TRACE D`APPRENTISSAGE, 2e SEMESTRE

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TRACE D’APPRENTISSAGE, 2e SEMESTRE
S.A.U Hopital FOCH, Suresnes. Service Dr MATHIEU
Résumé de la situation clinique :
Une patiente de 45 ans, d’origine espagnole et ne parlant pas français, se présente
en mars 2006 au Service d’accueil des Urgences de l’hôpital Foch. Elle est
accompagnée de ses deux enfants, âgés d’une vingtaine d’années. Ceux-ci
m’expliquent qu’ils l’ont emmenée consulter presque contre son gré, car ils sont très
préoccupés par l’état de leur mère.
Celle-ci est allongée sur le brancard, me regarde peu et écoute, passivement et sans
comprendre, ce que ses enfants me racontent en français :
« Voilà, Docteur, il y a à peu près un mois, son deuxième mari l’a quittée et depuis,
elle est de plus en plus fatiguée et prostrée. Elle ne mange quasiment rien, ne dort
pas et ne fait plus rien de ses journées. Elle passe tout son temps à pleurer… Nous
n’arrivons pas à la faire parler de ses problèmes, elle est persuadée que personne ne
peut l’aider… »
J’apprends également au fil de l’interrogatoire que l’inquiétude principale des enfants
est que leur mère « fasse une bêtise », et que c’est donc pour qu’elle soit « prise en
mains » qu’ils l’ont convaincue d’aller à l’hôpital.
La patiente n’a par ailleurs aucun antécédent psychiatrique, médical ou chirurgical
notable. Elle ne prend aucun traitement, fume modérément et ne consomme pas
d’alcool.
Ma première conviction, quasi immédiate, est qu’il s’agit d’une dépression
réactionnelle : Cela semble même évident. Alors pour étayer mon hypothèse, je fais
bien préciser à la famille que les signes objectifs (anorexie, perte de poids, pleurs
fréquents, aboulie, insomnie) et subjectifs (tristesse de l’humeur, intentionalité
suicidaire d’ailleurs non exprimée par la patiente mais plutôt ressentie par les
enfants) ont bien débuté après l’événement traumatisant (la rupture sentimentale).
Cette chronologie est confirmée par mes trois interlocuteurs.
Gardant à l’esprit qu’un « état dépressif » peut masquer ou accompagner une
pathologie somatique, j’effectue un examen clinique général, quoique sommaire
puisque non orienté vers la recherche d’une pathologie en particulier. Cet examen
m’apparaît normal. Je propose donc à la patiente de rencontrer le psychiatre de
garde, afin que celui-ci évalue d’abord son état, et trouve ensuite avec elle un moyen
d’être soutenue pendant la période difficile qu’elle traverse.
Confiant le dossier au psychiatre, je ne reverrai la patiente qu’à sa sortie du S.A.U.
Mon confrère estime également qu’il s’agit d’une dépression réactionnelle, et ne juge
pas nécessaire d’hospitaliser la patiente, d’autant qu’il n’existe pas, pour lui, de
risque suicidaire patent. Il lui conseille simplement de consulter un psychiatre ou un
psychologue en ville, si elle souhaite un soutien psychothérapique.
La patiente et sa famille repartent donc des Urgences relativement satisfaits : En
effet, il semble que les enfants désiraient surtout être rassurés et n’étaient pas
forcément prêts à voir leur mère hospitalisée en psychiatrie. Quant à cette dernière,
elle paraît indifférente à l’agitation autour d’elle, trop absorbée par son chagrin.
Deux semaines plus tard, un autre médecin du service accueille à nouveau la
patiente, cette fois-ci pour un motif tout autre : elle a fait un « malaise qui se
prolonge » et arrive aux urgences dans un contexte d’asthénie intense et de
syndrome confusionnel. Les examens complémentaires révèlent une acido-cétose,
révélatrice d’un diabète jusqu’alors inconnu.
Le médecin sort alors le premier dossier, où ma conclusion médicale lui apparaît alors
erronnée, quasi aberrante, au vu des circonstances récentes. D’autant plus, et cela
me semble plus grave, que l’on retrouve dans ce dossier le résultat d’une bandelette
urinaire montrant déjà trois croix de cétonurie et de glycosurie. Or, il est clair que je
n’avais demandé aucun examen complémentaire au décours de cette consultation et
que je n’ai jamais eu connaissance de ce résultat durant les quelques heures où la
patiente était présente aux Urgences.
Discussion et analyse :
Après relecture du dossier et discussion avec l’équipe médicale et para-médicale, ce
cas clinique m’a inspiré plusieurs réflexions, d’ordre pratique mais aussi général, audelà de la remise en cause personnelle qu’il a engendrée.
1) Une mauvaise évaluation de la situation ?
La première question qui s’est posée lors de la réévaluation de ce dossier est celle de
la pertinence de ma conclusion médicale. Il est en effet bien plus facile, à posteriori
et alors que la patiente est revenue deux semaines plus tard avec un tableau évident
d’acido-cétose diabétique,de trouver des éléments dans son premier dossier qui
« auraient dû faire évoquer » une décompensation de diabète : asthénie, perte de
poids etc. Or ces signes sont extrêmement généraux et c’est bien à la lumière du
deuxième passage qu’ils ont alors fait sens.
Cette idée de « mauvaise évaluation initiale » par l’urgentiste ou de « diagnostic
erroné » est souvent évoquée lorsqu’on relit les dossiers des patients hospitalisés via
les urgences, alors que l’équipe médicale du service a eu plusieurs jours de réflexion,
d’investigations complémentaires et d’évolution pour éventuellement « redresser »
un diagnostic initial. Il me semble illusoire, d’espérer poser un diagnostic juste sur
chaque cas rencontré aux urgences. Il est en revanche important de suivre, lorsque
c’est possible, le devenir de ces patients, hospitalisés ou non, afin d’affiner sa
pratique et d’être, peut-être, en mesure d’élargir son champ de réflexion lors de
l’évaluation initiale des patients au S.A.U. Il suffit parfois de quelques heures de
recul pour apprécier une situation de façon totalement différente : Ainsi, une
patiente hospitalisée pour dyspnée sur probable pneumopathie est revue au matin
lors de la visite au service Porte des urgences de Bichat et fait un malaise d’allure
syncopale devant l’interne. En relisant son dossier, on retrouve une tachycardie, un
aspect de bloc de branche droit sur l’ECG, un effet shunt gazométrique… Ces
éléments, intégrés au contexte nouveau (la syncope) évoquent immédiatement une
embolie pulmonaire, ce qui s’avère confirmé dans les heures qui suivent. Et c’est bien
l’élément nouveau qui a re-déclenché le processus de réflexion.
2) Les difficultés diagnostiques devant un « état dépressif
Un tableau dépressif, comme bon nombre d’autres motifs de consultation aux
urgences (asthénie, douleurs diffuses et mal caractérisées etc.), pose souvent des
problèmes diagnostiques.
En effet, il peut masquer une pathologie somatique et en être la conséquence ou une
de ses expressions. Mais si l’examen clinique initial est normal et que l’on ne retrouve
aucun signe d’appel, il est difficile d’effectuer des examens complémentaires non
orientés, car ceux-ci risquent d’être non exhaustifs et peu rentables. Bien souvent, le
patient est évalué par le psychiatre (mais pas systématiqument, certains psychiatres
estimant qu’un patient présentant un syndrome dépressif n’a pas à être vu en
urgence, sauf si il existe un risque suicidaire), et réadressé à son médecin traitant ou
à un psychiatre de ville. Il me semble judicieux de lui proposer d’être revu dans un
premier temps par son médecin habituel, afin que le patient ne sorte pas tout de
suite du « circuit somatique » et qu’on puisse éliminer, au terme d’examens
appropriés, une éventuelle pathologie organique.
Le syndrome dépressif peut aussi être associé, de façon plus ou moins fortuite à une
autre pathologie. Cela pourrait être le cas chez cette patiente, dont le diabète existait
certainement depuis longtemps sans être symptomatique. Le traumatisme psychique
a amené sa famille à s’inquiéter de son altération de l’état général, qui pré-existait
peut-être à la tristesse de l’humeur.
3) Psychosomatique, révélation d’une maladie organique
Il est avéré que de nombreux facteurs psychologiques peuvent jouer un rôle de
« déclencheur » d’une maladie organique. Divers travaux ont montré l’importance de
ces facteurs dans des pathologies cancéreuses ou auto-immunes (lupus, myasthénie
etc.), évoquant notamment des interactions entre l’équilibre émotionnel et psychique
(via des médiateurs tels que la sérotonine et la dopamine) et le système immunitaire.
On peut s’interroger dans ce cas sur la corrélation entre le traumatisme vécu par la
patiente et l’apparition de complications d’un diabète jusque-là silencieux.
4) Intérêt des examens complémentaires, aspect médico-légal
Une des questions également posées par ce dossier, et déjà partiellement évoquée
précédemment, est la pertinence de la réalisation d’examens complémentaires
devant la situation clinique que j’ai décrite.
L’examen clinique normal et l’interrogatoire m’avaient confortés dans la décision de
ne pas réaliser de bilan biologique. Il s’agit d’une position généralement adoptée
devant pareils cas. Mais il faut souligner que cette attitude est celle d’un médecin
urgentiste, et qu’on peut certainement agir différemment en ville : Ainsi, si j’avais vu
cette patiente lors d’une consultation de médecine générale, j’aurais certainement
proposé, en plus de la revoir régulièrement pour la réévaluer, de réaliser un bilan
biologique afin de dépister certaines pathologies organiques pouvant s’accompagner
d’un état dépressif : J’aurais alors prescrit en première intention une NFS, une VS,
une glycémie à jeûn, une TSH us.
Mais, on pourra toujours arguer qu’une bandelette urinaire avait été réalisée aux
urgences, même si je ne l’avais pas prescrite : Sur le plan médico-légal, ma
responsabilité est d’autant plus engagée que je n’ai pas vu ce résultat qui impliquait
une attitude thérapeutique urgente. D’un point de vue juridique, il est plus grave
dans ce cas de ne pas avoir interprété un résultat figurant dans le dossier que de ne
pas avoir demandé l’examen en question.
5) Nécessité d’une coordination et d’une communication au sein de
l’équipe soignante au S.A.U.
De la même façon qu’il est important qu’un laboratoire de ville signale une anomalie
sur un bilan prescrit par un médecin généraliste, il semble crucial, dans un service d’
urgences souvent surchargé, de faire circuler les informations dont on dispose sur un
patient dès que l’on en prend connaissance. Dans ce cas clinique, ce sont plusieurs
erreurs de communication qui ont engendré un dysfonctionnement dans la prise en
charge de la patiente.
L’aide-soignante qui a réalisé, par erreur ou de façon systématique, cette bandelette
urinaire, l’a probablement insérée dans le dossier sans en lire le résultat. D’autre
part, je n’ai pas pris le temps de rediscuter du dossier après évaluation
psychiatrique : l’avis rapide d’un autre médecin aurait pu changer notre attitude.
Enfin, il apparaît fondamental de ne pas scinder la part « psychiatrique » et la part
« somatique » dans la prise en charge globale d’un patient. Car de la même façon
qu’un somaticien ne doit pas méconnaître une souffrance psychique, il est important
qu’un psychiatre prenne connaissance de l’ensemble du dossier, afin qu’il y ait un
continuum dans la réflexion diagnostique et thérapeutique.
6) Difficultés à passer outre la « première impression »
La pratique de la médecine semble générer un phénomène de « classement mental »
rapide par le médecin lors de la prise de contact avec un patient. Ceci est
particulièrement vrai aux Urgences où l’on est souvent contraint d’effectuer un « tri »
des patients, de définir des priorités thérapeutiques, et surtout d’agir rapidement, ce
qui écourte parfois le temps de la réflexion…
Ainsi, on rapporte souvent qu’avec l’expérience, on arrive à « sentir » presque
instantanément la gravité de la situation. Sans m’étendre sur ces considérations
subjectives, il semble tout de même que, pour arriver à raisonner devant des
situations toujours différentes, on essaye de classer la situation clinique dans un
cadre connu, en se basant sur nos expériences préalables.
Par ailleurs, la découverte d’une anomalie clinique ou biologique peut faire s’arrêter
la réflexion diagnostique, et nous amener à poser un diagnostic incomplet. Ainsi dans
ce cas, la patiente était probablement déprimée ET diabétique, mais la « première
impression » et les signes mis en avant lors de la première consultation m’ont fait
omettre toute une série d’hypothèses organiques.
D’autre part, il faut souligner l’importance du motif de consultation exprimé par le
patient : Celui-ci peut accélérer le processus de « classement » et faire dévier notre
réflexion. Ainsi, peut-être, si les enfants ou la patiente avaient mis l’accent sur
l’amaigrissement ou l’anorexie, notre attitude aurait été différente…Ceux-ci ont plutôt
insisté sur la tristesse de l’humeur de leur mère. Le ressenti du patient et de sa
famille n’obéit pas à des règles objectives et n’indique donc pas forcément où se
situe le problème principal.
7) Tirer une leçon pratique de ce cas clinique
Ce cas m’a donc amenée à revoir ma pratique : si j’ai pu en tirer un enseignement,
c’est l’importance de la relecture, même rapide, de chaque dossier, même aux
urgences. Avant d’hospitaliser un patient ou de le faire sortir du service, quelques
minutes pour relire l’observation, revoir les résultats du bilan para-clinique ou
demander un éventuel avis, peuvent parfois être cruciales pour affiner notre
jugement. Ce travail de synthèse permet d’avoir un certain recul par rapport à la
situation initiale, et met parfois en lumière de nouveaux éléments qui changeront la
donne.
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