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Quelque chose de Platonov…
Angers 14 octobre 2004, Intervention de Pascal Collin,
Dramaturge de la mise en scène de Platonov, par Éric Lacascade (Avignon, 2002).
1
Point sur les éditions :
Françoise Morvan et André Markowicz
2
restituent la totalité du chantier Platonov qui contient en germes toutes
les « figures » (celles du plateau, comme les figures textuelles, de tout l’œuvre à venir de TCHEKHOV.
Rezvani, manipule des traductions existantes (notamment la première celle d’Elsa Triolet), et fait du
« Maupassant » : pittoresque, ornementation pseudo réalisto-naturaliste.
Éric Lacascade fait une adaptation (voir IV/ p. 4).
I/ Rôle du dramaturge
Le plus souvent c’est « l’érudit de service » qui donne documentation littéraire, historique, socioculturelle.
(Exemple : quand Lavaudan monte Dom Juan, son dramaturge cherche la donnée historique du
langage de « Piarot » (acte II) et trouve l’attestation d’un usage du XVIIème siècle qui consistait
à couper la lèvre supérieure du paysan qui braconnait, cachait une partie des coltes, etc. de
sorte que cela lui fabriquait un bec de lièvre qui rendait son élocution difficile et étrange…..)
Pour Pascal Collin, un tel travail n’est pas théâtral, mais archiviste : son rôle consiste à aider le Metteur en
scène à faire d’un texte à lire, un texte à jouer, qu’il soit initialement théâtral ou non. C’est en ce sens que, selon lui,
l’entendait Brecht : « accompagner le Metteur en scène, dans la mise en évidence des enjeux, à partir d’un examen
minutieux de l’écriture, afin de rendre concrets, les faits, les situations, et les idées. »
La voie la plus pertinente du rôle du dramaturge s’établit à partir de ce principe :
« Le texte ne devient dramatique que si son écriture inscrit le rapport au public. »
C’est ce rapport que le dramaturge aide le metteur en scène à établir, non par des artifices rajoutés (la tyrannie
de la vision rajoutée du Metteur en scène), mais dans l’écriture, à partir de son « actualisation » en parole d’acteur,
même contre « l’horizon d’attente » du spectateur-lecteur de la surface du texte, tel que la tradition l’a figé,
archéologiquement ou non, quand il s’agit d’un texte ancien.
3
En fait, de la sorte, le « dramaturge » (Brechtien), se met dans les pas du vrai « dramaturge » (au sens initial du
mot) : l’auteur du texte. Il reprend sa parole en son état « structuré », pour la rendre « spectaculaire » dans les
conditions d’aujourd’hui. Il doit permettre aux acteurs, (au centre du spectacle, comme le disait Vitez), de la porter au
public, grâce au cadre scénique que le metteur en scène pourra établir, éclairé par ces « mises au point » (au sens quasi
optique du mot), établies par le dramaturge.
Ce n’est pas en reconstituant l’archéologie de la dramaturgie Athénienne (impossible à établir comme l’a bien
démontré Barthes naguère, ce que confirme de plus en plus les travaux archéologiques réels qui mettent même en
doute le rituel de la cérémonie actuellement admis), qu’on peut rendre ce « rapport au public » dŒdipe Roi, mais en
cherchant ce qui, dans l’écriture « spectaculaire » de Sophocle, peut être pris en charge, et « inventé » par les acteurs,
pour déterminer le cadre scénique actuel qui établira ce rapport,
Cet exemple schématise la place qu’occupe chaque membre de l’équipe artistique, place « actantielle », en fait,
car selon les équipes, le rôle de dramaturge peut être cumulé avec celui d’un acteur ou du metteur en scène lui-même :
c’est le va et vient entre les fonctions qui est intéressant.
Mais quand les « postes » sont effectivement occupés, le Metteur en scène peut établir un garde-fou du type :
« Je voudrais que tu te glisses dans mes conceptions à moi. »
4
, ce qui conduit le dramaturge à s’incliner devant le
metteur en scène quand leurs lectures des enjeux différent
5
ou au contraire à ne plus savoir lequel a vu le premier telle
possibilité. De son té, le dramaturge voit arriver le moment il dit au Metteur en scène : « Maintenant, fais ce que
tu sais faire, toi ! »
6
1
Pascal Collin est professeur en Option théâtre lycée et classes préparatoires au Lycée Malherbe de Caen. Il est auteur de théâtre (La nuit surprise par le jour)
traducteur de nombreux textes de Shakespeare dont le Henri IV joué en 2002 à Avignon par la compagnie « La nuit surprise par le jour » qu’il a créée avec son frère
Yann-Joël Collin, acteur formé chez Didier Georges Gabily, dont la compagnie a remonté Violences (reconstruction).
2
On désignera les éditions ainsi : MM = Morvan Markowicz ; EL = Lacascade
3
Même si l’essentiel de ce rapport est constitué par les notes remises en forme de l’intervention de Pascal Collin, j’ajouterai cependant quelques commentaires
personnels que je signalerai, à chaque fois. En voici un premier. Paradoxalement c’est après avoir mené ce travail dans toute sa rigueur dramaturgique qu’Éric
Vigner subit les accusations délirantes de Fabienne Pascaud et d’une certaine cabale menant une véritable « bataille de Marion Delorme » contre une mise en scène
qui faisait entendre et voir à la perfection l’écriture de Hugo dans toute sa « vraie » dimension romantique, « poétique et politique », aujourd’hui.
4
Éric Lacascade à Pascal Collin au début du travail sur Platonov.
5
Voir p. 4
6
Pascal Collin à Éric Lacascade au moment d’aborder le dernier acte de Platonov, voir p. 3
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II/ Sur quoi le dramaturge de Platonov va-t-il fonder sa quête des enjeux ?
D’abord, un principe
7
:
Il y a bien, contrairement à la doxa scolaire, une énonciation de dramaturge, qui coiffe toutes les autres
énonciations des « figures » : cette énonciation organise, structure la distribution de la parole.
On voit, dans cette pièce ce processus se mettre en place. On voit le travail de création de théâtre, d’une
écriture de théâtre, d’un théâtre. C’est une œuvre qui porte en elle les principes de sa création. Elle a la malléabilité de
la pièce d’un jeune auteur en train de naître.
Ensuite un premier constat :
Le texte original organise la pièce en 4 actes déséquilibrés et divise l’acte II en deux tableaux, découpage que
Lacascade a ramené à 5 actes :
Texte original,
Traduction Morvan / Markowicz
Didascalies développées à l'origine.
Aucune chez Lacascade.
Adaptation Lacascade
Actes
Nombre de
scènes
Lieux et moments,
(respectés mais non indiqués par Lacascade)
Actes
Nombre de
scènes
pages
I
23
le salon chez Anna
I
13
17-39
II, A
21
le jardin chez Anna
II
15
40-59
II, B
17
une trouée dans la forêt, la nuit
III
11
60-76
III
10
une pièce dans l'école, trois semaines plus
tard
IV
8
77-95
IV
13
le bureau chez Anna, le lendemain
V
10
96-112
4 actes
84
5
57
86
Hypothèse initiale :
C’est un immense brouillon, non seulement celui d’une « pièce », dite injouable mais celui d’une écriture théâtrale en
quête d’elle même !
Hypothèse acceptable parce que :
- Soit pour des raisons de censures (tout ce qui touche à la Russie tsariste, guerre de Crimée par exemple est
gommé ensuite) soit pour d’autres raisons, TCHEKHOV « épure » son texte ensuite, mais donne à ses blancs le pouvoir
de renforcer les enjeux : ainsi dans Platonov, le blanc de la suppression du cit de la mort du père (MM. P. 85)
contribuera à « épaissir » le mystère de « ce fou de Platonov ».
- Dans la suite cela apportera de la matière au « jeu spectaculaire ». On peut vraiment « jouer les blancs » du
texte, c’est même une caractéristique de l’écriture de TCHEKHOV :
Exemple célèbre de l’usage fait par Stanislavski, (dans sa quête du réalisme psychologique), du blanc
qui précède le suicide de Treplev (joué alors par Meyerhold) dans La Mouette : il boit un verre, le verre
se casse, il décide de se suicider.
- De nos jours, cette pièce dite injouable tend à devenir son texte le plus joué. Cette singularité historique
résulte sans doute de ce que la découverte de cette pièce, antérieure aux autres pièces, connues et jouées du vivant de
TCHEKHOV, semble donner les clés des mystères des autres textes.
Deuxième constat :
On commence dans le « rien » (« Alors ? Alors, rien. On s’ennuyote »), et la « fumée » d’une cigarette.
On finit dans le commentaire dérisoire du vieux colonel sur la mort du « héros » ( ?), « foudroyé ».
Entre-temps, y a-t-il eu une intrigue ?
Il y a bien une débauche de propositions.
Mais c’est une pièce sans intrigue véritable, et même sans titre véritable, sinon un néologisme difficilement
traduisible en : L’ère des enfants sans père.
8
Il en résulte une transmission qui ne se fait pas (cf. Hamlet). Que faire ?
7
Je partage totalement ce principe. Cf. « Parole d’acteur », article que j’ai publié dans Énergeia, n°2, février 1995, où je conteste « la double énonciation théâtrale »
telle qu’on la suppose classiquement.
8
(MM. P. 35, préface de Françoise Morvan : « la page du titre du manuscrit s’est perdue, […]. [Le frère de TCHEKHOV] parle de Bezontsovchtchina néologisme
intraduisible sinon par approximations […] : « L’ère des enfants sans pères. »
- 3 -
III/ Connexions dramaturge - metteur en scène
Se pose la question de l’Identité, pour Hamlet comme pour Platonov, et la pièce se construit autour d’une idée
générale : « L’ère des enfants sans père », et d’un héros amené à réagir à des situations qu’il n’a pas voulues.
Mais, l’interminable Acte I expose une fiction sans fiction qui grossit de scène en scène, et monte en intensité,
tandis que le jeune TCHEKHOV cherche une forme théâtrale pour ordonner tout ça, en quasiment 100 pages !
Même si l’acte II/1 est un peu plus organisé, le groupe est toujours là, et l’exposition se poursuit !
En fait l’ensemble Acte I premier tableau de l’acte II qui se déroule chez Anna constitue une énorme « scène
d’exposition » de 168 pages chez TCHEKHOV, (et encore 33 pages, soit le 1/3 de la pièce, adaptées par Lacascade)
9
.
Les apparitions sont très complexes, multiples. Des histoires se nouent qui n’aboutiront pas. D’autres
constituent pourtant des jalons pour plus tard. Le public est saturé d’informations et perdu.
Le rôle du dramaturge est donc de réfléchir à ce grand mouvement à la fois par rapport au texte et par
rapport aux conditions réelles du jeu : il devient évident qu’en Avignon, c’est le palais lui-même avec
son immensité, qui constitue la demeure d’Anna Petrovna. On joue ainsi sur la perdition du spectateur
comme avec son plaisir d’être surpris et perdu dans ce lieu immense.
Qui en a eu « l’idée » le premier ? Quand le dramaturge le suggère au metteur en scène, il a le
sentiment qu’il lui confirme une idée qu’il avait déjà eue….
L’acte II/2 marque l’organisation de l’intimité dans le « no man’s land » de ce coin de forêt entre l’école, et la
voie de chemin de fer, la nuit, juste après la soirée de fête.
10
Á´regarder « l’écrivain-écrivant » on voit se dessiner des scènes à deux qui fabriquent la fiction qui ne à la
mort de Platonov. Ces scènes sont écrites pour que les paroles s’entendent : le de la nuit et du nulle part qui rendent
les chose plus audibles.
Que proposer pour que le public voit plein de choses mais connaissent les personnages ?
Il faut un lointain indéfini pour mettre l’acteur en relief sur ce lointain :
Fond Noir, une bande de terre qui signifie l’extérieur, et tout se joue en avant-scène dans
l’ouverture : importance des paroles.
Dans l’acte III, TCHEKHOV accède un peu plus à son écriture de théâtre : ça se poursuit avec les acteurs.
La transition entre les actes n’est pas « fictionnelle ». Celle-ci « bouge peu ». Elle est dans l’écriture de théâtre.
Rupture brutale dans le « récit »
11
(trois semaines ont passé).
On entre dans un acte « avec les acteurs ». Acte spectaculaire, avec « l’acteur au centre » (cf. Vitez). Cette
confiance dans l’acteur se manifeste dans l’écriture : monologues plus nombreux.
Dans la mise en scène de Lacascade ça se marque par une concentration sur les acteurs isolés dans un
losange de lumière. La scène Anna - Platonov
12
en est l’exemple type : ils sont isolés avec les bouteilles,
éléments matériels de la représentation, non comme « thème », mais comme éléments du jeu d’acteur.
La scène est alors à chaque fois totalement improvisée entre les acteurs contraints aux seuls cadres de
l’écriture (contrainte du dramaturge initial, TCHEKHOV, mise en lumière par le « dramaturge
Brechtien »), et du cadre éclairé (contrainte du metteur en scène) : tous deux, le « dramaturge
dédoublé » et son metteur en scène, ont une totale confiance dans la liberté des acteurs à s’inscrire dans
ce cadre pour donner « à voir et à entendre », spectaculairement, au public. C’est du jeu à l’état pur.
Tous les éléments sont donc en place pour le dernier acte, qu’on peut lire en oubliant tout le reste.
Ça s’ouvre comme une nouvelle exposition avec une fiction, comme si tout le reste était un travail préparatoire
à une pièce qui pourrait, elle, s’appeler Platonov : c’est un concentré du drame tchékhovien qui a enfin trouvé sa forme.
Tout cela converge vers la représentation et le dramaturge peut dire au metteur en scène, qui se trouve en face
d’une « vraie pièce » de TCHEKHOV, comme La Mouette, qu’il a montée en 2001 : « Fais ce que tu sais faire, toi. »
Le Palais des papes redevient un « décor », il peut faire jouer son théâtre chorégraphique,
théâtre physique (mouvement stylisé des corps), intense, en recyclant des formes déjà utilisées
dans de précédents spectacles (jeu avec les bouteilles).
9
C’est pourquoi, dans la mise en scène de Lacascade, les scènes intimistes se jouaient à vue des autres, jusqu’au feu d’artifice.
10
Quelque chose de ces conversations d’après soirée, dans l’arrière-cuisine, où on se dit les choses graves.
11
Cf. la notion de « théâtre-roman » chez Gabilly Violences, par exemple.
12
MM. III, 5, p. 298. EL. IV, 3, p. 82
- 4 -
Le dramaturge, Pascal Collin, a apporté au metteur en scène la vision de l’écrivain écrivant, et le metteur en
scène, Éric Lacascade, opère autant à partir de cet apport que de sa propre vision, qu’il impose cependant lorsque les
deux ne coïncident pas, au nom de l’enjeu global du spectacle.
Platonov s’ouvre ainsi :
« TRILETSKI : Alors ?
ANNA : Rien, on s’ennuie un peu »
13
Proposition du dramaturge :
Ils sont à l’avant scène et « appellent » le public : l’enjeu ennui immédiatement éprouvé ; le
début provocateur (le public sait que ça va durer 5 heures et on lui annonce ça le « rien ». Il est
cueilli, saisi, perdu peut-être mais « captivé ».
Proposition du Metteur en scène :
Ils sont au lointain : enjeu, la fonction du Palais des papes, enjeu global de la scénographie, à
donner d’emblée.
Les deux choix sont judicieux : c’est celui du metteur en scène qui s’imposera.
IV L’adaptation du texte par Éric Lacascade
Son choix est de styliser le vivant dans une écriture et un espace simple.
Aucune didascalie : texte brut, (écrit à la main)
14
: il veut que les acteurs soient libres et qu’on voit les enjeux : la
parole est première, c’est un acte physique de l’acteur, acte majeur dans la fiction, et qui modifie la fiction.
Le texte s’adresse d’abord à l’autre sur le plateau (1er destinataire), mais ce n’est pas une conversation, c’est une
construction. Chaque parole est un acte et un acte proposé à l’acteur.
Sur plusieurs scènes, dont la scène II, 2 p. 42, toute l’équipe est intéressée au travail. Des couples (homme-
femme, homme-homme, femme-femme) font des propositions, afin qu’on trouve l’enjeu de la scène dans la
construction générale. Ces propositions sont déterminées par une consigne minimale. Á´la fin on revient à l’enjeu,
nourri par ce travail libre.
Le texte retient les axes de lecture initiés par le dramaturge.
Pour concilier tout cela, les contraintes de production (des personnages sont éliminés pour limiter le nombre
d’acteurs), l’efficacité du spectacle dans les conditions normalement admises par le public, des coupes sont
nécessaires.
15
Le problème que cela pose c’est de ne pas effacer le côté brouillon du premier Acte tout en rendant le
texte efficace et clair.
Ainsi certaines scènes de l’acte II sont ramenées à l’acte I, notamment celle qui introduit trine, afin de mieux
mettre en évidence l’opposition nobles / nouveaux propriétaires, et l’image d’un monde en ébullition. Afin de clore
aussi l’exposition par une écriture plus moderne.
De même la scène initiale de Lacascade compacte et mêle les scènes I, 1, 2 et 3 du texte original : l’écriture est
plus vive : l’exposition va plus vite à certains « détails » (la chaleur présente dès la 3ème page au lieu de la 15ème)
16
, et
concentre les questions sur Platonov.
Quant à la réécriture de II, 2, (EL. p.42) elle supprime le « psychologique » induit par le monologue de Sofia, en
II, 5, (MM. p.170) (type de blanc qu’aurait pu « écrire » TCHEKHOV mûr, justement), pour ne garder que l’enjeu
« physique et spectaculaire » de la livraison de Sofia à Platonov par Voïnitsev.
17
13
Pascal Collin défend ce choix de traduction plutôt que le « s’ennuyote » de MM. qu’il estime « décalé » et entendu comme tel par le public, donc en contradiction
avec la « banalité » du « rien ». C’est vrai si l’actrice se contente de « jouer » la situation comme « convenue ». En revanche si l’actrice « invente » et propose
comme premier « remède » (dérisoire) à l’ennui du rien, d’inventer le mot (un néologisme, justement, intuition théâtrale magnifique de TCHEKHOV) comme plus
tard Trileski inventera le jeu du « prendre le pouls se transforme en baisemain » comme autre remède dérisoire, ça devient génial, et il faut jouer ça en avant-scène.
Nous en parlons, et tombons d’accord sur ce point.
14
Il en reste la trace dans la lecture de la lettre d’Anna Petrovna par Platonov, EL. acte IV, 5 p. 81 : « Vous qui ne répondez pas à mes lettres, virgule, Platonov,
virgule, vous êtes une brute stupide et cruelle. Point. » Dans le texte original, MM. III, 2, p. 289, Platonov ne signale pas la ponctuation.
15
Pascal Collin, plutôt contre les coupes, aurait aimé tout garder. Moi aussi, je trouve que ce qui est excitant c’est de jouer l’injouable du brouillon.
16
VENGUEROVICH 1 « Quelle chaleur ! On se croirait en Palestine. » (EL. P.19 en bas ; MM. p. 70 scène 3, 1ère réplique bien plus développée.)
17
La réécriture de ces deux scènes et celle de l’alcool (cf. note 11) a fait l’objet d’un travail d’atelier l’après-midi, sur lequel on revient en VI/, p. 6.
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V/ La question du genre et le personnage de Platonov
Théâtre « réaliste », « naturaliste » que ce théâtre-là, celui de TCHEKHOV en général et Platonov en particulier ?
Si le réalisme est un mode opératoire d’écriture fondé sur la mise en jeu de la vraisemblance et de la motivation des
comportements (cf. Genette), l’écriture de cette pièce excède cette gle, ne serait-ce que parce que c’est une matière
critique, même sur le genre : Tragédie ? Drame ?
En fait c’est parce que cette écriture épouse le mouvement-même du vivant et de sa complexité qu’elle ne peut
être réaliste (cf. l’écriture de Claude Simon, pour le roman)
Cette pièce cuse les « théâtres antérieurs ». Ce théâtre cherche ses propres catégories : pas d’interprétation
romantique, même quand il feint le romantisme (monologue de Sofia en II, 5, MM. p. 174, finalement faussement
psychologique : « Mais on est au bord du malheur ! Je suis déjà capable de ne plus penser à mon mari des jours durant,
d’oublier qu’il est », et plus une proposition de jeu comique pour l’actrice qui voit Platonov ; « Rien qu’à sa
démarche je devine qui c’est ! » (Transition de II, 6).
Elle récuse aussi, essentiellement par la parole de Platonov, chacun dans des catégories, sociales, idéologiques,
psychologiques, préétablies, comme dans la scène I, 12 (EL, p. 37) il récuse tous les lieux communs par lesquels
Venguerovich, le fils, tente de le faire passer.
Confronté à une absence d’identité, (patrie ? famille ? soi ?...) il ne peut accéder à l’action et il n’existe qu’en
réaction aux propositions des autres.
Platonov intériorise sa dérision d’être, comme Hamlet dans ses trois monologues en particulier celui qui
s’ouvre par : « To be or not to be ».
Au fameux « Être ou ne pas être », traduction romantique de François Xavier Hugo, Bonnefoy préfère « Être ou
n’être pas » qui ramène à la question de l’identité, et aux questions théâtrales (et politiques) fondamentales :
Si « je » ne suis pas, que viens-je faire sur le plateau de théâtre ?
Puis-je encore être un héros ?
Puis-je encore jouer un rôle ?
Il y a bien là destruction du héros romantique.
Dans Platonov comme dans Hamlet, la situation initiale est provoquée par la mort du père, ce qui entraîne une
perte de la transmission des valeurs, au contraire du théâtre de Corneille, par exemple, fondé sur la transmission de ces
valeurs. Comme la réalité socio-historique du monde où écrit TCHEKHOV, et où vivent ses « figures », est aussi marquée
par la perte de transmission des valeurs anciennes, en raison de l’état prérévolutionnaire de la Russie, le héros n’a plus
de repères. C’est bien « L’ère des enfants sans père ».
C’est donc le plateau, et le plateau seulement, qui construit Platonov, car si le théâtre n’imite pas le monde, il
imite son langage et en restitue le flux de parole.
Platonov, c’est n’importe qui, qui se constitue un langage, par le plateau et les situations, en réaction par
rapport à tout le monde. Son langage imite le langage par les situations et donc bénéficie de la conscience aiguë de
celui qui écrit.
C’est d’abord une absence physique, une absence de caractère, un « vouloir sans but » dirait Klossowski : c’est
par réaction à ce qu’on attend de lui qu’il se construit. On lui dit : « Alors toi, Platonov, tu vas…. », et il fait .
Ce n’est pas une parole qui délibère. C’est une parole lucide et critique par rapport aux situations : il possède
une clef qui n’ouvre rien comme Hamlet.
Par le personnage, (ou plutôt « la figure »), l’œuvre nous est donnée comme une interrogation critique
développée. Ce n’est pas une leçon. Ce n’est pas une œuvre « réaliste ».
C’est une expérience de plateau.
C’est le théâtre qui est pour Platonov, comme pour Hamlet à l’intérieur de cette interrogation (La scène des
comédiens dans Hamlet conduit le héros à jouer le théâtre puisque le monde est un théâtre). Platonov est lui-même
l’histrion, et il fait l’histrion : il ne « -agit » que par esclandres.
Dans sa préface, « II/ Sur une interprétation aléatoire » (MM. p. 30-49), Françoise Morvan développe aussi cet
aspect, en particulier le point précis de la figure de l’histrion p. 45 : « Pris dans l’ennui commun, Platonov se différencie
par un seul trait, donné brut, sans explications : il provoque des esclandres, il se conduit en énergumène et tous
attendent quelque chose. On l’attend : tout le début de la pièce est orienté par cette attente. Il pond à cette attente : il
suscite l’admiration, l’adoration. […] Il assume jusqu’au bout, sans défaillance, son rôle de provocateur : à tout instant,
il provoque du mouvement, il agite, il secoue, il parle pour mettre au jour la vérité cachée ; qu’elle soit pure illusion
n’entre pas en ligne de compte. » (FM souligne esclandres et énergumènes ; c’est moi qui souligne rôle).
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