur la participation de l’esprit à la
vérité, vue comme la condition de la vérité, que sur une vérité transcendante posée à
l’extérieur de l’esprit. Pocock voit dans cette humanisme premier les racines de l’humanisme
civique. En effet, cette attention nouvelle à l’esprit humain prit un tour sociale, dans la mesure
où elle fit naître le souci de comprendre le particulier humain, donc la société. Dans cette
mesure, le niveau de connaissance politique atteint un degré maximal lorsque la participation
aux décisions politiques est accrue. Aussi l’humanisme civique est-il au cœur de l’idée
républicaine.
Si l’humanisme civique permet le dépassement d’une compréhension religieuse du monde
dans l’idée de participation, c’est Aristote qui donne à cette dernière un contenu conceptuel.
Le problème est, en effet, celui-ci : comment établir un régime qui permette à tous les
citoyens de participer au bien public ? Cette solution ne peut être le don absolu de tous les
citoyens à un souverain, solution hobesienne qui sera critiquée plus tard. La recherche du bien
commun ne peut pas abolir la recherche par chaque individu de son bien particulier.
Autrement dit, comme le souligne Pocock (p.76), l’individu engagé dans la quête universelle
du bien commun est solidaire de l’individu privé. Il fallait que l’exercice du pouvoir d’un