L’actualité de Keynes dans la crise… Crise économique : le retour de Keynes La crise économique que nous vivons suit le cercle vicieux classique étudié il y a longtemps par Keynes : les anticipations pessimistes des ménages et des entreprises renforcent encore la dépression qui les avait rendus pessimistes. La sortie de crise passe elle aussi par Keynes : ce n'est pas la dépense privée mais bien la dépense publique qui permettra de rompre ce cercle vicieux. par Denis Clerc, fondateur d'Alternatives Economiques, auteur de La France des travailleurs pauvres (Grasset, 2008). La crise bancaire semble derrière nous, mais la panne du crédit, elle, est lourde de conséquences, surtout si elle se prolonge. On le voit bien dans le secteur du bâtiment. Les prix s'effondrent parce que plus personne n'ose acheter un nouveau logement, de peur de ne pouvoir revendre celui où il habite actuellement. Tandis que l'accession à la propriété, qui repose sur le crédit, est gelée. De même, les entreprises trouvent difficilement les financements dont elles auraient besoin pour concrétiser leurs projets d'investissement (ce qui amènera sans doute une grande partie d'entre elles à réduire leur distribution de dividendes, de façon à pratiquer davantage l'autofinancement). Seul le crédit à la consommation continue de prospérer, à la fois parce qu'il pratique des taux très élevés et parce qu'il s'accompagne de procédés expéditifs en cas de non-remboursement (saisies). Mais, globalement, la panne du crédit comprime à court terme la demande (moins d'achats de logements et de biens d'équipement) et à moyen terme l'offre (freinage des capacités de production et de l'innovation). A cette panne du crédit s'ajoute désormais une montée de l'épargne privée. Pour deux raisons. D'abord, quand le patrimoine des ménages perd de la valeur, il se produit ce qu'on appelle « un effet de richesse » : les ménages concernés s'efforcent de mettre davantage d'argent de côté de façon à compenser, au moins partiellement, cet « appauvrissement » [L'inverse est également vrai : quand le patrimoine se valorise, l'épargne se réduit et les emprunts gagés sur ce patrimoine (crédit hypothécaire) peuvent s'accroître.]. Ce mécanisme est plus important dans les pays anglo-saxons qu'ailleurs, mais il s'applique à l'échelle mondiale. Aux Etats-Unis, on estime que la crise financière et immobilière a amputé de 10 % environ le patrimoine des ménages, ce qui représente une perte de l'ordre de 1 500 milliards de dollars, que les ménages vont s'efforcer de combler, au moins en partie. Deuxièmement, face aux difficultés économiques, les ménages autant que les entreprises cherchent à se constituer, ou à préserver, une sorte de matelas de sécurité protecteur et évitent de s'exposer aux risques liés à l'endettement. Bref, le comportement de fourmi l'emporte sur celui de cigale et l'épargne de précaution se gonfle aux dépens de la consommation et de l'investissement. Au total, du côté des ménages autant que de celui des entreprises, la dépense est bridée à la fois par manque de financement et par un comportement de prudence. Selon les économistes néoclassiques, ce supplément d'épargne des ménages et des firmes devrait déboucher sur un supplément d'investissement. Mais, justement, cela est peu probable en raison des comportements de prudence de la grande majorité des acteurs économiques. Au lieu de stimuler l'investissement, l'accroissement de l'épargne contribue à freiner la demande. La crise économique et les anticipations Car, comme l'avait bien vu Keynes dans les années 1930, face au ralentissement de l'activité, les acteurs économiques développent des « anticipations » pessimistes. Keynes estimait que ces anticipations jouaient un rôle extrêmement important. Lorsque tous anticipent un ralentissement de l'activité, la demande effective (qui, dans son langage, ne désignait pas la demande observée, mais la demande attendue) aboutit à geler nombre de projets d'investissements, ce qui engendre une contraction effective (d'où le terme) de l'activité par une sorte d'autoréalisation. Ce que nous craignons se concrétise précisément parce que cela influence nos actes, dans le domaine économique sans doute comme dans d'autres domaines. Loin d'être un mécanisme équilibrant, les forces du marché aggravent encore la situation. C'est exactement ce que nous pouvons observer actuellement dans des secteurs comme le bâtiment. Si cela devait se poursuivre, un cercle vicieux pourrait alors se développer : moins de consommation engendre moins d'investissement, qui engendre moins d'activité, qui suscite davantage d'épargne de précaution, qui... Nous passerions alors de la récession (une légère réduction d'activité) à la dépression (un ralentissement marqué et durable). Ces anticipations pessimistes accentuent encore la baisse des cours boursiers, initiée par la « réallocation » des actifs financiers : les titres les moins sûrs, les plus incertains en termes de valorisation sont vendus au profit de titres d'Etat, même assortis d'un intérêt faible, parce qu'un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Là encore, Keynes retrouve une actualité brûlante. Il a été le premier à expliquer que, lorsque l'efficacité marginale anticipée du capital diminue, seul l'Etat est en mesure de capter l'épargne de précaution qui se développe et ne s'investit plus. Le rôle de l'Etat est alors de procéder à un recyclage public de cette épargne, sous forme de dépenses publiques, de manière à mettre fin à la dépression issue d'une dépense privée en diminution. Quelles solutions à la crise ? Voilà l'engrenage qui nous guette si nous n'y prenons pas garde. La réponse de Keynes demeure d'actualité : à l'Etat de compenser la baisse de demande par des dépenses publiques supplémentaires, de façon à déjouer, puis à renverser les anticipations. Au prix d'une dette publique accrue ? Evidemment : puisque les épargnants se ruent sur les titres d'Etat, c'est le moment d'en émettre, pour recycler cette épargne de précaution dans des dépenses publiques nouvelles. Ces dépenses vont permettre de renverser les anticipations tout en améliorant les conditions de vie de nombreuses personnes. Il ne s'agit donc pas de dépenses à détente longue, comme de nouvelles infrastructures de transport ou de nouvelles centrales nucléaires pour lesquelles il peut s'écouler dix ans, voire davantage, entre la décision et la concrétisation. Non, il s'agit d'investir dans le logement social en faisant d'une pierre trois coups : donner du travail au secteur du bâtiment qui souffre beaucoup, donner des logements accessibles à des ménages qui en ont besoin, et dépenser vite l'argent public pour relancer la demande et retourner les anticipations. Assumer l'action publique Tous les pays, Chine comprise, semblent l'avoir compris. En France cependant, le Premier ministre commence certes à préparer l'opinion à l'idée que le déficit public va se creuser, mais il le fait en expliquant que c'est la faute au ralentissement, et non pour lutter contre le ralentissement. En d'autres termes, le gouvernement français demeure prisonnier d'une vision néoclassique et ne semble pas (encore ?) prêt à assumer une action publique résolue. Mais tout ceci veut dire que la dette publique va exploser, souligneront les anxieux. Certes. Et on peut regretter que depuis dix ans, l'action publique ait consisté à baisser les impôts plutôt qu'à rembourser la dette : si les gouvernements précédents avaient pris la dette au sérieux, nous disposerions aujourd'hui de davantage de marges de manœouvre. Il n'empêche : plonger l'économie dans la dépression est, y compris pour les générations futures, un risque bien plus grave que l'alourdissement de la dette publique. D'autant qu'il ne s'agit pas de gonfler les dépenses publiques de façon permanente mais temporairement, le temps de renverser les anticipations. C'est pourquoi, d'ailleurs, des dépenses d'investissement valent mieux que des dépenses de fonctionnement, plus difficiles à réduire une fois le risque de dépression écarté. Le soutien scolaire, ou l'investissement dans la formation des jeunes mériteraient sans doute un accroissement important de la dépense, mais de façon permanente, pas de façon temporaire, ce qui en fait de mauvais candidats au titre de la lutte contre la récession. Denis Clerc, Alternatives Economiques, Novembre 2008 Les économistes pronostiquent déjà un deuxième plan de relance Nul doute n'est permis : le plan de relance de 26 milliards d'euros de Nicolas Sarkozy s'inscrit dans la plus pure tradition keynésienne de soutien à l'économie. Les puristes applaudissent : "Il s'agit d'une série de mesures que l'on aurait considérées il y a quelques mois comme faisant partie d'un plan de relance idéal", constate le néo-keynésien Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et membre du conseil scientifique de l'Institut François-Mitterrand. En expert, il souligne que le plan de relance Sarkozy "est le plus important depuis 1981". A une différence près, et de taille : "Cette fois-ci, le changement de direction de politique économique s'effectue à l'échelle mondiale, ce qui me satisfait encore davantage", ajoute M. Fitoussi. Ce que François Mitterrand avait rêvé, Nicolas Sarkozy serait donc en train de le réaliser… La plupart des économistes saluent d'emblée les deux piliers du plan français : le soutien à la trésorerie des entreprises malmenée par la frilosité des banques (remboursement des dettes de l'Etat comme l'impôt sur les sociétés, le crédit impôt recherche ou encore la TVA) et la relance de l'investissement public (avec l'accélération des programmes prévus au cours des prochaines années). "Les politiques d'investissement public retrouvent enfin leur rôle contra-cyclique", salue M. Fitoussi. Mais d'autres économistes s'interrogent sur la frilosité du plan français en matière de relance de la consommation et de pouvoir d'achat. Les 200 euros qui seront alloués en mars aux futurs titulaires du Revenu de solidarité active (qui démarrera en juillet) sont jugés insuffisants. Outre-Atlantique, où il enseigne à Harvard, l'économiste Philippe Aghion souligne les limites du plan français : "Il aurait fallu faire une vraie relance de la demande et de la consommation, faire des chèques plus généreux aux ménages, comme aux Etats-Unis et en Espagne." Pour lui, la crise est "d'abord une crise de la demande, y compris pour les entreprises françaises, c'est une situation typiquement keynésienne, il fallait donc apporter des réponses qui soutiennent directement la demande", ajoute-t-il. "Le plan français qui vise l'offre va avoir des effets plus indirects et qui prendront plus de temps." Le "think tank" européen Bruegel, et son directeur Jean Pisani-Ferry, militent ainsi pour une baisse généralisée de la TVA au niveau européen dès le 1er janvier 2009. "SOUTIEN SOCIAL DÉGUISÉ À L'AUTOMOBILE" Le programme de réduction des emplois dans l'éducation nationale et l'obstination du gouvernement français de réduire de 30 000 le nombre de fonctionnaires en 2009 est également sujet à débat. "Une folie", commente à M. Aghion. "Il faut au contraire faire de l'emploi public", affirme-t-il, sans donner pour autant un blanc-seing à la dépense publique française : "La relance s'impose à court terme mais en même temps, la France doit s'engager sur des réformes profondes de ses systèmes sociaux : elle devrait, par exemple, s'interroger sur l'opportunité de fixer des conditions de ressources dans son système de santé." Le raisonnement vaut aussi pour l'aide à l'industrie : "On fait du soutien social déguisé à l'automobile, ce qui était nécessaire, mais je ne crois pas que ce soit un secteur prioritaire et stratégique aujourd'hui : les constructeurs français font de mauvaises automobiles et n'ont pas pris les bonnes décisions", assène Bernard Maris, économiste à l'université Paris VIII. Enfin, aucun économiste n'est prêt à parier que ce plan suffira pour sortir de la crise. "Il y a deux scénarios pour cette crise de confiance brutale inégalée depuis le XIXe siècle, résume Christian Saint-Etienne, professeur d'économie à l'université de Tours. Soit après six mois catastrophiques et monstrueux de mauvaises nouvelles, la situation se stabilise et le plan Sarkozy aura contribué à passer le cap. Soit la cataclysme se poursuit… Si j'étais Nicolas Sarkozy, j'aurais déjà une équipe qui prépare le plan de relance suivant, d'une ampleur sans aucune mesure avec celui-ci." M. Maris est du même avis : "Le plan Sarkozy donne de l'air pour quelques mois aux entreprises mais si la crise dure, il ne suffira pas. Faute de relance européenne coordonnée, il ne faut pas hésiter à dépenser plus." Jacques Attali, l'ancien conseiller de François Mitterrand qui a récemment présidé la commission pour la libération de la croissance, est du même avis. Il pronostique un nouveau plan en janvier ou février. Christophe Jakubyszyn, LE MONDE le 05.12.08 Pas de retour à l'équilibre budgétaire d'ici à la fin du quinquennat Le plan de relance a définitivement balayé tout espoir de revenir à l'équilibre budgétaire d'ici à la fin du quinquennat. Ce plan de 26 milliards d'euros va engendrer en 2009 une envolée du déficit public à 76,2 milliards d'euros, soit près de 4 % du produit intérieur brut, bien au-delà de la limite de 3 % autorisée par Bruxelles. Questions : Q°1 : Expliquez brièvement en quoi la crise correspond bien au cercle vicieux de crise décrit par Keynes. Q°2 : Expliquez la différence de vision du rôle de l’épargne dans la décision d’investir pour les économistes néoclassiques et Q°3 : Montrez que les solutions proposées à la crise sont Keynésiennes ? Q°4 : Que reprochent certains économistes à ce plan ? Q°5 : Comment peut-on expliquer le choix d’orienter ce plan vers la relance de l’investissement (privé et public) plutôt que vers la relance de la consommation ? Eléments de correction Q°1 : Expliquez brièvement en quoi la crise correspond bien au cercle vicieux de crise décrit par Keynes. Chute de la demande effective : anticipations pessimistes des agents + manque de financements pour consommer ou investir (panne crédit + épargne des ménages et des entreprises) Q°2 : Expliquez la différence de vision du rôle de l’épargne dans la décision d’investir pour les économistes néoclassiques et Keynésiens. En quoi la situation actuelle semble plutôt valider la vision de l’épargne de Keynes ? Néoclassiques : épargne préalable à l’investissement. Positif Keynésiens : épargne (surtout de précaution), diminue la propension à consommer, donc baisse demande effective, baisse conso, baisse production…crise… qui renforce épargne précaution Q°3 : Montrez que les solutions proposées à la crise sont Keynésiennes ? Favoriser les titres d’Etat et utiliser les fonds en dépenses publiques. Créer du déficit budgétaire (mais pas pour des dépenses de fonctionnement). Plan français : soutien à la trésorerie des banques + investissement public Q°4 : Que reprochent certains économistes à ce plan ? Reprochent que ce plan de relance n’agisse pas sur la consommation.Manque d’ambition…il en faudrait un 2ème. Q°5 : Comment peut-on expliquer le choix d’orienter ce plan vers la relance de l’investissement (privé et public) plutôt que vers la relance de la consommation ? Contrainte extérieure qui pèse sur les plans de relance.