Transition (récapitulation de ce qui précède et objection) : Les démonstrations,
d’après ce qui précède, permettent bien de prouver des vérités, et même des vérités universelles
(contrairement à l’expérience). Cependant, on a vu aussi que les démonstrations ne sont vraies que
si leurs prémisses le sont aussi. Si le point de départ est faux, la conclusion risque fort de l’être
aussi. Or, peut-on dire que les démonstrations mathématiques partent de prémisses vraies ?
II. La raison permet de prouver des vérités logiques, non des vérités concernant les faits
1. Développement de l’objection amorcée dans la transition
Les démonstrations mathématiques partent de principes universels du type : « Si a = b, alors
b = a », ou « Si a = b, alors a + c = b+ c »). Mais ces principes nous donnent-ils des renseignements
précis sur la réalité concrète ? La question est importante, car il ne suffit pas qu’une théorie soit
cohérente, logique, pour qu’elle soit en accord avec la réalité. Il peut arriver que deux théories
scientifiques soient tout aussi cohérentes l’une que l’autre, et pourtant en désaccord concernant la
réalité. Il est donc nécessaire (inévitable) que l’une ou moins soit fausse, ou partiellement fausse.
Cela est encore plus vrai pour les théories des paranoïaques, qui sont des délires cohérents : ce sont
des théories qui ont une certaine logique mais sont en décalage avec la réalité. Un raisonnement
peut être parfaitement logique, mais si ses prémisses sont fausses, la conclusion le sera aussi, la
plupart du temps. La raison, en tant que faculté de bien raisonner, ne suffit donc pas toujours à
prouver qu’un énoncé est vrai ou faux, lorsqu’il s’agit d’une vérité concrète, qui concerne la réalité.
Elle est en revanche très utile pour prouver des vérités abstraites.
2. Les sciences démonstratives s’occupent de vérités abstraites
Avec les sciences démonstratives, et notamment avec les mathématiques, il semble que nous
nous soyons écartés de la vérité au sens d’un accord, entre la pensée et la réalité. Dans ces
sciences, en effet, on étudie des objets abstraits, c’est-à-dire obtenus en isolant certains aspects
de la réalité (nombre, formes, distance…) et en négligeant le reste (on fait abstraction de la
matière, du poids, de la couleur, etc.) C’est par cette abstraction qu’on peut obtenir des principes
universels, comme les principes de l’arithmétique, de l’algèbre ou de la géométrie. Ces principes,
même s’ils ne sont pas en désaccord avec la réalité concrète, ne nous permettent pas de connaître
grand-chose de celle-ci. Des vérités abstraites, du genre « si a = b, alors b = a », ne me renseignent
que très peu sur les faits, sur la réalité telle qu’elle est. Pour connaître les faits, il me faudra faire
appel à d’autres sources d’informations que la logique ou les mathématiques : les informations
journalistiques, et toutes les sciences qui s’occupent de la réalité (physique, chimie, biologie,
sociologie, psychologie, économie, histoire, etc.).
La vérité, dans les sciences purement démonstratives comme les mathématiques et la
logique, pourrait se définir plutôt comme un accord de la pensée avec elle-même. Il s’agit moins
de connaître la réalité que d’être logique, cohérent.
Conclusion provisoire
Il semble donc que la raison soit très utile pour ne pas commettre d’erreurs de logique, pour
démontrer des vérités abstraites et pour élaborer des théories cohérentes. Cependant, elle ne peut
pas à elle seule prouver des vérités concernant des faits. Pour obtenir de telles preuves, on verra
qu’il faut recourir à un autre type de connaissance que la connaissance rationnelle : l’expérience.
Mais ceci fera l’objet d’un prochain cours.