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Mahomet et Charlemagne
La problématique célèbre de Mahomet et Charlemagne met l'accent sur la continuité
entre l'Antiquité et le Moyen Age (
). Les historiens de l'Eglise et de l'Etat sont de plus
en plus nombreux aujourd'hui à parler de transition à propos du passage de l'Antiquité
tardive aux états successeurs, comme les royaumes mérovingiens dans nos régions. Pour
Pirenne, le tournant de l'évolution de l'Occident n'est pas dans les invasions germaniques
du Ve siècle, mais plus tard, au début du VIIe siècle quand l'entrée en scène de l'Islam a
mis fin à l'économie-monde méditerranéenne. Pour Carlo Cipolla et Roberto Lopez,
l'Occident a traversé une longue phase de dépression d'un millénaire, entre la crise du
Bas-Empire et les débuts de la révolution commerciale du XIIe siècle (
). Les premiers
signes de reprise économique ne se font pas sentir avant le Xe siècle, qu'il faudrait alors
considérer comme le point d'inflexion d'un cycle long de conjoncture commencé au IIIe
siècle. On sait aujourd'hui que la régression du commerce méditerranéen a commencé
dès le milieu du IVe siècle, pour atteindre son point le plus bas autour de 700 (
). Mais,
tout ceci n'a pas débouché sur une contraction générale de l'économie, un repli sur les
campagnes et une extinction de la vie urbaine entre le VIIe et l'an mille. C'est en réalité le
point de gravité de l'économie qui s'est déplacé progressivement de la Méditerranée vers
le nord-ouest de l'Europe (
). Circuits, lieux, matières, et acteurs des échanges
connaissent de profonds changements. Au coeur du monde franc, entre la Loire et le
Rhin, le rôle des marchands indépendants s'efface au profit d'agents au service du roi et
des églises. Les abbayes du nord de la Gaule abandonnent progressivement les lourdes
entreprises de transports, qui les amenaient au sud de la Loire, pour s'y procurer des
marchandises rares, huile d'olive, cire, poissons, épices... Leur implication dans
l'économie d'échanges paraît désormais motivée principalement par le souci d'écouler au
mieux les surplus agricoles de leurs domaines, dans des foires (le vin aux grandes foires
de Saint-Denis, près de Paris), des marchés urbains ou ruraux, dans des ports fluviaux
anciens comme Rouen ou Maastricht et des nouveaux emporia, comme Quentovic, sur la
Canche, ou Dorestad, au confluent du Rhin et du Lek (
). L'essentiel des échanges dans
le nord-ouest de l'Europe n'est pas constitué par des marchandises de luxe, mais des
produits alimentaires (céréales, vin et sel), d'autres matières premières (produits textiles,
bois, minerais) et de productions artisanales de masse (meules de l'Eifel, poteries de
Badorf, verrerie rhénane, armes franques, draps "frisons" et francs... ).
Ce nouveau départ, soutenu par une croissance démographique et agricole, coïncide avec
l'expansion militaire du royaume franc et la colonisation de nouvelles terres au nord et à
l'est -Frise, Saxe, Germanie-, un effort sans précédent d'évangélisation et d'organisation
des territoires et la mise en place, entre Loire et Rhin, des structures du grand domaine.
A partir du VIIe siècle, l'Occident paraît entrer dans un cycle long de développement, qui
culmine au XIIIe siècle, où des facteurs divers unissent leurs effets: croissance
démographique, diffusion de techniques nouvelles, modifications dans l'organisation du
travail, renaissance du commerce, efflorescence de la vie urbaine... La part de
l'agriculture dans cette croissance est incontestable!
Pirenne 1937
Cipolla 1956 Lopez 1974
Claude 1985a
Claude 1985b Verhulst 1993
Devroey 1984