Qu'
est-ce qui pousse parfois
des membres du sérail à
s’inscrire en faux contre les
idées toutes faites? Et pourquoi les décideurs
et leurs courtisans n’écoutent-ils jamais les
dissidents?
L’ouverture à l’Autre
Il fallait être dans la salle (le 17 mars
à UniMail) pour le croire: «Pardon cher
Piaget… mille pardons pour ce que tu
viens d’entendre». Une présidente du col-
loque sur «Le français dans l’enseignement
(…) et la recherche» levait les yeux au ciel
après l’exposé d’un grand matheux (Laurent
Laffargue), accusant l’Université de rempla-
cer la quête de la vérité par un activisme
sans réflexion. Jean Piaget – pape de la
pédagogie du XXe siècle – a mis «l’action» au
centre de sa théorie… il fallait donc calmer
son fantôme au plus tôt. Pourquoi l’orateur
a-t-il lié la question de la langue à celle de
la vérité, «un mot devenu tabou»? Pour lui,
une langue n’est vivante que si elle transpire
des vérités plutôt que des banalités. Mais
pourquoi un parterre d’experts préfère-t-il
invoquer les esprits plutôt qu’affronter la
vérité? Le prestige des uns exige-t-il l’igno-
rance de l’autre? A un congrès «Penser les
marchés scolaires» tenu peu de jours avant
pour prouver que la concurrence était réac-
tionnaire, on a assisté au même réflexe, et
seul un chercheur américain osa porter la
controverse. Une pédagogue italienne finit
par admettre qu'«on va aux colloques des
gens qui pensent comme nous… on serre
les rangs par esprit de clan». Preuve par trois:
l’intéressant symposium annuel de l’Ecolint,
ouvert à tous, n’attire aucun prof du public
(encore moins que le colloque au Collège
sur «la formation humaniste»).
La basse cour de justice
L’autre citation du début vient d’un ex haut
cadre de l’instruction, Nguyên van Khai,
devenu depuis son propre patron (voir cad-
camation.ch). Il juge absurde l’obsession des
Hautes écoles pour le Master: «Le Processus
de Bologne d’où sortent les HES avait un
but simple: accélérer la formation (1er cycle)
et augmenter la mobilité (2e cycle)». Vouloir
en faire des boîtes à Master, singeant les
Ecoles polytechniques, c’est dénaturer ces
universités à mission «professionnalisante».
A nouveau, pourquoi la hiérarchie tourne-
t-elle le dos à ces arguments, et pourquoi
faut-il un kamikaze pour les mettre en
avant? Notre trublion persiste et signe: «La
Haute école d’ingénieurs devrait recevoir
des jeunes issus de l’apprentissage, mais
dans les faits, on y trouve nombre de recalés
du Poly… idem pour les profs, qui sont des
théoriciens frustrés de n’avoir pu faire car-
rière à Lausanne.» A-t-il raison, a-t-il tort… et
qu’est-ce qui pousse cet homme – né en un
lointain Orient où on dit les gens réservés
- à tenir des propos aussi musclés? «Il faut
bien que quelqu’un dise ce que pensent les
employeurs». A-t-il d’autres motivations…
des blessures causées par le panier de cra-
bes qui dirige la plupart des nos institutions?
Peu importe, et même tant mieux, car la
vérité ne pousse pas au confort: «Les baffes
qu’on prend sont les meilleures écoles de
vie», conclut-il. Ce n’est – hélas! – pas le
genre de questions posées au colloque sur
«l’éthique dans les hautes écoles» tenu en
novembre à Yverdon.
La tricherie, art ou science?
La vérité est-elle victime de la démocratie,
et même de la connaissance? Sans doute,
car les docteurs ne sont pas plus men-
teurs que les maçons… mais ils doivent
bien faire carrière. Y a-t-il assez de vérités
essentielles pour les occuper? Pas sûr… on
doit chaque fois gonfler une bulle pour s’y
glisser. Il faut une crise pour qu’une gloire
de la finance (Rajna Gibson) renoue avec
la modestie face aux réalités: «Nous avions
des œillères… plus jamais je n’enseignerai
comme avant». Mais comment être pris
au sérieux sans rouler les mécaniques?
Un autre chercheur – Rasa Karapandza
- a pris des risques en riant de «la rhéto-
rique des entreprises comme facteur de
succès», dans son cours d’essai à l’Uni.
Professeurs ou journalistes, les gens ins-
truits pensent mettre le monde dans leur
bulle, et seul le murmure populaire ouvre
les yeux des «bien» pensants: «Même s’il
m’irrite, le journal de droite «Weltwoche»
dit des vérités que nous avons tort de
taire», admet Thérèse Obrecht à Reporters
Sans Frontières. Une historienne (Régine
Pernoud) se moquait jadis de ses col-
lègues rendus myopes par les préjugés
académiques: «Un chercheur traverse l’Ile
de la Cité sans même voir Notre-Dame!»
Les choses ont changé, de nos jours, l’his-
toire remplace la physique ou la médecine
comme exemple de rigueur scientifique…
c’est patent à la télé. Car même dans les
sciences dures, on doit toujours plus inven-
ter sa vérité, comme le prouve le scandale
du Dr Scott S. Reuben aux recherches
imaginaires: «Un Madoff médical», titre la
presse. Entre la rage du peuple, le coffre
des riches, la frime des profs, où donc peut
encore éclore la vérité… et qui sait encore
s’en servir? n
Boris Engelson
30 mars 2009 – No 403
Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du
Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les
autres communes de la Zone économique 11 (Triangle Genève-
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t o u t l ’ e m p l o i • n o 403 • 30 mars 2009
• Formation
Comment apprendre ses quatre vérités
«Les Hautes écoles font fausse route!»… «L’Université a trahi sa mission!»… «Nos certitudes nous ont rendus aveugles!» Trois
scientifiques de haut rang sortent du… rang.