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Conférences d'actualisation 2003, p. 11-28.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Anesthésie du patient en choc septique
B. Allaouchiche, F. Benatir, N. Danton
Service d'anesthésie-réanimation, hôpital Édouard Herriot, 5 place d'Arsonval, 69433 Lyon
cedex 03, France
e-mail : allaouch@univ-lyon1.fr
POINTS ESSENTIELS
· Aux États-Unis, environ 750 000 cas de sepsis sont rapportés chaque année, dont 225 000
sont fatals.
· Le système des cytokines pro-inflammatoires et anti-inflammatoires est étroitement lié à
d'autres systèmes d'homéostasie, notamment au système de la coagulation.
· Le volume intravasculaire est diminué lors du sepsis ; ceci conduit à une instabilité
circulatoire.
· Une expansion volémique agressive est considérée comme la meilleure thérapeutique initiale
concernant la stabilité hémodynamique lors du sepsis.
· La dopamine a des effets indésirables sur le plan immunologique et endocrinien.
· La noradrénaline améliore les paramètres hémodynamiques chez la plupart des patients avec
sepsis et peut améliorer l'oxygénation tissulaire.
· L'objectif de la phase initiale est de maintenir une pression artérielle moyenne de l'ordre de
70 à 80 mmHg.
· La CAM des halogénés est diminuée dans le sepsis.
· La kétamine est toujours considérée comme le meilleur hypnotique pour le patient en état de
choc.
· Le protoxyde d'azote ne semble pas recommandé chez les patients en état de défaillance
multiviscérale secondaire à une infection sévère.
GÉNÉRALITÉS
Le choc septique représente une des principales raisons d'admission en réanimation dans tous
les pays du monde [1]. Le sepsis est une pathologie souvent mortelle requérant d'énormes
ressources en réanimation. Depuis trois décennies, de nombreuses découvertes ont été
réalisées concernant la physiopathologie et le traitement du sepsis. Récemment deux essais
thérapeutiques majeurs sur le choc septique ont été publiés : l'un concernant l'utilisation de la
protéine C activée [2], et l'autre la corticothérapie [3].
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DÉFINITION
Sur le plan étymologique, sepsis signifie putréfaction ou décomposition de matière organique
par des bactéries ou des champignons. En 1991, l'American College of Chest Physician et la
Society of Critical Care Medicine ont développé de nouvelles définitions du sepsis [4]. Ces
définitions tenaient compte du fait que le sepsis pouvait résulter de multiples agents infectieux
et de multiples médiateurs microbiens ; ceux-ci n'étant pas nécessairement liés à une
bactériémie. Le terme de SIRS (systemic inflammatory response syndrome) est caractérisé par
la présence de deux ou plus des signes suivants :
1. température centrale de plus de 38oC ou de moins de 36oC ;
2. rythme cardiaque supérieur à 90 b·min-1 ;
3. tachypnée (rythme respiratoire à plus de 20 c·min-1) ;
4. altération du chiffre de globules blancs : supérieur à 12 000 cellules/mm3, ou inférieur
à 4 000 cellules/mm3, ou présence de près de 10 % de formes immatures de
polynucléaires neutrophiles.
Quand le SIRS est secondaire à un processus infectieux, il est nommé sepsis. Le sepsis sévère
est défini comme un sepsis avec une défaillance d'organe ou l'évidence de signes
d'hypoperfusion ou une hypotension artérielle. Le choc septique dérive du sepsis sévère et est
défini comme une hypotension artérielle induite par un sepsis persistant malgré le
remplissage, ou par la présence de signes d'hypoperfusion, ou de dysfonctions d'organes [5].
ÉPIDÉMIOLOGIE
Durant les dernières décennies, l'incidence du sepsis a augmenté de manière très importante.
Ceci est lié à l'existence de ces nouvelles définitions, mais aussi au développement de
nombreuses procédures invasives. On peut ajouter à ces facteurs de risque, l'utilisation de plus
en plus importante d'immunosupresseurs et l'âge avancé de la population. Les statistiques du
Centers for Disease Control and Prevention montrent que la mortalité du sepsis a été
multipliée par 13 entre 1950 et 1991 [6]. Aux États-Unis environ 750 000 cas de sepsis sont
décrits chaque année dont 225 000 sont fatals [7]. Malgré le développement de nouveaux
agents anti-infectieux et les progrès de la réanimation, le pourcentage de patients qui décèdent
reste constant, entre 30 et 40 % [8].
ASPECTS BACTÉRIOLOGIQUES
Dans les années 1960 et 1970, les bacilles à Gram négatif étaient prédominants, puis peu à
peu, les infections à cocci à Gram positif et les champignons opportunistes sont apparues.
Cependant, les infections mixtes ne sont pas rares ; depuis quelques années, on assiste
également à une augmentation de l'incidence des bactéries multirésistantes. Alors que dans les
années 1970, les infections intra-abdominales étaient dominantes, les infections pulmonaires
apparaissent désormais comme le site prépondérant.
PHYSIOPATHOLOGIE DU SEPSIS
La physiopathologie du sepsis est extrêmement complexe et implique des interactions entre
des éléments bactériologiques et la réponse de l'hôte.
Facteurs microbiens
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Les facteurs microbiens activant la réponse du système immunitaire sont les composants de la
paroi bactérienne et les protéines sécrétées par les bactéries. Les lipopolysaccharides (LPS) ou
endotoxines bactériennes, sont les composants majeurs de la paroi des bacilles à Gram
négatif [9]. Les LPS se lient à une protéine inflammatoire appelée LPS-binding protein (LPB)
qui transfère le LPS sur un récepteur de membrane (CD14) que l'on trouve sur la surface des
monocytes des macrophages et des polynucléaires neutrophiles [10]. L'activité des LPS est
modulée par de nombreuses protéines, notamment la bactericidal-permeability increasing
protein (BPI). Cette protéine est produite par les polynucléaires neutrophiles et permet
d'éviter la liaison aux LPB. La transduction du signal induit par les LPS commence avec
l'activation des récepteurs Toll (TLR4) sur les CD14 [11]. Le LPS active également la voie
classique et alterne du complément conduisant à la production d'anaphylotoxines C3a et C5a.
Bien que le peptidoglycane soit considérablement moins puissant que le LPS, de nombreuses
données suggèrent que la réponse clinique est similaire lors de l'infection à bactéries à Gram
positif. Ceci est dû à la reconnaissance par les mêmes récepteurs Toll.
Des toxines peuvent être sécrétées par les bacilles à Gram négatif et les cocci à Gram positif.
La plupart de ces toxines sont des enzymes qui ont pour cible des éléments intracellulaires des
cellules hôtes. Pour Pseudomonas aeruginosa [12], on peut noter la présence de nombreuses
toxines comme par exemple, l'élastase, la protéase alcaline, l'exotoxine A qui inhibe la
synthèse protéique, la cytotoxine (protéine qui forme des pores) et deux types d'hémolysine
(phospholipase et ramnolipides).
Facteurs liés à l'hôte
L'homéostasie est définie comme la maintenance et la régulation du milieu intérieur. Quand le
corps est agressé par les agents étrangers, des éléments régulateurs sont mis en jeu pour
éradiquer ces agents étrangers sans dommage pour l'hôte. Ceci implique l'activation de
système pro-inflammatoire et anti-inflammatoire qui sont régulés et contrôlés de manière très
fine. Le système des cytokines pro-inflammatoires et anti-inflammatoires est étroitement lié à
d'autres systèmes d'homéostasie, notamment le système de la coagulation, mais également aux
médiateurs lipidiques, aux protéines de l'inflammation, au système endocrinien, à des
phénomènes d'apoptose, à la production de monoxyde d'azote (NO) et au système
antiradicalaire. Tous ces systèmes sont liés de façon très complexe avec des boucles de
régulation positive ou négative. Le sepsis conduit à une dérégulation de l'ensemble des
mécanismes d'homéostasie.
Cytokines pro-inflammatoires et anti-inflammatoires
Les cytokines sont des protéines solubles activant et régulant des lymphocytes B et T. Ces
protéines sont produites par de nombreuses cellules hématopoïétiques et non
hématopoïétiques. Les cytokines peuvent être divisées en trois groupes, les cytokines
d'immunorégulation (interleukine-2, interleukine-3, interleukine-4), les cytokines pro-
inflammatoires (interleukine-1 , TNF- , interleukine-6 et interleukine-8), les cytokines anti-
inflammatoires (interleukine-4, interleukine-10, interleukine-13). Les monocytes, les
macrophages et les cellules TH CD4+ sont les sources les plus importantes de cytokines. Chez
la plupart des patients infectés, l'organisme est capable de rétablir une balance entre les
médiateurs pro-inflammatoires et les médiateurs anti-inflammatoires ; l'homéostasie s'en
trouve restaurée. Chez certains patients cependant, cette balance est déséquilibrée et il en
découle un syndrome de réponse inflammatoire systémique, voire un syndrome de défaillance
multiviscérale quand le processus pro-inflammatoire est excessif [13]. Quand la réponse anti-
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inflammatoire est excessive, ceci peut se manifester par une immunodépression avec une
augmentation de la sensibilité aux infections.
Médiateurs lipidiques
Lorsqu'il est activé par un processus inflammatoire, le macrophage est capable de mobiliser
25 à 40 % de son contenu lipidique membranaire pour produire de l'acide arachidonique.
Après métabolisation, ceci permet la production de nombreuses prostaglandines et
leucotriènes qui ont des effets inflammatoires.
Activation leucocytaire
L'accumulation de polynucléaires neutrophiles au site de l'infection est l'étape fondamentale
dans la physiopathologie du sepsis. Après reconnaissance de la cible, les polynucléaires
neutrophiles activent de nombreux mécanismes incluant NO et radicaux libres. Beaucoup de
ces mécanismes bactéricides causent des dommages aux protéines et aux cellules de l'hôte.
L'extravasation des neutrophiles et la migration à travers les tissus est la conséquence de
processus impliquant le relargage et la compartimentalisation d'une grande variété de
médiateurs inflammatoires incluant IFN- , C5a, leucotriène B4, TNF- , IL-1, IL-6, IL-8 et
GM-CSF.
Activation du système de la coagulation
Le sepsis est caractérisé par un déséquilibre entre l'activation de l'hémostase avec activation
de la voie procoagulante et diminution des mécanismes fibrinolytiques. Ce déséquilibre joue
un rôle majeur dans la physiopathologie du sepsis [14]. Bien que les manifestations
hémorragiques attirent plus l'intention, les thromboses des micro-vaisseaux sont très
importantes et largement impliquées dans le développement des défaillances multiviscérales.
La voie extrinsèque de la coagulation est la principale voie activée lors du sepsis. Cependant
la voie intrinsèque peut être aussi activée par de hautes concentrations d'endotoxines. La
diminution des concentrations de protéine C et de son activation joue un rôle important dans
le développement des troubles de l'hémostase du sepsis. Une première étude réalisée chez les
babouins par Taylor et al. [15] a montré que l'administration de protéine C activée réduisait la
mortalité, les troubles de l'hémostase et les effets hépatotoxiques après perfusion
d'Escherichia coli. Récemment, Bernard et al. [2] ont démontré que l'administration de
protéine C activée était associée à une réduction de risque relatif de décès de 19,4 %.
Rôle du NO dans le sepsis
La production du NO est un événement fondamental dans le cadre du sepsis. Ce médiateur
induit une relaxation des muscles lisses et une inhibition de l'agrégation plaquettaire. La
diminution de la pression artérielle moyenne et des résistances vasculaires systémiques est
principalement liée au relargage du NO provenant des cellules musculaires lisses [16].
L'augmentation de la production de NO est impliquée dans la diminution de réponse aux
vasoconstricteurs. Le NO est une cause majeure de dépression myocardique ; il est également
responsable de dommages tissulaires observés dans le sepsis. Cependant, il est également vrai
qu'il joue un rôle important dans les défenses de l'organisme. Le NO contribue à la morbidité
de l'infection en agissant comme vasodilatateur, dépresseur myocardique, et médiateur
cytotoxique. Par ailleurs, ses effets microvasculaires, cytoprotecteurs, immunorégulateurs et
antimicrobiens ont également un rôle important dans défense de l'organisme.
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Apoptose
L'apoptose se réfère au processus de mort programmée de la cellule. L'apoptose des
neutrophiles et des monocytes est probablement un mécanisme de contre-régulation dans la
réponse inflammatoire. Les médiateurs produits dans le sepsis peuvent moduler l'apoptose
(TNF- , IL-10). Le sérum des patients atteints de sepsis peut retarder l'apoptose des
polynucléaires neutrophiles, ceci pouvant entraîner une production prolongée de médiateurs
pro-inflammatoires [17].
Activation du système hypophyse-médullosurrénale
Lors du stress, il y a augmentation de la production d'ACTH et de cortisol. Les effets des
stéroïdes sont de préparer l'organisme à la défense, en fournissant du glucose et en jouant sur
la réponse hémodynamique. Leur seconde fonction est de supprimer l'activation des
mécanismes de défense, prévenant une réaction exacerbée pouvant être dangereuse pour
l'hôte. Il a déjà été démontré que l'on observait de manière fréquente des faibles taux d'ACTH
et de cortisol chez les patients avec sepsis sévère. Le TNF- peut inhiber les fonctions
surrénaliennes.
Microcirculation dans le sepsis
De nombreux désordres microcirculatoires peuvent être observés : lésions endothéliales avec
œdème, séparation des cellules, augmentation de la perméabilité capillaire... En raison de
l'activation de l'hémostase, on peut observer des thromboses des micro-vaisseaux. Des
phénomènes d'agrégation leucocytaires et de déformabilité érythrocytaire peuvent aussi
compromettre la microcirculation. On observe également un phénomène de vasoconstriction
artériolaire associée à une réduction de la vélocité des globules rouges. On peut observer des
zones de tissu bien perfusé et mal perfusé. Ainsi une augmentation du transport d'oxygène
n'est pas toujours capable d'améliorer la perfusion tissulaire. Bien que le débit cardiaque soit
augmenté dans le sepsis, celui-ci n'est pas également distribué. On a pu observer dans le
sepsis une réduction du flux sanguin vers le myocarde, les muscles squelettiques, mais
également vers l'estomac, le duodénum, l'intestin grêle et le pancréas. En revanche, les débits
régionaux au niveau cérébral et rénal sont relativement préservés. Le débit splanchnique a
tendance à être réduit, même lorsque le débit cardiaque est élevé [18]. Le tube digestif est très
sensible à la diminution de perfusion tissulaire et les microvillosités sont particulièrement
sensibles à l'ischémie.
Phénomènes d'hypoxie tissulaire dans le sepsis
Après les études de Schoemaker et al. [19], de nombreux auteurs ont vainement tenté
d'augmenter le transport en oxygène pour améliorer la perfusion tissulaire. L'augmentation du
lactate dans le sepsis n'est en fait pas le résultat d'une diminution de l'oxygène tissulaire, mais
plutôt la conséquence de l'augmentation de la production de pyruvate.
DÉFAILLANCES D'ORGANE OBSERVÉES DANS LE SEPSIS
Effets cardiovasculaires du sepsis
Le volume intravasculaire est diminué lors du sepsis, ceci conduit à une instabilité
circulatoire. Lorsque l'expansion volémique n'a pas été suffisante, le choc septique peut se
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