La motivation en classe de langue - Site auxiliaire de l`IUFM de l

La motivation à apprendre une LVE à l'école 1
16/04/2017
La motivation, d'une manière générale, c'est "la chose du monde la mieux partagée" en ce
sens que tout enseignant, tout élève à l'école, y fait férence plusieurs fois au cours d'une
année scolaire pour expliquer le "bon" ou "mauvais" comportement mais c'est aussi une sorte
de concept mou qu'on ne sait pas très bien crire ou expliquer. On sait que la motivation est
mais on ne sait pas très bien ce que c'est. On décrit surtout les résultats, les effets, de sa
présence ou de son absence. "Il ou elle est motivée alors elle s'est remise au travail" ou encore
"Il a de bon résultats, forcément, il est hyper motivé!" (Qu'est-ce que le préfixe "hyper" ajoute
à la chose on ne saurait très bien le dire mais votre interlocuteur acquiesce vigoureusement
preuve, que lui, il a compris). On tourne également autour des facteurs de la motivation et
parfois cela donne de bonnes empoignades dont les salles de professeurs portent encore les
échos. "Tu n'as qu'à leur filer un contrôle à la fin de chaque séance, tu vas voir s'ils ne seront
pas motivés!" Ou au contraire, "Forcément, ça les rase alors ils ne sont pas motivés". Ou bien
encore, "Alors, là, tu aurais vu ça! Quand je leur ai dit que ceux serait eux qui choisiraient le
film, tu aurais vu ça comme ça les a motivé!". Pour résumer, la motivation, ça existe, on en
sûr parce que sans motivation il ne peut y avoir de travail et donc d'apprentissage à l'école
mais comment ça marche, c'est une question plus compliquée. Nous nous proposons
d'apporter modestement quelques éléments de réponse à cette question dans le domaine des
LVE à l'école, en nous appuyant à la fois sur la littérature scientifique consacrée à ce sujet et
sur les recherches que nous menons depuis six ans sur la motivation à apprendre les langues
en France à l'université, au collège et au lycée.
Les sept défis de la recherche sur la motivation
Selon Zoltản Dörnyei (2001) les recherches scientifiques consacrées à la motivation se sont
développées relativement lentement et de manière assez confuse, certains psychologues allant
même jusqu'à refuser que ce sujet puisse faire l'objet d'études expérimentales, donc
"sérieusement" scientifiques. Il explique cette réticence par la nature même du phénomène
abordé qui suscite, selon lui, sept difficultés épistémologiques. Dans cette partie nous
analysons chaque défi et nous l'illustrons, dans le domaine de la langue seconde par l'une de
nos recherches.
La motivation, un phénomène conscient ou inconscient ?
La motivation est-elle un phénomène conscient relevant d’une réflexion par les individus sur
ce qu’ils ont faits ou vécus et les conduisant à anticiper et vouloir, de manière consciente, tel
ou tel comportement ? Ou bien s’agit-il comme le postulait à la fois les béhavioristes et la
psychanalyse de mécanismes inconscients échappant à notre contrôle ? La littérature sur la
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motivation part, généralement, du principe que la motivation peut s’expliquer par des facteurs
dont l’être humain est conscient. Or, il est évident que ce n’est pas toujours le cas. Mais, si la
motivation se résume à la conséquence d'un désir ou d'une pulsion inconsciente, si elle
demeure sous l'effet de facteurs inconscients, in n'est pas très pertinent d'en faire un objet de
recherche scientifique car cela signifie qu'on ne pourra jamais aider un élève à prendre
conscience de ce qui le pousse à écouter le cours de langue (ou non) ou bien à s'investir (ou
non) dans son travail. Pour notre part, nous rejoignons Bandura (2003) et Dörnyei (2001,
2003) lorsqu'ils postulent que les comportements d'apprentissage étudiés sur une période
assez longue sont activés et régulés, au moins en partie, par des mécanismes d'anticipation et
de régulation conscients et donc qu'il est possible d'agir sur la motivation des élèves pourvu
qu'on arrive à les aider, ainsi que les enseignants, à mettre à jour ces mécanismes.
Les parents d'Isabella avaient fui le chili à la suite de
l'accession au pouvoir de Pinochet. Isabella était en situation
de refus total de travailler en anglais et mettait en avant des
difficultés d'ordre cognitive (la langue était trop difficile à
comprendre, trop loin des structures latines). En réalité, elle
projetait sur la discipline "anglais" son ressentiment à l'égard
des USA. Si son professeur d'anglais avait jugé que son refus de
l'anglais relevait d'un processus inconscient que l'élève ne
pourrait mettre à jour, elle aurait renoncé à comprendre son
manque de motivation. Jugeant que les difficultés de cette élève
ne relevaient pas fondamentalement du domaine cognitif, elle
l'a mise en position de découvrir l'origine de son association
entre la langue anglaise et les USA. Cette prise de conscience a
conduit Isabella à dissocier les deux et à commencer à aborder
l'anglais à l'école comme véhicule d'autres cultures. (Valérie
Caituccoli, Mémoire professionnel, IUFM de Grenoble, 2002)
La motivation, un phénomène cognitif ou affectif ?
La psychologie, traditionnellement, s’intéresse au fonctionnement ou à la nature de notre
esprit selon trois catégories :
La cognition s’intéresse à la manière dont nous savons, comprenons le monde ; à la manière
dont nous traitons les informations qui nous viennent de notre environnement ; les processus
d’encodage, de stockage, de traitement et de récupération; en résumé, au fonctionnement de
nos mémoires, au sens les plus large du terme. Elle pose la question du quoi : qu’est ce qui
s’est passé ? Quel est le sens de cette information? (Huitt, 1996; Tallon, 1997)
L’affect concerne la manière dont nous interprétons émotionnellement les perceptions, les
informations ou les connaissances. Il est associé à l’attachement positif ou au rejet que nous
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ressentons vis-à-vis de personnes, objets, choses, idées ou situations. Il pose la question
« qu’est-ce que je ressens vis-à-vis de cette connaissance ou de cette information? »
La conation réfère à la manière dont cognition et affect s’articulent dans la manière dont nous
agissons, dont nous nous comportons. Elle concerne la question du pourquoi. Elle constitue le
composant personnel, intentionnel, délibéré de la motivation. Elle constitue l’élément pro-
actif par opposition à l’élément rétro-actif, ou habituel du comportement (Baumeister,
Bratslavsky, Muraven & Tice, 1998; Emmons, 1986). Elle est associée au concept de volition,
défini comme la manière dont nous utilisons notre volonté, ou notre liberté de faire des choix
(Kane, 1985; Mischel, 1996). Elle est essentielle dans les cas de travail autonome, d’auto
apprentissage.
La recherche actuelle est caractérisée par l’approche cognitive qui met l’accent sur les
connaissances, les pensées, les réflexions des individus, leur manière d’interpréter
l’expérience. C’est une rupture avec l’approche béhavioriste qui voyait les choses en termes
de stimuli et de renforcements ou les approches psychanalitiques qui parlaient d’instincts, de
pulsions (drive), d’états émotionnels. Cependant, aucun chercheur, actuellement, ne pourrait
nier le rôle des émotions dans le déclenchement ou le maintien de la motivation : colère,
anxiété, attente, fierté etc. C’est pourquoi, alors que les deux aspects étaient traités
séparément, aujourd’hui on tente de trouver leur articulation. C’est le cas notamment de la
théorie des attributions de Weiner (1986) sur laquelle nous reviendrons. En ce qui concerne
l'apprentissage des langues étrangères, Schumann dans son livre "The Neurobiology of Affect
in Language" (1998) affirme que c'est un processus qui est fondamentalement piloté par
l'émotion, et Arnold (Affective language learning, 1999) et Young (Affect in foreign language
and second language learning, 1999) lui font écho.
Dans le programme de recherche ESCCALE
1
qui portait sur l'effet
motivationnel des TICE, nous avons confronté trois types de données issues
de modèles cognitifs ou affectifs afin de cerner au mieux la motivation des
élèves et son évolution. Les questionnaires et les vidéos nous ont renseigné
également sur les aspects cognitifs et affectifs; tandis que les productions
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Evaluation de Cyber-scénarios Collaboratifs pour l'Apprentissage d'une Langue Etrangère
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des élèves, tout au long du projet (rédaction d'articles, tests de
connaissances ou création de page web), nous en renseigné sur les aspects
essentiellement cognitifs de la question.
Dans une étude menée au cycle 3, Accardi (2005) met en place un dispositif
didactique interdisciplinaire pour l'étude de trois contes, en langue espagnol
et en langue française. Le résultat de sa recherche montre comment sur le
plan individuel les élèves acquièrent de nouvelles compétences cognitives et
langagières grâce au conte, instrument fortement motivant en raison de ses
composantes cognitives et affectives.
Approches réductionnistes versus approches holistiques
Pour expliquer la motivation on fait appel à des variables ou facteurs généraux mais aussi à
d'autres facteurs précisément liés à tel ou tel domaine d'application, par exemple, la
motivation pour les mathématiques et la motivation ne relèvent pas des mêmes processus. Il y
a un problème épistémique. D'autre part, on sait que la motivation met en jeu plusieurs
facteurs dans un processus complexe qui préside à leur interaction. Pour les chercheurs en
psychologie, la motivation est un agrégat de comportements et découle de l'interaction d'un
agrégat de facteurs. Pour les chercheurs de type "réductionnistes", il convient, à partir d'un
travail de modélisation piloté par une théorie ou deux, d'identifier un nombre relativement
limité de facteurs susceptibles d'expliquer un maximum de comportements motivationnels.
La méthode réductionniste présente un double avantage : d'une part, elle permet de mettre à
jour avec précision les interrelations qui s'établissent entre les facteurs sélectionnés et, d'autre
part, le modèle est opérationnalisable dans le cadre d'une démarche expérimental.
Nous avons voulu savoir en quoi filles et garçons se distinguaient ou non en
classe de langues vis-à-vis de leur usage des TICE. Nous avons d'abord
choisi trois modèles théoriques pour aborder cette question, celui du
sentiment personnel d'efficacité de Bandura (2003, celui de la théorie de
l'autodétermination (Deci et Ryan, 2004) et, enfin, celui des attributions de
Weiner(1992). Nous avons ensuite mis en œuvre un projet pédagogique
appuyé sur la cyberquête
2
, puis nous avons établi des questionnaires dans
lesquels nous mettions en œuvre les deux théories précitées. Les résultats
montrent qu'aucune différence significative ne peut être établie entre les
réponses des filles et des garçons. Les filles ont le même sentiment de
compétence avant et après le projet que les garçons, le même intérêt pour
l'utilisation de l'Internet en classe de langues (Raby, sous presse).
2
La cyberquête est largement inspirée de la Webquest de Bernie Dodge.
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Cependant, l'approche réductionniste (le terme le dit clairement) a pour inconvénient de
réduire le champ d'investigation du chercheur. Seuls des comportements homogènes et
relativement rationnels au détriment de la complexité du monde "réel".
Ainsi, dans notre étude, avons-nous volontairement ignoré des facteurs
sociologiques comme le passé linguistique des élèves, leur origine
linguistique, l'effet classe ou l'effet établissement. Encore avons-nous pris le
soin de chercher un effet maître ce qui n'est pas toujours le cas dans les
recherches portant sur les usages des TICE en classe de langues.
Pour conclure sur Charybde et Scylla, nous pensons avec la plupart des chercheurs qu'une
approche réductionniste est inévitable si on ne veut pas se contenter de discourir à propos de
la motivation ou bien simplement de la décrire parce que les approches "compréhensives",
holistiques ou systémiques, ne sont pas opérationnalisables. En revanche, il nous semble que
les discours généraux issus de la démarche philosophique ou bien inscrits dans le champ de la
didactique ont pour rôle de stimuler la réflexion et de proposer des pistes d'interprétation aux
chercheurs.
L'interdépendance des facteurs
Une autre difficulté liée à l'approche réductionniste réside dans le fait que même lorsque le
chercheur a bien identifié un ensemble de facteurs susceptibles de prédire les comportements
des élèves, il les appréhende comme si ces comportements se produisaient indépendamment
des autres comportements ou actions dans lesquels les élèves sont engagés. Certes, dans la
classe de langue un élève ne peut pas être engagé dans toute sorte d'activité ou actions
cependant, plusieurs épisodes ou processus peuvent être activés simultanément. Aussi, l'un
des enjeux de la recherche consiste à expliquer les interactions entre divers orientations de
l'actions, divers buts et divers mécanismes de contrôle. C'est ce que Dörnyei appelle "parallel
multiplicity" et que nous traduirons par multiplicité parallèle (des facteurs). L'une des rares
chercheurs à avoir tenté d'approcher la multiplicité parallèle de manière empirique est
Boekarts (1998).
Des situations de travail interdépendantes exigent que les étudiants
mettent en balance plusieurs buts et tâches simultanément. (..) Nous savons
encore peu de choses sur la manière dont ils hiérarchisent leurs buts, dont
ils les changent en fonction des conflits qui peuvent survenir entre tel ou tel
but. Nous ne savons, aussi, pratiquement rien de la manière dont ils
changent leurs stratégies en fonction du sentiment de réussite qui les anime
et des compensations que cela entraîne entre différentes ressources
cognitives. Les recherches à venir devraient s'attaquer à ces questions.
(Boekaerts, 1998, p. 21)
Nos propres recherches empiriques nous ont fournis quelques exemples de l'importance de la
multiplicité des facteurs parallèles. Dans une étude longitudinale menée auprès d'étudiants
1 / 15 100%

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