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comme si la question pouvait demeurer en suspens. Mais plus souvent, cette existence est
franchement mise en doute. Certains critiques, estimant pouvoir distinguer la position propre
de Jésus, prétendent qu’aucune de ses paroles ne garantirait la réalité du monde démoniaque.
L’affirmation de son existence refléterait plutôt, là où elle se rencontre, les idées d’écrits juifs
; ou elle relèverait de traditions néotestamentaires, mais non du Christ. N’appartenant pas au
message évangélique central, elle ne lierait plus notre foi actuelle : libre à nous de
l’abandonner. D’autres esprits, à la fois plus objectifs et plus radicaux, acceptent avec leur
sens obvie les assertions de l’Écriture sur les démons ; mais ils ajoutent aussitôt que dans le
monde d’aujourd’hui elles seraient inacceptables même pour les chrétiens. Eux aussi donc les
écartent. Pour certains enfin, l’idée de Satan, quelle qu’en soit l’origine, aurait perdu son
importance. En s’attardant encore à la justifier notre enseignement perdrait tout crédit : il
ferait ombrage au discours sur Dieu, qui mérite seul notre intérêt. Pour les uns et pour les
autres, finalement, les noms de Satan et du diable ne seraient que des personnifications
mythiques ou fonctionnelles, n’ayant d’autre sens que de souligner en traits dramatiques
l’emprise du mal et du péché sur l’humanité. Pur langage, qu’il appartiendrait à notre époque
de décrypter. Quitte à trouver une autre manière d’inculquer aux chrétiens le devoir de lutter
contre toutes les formes du mal dans le monde.
Pareils propos, répétés à grands frais d’érudition et diffusés par des revues et certains
dictionnaires théologiques, ne peuvent manquer de troubler les esprits. Les fidèles, habitués à
prendre au sérieux les avertissements du Christ et des écrits apostoliques, ont le sentiment que
pareils discours entendent ici faire l’opinion. Et ceux d’entre eux qui sont informés des
sciences bibliques et religieuses se demandent jusqu’où conduira le processus de
démythisation ainsi engagé au nom d’une certaine herméneutique.
* * *
Devant pareils postulats et pour répondre à leur démarche, c’est au Nouveau Testament – pour
faire bref – qu’il faut d’abord nous arrêter pour invoquer son témoignage et son autorité.
LE NOUVEAU TESTAMENT ET SON CONTEXTE
Avant de rappeler avec quelle indépendance d’esprit se comporta toujours Jésus à l’égard des
opinions de son temps, il importe de relever que ses contemporains n’avaient pas tous au sujet
des anges et des démons la croyance commune que certains semblent aujourd’hui leur prêter
et dont il leur aurait été lui-même redevable. Une remarque du livre des Actes, éclairant une
altercation survenue entre les membres du Sanhédrin à propos d’une déclaration de saint Paul,
nous apprend en effet que, à la différence des Pharisiens, les Sadducéens n’admettaient « ni
résurrection, ni ange, ni esprit », c’est-à-dire, comme l’entendent de bons interprètes, ne
croyaient pas plus aux anges et aux démons qu’à la résurrection (3). Ainsi, au sujet de Satan
et des démons, comme à propos des anges, l’opinion contemporaine semble bien avoir été
partagée entre deux conceptions diamétralement opposées. Comment donc prétendre que
Jésus, en exerçant et en donnant le pouvoir de chasser les démons, et qu’à sa suite les
écrivains du Nouveau Testament n’ont fait qu’adopter ici, sans le moindre esprit critique, les
idées et les pratiques de leur temps ? Certes, le Christ, et à plus forte raison les apôtres,
appartenant à leur époque, en partageaient la culture. Jésus, toutefois, en raison de sa nature
divine et de la révélation qu’il venait communiquer, dépassait son milieu et son temps : il
échappait à leur pression. La lecture de son sermon sur la montagne suffit du reste à
convaincre de sa liberté d’esprit autant que de son respect pour la tradition (4). C’est pourquoi
quand il eut à révéler le sens de sa rédemption il dut tenir compte évidemment des Pharisiens
qui croyaient comme lui au monde futur, à l’âme, aux esprits et à la résurrection, mais aussi