sa radicale contingence (puisque la puissance absolue excède toujours la puissance
ordinaire).
Mais il est primordial de concevoir la relation analogique à Dieu comme apportant elle aussi
ses limites à la puissance absolue du prince (et ce, hors de l’idée peu opérante que les lois
divines représentent aussi une limitation au pouvoir du souverain, puisqu’il est évident que
cela relève de sa parfaite discrétion) : en effet, d’une manière générale, l’affirmation en tant
que telle de la distinction de la puissance absolue et de la puissance ordonnée, dans le champ
théologique comme dans le champ juridique médiéval et pré-moderne, laisse toujours
entendre l’idée d’un lien ‘libéral’, mais encore seulement consenti, entre l’absolu et
l’ordinaire
; et c’est de la sorte qu’il faut concevoir le lien, qui deviendra ensuite toujours
plus légitimant, du pacte à la théorie de la souveraineté.
C’est aussi à travers cette relation analogique que peut se comprendre le fait que le souverain,
quoique au-dessus de ses propres lois, ne puisse librement révoquer ses conventions, serments
ou promesses, qui relèvent du droit naturel, et que Bodin distingue donc nettement, même si
sans grande cohérence, des édits ou lois (cfr. par exemple Rép. I, 8, p.194 et 218) : «veu que
Dieu mesme, comme dit le maistre des sentences
, est tenu de sa promesse » (Rép. I, 8,
p.219). Cette référence au Maître des Sentences, à savoir Pierre Lombard, nous ramène donc
une fois de plus au débat sur la puissance absolue de Dieu. Toutefois, pour prometteuse que
puisse paraître la distinction entre convention et loi, elle reste une nouvelle fois peu opérante
dans la mesure où le souverain ne peut être empêché d’agir, ni poursuivi, ni bien sûr
condamné.
Qu’en est-il alors de cet usage, pris dans son sens le plus instrumental et opératoire, du
modèle théologique par le politique ? La question est ici de savoir ce que le modèle
théologique, non pas comme ordre naturel mais comme technique argumentative, offre au
politique.
Le modèle théologique permet à Bodin de développer un concept, celui de souveraineté, que
lui-même déclare nouveau, à l’aide d’une logique qui lui serait propre, en ce qu’elle est propre
à la puissance absolue. En effet, l’analyse du concept de souveraineté, par « raison
nécessaire » (Rép. I, 8, p.192), c’est-à-dire à l’aide de l’argument de la puissance absolue,
offrira à la souveraineté les moyens mêmes dont elle a besoin pour s’assumer dans son
caractère exceptionnel: dès lors, la seule limitation à la souveraineté qui soit tenable (et ainsi
définissante et constitutive) pour la souveraineté est de lui interdire toute auto-limitation, ou
encore d’interdire sa propre aliénation, c’est-à-dire l’aliénation du royaume… un royaume qui
devient ainsi un domaine public, dont l’aliénation est interdite au nom d’un refus de la
contradiction, et non pas au nom d’une distinction du privé et du public. De la même manière,
il s’agit d’interdire à la souveraineté son propre partage, d’où, essentiellement, le refus de
Bodin de toute forme de constitution mixte, etc. Au niveau politique comme au niveau
Quant à cette juridicisation de l’ordre, librement choisi par Dieu, et subi par les hommes, il faut noter ici
l’inversion produite par Duns Scot dans la relation entre les deux paires mentionnées : le droit (entendu dans un
sens non pas juridique mais définitoire : être en droit…) relève traditionnellement, et ce sera encore très clair
chez Occam, de la puissance absolue.
A ce sujet je renvoie au texte essentiel de F. Oakley, Omnipotence, Covenant, and Order, Ithaca, Cornell
Univ . Press, 1984.
C’est-à-dire Pierre Lombard, et non Duns Scot comme l’avance E. Randi (« Lex est in potestate agentis – Note
per una storia della idea scotista di potentia absoluta », in : Sopra la volta del mondo : omnipotenza e potenza
assoluta di Dio tra Medioevo e età moderna, éd. A. Vettese, Bergamo, 1986, p.130).