Que Vlo-Ve ? Série 4 No 4 octobre-décembre 1998 pages 105-116
Les Mamelles de Tirésias Documents Dossier de presse (compléments)
© DRESAT
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LES MAMELLES DE TIRÉSIAS
Documents Dossier de presse (compléments)
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On connaît les poèmes écrits par Apollinaire pour les acteurs, qui ont été publiés dans
SIC, puis, à l'exception de celui qui était dédié à Edmond Vallée, dans l'édition originale des
Mamelles de Tirésias. Un septième poème était destiné à Georgette Dubuet, la dame qui dans la
dernière scène de la pièce a une réplique : «Madame la Cartomancienne / Je crois bien qu'il me
trompe». Le voici, dans sa version définitive :
À GEORGETTE DUBUET
Merci d'avoir été cette femme qu'il trompe La chose est assez rare on
l'annonce avec pompe Car en France pour le moment L'adultère et l'amour
communs dans le roman Se font très rarement Dans la vie et comment
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On possède peu de documents sur la genèse des Mamelles de Tirésias. Deux feuillets
manuscrits constituent une amorce bien différente de la version achevée :
F° 1. Les Mammelles de Tirésias
Acte 1er
La scène se passe à Bucarest de nos jours. Devant la porte de la citadelle laquelle une sentinelle se
promène à bicyclette de long en large. Du côté cour un kiosque de journaux avec la marchande qui casse des
œufs et les bat du côté jardin une dame chauve et ivre qui vomit de couleurs différentes de temps en temps un
artilleur se profile sur la citadelle en [105]
tirant un coup de canon chaque fois qu’il a tiré des cris s’élèvent et vingt baïonnettes le transpercent. Tout ceci
fait partie du décor. Des deux côtés de la scène en avant maisons
Fo 2 Scène Première
________
Existence sort de sa maison en jolie robe courte
Non monsieur mon mari
Deux versions inachevées d'un récit peut-être destiné à prendre place dans «la Vie
anecdotique» sont à la source du passage du Prologue sur le duel d'artillerie et l'«histoire de
toutes les étoiles». Nous les reproduisons sans s reprendre les quelques biffures qu'on peut y
relever.
La première se compose d'un feuillet écrit des deux côtés :
recto Histoire de toutes les étoiles
En juillet 1915 j'étais encore dans l'artillerie n'ayant demandé à passer dans l'infanterie le qu'au
mois de novembre suivant. Et je dois ajouter que si j'ai vu dans l'infanterie bien de» choses ou touchantes
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ou terribles il ne m'a jamais été donné d'être témoin d'un événement aussi singulier que celui dont je fus
témoin le 31 juillet.
J'appartenais à une batterie qui faisait partie d'un régiment du midi, mais était composée presqu'en
totalité d'éléments d'un régiment d'artillerie du Nord qui avaient été évacués de leur dépôt sur le midi au
moment de la marche des Allemands sur Paris avant la Marne.
Presque tous les canonniers, les officiers même avaient leur famille dans les pays envahis. Le
vaguemestre du groupe avait peu de correspondances à remettre à ces braves gens qui se trouvaient ainsi
isolés sur la terre et sur le front où ils
verso Puis il y eut un grand silence tandis qu'à l'arrière front un autre point
La seconde comporte deux feuillets :
1. Histoire de toutes les étoiles
Le 25 décembre 1915 eut lieu dans un secteur du front de Champagne entre Souain et Tahure, un
événement unique dans l'histoire du monde et où les étoiles même furent en danger.
Quelques temps auparavant j'avais demandé à passer de l'artillerie dans l'infanterie. Nous étions
depuis quatre jours à la tranchée de Hambourg du côté du trou Bricot quand notre chef de bataillon invita
les commandants de compagnie à l'accompagner pour aller reconnaître le secteur. Simple sous-lieutenant je
commandais ma compagnie car nos autres officiers venaient d'être tués ou blessés, il fit un temps de chien
pendant toute la reconnaissance mais dès notre retour le temps se remit au beau et les étoiles
2. étincelaient magnifiquement durant toute la nuit.
Le lendemain soir, nous partîmes a la nuit tombante. Ma compagnie était en tête et marchant le
premier je la guidais. On entendait au loin les battements sinistres de la mitrailleuse qui s'arrêtaient parfois
pour reprendre sur un autre point. Au dessus de nous
[106]
Les étoiles palpitaient avec un éclat unique. On marchait par un en silence avec un bruit de troupeau en
marche. Tout à coup à gauche au loin six lueurs blanches se succédèrent : «ce sont les Boches qui se
réveillent» dit derrière moi le sergent Maigunol chef de la première section mais nous n'entendîmes plus les
éclatements
Interrompus avant l'«histoire» des étoiles, ces deux récits nous laissent sur notre faim. En
revanche, ils sont très révélateurs des processus de naissance et d'élaboration d'un texte chez
Apollinaire. Si le premier a une va leur documentaire (à la fin de juillet 1915 son secteur est
calme et sa batterie est bien composée comme il le dit), il n'en est pas de même du second :
d'abord, le 25 décembre 1915 (à supposer que notre lecture soit bonne) sa compagnie est au
repos et lui-même parti en permission, ensuite c'est à son retour seulement en janvier, et encore
au repos, qu'il fit office de commandant de compagnie. On voit quelle mutation s'est produite
dans le passage d'une relation exacte à une construction imaginaire où les repères n'ont de
signification que symbolique (le choix du jour de Noël n'est pas innocent, ni l'évocation des
pertes humaines); la troisième étape sera le Prologue où vraisemblablement la cohérence des
images a appelé un retour à la première version.
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La note reproduite ci-dessous est extraite du n° 61, série III, 1917, de La Feuille de chou,
«seule gazette non censurée de la République» et, de plus, manuscrite. Plusieurs livraisons de ce
bulletin figurent dans un dossier de la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet. Les titres de
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Feuille de laurier tricolore mais verte en 1915, puis de La Feuille d'olivier perdue, mais
retrouvée avaient d'abord été utilisés.
Aucun nom de directeur de publication ni d'éditeur n'aide à reconnaître l'origine de ces
fascicules. Seuls points de repère, des dessins de Lhote et des compositions graphiques de
Sébastien Voirol, ainsi que des noms de destinataires, parmi lesquels ceux de Barzun,
Mercereau, Divoire, Gleizes, qui nous ramènent à la mouvance du Dramatisme, d'amateurs
comme Gra-nié, Poiret ou Rondel, et de critiques, Billy, Tautain, Allard ainsi que Pierre Albert-
Birot, probablement comme directeur de SIC.
L'auteur anonyme de ces lignes est mal informé, ou feint de l'être, quand il fait
d'Apollinaire l'inventeur du Nunisme; son propos néanmoins rejoint ceux qu'on tenait dans des
milieux qui portaient au poète un intérêt critique, Le Cri de Paris, par exemple, ou Soi-même
(voir notamment dans cette dernière publication, le 15 décembre 1917, l'article de René-Marie
Hermant intitulé "Le Poème assassiné"). [107]
UNE MANIFESTATION DE «DEFAITISME» EN ART
Guillaume Apollinaire est un poète fantaisiste, un critique d’art, c’est-à-dire un esthéticien
d’avant-garde et, d’après les feuilles du jour, l’inventeur du «nunisme».
Il est un militaire blessé et distingué.
Ceux qui le connaissent n’hésitent pas à affirmer qu’il est intelligent, érudit, et bon garçon, tout en
faisant métier de mystification.
Les privilégiés qui ont assisté à la représentation de «sa première pièce» le 24 juin, à Montmartre,
ajoutent que le seul défaut capital de Guillaume Apollinaire est d'afficher, peut-être délibérément, le plus
mauvais goût dont on puisse donner exemple dans la littérature contemporaine..
Le titre de sa pièce : «les Mamelles de Tirésias» en est une première preuve.
Il eu est d'autres : l'exhibition sur la scène de biberons, bidet, vase de nuit, etc., l'emploi des pires
trucs de revue, de pitreries les moins faites pour divertir, etc.
Enfin nous signalerons ici comme preuve décisive, dans l'oeuvre d'un poète, l'absence totale de
préoccupations littéraires.
On a l'impression prédominante que tout ce qui un instant a pu germer dans le cerveau
heureusement non assassiné, de l'auteur, lui a paru bon, que le discernement entre les blagues à faire ou à
ne pas faire, est par lui complètement négligé. En de telles conditions, rien n’est plus facile que de «créer».
Mais le résultat fatal est celui-ci : on se gardera longtemps de voir en Guillaume Apollinaire un poète de
talent qui s'impose, et on le traitera, à tort, nous aimons à le croire, d'ambitieux, tenant à faire parler de lui,
serait-ce au prix du dédain de ses pairs.
4
À ajouter au dossier de presse de la pièce ces lignes parues le dimanche
1er juillet 1917 dans Le Cri de Paris :
Les Théâtres
[..]
À Montmartre
Nûn est un mot grec qui signifie maintenant. M. Guillaume Apollinaire a donc créé le nunisme. Et
pour appliquer cette doctrine ultra moderne il a mis en pièce une vieille légende d’Hésiode. Les Mamelles
de Tirésias ont été acclamées et huées par tout ce que Paris compte d'excentriques. On regrette que M.
Apollinaire gâche ainsi un beau talent.
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Est-ce un hasard si dans ce numéro l'illustration de couverture a pour sujet la
repopulation, décidément à l'ordre du jour? (Voir ci-contre.
[108]
La repopulation sera très bien portée, cette année.
Page de couverture du Cri de Paris du dimanche 1er juillet 1917.
[109]
Bande de l'édition originale des Mamelles de Tirésias.
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L'Eveil
Mercredi 21 novembre 1917
En zig-zag
[…]
Arts et Lettres
[…]
-- Guillaume Apollinaire va publier, en une édition de luxe, les Mamelles de Tirésias,
LE NOTATEUR
L'Intransigeant
Jeudi 28 février 1918
Nos Échos
[...]
Les Lettres
[…] [110]
Guillaume Apollinaire publie eu volume sou «drame surréaliste», Les Mamelles de
Tirésias, dont nous avons parlé au moment de sa représentation.
Dans sa préface, Apollinaire explique ce qu'il a voulu faire. Œuvre de jeunesse, dit-il,
qu'il a nommée drame pour la distinguer des pièces actuelles : mais il lui est impossible de
décider si ce drame est sérieux ou non.
Surréaliste, cela veut dire : retour à la nature, mais sans l'imiter :
Quand l'homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe; il a
fait ainsi du surréalisme dans le savoir.
Le surréalisme est donc une interprétation fantaisiste de la nature. Apollinaire ne prétend
nullement fonder une école; mais avant tout protester contre le théâtre en trompe-l'œil.
En tout cas, Les Mamelles de Tirésias sont sérieuses dans leur intention de plaider la
repopulation.
[...] Bulletin des écrivains
Mars 1918
Livres reçus.
[...]
Les Mamelles de Tirésias par Guillaume Apollinaire
Le Petit Bleu
Vendredi 1er mars 1918
Le Monde et la Ville
Arts et Lettres
[...]
Les futuristes encore :
M. Guillaume Apollinaire vient de publier en volume son drame «surréaliste» Les
Mamelles de Tirésias, en l'agrémentant d'une préface «à la hauteur». Nous en reparlerons (de la
préface).
D'autre part, à la prochaine manifestation «artistique» c'est manière de parler
organisée par SIC, l'organe de M. Pierre-Albert [sic] Birot, on représentera une nouvelle fois Les
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