La déflation dans certains secteurs pèsera lourd sur la croissance

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Revue Commerce - Février 1998
La déflation dans certains
secteurs pèsera lourd
sur la croissance économique
en 1998
MAURICE N. MARCHON
Professeur à l'Institut d'économie appliquée
École des Hautes Études Commerciales
18 décembre 1997
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En ce début d’année, on dénote plusieurs différences dans les
prévisions économiques canadiennes et américaines pour l’année en cours. Les
prévisionnistes divergent sur la vigueur de la demande finale et sur les perspectives
d’inflation. Ceux qui sont dans le camp des “déflationnistes” prévoient une
croissance plus lente en 1998 et une diminution du taux d’inflation. Par contre, les
optimistes prévoient une croissance du PIB réel qui pourrait être supérieure à 4 %
grâce à l’optimisme retrouvé des consommateurs canadiens et à l’impact marginal
de la crise asiatique sur notre commerce extérieur. Notre objectif est de mettre en
valeur la pertinence des arguments avancés par chacun des camps, bien que nous
soyons de ceux qui prévoient une diminution du taux d’inflation et un taux de
croissance du PIB réel moins élevé en 1998 comparativement à 1997.
Un contexte international déflationniste
Le camp des “déflationnistes” prévoit un impact majeur de la crise asiatique
sur l’économie mondiale, car les flux commerciaux représentent une part
grandissante de la demande finale. Si plusieurs pays d’Asie tombaient en
récession, plutôt que d’entrer dans une simple période de ralentissement
économique, les exportations des pays en dehors de la zone de turbulence
souffriraient beaucoup. Il y a tout lieu de s’inquiéter d’une contraction des
économies d’Asie puisque celles-ci (excluant le Japon) auraient été responsables de
près de 55 % de l’expansion de l’activité économique mondiale de 1990 à 1995. La
faiblesse de la demande finale dans plusieurs pays d’Asie ne peut qu’avoir un
impact significatif sur la croissance économique des États-Unis. Du 1er trimestre de
1991 au 3e trimestre de 1997, le taux d’expansion annuel moyen des exportations
réelles de biens et de services des États-Unis a été de 7,9 %, comparativement à
2,5 % pour le PIB réel. L’effondrement des exportations américaines vers l’Asie
pourrait facilement retrancher ½ % à ¾ % au taux d’expansion du PIB réel
américain en 1998.
En plus de l’impact sur les exportations, la dévaluation de la plupart des
monnaies de l’Asie vis-à-vis du dollar américain et la faiblesse de la demande
intérieure forceront les entreprises de ces pays à couper leurs prix pour tenter de
rentabiliser leurs investissements massifs des derniers années. Les pressions à la
baisse sur le prix des biens importés est doublement déflationniste puisque les biens
importés deviennent meilleur marché et plusieurs entreprises indigènes sont
contraintes de réviser leur politique de prix à la baisse pour ne pas perdre leur part
de marché. De plus, la diminution du taux de croissance de l’économie mondiale
exercera d’énormes pressions à la baisse sur les prix de plusieurs matières
premières.
De juillet 1997 à décembre 1997, l’indice des prix des matières
premières du Journal of Commerce a chuté de 5 %.
Les conséquences pour l’économie américaine sont relativement claires : le
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ralentissement économique prévu pour 1998 proviendra principalement de la
faiblesse du commerce extérieur. La Réserve fédérale n’aura probablement pas à
resserrer sa gestion monétaire puisque la demande finale retournera d’elle-même
vers son taux d’expansion à long terme de près de 2,5 %, sans augmentation des
taux d’intérêt à court terme. Ce deuxième atterrissage en douceur de l’économie
américaine et la baisse du taux d’inflation mesuré à l’aide de l’indice des prix à la
consommation à près de 1,5 % en 1998 permettront également la poursuite de la
baisse tendancielle des taux d’intérêt à long terme en accord avec la diminution de
la prime d’inflation. Les Américains sont les grands gagnants de ce nouvel
environnement économique puisque l’appréciation du dollar et la baisse du prix des
biens importés augmentent leur pouvoir d’achat et le ralentissement de la demande
d’exportations leur permet d’éviter la surchauffe sans avoir à augmenter les taux
d’intérêt.
Le danger du scénario déflationniste est qu’une fois que la déflation s’est
installée, il est très difficile de l’arrêter. Pour éviter ce scénario, il faudrait que
les banques centrales abaissent leur taux d’intérêt à court terme avant qu’il ne soit
trop tard. Si elles attendaient que la déflation s’installe, on se retrouverait dans la
situation du Japon. Au début de 1998, l’économie japonaise risque de retourner
en récession, bien que le taux d’escompte soit à 0,5 % et que le taux d’intérêt des
obligations à 10 ans du gouvernement nippon soit à 1,6 %. C’est pourquoi
plusieurs prévisionnistes prévoient que la prochaine décision de la Réserve
fédérale américaine pourrait bien être de diminuer le taux d’intérêt des fonds
fédéraux plutôt que de l’augmenter.
Toutes les entreprises du secteur de la production des biens subiront
d’énormes pressions à la baisse sur leurs prix en 1998. En effet, la déflation se
reflète déjà dans le taux annuel de variation de l’indice des prix industriels
américains (Producer Price Index) qui était en baisse de 0,6 % en novembre 1997.
Un message similaire ressort de l’indice CRB (Commodity Research Bureau
Index) dont le taux annuel moyen de diminution était de 1,4 % en décembre 1997.
Nous prévoyons donc un ralentissement du taux d’expansion du PIB réel
américain à 2,4 % en 1998, comparativement à 3,8 % en 1997. Quant au taux
d’inflation mesuré à l’aide de l’indice des prix à la consommation, nous
prévoyons qu’il s’établira à près de 1,5 %, comparativement à 2,4 % en 1997, car
les pressions à la hausse sur le prix des services seront compensées par la baisse
du prix des biens.
Des vents variables pour l’économie canadienne
L’économie canadienne est fondamentalement saine et poursuivra son
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expansion en 1998, mais à un rythme moins rapide que les optimistes laissent
entrevoir. La crise économique qui sévit en Asie affecte directement le Canada par
le truchement de la baisse du prix des produits dérivés de l’exploitation des
ressources naturelles qui représentent encore près de 42 % de nos exportations de
marchandises. De plus, la croissance économique mondiale moins élevée,
notamment aux États-Unis, ralentira quelque peu le taux d’expansion de nos
exportations.
Les consommateurs canadiens et les investissements des entreprises,
moteurs de la demande finale en 1997, poursuivront sur leur lancée mais à un
rythme plus lent.
Une autre victime indirecte des turbulences financières en Asie est le taux
de change du dollar canadien. La chute du prix des matières premières se traduit
généralement par des pressions à la baisse sur le dollar canadien au même titre,
mais dans une moindre mesure, que sur le dollar australien qui est très dépendant
de la demande des ressources naturelles pour ses exportations. De juillet 1997 à
la mi-décembre 1997, le dollar australien s’est déprécié de 11 % par rapport au
dollar américain, comparativement à 3 % pour le dollar canadien (figure 1).
0.90
0.88
0.86
0.84
0.82
0.80
0.78
0.76
0.74
0.72
0.70
janv-83 janv-85 janv-87 janv-89 janv-91 janv-93 janv-95 janv-97
Dollar canadien
0.95
0.90
0.85
0.80
0.75
0.70
Dollar australien
Dollar canadien
Figure 1
Taux de change du dollar canadien et du dollar australien
(en dollar américain)
0.65
0.60
Dollar australien
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Cette dépréciation du dollar canadien a forcé la Banque du Canada à
resserrer sa gestion monétaire alors que l’environnement économique
international se détériore. La hausse des taux d’intérêt pour soutenir le dollar
canadien signifie que le dollar subit d’énormes pressions à la baisse lorsque le
différentiel d’intérêt de court terme est en faveur du dollar américain. De plus,
l’effondrement des prix des matières premières est très néfaste pour le dollar
canadien puisque nous sommes des exportateurs nets de produits dérivés de
l’exploitation des ressources naturelles. L’augmentation des taux d’intérêt à
court terme devrait être temporaire. Pourquoi ?
Nous ne prévoyons pas un dérapage de l’économie mondiale vers une
récession et nous estimons que l’économie canadienne ne peut pas soutenir une
hausse significative des taux d’intérêt sans subir un sérieux ralentissement de la
demande finale. En effet, la hausse des taux d’intérêt est bien mal venue alors
que les dépenses de consommation sont le principal moteur de la demande finale
avec les investissements des entreprises. De plus, l’indice implicite des prix du
PIB à diminué au cours des trois premiers trimestres de 1997. Dans ce contexte,
l’augmentation des taux d’intérêt risque ne manquera pas d’amortir l’ardeur des
consommateurs en 1998. Les particuliers ne continueront pas à emprunter pour
financer leur achats si l’incertitude sur l’évolution des taux d’intérêt plane sur
leurs décisions d’achats. En effet, les particuliers qui sont traditionnellement des
prêteurs nets de capitaux (prêteurs nets de 34,2 milliards de dollars en 1993) sont
devenus des emprunteurs nets pour près de 5,5 milliards de dollars en 1997. On
en conclut que si la hausse des taux d’intérêt devait se maintenir, il faudrait
réviser nos prévisions de croissance économique de 1998 à la baisse.
Nous prévoyons donc le prolongement de la phase d’expansion
économique à un rythme un peu plus lent alors que le taux d’inflation mesuré à
l’aide de l’indice des prix la consommation sera légèrement à la baisse à 1,5 %
en 1998, comparativement à 1,7 % en 1997.
Le ralentissement des
investissements des entreprises du secteur des ressources naturelles ainsi que la
croissance moins rapide de nos exportations permettront la création de près de 230
000 emplois de décembre 1997 à décembre 1998, comparativement à près de 315
000 emplois au cours de l’année précédente. Pour que la création d’emplois
atteigne les 400 000 emplois, il faudrait un taux d’expansion du PIB réel supérieur
à 4 %. Pour que ce scénario se réalise, il faudrait que les changements de
l’environnement international soient bien moins importants que prévus et que les
taux d’intérêt canadiens retournent rapidement à leur niveau de l’été 1997.
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