1er octobre 2016 Première communication théologique sur le Christ La connaissance historique de Jésus de Nazareth Cette année 2016-2017 va tenter de nous faire avancer dans la connaissance du Christ. Celui-ci est au centre de notre foi, mais en avons-nous une connaissance raisonnée ? Chaque génération s'acharne à lui donner un visage nouveau, parfois aux dépens de la vérité, voire de la vraisemblance. Nous allons donc essayer de reprendre cette étude, sans craindre de nous confronter aux contestations anciennes ou actuelles. Nous commencerons par le problème de l'historicité de Jésus et de son enseignement. I – Position ancienne du problème La notion d'histoire a pas mal variée au long des siècles et surtout à partir du 19 ° siècle. Notre première approche sera donc celle de la question banale : Jésus, dit le Christ, a-t-il existé ? Outre son existence pouvons- nous dire quelque chose de lui ? La méthode historique repose sur des témoignages : textes ou objets. Comment approchons-nous Jésus ? Les textes chrétiens, spécialement le Nouveau Testament, sont l'apport majeur dans ce domaine. Mais sont-ils fiables ? Il faut d'abord affirmer que depuis deux siècles, la critique s'est acharnée sur ces textes et ils se sont vaillamment défendus. Il y a eu d'abord ceux qui prétendaient qu'ils étaient tardifs. Ils ont été obligés de s'incliner devant l'existence de manuscrits, dont les plus anciens (exemple : les fragments Bodmer) peuvent être datés au moins du milieu du 2° siècle. Quand on sait que les plus anciens manuscrits d'Homère remontent au plus tôt au 4° ou 5° siècle de notre ère, la solidité des textes bibliques apparaît très forte. On a eu la même confirmation pour l'AT lors de la découverte des manuscrits de la Mer morte, à peu près contemporains du Christ dans lesquels un texte d'Isaïe est substantiellement celui de la tradition, aux inévitables variantes près. Il y a eu ensuite ceux qui ont contesté le contenu de ces textes. Écrits par des croyants, disaient-ils, ils ne peuvent être objectifs. Nous verrons dans le dernière partie que c'est au contraire la foi en Jésus qui est le garant de l'authenticité des dires des auteurs du NT. Signalons en passant ceux qui, férus d'inventions tardives, n'ont voulu voir dans le Christ qu'un mythe solaire (Volney. Voir brochure : Comme quoi Napoléon n'a jamais existé ; appliquant à Napoléon la même méthode). L'autre source de la connaissance de l'existence historique de Jésus vient du monde non chrétien. Les auteurs contemporains du Christ en ont-ils parlé ? Pour être tout-àfait honnête, les textes de Tacite (« un certain chrestos »), de Pline le jeune demandant à son Empereur ce qu'il fallait faire de ces citoyens qui ne commettaient d'autre méfait que de se réunir pour, « chanter des hymnes au Christ comme à un dieu », parlent plus des chrétiens que du Christ lui-même. Nos réflexions ultérieures nous permettront de régler ce problème. II – Le choc de la critique littéraire Le 19 ° siècle, surtout en Allemagne, dans le postérité de Hegel, a vu se développer une étude des textes évangéliques qui voulut appliquer à ceux-ci les méthodes appliquées aux autres textes, vocabulaire spécifique, parenté et originalité avec les textes de la même époque. C’est alors qu’on décréta que les textes de l’AT n’étaient que le plagiat des textes trouvés en Egypte ou en Mésopotamie, que les Evangiles n’avait aucune authenticité parce qu’on retrouvait des thèmes et des tournures semblables dans la littérature de l’époque. Les études historiques issues de cette visée se gaussaient des approximations historiques des évangiles. Plus profondément, il y avait un postulat hérité de Hegel : la perfection n’est pas au début, elle est à la fin, après que la thèse ait été contrebalancée pas l’antithèse pour aboutir à la vérité dans la synthèse, qui peut elle-même être remise en question. Appliquée aux Evangiles, cette théorie refusait à priori qu’il y ait une réalité au départ, mais voulait qu’il y eu un travail de construction. On vit alors apparaître la distinction ruineuse entre le Jésus de l’Histoire, dont on ne sait presque rien, et le Christ de la foi, celui de la liturgie, de la prédication et de la piété. On se mit à attribuer à la communauté primitive une inventivité sans pareil, alors que celle-ci ne se voulait que l’écho de ce qu’elle avait reçu (cf 1 Corinthiens 12 ou 15 : « ce que j’ai moimême reçu »). A la limite, on arrivait à un fleuve qui n’avait pas de source, à un effet sans cause. Autre aspect de cette déconstruction : voir partout des conflits, par exemple pauliniens contre pétriniens, en oubliant leur accord sur l’essentiel. A trop décortiquer les textes, j’allais dire les démantibuler, on oublie qu’ils sont des témoignages, qu’ils veulent faire part de ce qu’ils ont vu ou reçu. Il a fallu reprendre à la base le problème de la « vérité de l’histoire ». La comparaison avec les historiens anciens a été éclairante et décisive. On ne peut établir une certitude historique si on ignore comment les auteurs anciens concevaient l’histoire : rien à voir avec une quelconque reconstitution mot à mot, mais une saisie des enchainements, une réécriture des discours pour faire comprendre le sens des interventions des personnages. Le maître dans ce domaine a été H-I Marrou dans son livre ; De la connaissance historique. - III – Essai de synthèse On doit éviter plusieurs écueils. Le fidéisme : il n’y a aucun secours dans l’histoire telle que l’établit la science, mais ce n’est pas grave. Notre foi n’en est que plus pure, dégagée de toute vérification humaine (tendance de K. Barth ou de R. Bultmann). Le piétisme : le Christ des évangiles est si vrai, si parlant, que même si on a raconté beaucoup de mythes autour de lui, l’âme pieuse retrouve facilement le contact avec lui (Schleiermacher). Le fondamentalisme : si les Evangiles sont Parole de Dieu, ils ne peuvent qu’être vrais dans le moindre détail. On justifiera les discordances de date ou de texte entre les évangiles par la volonté de Dieu de nous entraîner à l’obéissance. Le problème est fondamental. Notre foi est de croire que Dieu, en Jésus-Christ, est intervenu dans notre histoire, que les vérités éternelles sur Dieu (la Trinité), sur nous et notre avenir, passent par des événements contingents, mais inscrits dans notre histoire. D’où l’importance des chronologies de l’Evangile de Luc, qui même avec des approximations, veulent situer le Christ dans des repères historiques connus de tous. Matthieu et Luc le feront aussi par le genre littéraire « généalogie » déjà présent dans l’AT (les 9 premiers chapitres du livre des Nombres) qui veulent, entre autres choses, souligner l’insertion dans la trame humaine des générations. Même si Jésus vient de Dieu, il n’est pas « tombé du ciel ». Les savants en langue grecque vous expliqueront que en Jean 1,1, l’évangéliste joue sur les deux tableaux par le temps des verbes employés à quelques mots de distance : « Au commencement le Verbe était (imparfait) auprès de Dieu, … et le Verbe s’est fait chair (aoriste) ». Contre Fichte, nous croyons que la vérité absolue nous parvient par des événements contingents. Contre Rousseau, nous donnons notre assentiment à l’enseignement de l’Eglise, parce qu’elle l’a reçu dès le début dans une perspective historique. Contre Couchoud, qui acceptait tout le credo sauf « sous Ponce Pilate », nous acceptons que note foi repose sur des faits qui auraient pu être autres. Liberté de Dieu. Image des rencontres humaines marquées par le temps et l’espace. Contre Hegel, nous affirmons que la perfection est au début et non pas au bout d’une série de thèses et d’antithèses qui enrichiraient les donnée antérieures. Autrement dit, le pont de départ est plus riche que toutes les interprétations. Nous n’épuiserons jamais la richesse du fait primitif. Le véritable problème est celui de la qualité de la transmission. On a pu penser que les écrivains sacrés étaient détournés de la vérité historique à cause de leur foi, qu’ils voulaient à tout prix valoriser leur maître. On pense maintenant que la foi en Jésus est au contraire un meilleur moyen de compréhension que l’opposition à lui. Dans un autre domaine, on sait maintenant que le meilleur biographe est celui qui essaye de comprendre de l’intérieur son héros, plutôt que celui qui veut le démolir. Benoit XVI va plus loin en justifiant le lien intime entre le fait, son interprétation et sa transmission. L’interprétation ne modifie pas le fait pour les besoins de je ne sais trop quelle cause plus ou moins apologétique, elle veut le préserver en lui donnant sa véritable cause, sa véritable source. Il faut donc entrer dans une visée théologique. C’est parce qu’ils ont été les témoins d’un événement inexplicable et bouleversant, que les Apôtres et les évangélistes ont pu en parler en vérité. Et aussi, lorsqu’ils y ont vu l’accomplissement des Ecritures, ils n’ont pas tordu les faits, mais ils y ont vu la profonde unité d’action de Dieu. En d’autres termes, la foi a été une aide et un stimulant pour passer du contingent à l’éternel. Cette lecture théologique (rapport des faits avec les paroles antérieures de Dieu), loin d’être une interprétation forcée, pour faire cadrer avec une théorie personnelle, est l’outil qui permet de déchiffrer ce qui s’est passé. Elle en assure aussi la fixation, car la découverte de ces faits, éblouissement de l’acte de foi, ne veut rien d’autre que de se raccrocher à leur solidité et non les manipuler. Conclusion Croire n’est pas une paire de lunettes qui nous ferait fausser la réalité. Au contraire, la foi est l’entrée dans une compréhension des événements incompréhensibles et imprévisibles mais qui nous éclairent et qui nous font entrer dans le monde incomparable de la vie avec Dieu.