diminuera et avec lui la consommation, et le chômage augmentera. Les entrepreneurs seront encore plus
pessimistes et la crise s'auto-entretiendra. L'économie entrera en dépression durable et en déflation.
Puisque c'est la demande anticipée qui détermine l'offre, c'est la consommation, mais aussi l'investisse-
ment, qu'il faut relancer. Seul l'Etat peut assumer ce rôle. Keynes préconise donc une hausse des dépenses
publiques, quitte à rompre avec la sacro-sainte règle de l'équilibre budgétaire. Il affirme ainsi qu'en pé-
riode de récession, il vaut mieux pour un gouvernement « payer un homme à creuser un trou et à le re-
boucher » que ne rien faire. Volonté de provoquer bien conforme au personnage, bien sur, mais qui trouve
sa justification dans la théorie du multiplicateur de revenus. Selon celle-ci, toute injection par l'Etat de
revenus dans l'économie entraine une augmentation bien supérieure du revenu national. Exemple : si
l'Etat dépense 100 pour rémunérer des ouvriers embauchés pour construire une route et que ceux-ci ont
une « propension marginale à consommer » (c'est-à-dire la part du revenu supplémentaire qu'ils vont
consacrer à consommer de 0,8 (soit 80%), ils vont acheter pour 80 de produits supplémentaires. Si les
producteurs de ces biens ont la même propension à consommer, ils vont à leur tour dépenser 64 (80 x
0,8). Et ainsi de suite. Au total, pour 100 injectés, le revenu global se sera accru de 500. L'efficacité de la
relance budgétaire dépend de l'importance de la propension à consommer, Celle-ci étant une fonction
décroissante du revenu (de nouveau : plus on est riche, plus on épargne), la relance sera plus forte si les
plus pauvres voient leurs revenus progresser plus vite que la moyenne. « Les interventions que propose
Keynes ne se limitent pas a l'augmentation des dépenses publiques à des fins qui seront par la suite appe-
lées "contra-cycliques", souligne Bernard Gazier. La politique monétaire a elle aussi un rôle à jouer. En
effet, le maintien de taux d'intérêt à un bas niveau permet de décourager l'atten-tisme de certaines formes
de spéculation [des liquidités qui attendraient une hausse des taux pour s'investir, NDLR] et de pousser
les capitaux disponibles vers les investissements productifs.»
Des 1937, John Hicks a cherche à traduire les théories keynésiennes en termes néo-dassiques à travers la
courbe dite IS/LM. Celle-ci permet d'établir un équilibre général à l'intersection du marché des biens et
services, qui lie épargne et investissement {investment and savings, IS), et du marché monétaire, qui lie
offre et demande de monnaie (liquidity preference and money supply, LM). L'équilibre conjoint des deux
marches détermine le niveau d'équilibre de la demande et du taux d'intérêt. Ce modèle contribuera à po-
pulariser les thèses keynésiennes après la Seconde Guerre mondiale. Car, ironie de l'histoire, c'est seule-
ment après sa mort, en 1946, que ses idées parviendront à s'imposer.
La revanche de la théorie monétariste
Contrairement à l'idée qui veut que ses travaux aient inspiré le New Deal de Roosevelt, celui-ci s'était en
effet montre plus que réservé face à Keynes. Comme le note Bernard Gazier, «les déficits de Roosevelt
resteront modestes, et son action prendra essentiellement la forme d'un interventionnisme permanent en
matière de prix encadrés ». C'est d'abord en Europe que les thèses de Keynes triompheront avec la recons-
truction sous l'égide des Etats et les trente glorieuses. Aux Etats-Unis, il faudra attendre le début des an-
nées 6o et l'élection de John Kennedy pour voir la doxa keynésienne mise en œuvre. « La politique de
Kennedy constitue probablement l'exemple le plus typique d'application de la théorie keynésienne, con-
firme Alexandre Delaigue. Avec une politique monétaire plus expansionniste et une politique budgétaire
conduisant au premier déficit public américain en temps de paix, mais permettant aussi la plus longue
phase d'expansion de l'histoire des Etats-Unis.»
Les chocs pétroliers et la crise qui s'est ensuivie ont battu en brèche les prescriptions keynésiennes : les
politiques de relance ont creusé les déficits publics sans enrayer la hausse du chômage et provoqué une
inflation à deux chiffres.
A la fin des années 70, les thèses monétaristes prennent le dessus. Des 1957, leur chef de file, Milton
Friedman, avait développé la théorie du revenu permanent qui veut que la consommation dépende non
pas du revenu immédiat mais du revenu moyen que les consommateurs anticipent à long terme. D'où
l'inutilité des politiques de relance par la consommation : puisque les agents savent que la hausse des
revenus est transitoire. ils ne vont pas consommer ce supplément de revenu mais l'épargner, et l'injection
de liquidités aura pour seul effet de provoquer de l'inflation. Des lors, les politiques visant à stimuler
l'offre se sont imposées, avec leur cortège de dérégulations. Ce qui n'a toutefois pas empêché le très moné-
tariste Reagan de pratiquer en 1983 une relance de type keynésien, « au sens où même si elle a été faite
avec des légitimations entièrement différentes (l'idée libérale que les baisses d'impôts sont toujours
bonnes), elle a eu les effets prévisibles par le cadre standard keynésien », souligne Alexandre Delaigue.
Le retour en force des politiques d'inspiration keynésienne un peu partout dans le monde est-il appelé à
durer ? Il est en tout cas patent. Sur le plan monétaire, la Fed a abaissé son taux directeur à 0,25%, la BCE
à 1 %, la Bank of Japan à 0,1%... Sur le plan budgétaire, on assiste à une explosion des déficits publics.
Celui des Etats-Unis atteint désormais 10% du PIB, celui de la France 8,3%, le record des pays industriali-
sés revenant au Royaume-Uni avec 13,3% du PIB prévu en 2010, après plus de 12% cette année ! Des