coloniale et celle des décolonisations, par exemple
. Il faudra d’ailleurs dénaturaliser aussi cette notion de
« santé mentale », qui, comme le montre Marcelo Otero dans son ouvrage, L’Ombre portée :
l’individualité à l’épreuve de la dépression, est venue remplacer celle de « maladie mentale », en opérant
un « renversement hiérarchique » consistant en partie à rendre lisibles de façon professionnelle, c’est-à-
dire, par ceux qui exerceraient dans le champ de la « santé mentale », les souffrances psychiques qui ne
relevaient autrefois que rarement d’une prise en charge médicale ou, plus précisément, « médicalisée »
.
En nous concentrant ainsi sur les continuités, nous espérons résister à la tendance répandue dans les
sciences sociales, particulièrement lorsqu’il s’agit de faire l’épistémologie des sciences « dures », c’est-à-
dire, d’élucider les mécanismes à l’œuvre dans la production de nouveaux paradigmes scientifiques, et qui
consiste à recouvrir les faits sociaux du caractère des événements, et à les dépourvoir ainsi de leurs
origines sociales, c’est-à-dire, à les naturaliser en leur enlevant leur attribut de faits produits dans et par
des processus sociaux auxquels participent des agents, fût-ce malgré eux. Il faut, en d’autres termes,
procéder selon une méthodologie qui décentre ce qui se pose comme « structuralité » au cœur de
l’entreprise de « Global mental health », et à travers laquelle celle-ci peut réussir à s’imposer comme une
évidence. Cette structuralité se compose précisément des croyances fondatrices de son déroulement, des
rapports de structure naturalisés à partir desquels elle fut devenue concevable. Il s’agit donc de prendre en
compte tous les acteurs et tous les facteurs dont la coalescence concourt à la production de cet événement
que constitue ce changement paradigmatique dans « l’internationalisation » de la santé mentale, comme le
désigne Richard Rechtman
. En cherchant à déceler, pour reprendre les termes de Foucault, les
En effet, Foucault, par rapport à sa propre entreprise de restitution de l’entrée de la Psychanalyse dans les luttes autour du
pouvoir de définir la vérité que s’appropria la Psychiatrie, et faisant référence au modèle qui prédomine dans la reconstitution a
postériori de transformations épistémiques se réalisant dans les sciences, écrit, «… je ne pense pas qu’on puisse faire de
l’hystérie, de la question de l’hystérie, de la manière dont les psychiatres se sont embourbés dans l’hystérie du XXième siècle,
une espèce de petite erreur scientifique, une sorte de butée épistémologique. Si on le fait, c’est évidemment très soulageant,
parce que cela permet à la fois d’écrire l’histoire de la psychiatrie et la naissance de la psychanalyse dans le style même où l’on
explique Copernic, Kepler, ou Einstein. C’est-à-dire : butée scientifique, incapacité de se sortir des sphères trop nombreuses du
monde « ptoléméen » ou des équations de Maxwell, etc. ; on se prend les pieds dans ce savoir scientifique et, à partir de cette
espèce de butée, alors, dans ce savoir scientifique, une sorte de butée épistémologique. En pensant le problème dans ces termes-
là et en faisant de l’histoire de l’hystérie l’analogon de ce genre de péripéties, on peut replacer l’histoire de la psychanalyse
dans l’histoire des sciences. Mais si on fait de la simulation, comme je voudrais le faire, et non pas de l’hystérie par conséquent,
on pas un problème épistémologique ou la butée d’un savoir, mais l’envers militant du pouvoir psychiatrique, si on admet que
la simulation a été la manière insidieuse pour les fous de poser de force la question de la vérité à un pouvoir psychiatrique qui
ne voulait leur imposer que la réalité, alors je crois que l’on pourra faire une histoire de la psychiatrie qui ne gravitera plus
autour du psychiatre et de son savoir, mais qui gravitera enfin autour des fous. » Voir : Foucault, Le Pouvoir Psychiatrique :
Cours au Collège de France, 1973-1974, Gallimard/Seuil, 2003.
Otero, Marcelo, L’Ombre Portée: l’individualité à l’épreuve de la dépression, Les Editions du Boréal, 2012. Comme il le
résume, “…dans le cas des sociétés contemporaines,…la référence de la santé mentale, plus englobante, a remplacé celle de la
maladie mentale, plus restreinte. Le « succès » sociologique et scientifique de la notion de santé mentale peut être compris
comme « l’expression d’une réorganisation des rapports entre maladie, santé et socialisation », qu’Alain Ehrenberg résume à
l’aide de l’image ironique du « grand renversement ». Cette nouvelle transformation institutionnelle dans le champ de la
folie/maladie mentale/santé mentale est marquée essentiellement par 1) un retournement hiérarchique majeur suivant lequel la
maladie mentale (phénomène en principe restreint au domaine médical) devient un aspect subordonné à la santé mentale et à la
souffrance psychique (phénomène multiforme, en élargissement constant et ouvert à de multiples domaines d’intervention ) ; 2)
la promotion des modes de prise en charge permettant au patient en traitement (devenu usager, client, bénéficiaire, etc.) de
devenir un acteur de « sa » maladie, de « sa » souffrance ou de « son » problème de santé mentale ; et 3) la subordination de la
contrainte institutionnelle au consentement éclairé de l’ « usager » lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre une démarche
thérapeutique. »
Il faudra creuser cette distinction entre « l’internationalisation » de la santé mentale et sa « globalisation » ou
« universalisation » telle que la porte au jour Richard Rechtman dans son explicitation des différences qui se sont dessinées
entre la psychiatrie transculturelle, dans sa versante forgée par des agents de la « psychiatrie transculturelle », et la psychiatrie à
vocation universaliste qui prédomina dans le champ psychiatrique français jusqu’aux années 80s. Rechtman écrit, « …Nous
assistons probablement au changement le plus significatif dans cette longue évolution de la place des populations non-
occidentales dans le savoir et les pratiques psychiatriques. En effet, il semble qu’aujourd’hui, l’enjeu soit moins d’exclure les
populations non-occidentales des pratiques ordinaires de la psychiatrie que de les y inclure. Le renversement est de taille,
puisqu’il consiste aujourd’hui à tenter de penser la place de l’autre au sein du dispositif de droit commun, et, cela, par
l’intermédiaire d’un savoir à vocation internationale, à défaut d’être universel comme le fut la psychiatrie jusqu’aux années