20-bibliotheque-fevrier-2012_Mise en page 1 24/01/12 16:59 Page175 LIBRAIRIE Blandine Kriegel La République et le Prince moderne Car la modernité politique n’est pas que redécouverte de vérités éternelles. Il y a des changements de paradigme (voir Thomas S. Kuhn, la Structure des révolutions scientifiques) dans la philosophie politique, comme dans d’autres disciplines. Tout n’est pas périmé dans l’héritage d’Aristote, mais il y a eu bifurcation et remaniement à un point tel que l’édifice ancien ne subsiste que comme vérité « régionale ». Ce n’est pas être « historiciste » ou relativiste que de constater que la dialectique « Athènes et Jérusalem », chère on le sait à Leo Strauss, implique non pas un face-à-face intemporel, mais bel et bien une tension où l’hébreu peut compléter le grec, ou même l’emporter sur lui. C’est là tout l’enjeu de cette période dont on réduit la signification en la désignant du terme vague « guerres de religion ». En réalité, derrière les impitoyables massacres entre catholiques et réformés, il y a une confrontation entre l’ancien et le nouveau en ce qui concerne l’essence du politique. Paris, PUF, 2011, 382 p., 24 € Qu’est-ce qu’une République moderne ? Depuis de nombreuses années Blandine Kriegel s’efforce de donner à cette question une réponse qui ne soit pas « républicaine », au sens que cet adjectif a souvent pris dans la doxa de notre temps. On se souvient de sa Philosophie de la République (1998), ouvrage où l’auteure de l’État et les esclaves plaidait pour un républicanisme authentique. Loin des balançoires chères aux rhéteurs, elle n’a jamais fait de la « République » une machine de guerre contre une « démocratie » supposée incontrôlable mais l’envisage comme une certaine idée du vivre-ensemble qui ne peut s’accomplir, au terme d’une longue maturation, que dans l’égalité démocratique. Aujourd’hui, la philosophe, qui a longtemps réfléchi sur la naissance du métier d’historien, passe en quelque sorte du côté du récit sans renoncer au concept. On pense parfois à Michelet, un auteur qu’elle affectionne visiblement. Intégrant à sa réflexion, tout en gardant un point de vue indépendant, les travaux regroupés sous le label de l’« humanisme civique » (Pocock, Skinner), elle propose une archéologie de la République qui distingue fortement les formes antico-médiévales (« Républiques de Cité ») et modernes (« Républiques d’État »). Après le traumatisme de la Saint-Barthélemy (1572) surtout, les doctrinaires calvinistes que l’on appelle traditionnellement « monarchomaques », mais aussi ceux de ce tiers parti des « politiques », mettent en cause le droit divin des rois pour lui substituer ce qu’on appellera plus tard les théories du contrat social, dont le modèle, introuvable chez les Grecs et les Romains, sera exhumé de l’Ancien Testament. Blandine Kriegel insiste sur le fait que ce n’est 175