1er Congrès International en Management et Gestion des projets, Gatineau, (Québec), Canada, 2011 Les nouvelles frontières en management et gestion des projets 27 au 29 mai 2011 à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) Une approche intrapreneuriale pour une auto-organisation « cadrée » des projets complexes Geneviève Poulingue François Jolivet Membre du Club de Montréal EM Normandie Membre du Club de Montréal Conseil en Management Résumé Depuis 1990, une petite communauté de directeurs de grands projets et de chercheurs en gestion organise une capitalisation d’expériences de conduite de grands projets complexes. Elle favorise ainsi l’apprentissage du management de la complexité. En souvenir de ses conditions d’émergence, elle s’est auto-baptisée, Club de Montréal. Sans chercher à construire un modèle de pensée unique, les membres du Club de Montréal convergent vers des principes d’auto-organisation « cadrée » pour lesquels le protocole d’action conduit aux métarègles. Nous en étudions la portée dans des expériences managériales et leurs limites. Mots clés : complexité, auto-organisation, projet, métarègles. Abstract Since 1990, a small community of directors of major projects and researchers in management organizes a capitalization of experiences managing large complex projects. It promotes the learning of management complexity. In memory of his conditions of emergence, it was selfbaptized Club de Montréal. Without trying to build a single model of thinking, members of the Club de Montréal converge on the principles of self-organization “framed” for which the memorandum of action leads to metarules. We are looking into the scope managerial experiences and their limitations. Key words: complexity, self-organization, project, Meta rules. [Tapez un texte] Introduction : Capitalisation d’expériences sur des projets complexes dans un club d’intrapreneurs Le Club de Montréal, communauté de pratique franco-canadienne composée de 24 membres réunissant des directeurs de grands projets et des chercheurs en gestion, partage depuis plus de 20 ans des expériences managériales de pilotage de grands projets. Le résultat de cette capitalisation d’expériences n’a pas abouti à un collectif exprimant une réflexion réifiée une fois pour toute. Il met en avant une capacité à questionner le terrain professionnel et à dégager des réflexions s’éloignant de l’alignement consensuel. Il n’en demeure pas moins qu’un ensemble d’analyses sur les retours d’expériences des praticiens du Club convergent vers des principes d’auto-organisation « cadrée ». Ce Club qui a été qualifié de communauté de pratique lors d’une recherche doctorale a donc permis un apprentissage social entre directeurs de projets devant gérer dans la plupart des cas des projets innovants et complexes. Il ressort de ces expériences conceptualisées dans cet exercice de partage d’expériences que, de façon contre-intuitive, le management de projet complexe conduit à l’adoption d’un management déléguant davantage de responsabilités aux acteurs du terrain plutôt qu’à la centralisation de la prise de décision et de l’organisation même du projet. Le « cadrage » organisationnel ne se fait pas de façon anarchique mais bien en mettant en place un système imposant aux acteurs du projet de construire leurs propres règles. Une marge de manœuvre est accordée aux acteurs afin de les responsabiliser et de les rendre conscients des enjeux. La déclaration peut satisfaire tout le monde mais il reste à fixer le mode opératoire. La démarche est de préparer à l’autonomie et à une prise de conscience de la complexité. Il en résulte que le précepte de « métarègle » a été adopté par les membres de la communauté, voire approprié de façon singulière par chacun. Leur importation vient des pratiques pionnières de François Jolivet, ancien directeur de projets dans le BTP et plus précisément directeur du projet de construction 2 [Tapez un texte] du tunnel sous la Manche. Le précepte fut baptisé « métarègle » par Christian Navarre†, ami proche de François Jolivet, tous deux membres de la communauté à sa création en 1990. Ce précepte apparaît adapté au système managérial préconisant l’auto-organisation tel que le décrit François Jolivet comme suit en le structurant en 5 thèmes : METAREGLES (Organisation) 1) Un projet = un chef de projet désigné par la direction générale, doté de pouvoirs explicités 2) Une équipe multifonctionnelle choisie en accord avec le chef de projet 3) Des partenaires dès la conception : clients, réalisateurs, fournisseurs, exploitants 4) Une articulation métiers/projet ad’hoc : personnel détaché ou dédié, carrières, développement des compétences 5) Une tutelle et des revues de projet : soutien et dialogue plutôt que contrôle METAREGLES (processus de développement du projet) Un objectif ambitieux adapté au marché validé dans la phase amont, accepté par le chef de projet, approuvé par la direction générale 6) Un plan d’action établi par le chef de projet : procédé, ressources, programme 7) Une validation amont des points critiques : gestion dynamique des risques, expertise 8) Un nombre limité d’étapes clés définies avec DG et Directions métiers 9) Des prévisions à fin de projet et à intervalles réguliers : re-prévision technique, coûts, délais. METAREGLES (processus de gestion) 10) Un système de gestion des coûts/ affectation comptable des dépenses 11) Une structuration de l’ingénierie/ étapes, documents, diffusion, archivage 3 [Tapez un texte] 12) Un système de maîtrise de la qualité spécifique au projet, modulable 13) Un découpage physique des responsabilités par sous-projet (grands projets) 14) Application aux fournisseurs critiques avec les degrés de liberté nécessaires METAREGLES (comportements) 15) Un état d’esprit constructif des professionnels au service du projet, une forte rigueur personnelle 16) Un espace de communication : maquettes, visuels, information, fêtes 17) Une communication forte en temps réel, basée sur la transparence, un réseau de messagerie 18) Un comportement exemplaire des leaders : je fais confiance, je reconnais mes erreurs 19) Et beaucoup d’humilité devant la réalité du projet !! Source : courrier de François Jolivet aux ex-Présidents (titres donnés aux membres de la communauté en fidélité au mouvement DADA), 1997 20ème métarègle : « Vie des métarègles = Les métarègles ci-dessus sont explicitées dans un référentiel adapté à l’activité de l’entreprise. L’application des métarègles est auditée. La tutelle et le chef de projet décident des actions correctives qu’ils estiment nécessaires. La direction de l’entreprise fait évoluer les métarègles autant que de besoin » (Jolivet, 2003). Les métarègles conduisent également à des boucles de régulation autonomes. La discussion engagée dans cet article propose d’examiner les conditions de mise en œuvre et les limites des métarègles dans le développement de projets complexes. Après avoir évoqué l’approche méthodologique, une première partie définira le management de la complexité et l’auto-organisation afin de cerner l’intérêt du management de projet dans ce contexte, abordé dans une deuxième partie. Trois cas viennent ensuite illustrer la discussion engagée avec 4 [Tapez un texte] l’adoption des métarègles pour les deux premiers et une projection de transposition pour le troisième. Ces expériences permettent de dégager des pistes de réflexion dans un dernier paragraphe. Méthodologie Notre méthodologie de recherche s’appuie sur celle mobilisée lors de la recherche doctorale évoquée qui consiste en une importation de la méthode historique aux sciences de gestion. A partir d’archives et d’entretiens recueillis pour la rédaction de la thèse « Historiographie d’une communauté d’experts en management de projet : le Club de Montréal », la méthodologie a permis une étude du processus de construction de la communauté tout en abordant une étude du « contenu » de la communauté. Le cadre conceptuel de ces travaux s’appuie sur les systèmes complexes, les métathéories de l’auto-organisation et le management de projet. Elle est également complétée par l’approfondissement de trois cas issus de la littérature et dont un, celui du projet de la construction du tunnel sous la Manche en 1989, est exposé directement par son directeur de projet (membre du Club de Montréal et co-auteur de la communication). Celui de la Twingo prend ses références dans des interviews avec son directeur de projet, Yves Dubreil (membre du Club de Montréal), et l’auteur, Christophe Midler (membre du Club de Montréal), qui a conceptualisé la conduite de ce projet dans un ouvrage « l’Auto qui n’existait pas – Management des projets et transformation de l’entreprise » (1993). Le cas Linux est emprunté à la littérature par les contributions de Michel Ferrary et Pascal Vidal (2004). L’analyse des cas s’opèrent au travers d’une typologie des tentatives des métathéories de l’auto-organisation proposée par Bouchard (2002). 5 [Tapez un texte] II. Du management de projet à l’auto-organisation : apprendre la conscience de la complexité La tectonique des paradigmes confronte celui du monde classique portant la forte croyance de plus de trois siècles d’un monde rationnel avec celui de cette remise en cause apporté déjà dès le XXe siècle par les philosophes et scientifiques (Popper, Einstein, Khun, Morin, Prigogine, etc.) de l’acception de la complexité. La science est en avance sur les représentations humaines même si les pratiques sociales doivent se calquer sur un monde en mouvement. Il y a place à faire évoluer la compréhension des représentations du monde. La complexité qui renvoie à l’instabilité des systèmes et à l’incapacité de les maîtriser questionne l’intention de l’observateur qui pose son regard sur le monde. Le résultat est que la science admet la complexité du réel (Morin, 1990), et cela en avance des pratiques sociales. L’adoption de nouveaux concepts demandent une révolution mentale qui s’est engagée dans les dernières décennies du XXe siècle. Cependant quelques expériences pionnières dont celles que nous allons vous exposer doivent améliorer la compréhension de cette évolution. La complexité apparaît très liée aux mouvements provoquant désordre et incertitude. C’est le propre des systèmes complexes. Notre rationalité limitée (Simon, 1991) doit évoluer pour être plus appropriée à la lecture de cet environnement en mouvement. Des thèses constructivistes dont celle produite par l’école de Palo Alto (Bateson, 1977, 1981) partant du postulat que l’homme est doté d’une rationalité limitée, accordent néanmoins le pouvoir au sujet observateur de s’adapter à la réalité qu’il perçoit et de la modifier. Se pose très vite la question de l’intention. L’homme construit ses représentations autour d’une finalité. Il en va de même dans le monde des sciences (Morin, 1977 ; Serres, 1991). Cela renvoie à la responsabilité que l’homme a dans la construction de la réalité et à sa capacité à prendre 6 [Tapez un texte] conscience de ce rôle. Cette avancée ne peut se faire que si les représentations intègrent l’instabilité, l’incertitude, le hasard et le paradoxe (Genelot, 1992, p. 64). Mais alors comment appréhender la complexité ? On peut la qualifier mais la comprendre paraît impossible puisque le propre d’un système complexe est de ne pouvoir être maîtrisé à la différence d’un système compliqué dont on peut venir à bout en l’analysant avec du temps et de la méthode. Une réalité peut donc être complexe en soi, être perçue complexe par ailleurs et enfin produire des comportements en réponse à cette perception de la complexité. Donc appréhender la complexité c’est déjà l’admettre ! C’est accepter que des éléments ne peuvent être définis dans leur totalité. Cette posture est source d’ouverture d’esprit et de créativité car elle pousse à imaginer des possibles. Une entreprise peut être considérée comme un système complexe poursuivant des finalités différentes selon les acteurs qui l’animent. Elle a cependant besoin d’individus capables de développer une intelligibilité toujours plus grande pour son pilotage. Les intentions individuelles confrontées à l’objectif global de l’entreprise amènent à considérer le tout (l’entreprise) et ses parties (ses composantes). L’un n’excluant pas l’autre et repousse ainsi les démarches exclusivement globales ou exclusivement individuelles. (Morin, 1977 ; Le Moigne, 1990). Les interactions dans l’entreprise vont générer les mouvements qui peuvent être liés par un système causal linéaire, par rétroaction en fonction d‘une finalité ou par récursivité en s’autoproduisant. C’est ce phénomène de récursivité qui est la base de la production du système complexe comme l’est l’individu formé à l’école qui va lui-même façonner la société qui éventuellement réformera l’école, etc. La spirale est ainsi créée et ouvre les portes de l’auto-organisation de façon endogène et indépendante même si affectée par des éléments venant de l’extérieur dans des systèmes ouverts. Ce processus est typique de l’entreprise. L’individu qui travaille dans une entreprise évolue et s’autoproduit. Cette auto production peut s’opérer dans des systèmes ouverts ou fermés. Elle reste toujours 7 [Tapez un texte] imprévisible. La complexité est donc chargée d’incertitude, source de risques mais aussi d’opportunités à saisir. L’accepter permet une prise de conscience de la difficulté à appréhender l’environnement et celle à prendre les « meilleurs » décisions. A ce stade, l’ignorance est de ne pas savoir que l’on ne sait pas. Edgar Morin vient enrichir la compréhension de la complexité avec le principe dialogique propre au système complexe qui admet la coexistence de logiques très différentes. Là encore, par exemple réunir l’écologie et l’économique n’est pas toujours apparu évident. L’entreprise est animée de logiques liées à des activités apparemment opposées qui ont à se réconcilier : comptables, commerciales, de sécurité, de management des hommes etc. Cela a toujours existé mais l’ordre qui est établi avec la spécialisation des tâches et le degré le plus poussé du management scientifique du travail a créé un sentiment de stabilité qui pouvait faire oublier la diversité des logiques et des représentations. Dans ce schéma, le système de représentation du dirigeant est d’ailleurs déterminant pour les orientations de développement de l’entreprise. Il influencera le futur bien davantage que les outils rationalisant la prise de décision. Le système de représentation singulier de chaque personne va donc calibrer la réalité et pouvoir la transformer (Le Moigne, 1984). Néanmoins, chaque époque produit de grands courants de pensée dominants qui influence largement la société (Kuhn, 1962). Le système de représentation des individus est également conditionné par un contexte (souvent social, organisationnel, cognitif et psychologique). Il est également modelé par les intentions propres des individus qui filtrent ainsi la réalité à travers leurs prismes d’intérêts. C’est une démarche réflexive qui tentera d’identifier ces trois composantes filtrant son système de représentation, certes toujours partielle, d’un système complexe. Projeter cette démarche dans la vie de l’entreprise ne doit pas amener à l’incapacité de ses acteurs à prendre des décisions mais bien au contraire dans certains cas à savoir 8 [Tapez un texte] simplifier sans s’amputer des éléments indissociables ou encore dans d’autres cas à complexifier afin d’intégrer des aspects peu visibles. La démarche apporte prise de conscience et lucidité des limites des actions sans conduire à l’immobilisme. Il s’agit là de la mise en œuvre d’une pensée systémique qui s’applique à plusieurs niveaux et conduit à l’autoorganisation en cherchant à établir des équilibres temporaires. Les systèmes complexes (Mélèse, 1972) définissent différents paliers d’apprentissage de l’auto organisation : autonomie opératoire, autonomie de processus, autonomie organisationnelle, autonomie téléonomique. L’auto-organisation est un phénomène d’abord étudié dans les sciences du vivant démontrant que certains systèmes ont la capacité d’évoluer vers des systèmes encore plus complexes sans aucune programmation ou intervention extérieure (Prigogine et Stengers, 1979 ; Kauffman, 1995). Sans rentrer dans le détail de ces approches théoriques, il est intéressant de comprendre que plus ces systèmes vont s’éloigner d’un état d’équilibre, plus ils peuvent évoluer vers un grand nombre d’états cela en raison d’un enchevêtrement de boucles de rétroaction positives et négatives. Une métaphore couramment utilisée est celle du battement d’ailes de papillon qui modifie à des milliers de kilomètres des éléments (Bouchard, 2002, p.166). Ces boucles de rétroaction sont à l’origine de l’apparition d’un phénomène d’auto-organisation et traduisent l’interconnexion des composants d’un système. Plusieurs approches s’intéressent aux processus autorégulateurs. La transposition de ces processus aux systèmes humains conduit donc rapidement aux auteurs qui traitent de la complexité des systèmes d’activités humaines. La complexité apporte avec elle des occasions de progrès sources de conséquences multiples et non maîtrisées. Ces évolutions demandent des capacités réflexives des hommes vers un savoir penser complexe ! Le monde n’apparaît plus binaire entre ordre et désordre. Il est en mutation et cela de façon non contrôlée (Genelot, 1992, p. 23). 9 L’entreprise est [Tapez un texte] complètement enchâssée dans cet environnement complexe tant au niveau technique, qu’économique ou social. Il lui faut s’adapter en permanence et survivre dans des paysages changeants. Le management de projet représente un mode organisationnel adapté à ces contraintes. Il permet concrètement des passations de pouvoirs, de responsabilités et de contrôle de la direction de l’entreprise au profit souvent d’un collectif plus opérationnel soumis à une évaluation directe de sa contribution et de sa performance. La visibilité des actions à engager est sensée s’améliorer avec la connaissance des problématiques du terrain sous réserve d’avoir été informé ou d’avoir participé à la définition de la finalité du système. Il est important de comprendre que nos actes dépendent directement de nos représentations. Se recentrer sur ses intentions et les enjeux du système restent incontournables. C’est ainsi que nous construisons la réalité et que nous orientons notre futur. « Le système est organisé parce qu’il est organisant » (Genelot, 1992). Avec les processus auto-correcteurs, le système doit bénéficier de marges d’autonomie afin d’assurer de nouveaux fonctionnements assurant sa raison d’être. Aidé d’une représentation systémique qui a cerné intentions personnelles et finalités globales, l’acteur peut poser ses actes pour construire une réalité souhaitée. L’enjeu global et sa déclinaison à des niveaux inférieurs doit fédérer les projets individuels en les transformant en projet collectif. L’entreprise vit cet enjeu en permanence en devant résoudre des problèmes sans cesse renouvelés. La régulation de l’entreprise dotée de son projet ne peut plus se réaliser de façon mécanique. Elle doit permettre des interactions adaptées entre ses acteurs et envers les acteurs des autres communautés. La régulation du système ne peut plus se faire de façon centralisée et programmée de façon définitive mais au contraire grâce à des synergies des composantes. Celles-ci gardent leurs dynamiques propres. « L’organisation doit adopter une méta-vision qui lui permette de comprendre et d’articuler toutes les logiques en présence, et ceci dans trois champs principaux : 10 [Tapez un texte] - Celui des personnes, pour faire fonctionner ensemble la diversité des logiques individuelles et la logique générale de l’entreprise, - Celui des différentes logiques opérationnelles (technique, sociale, commerciale, financière, etc.) qu’il faut arbitrer et mettre en cohérence, - Celui des niveaux de préoccupation : l’opératoire, le prévisionnel, le stratégique, le prospectif, pour les hiérarchiser et les mettre en interaction » (Genelot, 1992). La hiérarchie des fonctions est donc requise pour coordonner les actions dans l’entreprise. En revanche elle n’impose pas la hiérarchie des hommes. Le niveau hiérarchique d’une fonction est établi selon sa capacité à comprendre en amont une variété d’évènements. La responsabilité hiérarchique (plus que l’autorité) correspond à la capacité de contrôler ces variétés. Ce sont là des marges d’autonomie à l’origine des conditions de l’auto-organisation. Cette autonomie globale donne la possibilité de transformer les incertitudes en opportunités. Le désordre peut être vécu comme une occasion d’innovation. Les acteurs agissant dotés d’une autonomie représentent les régulateurs des désordres à traverser. Il s’agit là d’un système qui facilite la prise de conscience des acteurs sur leurs intentions et leur capacité d’interprétation en favorisant les apprentissages. L’organisation par projet ouvre la voie à une mise en œuvre de telles démarches (Navarre et Jolivet, 1993) en créant des plateformes de confrontation des représentations des acteurs projet, en décloisonnant les services et les activités, en accordant de l’autonomie à l’équipe projet qui poursuit une finalité partagée. Le degré d’autonomie et en conséquence la capacité à s’auto-organiser apparaissent centraux. Nous vous proposons d’explorer un mode organisationnel qui peut s’adapter aux systèmes complexes et ainsi approfondir la conceptualisation du management de projet. 11 [Tapez un texte] Le management par projet Le management par projet se présente comme une réponse à la complexité par sa dimension temporaire et par sa capacité à fédérer autour d’une finalité. L’équipe projet connaît souvent des évolutions en fonction de la vie du projet avec une configuration variable en termes de taille et de compétences réunies. La constitution du groupe se forme à partir d’une diversité métiers. Les hiérarchies de fonction demeurent mais la hiérarchie d’autorité ne se retrouve pas de la même façon dans une organisation transversale. Enfin dans la plupart des cas, le management par projet confère une marge de manœuvre importante à l’équipe projet qui peut ainsi éviter des situations de blocage ou mieux saisir des opportunités. Cette espace d’interactions va se développer en s’auto-organisant sous la responsabilité d’un directeur de projet expérimenté. Management de projet intrapreneurial Métarègle Le directeur de projet agit comme un entrepreneur. + Degré d’incertitude et ambiguïté (projet complexe) Management de projet Le directeur de projet gagne de l’autonomie. Gestion de projet, outils de planification Le directeur de projet est un gestionnaire. Autonomie des acteurs projet (chef de projet expérimenté) + Les apports sur la conceptualisation du management de projet (Declerck et al., 1980) distinguent les opérations répétitives des projets pilotant des commandes uniques et manageant l’inconnu. Le projet se définit comme une organisation temporaire coordonnant des activités et des ressources poursuivant une réalisation finale. Le projet est par essence une organisation unique pour une commande singulière. 12 [Tapez un texte] Le management de projet ne bénéficie pas toujours d’une reconnaissance en tant que champ académique à part entière (Royer, 2005). Garel (2003) en dresse son histoire comme d’abord une pratique et seulement ensuite une avancée vers une conceptualisation. Des revues de littérature permettent également d’identifier les grandes avancées des travaux de conceptualisation sur les projets (Söderlund, 2004). Parallèlement, le champ de la pratique professionnelle l’a largement adopté comme outil de gestion mais aussi comme type organisationnel. Il y a là deux réalités bien distinctes de pratiques professionnelles. La première revêt un aspect technique, la deuxième répond à un modèle de coordination et de management. Le projet n’appartient pas qu’aux sciences de gestion. Il a acquis une place omniprésente dans la société civile et professionnelle. Des disciplines comme l’anthropologie (Boutinet, 1993) ou la sociologie ont étudié le concept en élargissant la compréhension du phénomène (Courpasson, 2000). Par ailleurs, l’approche sociologique du management de projet dénonce également les conceptions idéales et « sublimantes » telles que décrites par le management de projet mécaniste et intrapreneurial. Courpasson (2000) souligne la première fonction du projet qui est politique : assurer le contrôle des individus par les pairs et par eux-mêmes en tant qu’acteur impliqué dans l’avenir de l’organisation. Le projet est dans cette analyse un levier de l’organisation bureaucratique. Le projet a d’abord gagné une reconnaissance empirique. Bien avant qu’il ne soit défini comme modèle de gestion, le projet était pratiqué, selon des principes d’essais-erreurs, corrigés au fur et à mesure des réalisations. La deuxième partie du XXe siècle verra se propager un mode d’organisation qui permet la réalisation, au mieux et au plus vite, d’une conception unique. Même si à partir des années 1930, grâce aux commandes publiques, la 13 [Tapez un texte] gestion de projet se rationalise, par obligation des décisions à prendre en amont, ce n’est qu’à partir des années 1950 que la gestion de projet, en raison de projets d’ingénierie, s’approprie des outils de gestion et des pratiques, montrés comme instruments de la gestion de « projet » basé sur la planification et l’ordonnancement. A partir de la fin des années 1960, des associations professionnelles vont s’organiser et diffuser leurs bonnes pratiques comme le PMI, le Project Management Institute aux EtatsUnis. Les différences sectorielles sont considérées alors comme moins importantes que l’activité fédératrice de la gestion de projets. De cette activité est issue une nouvelle catégorie d’acteurs économiques très distincts des autres : les acteurs projet. La dominante technicienne demeure aujourd’hui et de nombreux outils et méthodes sont proposés en modèle de gestion : WBS (Work Breakdown Structure ou décomposition du projet en lots dans un organigramme technique), méthode de planification (PERT, Program Evaluation Review Technic ou méthode des coûts…). Sur le plan conceptuel, c’est d’abord Toffler (1971) qui annonce les changements organisationnels avec l’apparition de ce qu’il appelle l’adhocratie comme « monde inconnu, sans forme fixe, d’organisations mouvantes ». Mintzberg (1983) reprend le concept et propose au-delà de sa structure matricielle qui s’appuie sur une double hiérarchie de l’équipe projet (métier et projet), une structure adhocratique où le mode de coordination dominant est l’ajustement mutuel propre à l’auto-organisation. La jeune histoire de la recherche en management de projet a provoqué une évolution de la terminologie utilisée dans le champ étudié : partant de la gestion de projet (courant mécaniste), en passant par le management de (des, par) projet (courant entrepreneurial et 14 [Tapez un texte] intrapreneurial). Enfin, comme le propose l’école gestionnaire scandinave aujourd’hui, une recherche sur l’écologie des projets dépasserait la dimension managériale du projet qui demeure une organisation temporaire en introduisant la complexité des interactions humaines dans leurs environnements comme éléments déterminants. S’inscrivant dans cette évolution, un bouquet de directeurs de grands projets et protagonistes du courant intrapreneurial a commencé à se réunir depuis 1990. Ils se sont baptisés Club de Montréal, communauté de pratique telle définie par Wenger (1998), doté d’une histoire commune et partageant un projet d’apprentissage. L’apprentissage social occupe une place centrale aussi bien au niveau de la communauté qu’au travers des expériences projet. La notion de l’auto-organisation apparaît très vite dans les réflexions développées au sein de la communauté. Les membres de la communauté ont bénéficié des conceptualisations des chercheurs de la communauté : Navarre (1993) et Midler (1993) tous deux membres de la communauté, importent une réflexion très intrapreneuriale du management de projet conférant une grande autonomie au directeur de grands projets et à son équipe multi métiers. Navarre a participé au développement d’un paradigme alternatif au paradigme mécaniste de la gestion de projet (Navarre, Ecosip, 1993, pp. X-X) ainsi présentée : Systèmes Paradigme dominant Tendances observées vers des formes ultra performantes de management de projets (école intrapreneuriale) Définitions Les tâches sont effectuées une à la fois par les personnes et les conflits de programmation sont éliminés par hiérarchisation des activités et/ou définition des Les tâches sont effectuées par les personnes, simultanément. Les conflits sont traités en parallèle, par négociation directe et gestion dynamique des interfaces. Le parallélisme organisationnel 15 [Tapez un texte] priorités. Le parallélisme des activités (standardisation, synchronisation) est le résultat de l’effort de l’organisation, notamment de l’ordonnancement. Les interfaces sont statiques. La culture est monochrone. vient de ce que les individus sont « parallèles à l’intérieur d’eux ». La culture est polychrone. Règles de découpage du Découpage en tâches et activités. La planification du projet découpage est pensée par rapport à l’objet (organigramme technique). Découpage en « biens livrables ». La planification du découpage est pensée en territoires et en sous-projets. La Direction Le Directeur de projet coordonne, arbitre et administre le projet. Chef de projet « conception légère » à pouvoirs limités. Le Directeur de projet est un entrepreneur et un pilote. Chef de projet « conception lourde » à pouvoirs étendus. Base du management La conduite d’ensemble du projet est opérée à travers un PERT. Conception par étapes. (métaphore : la mécanique bien huilée), La conduite d’ensemble est opérée à travers un système de communication. Conception par concourance. (métaphore biologique). (métaphore de la course de relais). (métaphore de l’équipe de rugby) Règles et procédures détaillées. Définition détaillée et exhaustive des objectifs, des tâches et des activités qui en découlent, coordination par des plans, des procédures, discipline pour tous. Directives globales détaillées par vagues et niveaux, métarègles, processus invariants « instanciés » souplement. Liberté, création, énergie, défi, résultat. Base du fonctionnement Vision Gestion d’un projet. Gestion de portefeuilles de projets et de portefeuilles de méthodes. Les participants sont isolés dans leur sphère et leur Les participants disposent à tout moment de l’intégralité 16 [Tapez un texte] spécialisation. Leur horizon se limite à la suite d’activités qui leur a été assignée. Ils n’ont pas de vue d’ensemble (modèle de communication de l’émetteur –récepteur). des informations (métaphore de l’hologramme). Ils ont une vision d’ensemble. Définition exhaustive des territoires et liberté pour tous à l’intérieur, négociation intelligente aux interfaces. Style de planification La planification en une seule fois au début du projet (one shot) est essentiellement récurrente et déduite des objectifs. Planification par vagues successives (horizontales dans le temps et verticales à l’intérieur de l’organisation) de précision croissante. Gestion des écarts Les écarts par rapport aux plans de référence (baseline) sont imputés à des déficiences reliées à la mauvaise qualité de la définition des objectifs, à une mauvaise planification de départ ou à l’incapacité de contrôler l’ampleur. Les comportements sont réactifs. Le projet est réajusté en permanence par l’aval dans ses objectifs et dans son ampleur. Ceci implique des systèmes très sophistiqués de «redesign» rapide pour retarder le plus tard possible le gel des plans. Les comportements sont proactifs. Contrôle de la conduite du Contrôle par l’amont et par rapport au plan de référence projet (baseline). Pilotage par l’aval et par rapport au « reste à faire ». Les équipes Equipes matricielles temporaires ou permanentes de spécialistes. Equipes multidisciplinaires, multifonctionnelles dédiées et intégrées. Les équipes sont en position de défi. Statut de la vitesse La durée de réalisation = f(précision de la planification, volume de ressources, des objectifs). Pour des volumes donnés de ressources la durée est incompressible. Par rapport au plan de référence la vitesse = f(de l’accroissement des ressources). La durée = f(du management, qualité des ressources humaines, des systèmes de communication). La vitesse est associée aux équipes légères et à la réduction de volumes de ressources. 17 Donc vitesse = économies, productivité et baisse des coûts de conception et de [Tapez un texte] Donc vitesse = coût additionnel. L’efficience est plus importante que l’efficacité. développement. L’efficacité est plus importante que l’efficience. Vers des formes ultra performantes de management de projets : comparaison et caractéristiques. (Adapté de C. Navarre, 1992) Le précepte de métarègle est un élément pivot (Navarre et Jolivet, 1993) et de façon contreintuitive prescrit un mode opératoire simplifié pour des projets complexes en s’appuyant sur la capacité auto-organisatrice des équipes projet pour construire leurs propres règles de fonctionnement. Midler appréhende les difficultés de pilotage des projets et les traduit entre autres dans le schéma intitulé la dynamique des projets. La dynamique du projet (Midler, 1993, p. 98) Degrés de libertés Degrés de connaissances Temps Des contributions conceptuelles d’autres membres de la communauté sont venues enrichir les réflexions (Badot et Hazebroucq, 1996 ; Garel, 2003 ; Jolivet, 2003) toujours confrontées aux pratiques des professionnels du Club et intégrant le précepte de métarègle. Hazebroucq et Badot développent l’effet surgénérateur grâce aux apprentissages successifs des acteurs projet et à leur irradiation cognitive au sein d’une organisation. La gestion de portefeuille de projets inter ou intra-entreprises va introduire un niveau de complexité supérieur au sein des 18 [Tapez un texte] organisations. Avec l’aide d’une équipe de recherche du CRG (centre de recherche de gestion de l’Ecole Polytechnique) deux membres du Club ont étudié l’incertitude et la complexité des développements cliniques dans l’industrie du médicament (Bonhomme et Midler, 1999). Il s’agissait de travailler sur la gestion des portefeuilles de projet assisté d’un diagramme représentant les projets selon des critères de coûts et de chiffres d’affaires potentiels. L’outil introduit des biais d’interprétation par son système visuel mais reste source d’apprentissage en tant que support de communication telle une plateforme d’un portefeuille de projets soumis à des alliances possibles, des accélérations de développement ou encore à un arrêt. L’outil n’est pas une aide à la prise de la bonne décision mais plutôt un dispositif à construire « une compétence collective face à l’instruction de problèmes complexes » (Bonhomme et Midler, 1999). Yves Bonhomme, à cette époque, Directeur Général de Lipha (entreprise pharmaceutique appartenant au groupe Merck) a créé une école interne de management de projet où la pratique des métarègles faisait partie des enseignements fondamentaux. En amont, la phase d’avant-projet joue un rôle déterminant et donne place à l’autonomie nécessaire pour développer les projets. Elle correspond à ce temps où le degré de connaissances est faible et où le degré de liberté est fort (Midler, 93, 95, 2003). Les membres du Club de Montréal, ont contribué au développement des systèmes de management de leurs entreprises, cela au moins passagèrement. Nous proposons de relire deux expériences « projet » des praticiens du Club où une forte autonomie est accordée aux équipes-projet. Dans un troisième cas nous tenterons de transposer le précepte de métarègle aux organisations virtuelles comme Linux. 19 [Tapez un texte] II. Les métarègles à l’épreuve d’expériences managériales Comment dix entreprises françaises et britanniques se sont organisées pour les études et la construction du tunnel sous la Manche ? Selon François Jolivet, ancien directeur du projet côté français : « Construire le tunnel sous la Manche nécessitait de relever de nombreux défis : - rendre le projet crédible, tant aux yeux de l’opinion publique 1 , qu’à ceux des gouvernements, techniciens et financiers, - créer une communauté d’action entre 2 gouvernements, 10 ministères, 10 grandes entreprises, 220 banques, des milliers de petits actionnaires, sous le leadership du futur exploitant - concessionnaire à créer (Eurotunnel), - opérer dans un environnement incertain (pas de cadre législatif ni de normes européennes), - surmonter des obstacles techniques hors du commun (forer à des cadences jamais atteintes dans un terrain fracturé, communiquant avec le fond de la mer), - concevoir et réaliser un système de transport unique au monde (faire passer dans un même tunnel à la fois le trafic d’une autoroute via des navettes ferroviaires, celui de trains à grande vitesse européens et de trains de marchandises), 1 Plus de 60 % des britanniques étaient opposés initialement au projet 20 [Tapez un texte] - réaliser le projet en mode accéléré (fast track), compte tenu du financement privé (8 ans au lieu de 14 ans, pour les projets publics qui ne supportent pas de charges d’intérêt), - définir des règles de sécurité, sans pour cela, avoir l’expérience d’ouvrages similaires (plus de 15 000 personnes peuvent voyager simultanément dans un tunnel long de 50 km), - assembler les compétences de 10 entreprises de construction (5 françaises, 5 britanniques), habituellement concurrentes, - intégrer les compétences techniques (forage, aérodynamique, électricité, ventilation, désenfumage, refroidissement, télécommunication, signalisation numérique, traction ferroviaire, échange rail- route, etc.) dans un espace confiné, sans les points de repère d’un ouvrage similaire, - intégrer les compétences humaines françaises et britanniques des entreprises, sans leadership national. Pour les 10 entreprises françaises et britanniques chargées des études, de la construction et de l’équipement du tunnel, les choix organisationnels et de processus, les choix méthodologiques et humains ont été faits à partir de leurs expériences de conduite de grands projets clés en mains. 21 [Tapez un texte] Il fallut créer une société d’études et de construction commune, permettant de rassembler plus de 12 000 personnes 2 centrées sur un objectif commun. Cette société s’auto organisa, à partir de métarègles en fonction du contexte et des défis à relever. Grâce à cette auto organisation, la nouvelle entreprise pût passer d’un effectif initial de 30 personnes, à 1000 personnes la première année, puis 2 000, 4000, 8 000 et enfin 12 000 personnes la 5ème année, avec ensuite une décroissance encore plus rapide. L’organisation se développa par croissance biologique (subdivision cellulaire + auto organisation, la génétique étant constituée par la force d’attraction du projet commun et la cohérence des objectifs). De même, le processus de développement du projet fut spécifique. Il fallut intégrer au plus tôt les compétences des métiers et fournisseurs aval (électromécanique, ferroviaire, exploitation, maintenance) et lever le plus rapidement possible les risques majeurs. Les méthodologies et procédures concernant la construction, furent différenciées entre britanniques et français, la cohérence étant recherchée par les objectifs intermédiaires et les interfaces. La conception du système de transport et les choix des équipements furent par contre intégrés. En résumé, pour ce type de projet complexe et comportant une forte part d’inconnu et de risque, il est plus efficace de s’auto organiser autour du projet et d’intégrer les compétences que de répartir le travail dans des structures permanentes. Faut-il avoir pour cela, des repères d’auto organisation, issus de l’expérience ? Les métarègles remplirent ce rôle. L’efficacité de l’auto organisation, tient à sa capacité à intégrer : 2 dont 2 000 provenant des entreprises mères 22 [Tapez un texte] - les compétences - les décisions - les comportements - les egos des managers Cela permet d’aborder l’inconnu, avec une approche systémique (boucles de régulation, effet multiplicateur des performances individuelles). La cohésion au sommet du projet entre gouvernements, banques, commissions de sécurité, exploitant – concessionnaire et concepteur – constructeur fût par contre plus difficile à gérer du fait du fractionnement des responsabilités. Ce projet était trop gigantesque et trop singulier pour pouvoir être porté par un acteur unique ». Projet Twingo : l’auto qui n’existait pas ? A l’automne 1988, l’histoire des projets chez Renault va connaître une accélération sous l’impulsion de Raymond Lévy qui crée des directions projet. Il veut décloisonner, responsabiliser et amener les divisions fonctionnelles à travailler ensemble avec davantage de transparence. Parallèlement, l’entreprise finit de gérer de lourds problèmes sociaux. Elle entame également de façon toute prioritaire une démarche qualité dans les lignes de production (Raymond Lévy, interview 2008). Les changements devaient contribuer à modifier les pratiques de l’ingénierie qui permettraient à Renault de renégocier son image auprès de la clientèle. 23 [Tapez un texte] L’expérience de Raymond Lévy acquise dans l’industrie pétrolière fut déterminante pour ses choix chez Renault. Les grosses affaires dans son précédent domaine d’activités professionnelles étaient toujours dotées d’un patron responsable des résultats économiques et financiers. Alors, c’est avec étonnement qu’il découvrit que cela n’était pas le cas chez Renault. La construction d’une voiture qui représentait un budget important n’avait pas de patron ! La responsabilité était diluée et ne permettait pas d’optimiser les résultats. Raymond Savoye et Yves Dubreil furent les premiers directeurs de projet nommé par Raymond Lévy. Il confia à Yves Dubreil le projet de développement de la Twingo et à Raymond Savoye celui de la Laguna. Des objections vinrent des services fonctionnels qui s’opposaient à l’organisation projet en matriciel : « comment un individu peut-il obéir à deux patrons à la fois ? » (Raymond Lévy, interview 2008). Raymond Lévy convaincu que non seulement c’était possible mais surtout qu’il ne voyait pas d’autres solutions, ne céda pas et fit écrire à Aimé Jardon, son directeur général adjoint la note décrétant la nouvelle organisation. Selon Raymond Lévy, la mauvaise communication semblait trop préoccupante entre les services de la conception, des études et de la fabrication. De cet engagement du Directeur Général restera en cas de conflit un arbitrage favorable comme le dit Raymond Lévy pour les directeurs de projet et les acteurs qualité : deux leviers essentiels à cette époque pour la survie de Renault. Le Technopôle de Guyancourt dont Raymond Lévy ne sera pas celui qui assurera la réception du bâtiment devait traduire ce décloisonnement souhaité, générateur d’échanges et d’innovations. Sa conviction était aussi que la voie hiérarchique était destructrice d’efficacité. Bien sûr, cela n’excluait pas les réunions d’entreprise où le maître d’œuvre rend compte au maître d’ouvrage. Le projet allait selon lui apporter la confrontation nécessaire pour générer une meilleure coordination et stopper les fausses projections réalisées en fonction des anticipations sur les autres services 24 [Tapez un texte] cultivant le secret ou parfois le mensonge ou encore repousser un consensus mou. Le directeur de l’organisation Renault de l’époque, Antoine de Vaugelas, témoigne de sa participation à la mise en place des grands principes pour la conduite des programmes dans le début des années 1990 chez Renault : « J’ai joué un rôle particulire en tant que directeur de l’organisation. On m’a demandé indirectement de faire les tables de la loi. Parce qu’entre les idées qu’avaient les directeurs de projet et les idées qu’avaient les directeurs des fonctions à l’intérieur de Renault qui était organisé par grands silos, vous imaginez ce qui pouvait se passer ! Tout le monde était très à l’aise parce qu’il y avait aucune règle écrite. Donc moi j’ai été le rédacteur, le négociateur avec chacune des fonctions : les achats, l’ingénierie, la fabrication. Il fallait faire le tour de piste. Donc à partir d’un premier texte qu’on a sorti à Montréal : c’était 5 règles qui tenaient en 1 page. Nous devions arriver à un texte qui tenait en une quinzaine de pages définissant les règles de conduite de projet chez Renault. Pour tenir à des principes que l’on a appelé métarègles ou grands principes qui permettent de conduire un projet automobile et de ne pas essayer de rentrer dans un niveau de détails qui fait qu’à la fin cela devient purement juridique et une bataille juridique entre les programmes et les fonctions pour expliquer que le programme ne va pas bien » (A. de Vaugelas, interview 2007). Emanant de la direction de l’organisation de Renault le 14 octobre 1992, les prémices des règles de management de projet étaient adressées à l’ensemble des directions. Les principes clés de la directive arrivent dès la deuxième page et soulignent l’autonomie et le niveau de responsabilité du Directeur de Projet dans cette nouvelle organisation. Cinq principes-clés conditionnent l’efficacité, la dynamique et la réactivité du système : 25 [Tapez un texte] - Un responsable unique, le Directeur de Projet, nommé par le Président Directeur Général de Renault. Il assure la cohérence de la réalisation de l’ensemble du projet et rapporte à la Direction Générale à travers le Directeur Plan-Produit-Projet. - Une équipe projet constituée du Directeur de Projet, des Chefs de Projet Métier, d’un Assistant Economique, d’un Ingénieur Produit, d’un Chef de Projet Planning Général et d’un Ingénieur Animation Qualité. Les membres de l’équipe sont dédiés à 100% au projet. - Une organisation évolutive, en fonction de la phase de développement concernée, pour assurer en permanence la meilleure adéquation entre les objectifs du projet et les ressources nécessaires à leur atteinte, en favorisant l’efficacité collective et la motivation individuelle, tout en respectant le présent corps de règles. - Un découpage du projet en sous-ensembles et Groupes Fonction type, caractérisés en Qualité, Coût, Délai et pilotés chacun par un responsable unique dédié à 100% qui s’appuie sur un groupe rassemblant des responsables Etudes, Méthodes, Achats, Economique et Fabrication (interne et/ou externe). La définition et la répartition des interfaces entre Sousensembles sont spécifiques à chaque projet. - Des espaces spécifiques réservés au projet seront localisés en fonction des phases du projet : plateau de conception ou mini-plateaux par centre d’intérêt si possible rapprochés, espace de communication. Ils devront : accueillir les Chefs de Projet Métier, les acteurs du projet et les activités les plus interactives, constituer un lieu privilégié de communication interne (multidirectionnel) et externe (présence des fournisseurs), avec ses propres indicateurs et maquettes. 26 [Tapez un texte] Les résultats se sont matérialisés dans la réussite commerciale de la Twingo qui vit se succéder plusieurs générations du véhicule. Aujourd’hui, une automobile est un produit encore plus complexe avec entre autres les projets de véhicules électriques qui transforment les constructeurs de voitures en acteur responsable de la société allant même jusqu’à influencer les règlements de copropriété pour anticiper les contraintes de stockage et de recharge des batteries. L’activité sort de la sphère purement industrielle et demande des connaissances très étendues dans le développement des projets. De façon encore plus éloignée, le développement de logiciel libre apporte des enseignements sur des modèles collaboratifs pour des projets informatiques. C’est le troisième cas que nous abordons et que nous questionnons sur une éventuelle transposition de l’usage des métarègles. Linux : une communauté de logiciel « libre » plus qu’une équipe projet L’industrie du logiciel informatique est fortement concentrée et laisse toujours la part belle à Microsoft avec des parts de marché voisinant 90% en 2011. Le développement des logiciels rencontre une complexité croissante. Cependant les années 2000 ont vu la montée en puissance d’acteurs de « l’open source » ou autrement dit l’accès à des services numériques « libres ». Libre ne veut pas dire forcément gratuit même si cela peut être le cas mais principalement d’accès libre dans l’utilisation et le développement. La philosophie de l’open source mobilise la participation de bénévoles qui remettent en cause les pratiques managériales des organisations marchandes. Linux est un de ces acteurs du logiciel libre (principalement pour le système d’exploitation) qui se maintient, voire augmente, tous les ans sa part de marché (en termes d’utilisateurs). Ferrary et Vidal (2004) ont exploré les pratiques de gestion de Linux et ont dégagé quelques unes de ses conduites : 27 [Tapez un texte] Le modèle économique fonctionne depuis près de vingt ans maintenant avec une phase d’accélération dès les premières années. Les produits sont reconnus par les entreprises et même par certaines institutions comme la Gendarmerie française qui a adopté Linux en 2008. Cette réussite ne relève pas d’une planification stratégique mais de la collaboration d’une communauté auto-organisée. Les développeurs des logiciels ne sont pas des salariés, mais des bénévoles. Il n’est pas prévu dans ce modèle de budgets de développement dédiés aux projets et aux équipes de développeurs à la différence des développements de logiciels dans l’industrie du logiciel. Les modèles classiques très centralisés supportent des coûts de coordination très élevés entre l’ensemble des développeurs. Leurs processus de production de logiciels s’étale en quatre temps : planification / analyse / conception / implémentation (avec test du code et son débogage). Linux remet en question cette organisation principalement grâce à un mode de travail collaboratif sur internet. Il organise une production collective de logiciels en cumulant un temps humain bien supérieur à celui des propriétaires de logiciels « classiques ». Existe-t-il un ordre établi dans ces contributions individuelles pour un développement collectif ? La communauté Linux présente un mode organisationnel à partir de plusieurs principes : le développement des logiciels est permanent, les mises à jour sont très fréquentes par les développeurs et parallèlement à la version en expérimentation coexiste une version stabilisée à l’usage. L’addiction des développeurs-utilisateurs n’est donc jamais contrariée. Dans cette organisation, les co-développeurs apportent rapidement des solutions aux problèmes rencontrés grâce à leurs pratiques répétitives. La population des contributeurs est donc composée d’un grand nombre d’utilisateurs et de développeurs-utilisateurs. 28 [Tapez un texte] Il existe également une réification des pratiques auto-organisée chez Linux : n’importe quel individu doté de compétences de programmation peut de sa propre initiative développer un module d’un logiciel Linux. Personne ne sera là pour lui dicter les activités à réaliser. Il y a donc une priorité accordée aux initiatives locales. Cependant des règles (métarègle ?) sont fixées en amont : pour être associé à un développement d’un module, un développeur doit faire ses preuves auprès de la communauté dont le responsable du module validera la contribution préalablement. Le responsable de la communauté va émerger en fonction de ses compétences et selon le principe de base que le développeur qui a pris en charge le développement d’un module en garde la responsabilité. La standardisation se fait donc sur les compétences. Une petite équipe d’individus fortement impliqués coordonnent les contributions des programmeurs volontaires. La récompense de tous ses engagements s’exprime principalement en termes de reconnaissance et de notoriété au sein de la communauté mais aussi en dehors dans le milieu professionnel de l’informatique. Le nombre d’offres d’emplois où un développeur Linux demandé en témoigne. En démontrant son engagement et sa notoriété au sein de la communauté, un développeur renforcera ses chances de recrutement. Même le module terminé, le développeur qui en a la charge conserve cette responsabilité pour les années à venir. Là, s’arrête la décentralisation car l’intégration finale s’opère par le fondateur de Linux. Si ce dernier considère le travail insuffisant, il l’ouvrira à la concurrence en interne et le soumettra à d’autres programmeurs. Il va ainsi de soi que chaque contribution cherche à être la meilleure qui soit et ce mode de fonctionnement évite les détournements d’information puisque le système de récompense se construit sur la notoriété. Au-delà de ces interconnexions virtuelles beaucoup des membres de la communauté virtuelle tentent de se rencontrer et de physiquement s’identifier. Cela participe au capital de confiance et de 29 [Tapez un texte] réputation des individus. Linux est donc une méritocratie développant une forte identité de la communauté Linux. Cela produit une hiérarchisation qui produit elle-même une motivation d’engagement au sein de la communauté. Linux sans être déclarée comme une entreprise classique est dotée d’une culture d’efficacité productive. C’est une communauté qui a ses codes d’appartenance, son vocabulaire, son histoire, ses rites, ses héros mais aussi ses rejets. Linux nous enseigne que le lien électronique peut être source d’une relation sociale qui se construit et voire peut devenir pérenne. La nouvelle génération semble développer ces aptitudes sans difficultés. Ce modèle auto-organisé a bien lui aussi produit ses propres règles de coordination accordant une autonomie opératoire aux développeurs utilisateurs. L’autonomie accordée n’implique pas de responsabilités financières directes puisque le modèle économique rejette le modèle marchand et s’appuie sur le bénévolat. En même temps, suite à ces phases de développement de logiciels libres, s’ouvre un marché de l’édition très orienté où les entreprises tiennent compte des besoins de standardisation. Là encore, l’articulation du marchand et du non marchand dévoile l’évolution de ce type d’activités. Les métarègles : des résultats probants et pourtant… Les deux premiers grands projets (Tunnel sous la Manche et Twingo) montrent la validité d’une auto-organisation « cadrée » aidée de métarègles. François Jolivet en analyse la force et les limites : « le développement par auto organisation des projets complexes et incertains, a fait ses preuves dans de nombreux domaines (grandes infrastructures, création et développement de nouveaux produits ou services, recherche, partenariats industriels etc). Aujourd’hui, il se heurte encore au paradigme dominant du vingtième siècle, qui conduit les entreprises à avoir recours à un découpage des 30 [Tapez un texte] responsabilités par fonctions et non par objets (produits, projets). Le chef d’entreprise ne veut pas, à l’occasion d’un projet, démettre les chefs de services fonctionnels de leurs prérogatives (décisions, budget, maîtrise du personnel, méthodologies) et n’a pas d’autre choix que de répartir le travail dans les services grâce à la planification. Ceci explique, l’essor au vingtième siècle des méthodologies de planification et de coordination Désormais, du fait de la turbulence et de la variété de l’environnement, les entreprises pratiquant la bureaucratie fonctionnelle disparaîtront au profit d’entreprises où l’esprit pionnier domine (management entrepreneurial). Les grandes entreprises devront avoir recours au management systémique (métarègles et boucles de régulation), pour faire face à l’inconnu et prendre en compte la variété des situations ». Ce type de management semble s’apparenter à une «auto-organisation conditionnée» où l’aspect identitaire joue un rôle régulateur essentiel ainsi que le niveau dense d’informations (Bouchard, 2002). Chez Renault, les 5 points clés de la directive pour la mise en place du management de projet ressemblent étonnamment aux 5 métarègles formalisées par les membres du Club de Montréal. L’autonomie accordée au Directeur de projet, l’acteur d’influence évoqué dans l’ouvrage de Christophe Midler « L’auto qui n’existait pas », dépeint le profil intrapreneur du directeur de projet surtout à cette époque où Renault vivait une révolution managériale. Nous retrouvons là les caractéristiques d’une « auto-organisation négociée » (Bouchard, 2002) par des individus capables de se créer des marges de liberté et répondant au besoin de « déviance » face à l’alignement organisationnel. Raymond H. Lévy évoque très clairement ce besoin de trouver des individus pouvant endosser de fortes responsabilités et dotés d’une personnalité influente. Par ailleurs, il reconnaît ce besoin de créer du désordre « organisé ». L’expérience Renault peut être aussi catégorisée comme une « auto-organisation provoquée » 31 [Tapez un texte] (Bouchard, 2002) par la direction. Les deux aspects ne sont pas contradictoires et correspondent à cette histoire qui identifia des champions, les directeurs de projet, capables d’autonomie et de confrontations pour faire face aux changements hiérarchiques qui devaient désorganiser pendant quelques temps l’entreprise Renault, tout cela dans un sentiment d’urgence pour sauver le projet et l’entreprise. Par ailleurs, face à une montée de l’individualisme, le phénomène communautaire créateur d’identité se manifeste fortement au XXIe siècle comme le montre l’expérience Linux et s’appuie sur des activités auto organisées. Le cas Linux apparaît correspondre à une «autoorganisation conditionnée» (Bouchard, 2002) où la dimension identitaire domine et agit comme un élément de coordination. Une hiérarchie de fonction en termes de validité des développements se place en parallèle à l’autonomie accordée aux acteurs locaux. Le niveau d’information est élevé et permanent. Le réseau informel correspond à des échanges d’information très denses. Dans les organisations virtuelles, l’adoption de règles institutionnalisées par les utilisateursdéveloppeurs est implicite. Ils agissent beaucoup moins en tant qu’acteurs projet engagés et identifiés en tant que tels qu’en tant que membres d’une communauté avec son système de reconnaissance et d’appartenance. La métarègle concerne principalement les conditions de cooptation, de responsabilité de développement et de l’évaluation du développement qui peut toujours être remis en question. Au-delà de ces rites de passage, l’autonomie de développement est accordée dans une coopération de travail-usage. Dans ce cas, le terme « module » semble se substituer à celui de « projet » où le chef de projet se transformerait en responsable désigné par la communauté et initiateur du développement du module. C’est celui qui sera le porteur de la solution trouvée jusqu’au pied du fondateur Linux, dernier 32 [Tapez un texte] décisionnaire dans la chaîne de validation des logiciels. Après cette étape, ce responsable restera associé nominativement au module développé. Le reste de la communauté contributrice repart dans l’anonymat et sa taille aura connu des modifications au cours de la vie du développement. L’auto-organisation se déroule donc autour de leaders et de règles de base de fonctionnement. Les risques d’opportunisme et de déviance sont très limités en raison du coût de réputation associé aux écarts de comportement. Ce modèle communautaire présage-t-il des formes organisationnelles du XXIe siècle adaptées aux systèmes complexes où l’accélération de la production de connaissances demande une montée en puissance du travail collaboratif ? Des signaux forts apparaissent et pourrait laisser penser qu’elles se répandent. Mais force est de constater que la tendance naturelle des entreprises est de maintenir un contrôle sur l’ensemble des activités au risque de reprendre l’autonomie accordée passagèrement. Les entreprises recherchent l’ordre et sont désemparées face au désordre. Or la complexité de l’environnement installe un désordre quasi permanent. Dans un mouvement de panique, les organisations cherchent à stopper les mouvements et propagent souvent des mesures d’alignement proches de pulsions mortifères (Enriquez, 1992). Notre recherche met à l’épreuve l’efficacité d’un style de management favorisant l’autoorganisation. La tendance « naturelle » des organisations conduit aux pratiques centralisatrices et de sécurisation des processus par l’exercice de contrôle sur les moyens et les résultats. L’organisation est le lieu des rapports de force quotidiens, des luttes implicites et explicites des stratégies des acteurs. Les structures organisationnelles, au-delà d’assurer des résultats performants, ont aussi à lutter contre leurs propres angoisses fondamentales : peur de l’imprévu, peur de pulsions de destruction, peur de l’inconnu, peur des autres, peur de la parole libre, peur de la pensée (Enriquez, 1992). 33 [Tapez un texte] Conclusion : à la recherche d’expériences pérennes d’apprentissage de la complexité Malgré la démonstration de l’efficacité des systèmes auto-organisés, il est difficile de citer des expériences pérennes. Le BTP et Renault n’ont pas toujours prolongé l’adoption des métarègles. Christian Navarre, en compagnie d’Yves Dubreil et de François Jolivet, membres praticiens du Club, à l’occasion d’une présentation du Club de Montréal en 2003 à l’école de Paris du management, en exprimait sa déception : « puisque nous avons identifié un petit nombre de règles permettant de développer les projets beaucoup plus rapidement et pour beaucoup moins cher, elles devraient être largement mises en pratique ; or non seulement la diffusion en est très lente, mais on voit même des organisations régresser dans leur mise en œuvre après en avoir tiré profit, comme s’il n’y avait pas de mémoire, pas de capitalisation. Somme toute, le bilan est assez mitigé entre d’un côté des réussites indiscutables, et d’un autre le sentiment d’avoir assez vite frappé les limites face à l’inertie de la pensée unique ». S’il n’y a pas de capitalisation organisationnelle, il doit y avoir des stimulations et des apprentissages permanents afin d’encourager des comportements capables de gérer la complexité et donc de rendre les individus conscients de l’appréhender et avant tout de l’accepter. Le Club de Montréal, né en avril 1990, a montré d’une certaine façon cette aptitude depuis plus de vingt ans en entraînant ses membres à la pensée subversive comme ils le disent eux-mêmes. Le doute subversif et la critique positive y sont pratiqués avec l’aide de l’humilité et de l’humour. Le Club correspond à un lieu d’apprentissage collectif francocanadien entre pairs en management de projet. Bien évidemment, la confiance entre les membres en est une condition : confiance d’intention et confiance de compétences. Parmi les valeurs implicites du Club de Montréal, figure celle de l’humilité face à l’action : « même 34 [Tapez un texte] ceux d’entre nous qui n’ont pas été réellement actifs dans la conduite de projets savent que la confrontation à la réalité a de quoi rendre extrêmement humble » (Dubreil, 2003). Bien évidemment, ce type d’expérience communautaire ne prétend pas se répéter à l’identique mais peut livrer des enseignements sur l’intérêt d’une communauté de pratique non structurée et pérenne. Cette communauté a toujours refusé d’adopter un statut associatif avec une distribution de rôles et une gestion de budget. Chaque membre peut se transformer en animateur et solliciter l’aide des autres membres face à un problème. La communication se fait souvent assistée de métaphores et de dessins. C’est ainsi que nous finissons notre propos avec le commentaire d’Yves Dubreil (2003) : « Nous nous étonnons nous-mêmes d’un fantasme partagé par les membres du club autour du vélo, à qui nous réservons une bonne place dans nos images, au sens propre comme au sens figuré, par exemple voici une règle : « on est incapable de descendre de vélo pour se regarder pédaler». 35 [Tapez un texte] Bibliographie : Bateson, G. (1977), Vers une écologie de l’esprit, Paris, Seuil. Bateson, G. eds. (1981), La nouvelle communication, Paris, Seuil. Bonhomme, Y. et Midler, C. (1999), Les outils de gestion en portefeuilles de projets dans la pharmacie, Annales de l’Ecole de Paris du management, 127-136. Bouchard, V. (2002), Méta-théorie de l’auto-organisation et développement de l’organisation, Durand, R. (eds.), Développement de l’organisation Nouveaux regards, Paris, Economica. Boutinet, J.P. (1993), Anthropologie du projet, Paris, PUF. Couillard, J. et Navarre, C. 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