UNE ÉCOLE INTRAPRENEURIALE POUR UNE AUTOORGANISATION « CADRÉE » DES PROJETS COMPLEXES G. POULINGUE et F. JOLIVET ÉCOLE DE MANAGEMENT DE NORMANDIE RÉSUMÉ/ABSTRACT Le Club de Montréal, communauté de pratique composée de 24 membres réunissant des directeurs de grands projets et des enseignants chercheurs, partage depuis plus de 20 ans des expériences managériales de réalisation de grands projets. Le résultat de cette capitalisation d’expériences n’a cependant pas abouti à un collectif exprimant une réflexion réifiée une fois pour toute. Il n’en demeure pas moins qu’un ensemble d’analyses sur les retours d’expériences des praticiens du Club convergent vers des principes d’auto-organisation « cadrée ». Pour les membres du Club, de façon contreintuitive, le management de projet complexe conduit à l’adoption d’un management déléguant davantage de responsabilités aux acteurs du terrain plutôt qu’à la centralisation de la prise de décision et de l’organisation même du projet. Le cadrage organisationnel ne se fait pas de façon anarchique mais bien en mettant en place un système imposant aux acteurs du projet de construire leurs propres règles. Nous tenterons de démontrer que plus un système est complexe et en l’occurrence plus un projet est complexe, plus il demande une capacité à accompagner les acteurs en leur libérant de l’autonomie afin de les responsabiliser et de les rendre conscients des enjeux. La déclaration peut satisfaire tout le monde mais il reste à fixer le mode opératoire. Nous proposons de développer le concept de « métarègle » apporté au sein de la communauté par la pratique de François Jolivet, ancien directeur de projets dans le BTP et plus précisément ancien directeur du projet de la construction du tunnel sous la Manche. Ce concept de « métarègle » fut ainsi dénommé par le Professeur Christian Navarre, ami proche de François Jolivet et membre pionnier de la communauté. Ce précepte apparaît adapté au système managérial préconisant l’auto-organisation. Notre méthodologie de recherche s’appuie sur celle mobilisée lors d’une recherche doctorale important la méthode historique aux sciences de gestion pour la réalisation d’une thèse sur l’histoire d’une communauté de pratique d’experts en management de projet. A partir d’archives et d’entretiens recueillis pour la rédaction de la thèse « Historiographie d’une communauté d’experts en management de projet : le Club de Montréal », la méthodologie a permis une étude du processus de construction de la communauté tout en abordant une étude du « contenu » de la communauté. Des apports sur la conceptualisation du management de projet (Declerck et al., 1980) ainsi que la théorie des communautés de pratique (Wenger, 1998) ont permis la lecture et l’approfondissement des thématiques abordées par la communauté : l’apprentissage social occupe une place centrale aussi bien au niveau de la communauté qu’au travers des expériences projet ; la notion de l’auto-organisation apparaît très vite dans les réflexions développées au sein de la communauté ; les systèmes complexes (Mélèse, 1979) définissent différents paliers d’apprentissage de l’auto organisation : autonomie opératoire, autonomie de processus, autonomie organisationnelle, autonomie téléonomique. Bouchard (2002) nous propose une typologie des métathéories de l’autoorganisation en gestion catégorisant des systèmes plus ou moins construits ou laissés en l’état par la direction des entreprises. Les membres de la communauté ont bénéficié des conceptualisations des professeurs Navarre (1993) et Midler (1993), tous deux membres de la communauté, important une réflexion très intrapreneuriale du management de projet quui confére une grande autonomie au directeur de grands projets et à son équipe multimétiers. Le précepte de métarègle y est toujours présent. D’autres contributions conceptuelles développées par d’autres membres de la communauté sont venues enrichir les réflexions (Badot et Hazebroucq, 1996 ; Garel, 2003 ; Jolivet, 2003) toujours confrontées aux pratiques des professionnels du Club et intégrant le précepte de métarègle. Nous proposons de relire quelques expériences « projet » des praticiens du Club et de projeter une transposition du précepte de métarègle aux organisations virtuelles. Trois cas sont étudiés : Années 1980, dans le secteur du Bâtiment avec l’exemple du tunnel sous la Manche manageant avec des métarègles : une « auto-organisation conditionnée» (Bouchard, 2002) et cadrée (Jolivet, 2003) ? Années 1990, Renault, projet Twingo, projet de développement avec la pratique de métarègles : une « auto-organisation négociée» (Bouchard, 2002) et cadrée (Jolivet, 2003) ? Années 2000, Le développement des logiciels libres, monde virtuel autoorganisé : une «auto-organisation spontanée» (Bouchard, 2002) ? Nos résultats montrent : 1. La validité d’une auto-organisation « cadrée » avec le principe de métarègle. METAREGLES (Organisation) 1) Un projet = un chef de projet /désigné par la direction générale, doté de pouvoirs explicités 2) Une équipe multifonctionnelle / choisie en accord avec le chef de projet 3) Des partenaires dès la conception / Clients, réalisateurs, fournisseurs, exploitants 4) Une articulation métiers/projet ad’ hoc / personnel détaché ou dédié, carrières, développement des compétences 5) Une tutelle et des revues de projet / soutien et dialogue plutôt que contrôle METAREGLES (processus de développement du projet) Un objectif ambitieux adapté au marché / validé dans la phase amont, accepté par le chef de projet, approuvé par la direction générale 6) Un plan d’action établi par le chef de projet / procédé, ressources, programme 7) Une validation amont des points critiques / gestion dynamique des risques, expertise 8) Un nombre limité d’étapes clés / définies avec DG et Directions métiers 9) Des prévisions à fin de projet/ à intervalles réguliers : reprévision technique, coûts, délais. METAREGLES (processus de gestion) 10) Un système de gestion des coûts/ affectation comptable des dépenses 11) Une structuration de l’ingénierie/ étapes, documents, diffusion, archivage 12) Un système de maîtrise de la qualité/ spécifique au projet, modulable 13) Un découpage physique des responsabilités / par sous-projet (grands projets) 14) Application aux fournisseurs critiques/ avec les degrés de liberté nécessaires METAREGLES (comportements) 15) Un état d’esprit constructif/des professionnels au service du projet, une forte rigueur personnelle 16) Un espace de communication/maquettes, visuels, information, fêtes 17) Une communication forte/en temps réel, basée sur la transparence, un réseau de messagerie 18) Un comportement exemplaire des leaders/ je fais confiance, je reconnais mes erreurs 19) Et beaucoup d’humilité devant la réalité du projet !! Source : courrier de François Jolivet aux ex-Présidents (titres donnés aux membres de la communauté en fidélité au mouvement DADA), 1997. 20ème métarègle : « Vie des métarègles = Les métarègles ci-dessus sont explicitées dans un référentiel adapté à l’activité de l’entreprise. L’application des métarègles est auditée. La tutelle et le chef de projet décident des actions correctives qu’ils estiment nécessaires. La direction de l’entreprise fait évoluer les métarègles autant que de besoin » (Jolivet, 2003). Les métarègles conduisent également à des boucles de régulation autonomes. 2. L’adoption de règles institutionnalisées et implicites adoptées par les usagers des organisations virtuelles traduisent des rôles de contributeurs et beaucoup moins en tant qu’acteurs projet engagés et identifiés en tant que tel. 3. La difficulté pour les entreprises de pérenniser un style de management favorisant l’auto-organisation. La tendance « naturelle » des organisations retourne autour de pratiques centralisatrices et de sécurisation des processus par l’exercice de contrôle sur les moyens et les résultats. Bibliographie : Bonhomme Y. et Midler C. (1999), Les outils de gestion en portefeuilles de projets dans la pharmacie, Annales de l’Ecole de Paris du management, 127-136. Bouchard, V. (2002), Méta-théorie de l’auto-organisation et développement de l’organisation, Rodolphe Durand eds., Developpement de l’organisation Nouveaux regards, Paris, Economica. Couillard J. et Navarre C. (1993), Quels sont les facteurs de succès des projets ? Faut-il plus d’organisation ? Plus d’outils ? Plus de communication ? Plus de planification ? Résultats d’une enquête menée à partir d’un échantillon de projets militaires canadiens, Gestion 2000, 2, 167-1190. Declerck R.P., Eymery P. et Crener M.A. (1980), Le management stratégique des projets, Paris, Editions Hommes et Techniques. Dubreil Y., Jolivet F. et Navarre C. (2003), Le club de Montréal a dit…(une conspiration pour la gestion par projets), compte rendu rédigé par Lucien Claes, Les Amis de l’Ecole de Paris du management, Séminaire vie des Affaires, juillet. Garel G. (2003), Le management de projet, Repères, Paris, La découverte. Hazebroucq J. M. et Badot O. (1996), Le management de Projet, Que sais-je ?, Paris, PUF. Jolivet F. (2003), Manager l’entreprise par projets, les métarègles du management par projet, vade-mecum, coll. Pratiques d’entreprises, Colombelles, Editions Management et Société. Jolivet F. et Navarre C. (1993), Grands projets, auto organisation, métarègles : vers de nouvelles formes de management des grands projets, Gestion 2000, 2, 191-200. Loilier T. et Tellier A. (2004), Comment peut-on se faire confiance sans se voir ? le cas du développement des logiciels libres, M@n@gement, 7(3) : 275-306. Mélèse J. 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