Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les autres communes de la Zone économique 11 (Triangle GenèveGland-Saint Cergue). 192 748 exemplaires certifiés REMP/FRP. Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi Directeur-Rédacteur en chef: Thierry Oppikofer Coordination, Publicité, Gestion des annonces: Patrick Gravante Maquette: Imagic Sàrl Carouge, Daniel Hostettler, Sophie Hostettler Flashage et impression: Courvoisier-Attinger Arts Graphiques SA Distribution: Epsilon SA © Plurality Presse S.A., 2009 30 mars 2009 – No 403 © Plurality Presse S.A., 2009 Rédaction, Administration, Service de publicité: 8, rue Jacques-Grosselin • 1227 Carouge Tél. 022/307 02 27• Fax 022/307 02 22 CCP 17-394483-5 E-mail: [email protected] www.toutemploi.ch • Formation Comment apprendre ses quatre vérités «Les Hautes écoles font fausse route!»… «L’Université a trahi sa mission!»… «Nos certitudes nous ont rendus aveugles!» Trois scientifiques de haut rang sortent du… rang. Qu' est-ce qui pousse parfois des membres du sérail à s’inscrire en faux contre les idées toutes faites? Et pourquoi les décideurs et leurs courtisans n’écoutent-ils jamais les dissidents? L’ouverture à l’Autre Il fallait être dans la salle (le 17 mars à UniMail) pour le croire: «Pardon cher Piaget… mille pardons pour ce que tu viens d’entendre». Une présidente du colloque sur «Le français dans l’enseignement (…) et la recherche» levait les yeux au ciel après l’exposé d’un grand matheux (Laurent Laffargue), accusant l’Université de remplacer la quête de la vérité par un activisme sans réflexion. Jean Piaget – pape de la pédagogie du XXe siècle – a mis «l’action» au centre de sa théorie… il fallait donc calmer son fantôme au plus tôt. Pourquoi l’orateur a-t-il lié la question de la langue à celle de la vérité, «un mot devenu tabou»? Pour lui, une langue n’est vivante que si elle transpire des vérités plutôt que des banalités. Mais pourquoi un parterre d’experts préfère-t-il invoquer les esprits plutôt qu’affronter la vérité? Le prestige des uns exige-t-il l’ignorance de l’autre? A un congrès «Penser les marchés scolaires» tenu peu de jours avant pour prouver que la concurrence était réactionnaire, on a assisté au même réflexe, et seul un chercheur américain osa porter la controverse. Une pédagogue italienne finit par admettre qu'«on va aux colloques des gens qui pensent comme nous… on serre les rangs par esprit de clan». Preuve par trois: l’intéressant symposium annuel de l’Ecolint, ouvert à tous, n’attire aucun prof du public (encore moins que le colloque au Collège sur «la formation humaniste»). La basse cour de justice L’autre citation du début vient d’un ex haut cadre de l’instruction, Nguyên van Khai, devenu depuis son propre patron (voir cadcamation.ch). Il juge absurde l’obsession des Hautes écoles pour le Master: «Le Processus de Bologne d’où sortent les HES avait un but simple: accélérer la formation (1er cycle) et augmenter la mobilité (2e cycle)». Vouloir en faire des boîtes à Master, singeant les Ecoles polytechniques, c’est dénaturer ces universités à mission «professionnalisante». A nouveau, pourquoi la hiérarchie tournet-elle le dos à ces arguments, et pourquoi faut-il un kamikaze pour les mettre en avant? Notre trublion persiste et signe: «La Haute école d’ingénieurs devrait recevoir des jeunes issus de l’apprentissage, mais dans les faits, on y trouve nombre de recalés du Poly… idem pour les profs, qui sont des théoriciens frustrés de n’avoir pu faire carrière à Lausanne.» A-t-il raison, a-t-il tort… et qu’est-ce qui pousse cet homme – né en un lointain Orient où on dit les gens réservés - à tenir des propos aussi musclés? «Il faut bien que quelqu’un dise ce que pensent les employeurs». A-t-il d’autres motivations… des blessures causées par le panier de crabes qui dirige la plupart des nos institutions? Peu importe, et même tant mieux, car la vérité ne pousse pas au confort: «Les baffes qu’on prend sont les meilleures écoles de vie», conclut-il. Ce n’est – hélas! – pas le genre de questions posées au colloque sur «l’éthique dans les hautes écoles» tenu en novembre à Yverdon. La tricherie, art ou science? La vérité est-elle victime de la démocratie, et même de la connaissance? Sans doute, t o u t l’ e m p l o i • n o 4 0 3 • 3 0 m a r s 2 0 0 9 car les docteurs ne sont pas plus menteurs que les maçons… mais ils doivent bien faire carrière. Y a-t-il assez de vérités essentielles pour les occuper? Pas sûr… on doit chaque fois gonfler une bulle pour s’y glisser. Il faut une crise pour qu’une gloire de la finance (Rajna Gibson) renoue avec la modestie face aux réalités: «Nous avions des œillères… plus jamais je n’enseignerai comme avant». Mais comment être pris au sérieux sans rouler les mécaniques? Un autre chercheur – Rasa Karapandza - a pris des risques en riant de «la rhétorique des entreprises comme facteur de succès», dans son cours d’essai à l’Uni. Professeurs ou journalistes, les gens instruits pensent mettre le monde dans leur bulle, et seul le murmure populaire ouvre les yeux des «bien» pensants: «Même s’il m’irrite, le journal de droite «Weltwoche» dit des vérités que nous avons tort de taire», admet Thérèse Obrecht à Reporters Sans Frontières. Une historienne (Régine Pernoud) se moquait jadis de ses collègues rendus myopes par les préjugés académiques: «Un chercheur traverse l’Ile de la Cité sans même voir Notre-Dame!» Les choses ont changé, de nos jours, l’histoire remplace la physique ou la médecine comme exemple de rigueur scientifique… c’est patent à la télé. Car même dans les sciences dures, on doit toujours plus inventer sa vérité, comme le prouve le scandale du Dr Scott S. Reuben aux recherches imaginaires: «Un Madoff médical», titre la presse. Entre la rage du peuple, le coffre des riches, la frime des profs, où donc peut encore éclore la vérité… et qui sait encore s’en servir? n Boris Engelson