Jamais la face de Dieu n’a été regardée avec autant insistance. Jamais dans l’histoire du peuple juif le scepticisme n’avait eu
aussi grande place.
Dieu ne pouvait être de ce projet et l’homme n’avait sûrement pas commis autant de grief à son égard pour subir ce sort.
Alors pourquoi ? Pourquoi les enfants, les mères du Shtetl et les autres.
Ces questions restent entières et replacent l’homme dans sa dimension réelle par rapport à sa responsabilité terrestre et
charnelle. Jamais nous avons autant attendu une réponse divine, à jamais nous devons savoir que cette réponse est en nous. Croire
en l’aide de Dieu et croire en Dieu, deux notions trop souvent confondues à tort.
La première met l’homme dans une situation de débiteur, de demandeur, d’esclave et de soumis : ses questions n’auront jamais de
réponses et ses problèmes sans solution. En l’attente de miracle. La seconde le rendra créditeur, maître de son destin, de son
sort, acteur de ses actes et résistant. Jamais nous n’avons autant attendu une réponse de Dieu, à jamais nous devons savoir que
cette réponse est en nous. Et Emmanuel LEVINAS nous dit à ce propos dans
« Difficile Liberté »
« Aimer la Thora plus encore que Dieu c’est cela précisément accéder à un Dieu personnel contre lequel on peut se révolter, c’est à dire pour qui
on peut mourir ? »
Le troisième niveau : celui du silence. Le silence des revenus, des revenants de
l'enfer, des témoins. Seul le silence pouvait traduire leur vécu, seul le silence
était à la hauteur de leur cri. Ils parlent désormais mais ne savent plus pleurer.
L'horreur leur a ravi leur jeunesse. Ils ont le poids des ans pour certains
d'entre eux, revenus, et arrivent seulement maintenant à raconter ?
Le silence des puissants et le silence des lieux.
Le silence : Le silence de Treblinka, le même doit régner sur Mars, Saturne ou Jupiter.
Le silence des peuples, des complicités, des peurs et des lâches.
Le silence des revenus, des revenants, des miraculés.
Le silence sidéral de Treblinka, où seuls les oiseaux témoignent désormais d’une respiration d’une vie, d’un mouvement. Ce vent qui
souffle à travers les futaies semblent par instant vouloir nous dire ce qu’il avait vu et senti, ce souffle à travers lequel la parole a
commencé toute chose.
RIEN ne veut pas dire vide, RIEN ne veut pas dire insignifiant, RIEN à Treblinka signifie : 750 000 âmes disparues des plus
grands ghettos au plus petits Shtetls.
Il ne devrait plus faire beau ni à Majdanek ni à Treblinka ni à Auchwitz. Le sol reçoit désormais la pluie des cieux comme autant
des larmes pour une douleur et une tristesse à jamais béante et présente… A jamais… A jamais…
Une surdité et une cécité mentales enveloppent les nations, les diplomaties élégantes et protocolaires n’osent à peine irriter les
nouveaux vainqueurs, la lâcheté l’emporte sur le courage et ainsi des trains partirent… partaient pleins pour revenir vides et
comme une noria diabolique réalisaient le funeste destin de ce rituel de fin de monde.
Le monde savait, nous le savons désormais.
Les gens voyaient, sentaient, entendaient, nous le savons désormais et certains le voulaient même, sachons le pour toujours.
La chape de plomb pour raconter l’indicible. Comment dire, comment taire ? Les mots n’existent pas, ils ne peuvent rien.
Ce silence qui conspire, qui efface et qui gomme. Apparaît alors l’impensable, la négation de ce qui fut et la perfidie s’insinue en
demandant ou sont les corps ?
L’exile de la parole s’est emparé des revenus, une sidération du verbe, un moment infini ou comme l’écrivait René CHAR « Les yeux
seuls sont capables de pousser un cri ».
L’esprit a faillit bien sûr, la raison a renoncé, c’est un échec de la pensée ou le verbe a manqué. La démesure de la réalité dépasse
l’entendement et le silence presque rassurant les a enveloppés pour rester encore d’avantage avec ceux des leurs qui ne sont pas
revenus avec tous ceux qui ne sont pas revenus.
Marcel BENKIMOUN
Marche des Vivants
Avril 2004