
de la « société » (entité juridique) et non de l’ « entreprise » (au sens de la structure
productive). Il était donc logique que le « profit » devienne rapidement un but en soi et non un
simple résultat de l’activité productive.
L’entreprise, faut-il le rappeler, n’a jamais été reconnue juridiquement car seule la « société »
a pu disposer d’une personnalité morale.
Il devient en conséquence indispensable de remonter à la racine des problèmes juridiques
(droits issus de la propriété) pour comprendre la genèse du pouvoir politique, économique et
financier qui organise la production des richesses. La situation actuelle de crise économique et
financière n’est que le prolongement d’une tendance déjà contenue dans le recouvrement de
l’organisation qu’est l’entreprise par la structure juridique (la société) dont l’objectif est
prioritairement la recherche du revenu des seuls détenteurs de capitaux.
Avec les nouvelles exigences de rendement à court terme imposées par la finance de marché,
la base productive de l’entreprise se rétrécit, déconnectant de plus en plus le travail salarié de
la valorisation du capital (Vinard, 2009). Pourtant les fondements de la prospérité financière
ne sont pas internes au monde de la finance mais se situent dans le monde de la production où
la valeur est créée. Ce sont ensuite les institutions et les groupes sociaux détenteurs d’actifs
financiers qui vont s’approprier cette valeur sur un mode rentier.
En conséquence, la finance n’est pas un parasite sur un corps en bonne santé. Elle est
alimentée par le profit non investi puis par des opérations de spéculation procurant des plus-
values boursières. Progressivement elle parvient à acquérir un degré d’autonomie qui renforce
ce mécanisme.
Il faut aussi rappeler que ce sont bien les droits de propriété en s’incarnant dans les « sociétés
par actions » qui mettent en valeur l’origine et la dynamique du capitalisme et non
l’accumulation d’instruments de production ou de moyens matériels.
Ensuite il faut bien comprendre l’idée selon laquelle la distinction entre les moyens de
production et les titres qui donnent un droit sur ces moyens recouvre deux structures
différentes que sont l’« entreprise » comme organisation créant des richesses (biens et
services) et la « société » au sens juridique dont l’objectif, selon l’idéologie dominante, serait
de financer l’entreprise en vue d’obtenir un profit.
Aux côtés de ces sociétés (de personnes ou de capitaux) et de manière complémentaire, se
tiennent les institutions financières, bancaires et non bancaires qui sont constitutives d’un
capital aux traits spécifiques. Le capital financier ou de placement cherche à « faire de
l’argent » sans passer obligatoirement par l’investissement dans la production de biens et
services. Il ne quitte pas la sphère financière et se rémunère sous formes d’intérêts des prêts,
de rémunérations liées à la possession d’actions ou de profits tirés de spéculations réussies
(Chesnais, 2004).
Ce capital de placement qui a commencé à prendre de plus en plus d’ampleur à la fin des
années 1960 trouve sa source dans la centralisation de l’épargne des ménages. Il puise sa
dynamique dans l’accroissement des profits non réinvestis et dans la déréglementation
financière. Dès les années 1960, en Europe les ménages aux revenus élevés sont encouragés
par des dispositions fiscales à placer leurs revenus liquides excédentaires en titres
d’assurance-vie. Les compagnies d’assurance vie centralisent encore aujourd’hui les actifs
financiers parmi les plus élevés.
Plus généralement, la mensualisation des rémunérations de toute la population salariée et
l’obligation d’ouvrir un compte en banque va générer une masse considérable d’argent liquide
qui échappait auparavant aux banques.
Déjà en 1958 la création en « offshore » à la City de Londres d’un marché interbancaire de
capitaux liquides libellés en dollars, dits « marchés des eurodollars » constitue la première
base d’opération internationale de capital de placement. Les grandes firmes américaines
déposent alors des profits non rapatriés et non réinvestis dans la production.