Résistant à l’homogénéisation née de la mondialisation, ces liens interculturels n’ont
pas pour autant alimenté de nouveaux conflits. Ils ont par contre permis l’émergence d’une
réflexion sur l’hybridation croissante de notre monde.
Que désigne le terme « hybridation » ?
L’hybridation, c’est un mélange d’éléments issus de différentes sociétés, un
compromis, une juxtaposition entre plusieurs cultures. C’est donc une construction fragile
basée sur la négociation.
Le métissage ne constitue pas un phénomène nouveau. D’ailleurs nombreuses sont
les nations modernes nées de mélanges culturels.
Exemple : « Au cours des dernières décennies, l’Europe et sa culture ont puisé leurs
références dans des zones qui traditionnellement appartenaient à des cultures différentes :
chinoise, hindoue, islamique, africaine ».
Mais le choix du terme « hybridation » vise à établir une problématique distincte.
Le concept d’hybridation recouvre à la fois les mélanges raciaux et religieux, les
formes de mélange et d’entrelacements entre la modernité et la tradition mais aussi entre les
cultures de l’élite, populaire et de masse.
Ce terme est d’origine biologique mais son recours ne doit pas être problématique
(exemple : la reproduction sociale chez Marx). Les auteurs ont vu dans l’hybridation un
phénomène positif et fécond, le fruit d’une collaboration individuelle et collective.
L’objet d’étude n’est pas tant l’hybridation elle-même que les processus d’hybridation.
Trois modalités de l’hybridation
L’hybridation suit différentes directions : elle peut accélérer la dissolution de cultures
affaiblies, placées dans une situation inégale, stimuler l’intégration multiculturelle ou
l’émancipation, ou encore aiguiser les contradictions interculturelles.
Nous distinguerons l’hybridation en jeu dans le processus migratoires, l’hybridation
résultant des politiques culturelles différenciées, et l’hybridation favorisée par le marché de la
communication.
1) Les processus migratoires
Tout d’abord, l’hybridation peut naître de processus migratoires.
Ex. : entre 1846 et 1930, 52 millions d’européens abandonnèrent leur continent d’origine :
72% se rendirent aux Etats-Unis, 21% en Amérique latine et 1% en Australie. Cette vague
accrut de 40% la population argentine, de 30% celle des Etats-Unis et de 15% environ celle
du Canada et du Brésil. Elle engendra également des produits culturels hybrides, des
synthèses inter-ethniques novatrices (jazz, tango,…).
2) Hybridation et politiques culturelles
Ensuite, l’hybridation résulte en partie des politiques culturelles et nationales
étatiques. Certes, les états tendent à étendre sur la multiculturalité migratoire le voile d’une
identité nationale homogène. Mais ce faisant, ils peuvent avoir recours à diverses méthodes
et reconnaître, à des degrés divers, les processus d’hybridation.
Exemple : l’Argentine s’est construite sur un système économique, politique et militaire
compact, au prix de l‘extermination de millions d’indiens et d’une éducation de masse qui
permit de « remodeler » Espagnols, Italiens, Russes, Juifs, Syriens et Libanais. Au contraire
au Mexique, le sort de la population indigène a été soumis au projet national créole,
« blanc » et axé sur la modernisation occidentale. Les Etats-Unis, quant à eux, ont privilégié
le respect de l’identité des groupes migratoires, l’opposition originelle entre Noirs et Blancs
s’enrichissant avec l’arrivée d’Asiatiques, d’Européens et de Latino-Américains. Alors que
dans l’ensemble du continent sud-américain la tendance était à l’homogénéisation sous la
Kapunscinski,R., De l’hégémonie au multiculturalisme : Une Europe de plus en plus coupée du
monde, dans Courrier international n° 642 du 20 au 26 février 2003