Les rouages des crises financières L`économie mondiale connaît

Les rouages des crises financières
L'économie mondiale connaît depuis le début des années 70 une multiplication des crises financières,
dont la dernière en date a trouvé son origine sur le marché des crédits hypothécaires aux Etats-Unis. Cette
multiplication des crises a suscité de nombreux travaux théoriques et statistiques de la part des écono-
mistes. Ces études mettent en évidence que leur origine est liée à un nombre réduit de mécanismes.
Trois mécanismes à l'œuvre
Le premier est spécifique aux marchés financiers, qui sont des "marchés de promesses": nul ne sait ce que
sera demain le "bon niveau" d'un taux d'intérêt, d'un taux de change ou du cours d'une action. Cette incer-
titude engendre une grande variabilité des paris effectués par les intervenants des marchés financiers, qui
préfèrent généralement suivre la tendance générale et avoir tort avec les autres plutôt que raison tout
seuls. Ces supputations sur l'avenir font quelquefois l'objet de réajustements brutaux, que caractérise
l'alternance de phases d'optimisme et de pessimisme, sans aucune garantie de convergence des taux de
change ou du cours d'une action vers une valeur fondamentale , elle-même largement indéterminée.
Un second mécanisme concerne le caractère procyclique de la prise de risque de la part des acteurs ban-
caires et financiers: ces derniers ont tendance à prendre d'autant plus de risques que la conjoncture est
bonne et d'autant moins lorsque les perspectives sont défavorables. Ainsi, ils alimentent la croissance
quand celle-ci est dynamique et renforcent son plongeon quand les choses se gâtent, les banques pouvant
aller dans ce dernier cas jusqu'à rationner le crédit. Par leurs comportements, les acteurs financiers exer-
cent ainsi un effet déstabilisateur: ils ont tendance à amplifier les cycles économiques (on parle
d'"accélérateur financier" du cycle).
Un troisième mécanisme propage d'un marché à l'autre les déséquilibres apparus sur l'un d'entre eux. Ses
effets dépendent de la plus ou moins grande facilité d'accès au crédit donnée à ceux qui achètent des ac-
tifs. Par exemple, si les ménages peuvent emprunter aisément pour acheter leur maison ou des actions, ils
contribuent à faire monter le prix de l'immobilier ou de la Bourse, hausse dont ils peuvent se targuer au-
près de leur banquier pour emprunter plus et de nouveau investir, etc. Les différents marchés se trouvent
ainsi liés, et une crise sur l'un d'entre eux entraîne une crise sur les autres: par exemple, un effondrement
de l'immobilier provoque des difficultés à rembourser ses emprunts et une crise bancaire, comme cela
s'est produit l'été dernier, provoquant même une faillite bancaire, celle de Northern Rock, au Royaume-
Uni.
Ce processus de contagion prend désormais une dimension internationale. La mondialisation s'est tra-
duite par une interdépendance accrue des marchés financiers, qui favorise la diffusion des emballements
spéculatifs entre des pays qui peuvent être fort distants les uns des autres, mais qui sont reliés par l'arbi-
trage des agents financiers. De plus, les données historiques et empiriques suggèrent que ces emballe-
ments spéculatifs sont aggravés par le comportement mimétique des acteurs financiers, la perte de mé-
moire des précédents épisodes de crise, ou encore une excessive confiance en ses propres choix par rap-
port à ceux des autres acteurs du marché, sans oublier l'aveuglement face au désastre à venir caractéris-
tiques des périodes spéculatives qui précèdent les crises.
Les innovations au centre des crises
L'histoire montre que les crises financières sont souvent la conséquence d'innovations affectant l'écono-
mie réelle et la finance elle-même. L'évolution du capitalisme apparaît ainsi ponctuée par des vagues
d'innovations conduisant à des phases d'instabilité et de crises financières, comme l'a bien montré Joseph
A. Schumpeter. Les vagues technologiques ont notamment souvent été ponctuées de crises financières,
comme l'illustrent les travaux de Charles Kindleberger. De ce point de vue, le krach Internet de 2000 aux
Etats-Unis peut être comparé aux crises boursières qui ont accompagné le développement des chemins de
fer au milieu du XIX esiècle.
Les innovations financières sont également source d'instabilité, car elles ont des effets ambivalents (voir
schéma). Ainsi la titrisation, qui consiste à transformer un crédit en un titre de dette, une obligation, que
tout investisseur peut acheter ou vendre à tout moment, est un instrument extrêmement efficace de pro-
tection contre les risques en permettant de les diffuser sur les marchés. Mais cette technique, tel un Misti-
gri qui fait circuler les risques de mains en mains, a également pour effet d'opacifier les risques; plus per-
sonne ne sait qui détient vraiment des crédits risqués et à quelle hauteur. C'est ce mécanisme qui est au
coeur de la crise financière de l'été 2007: les crédits hypothécaires à hauts risques (subprime) américains
ont été vendus à des investisseurs et à des banques à l'échelle internationale. La valeur de ces créances
s'est effondrée avec la crise immobilière américaine, ce qui a mis en difficulté leurs détenteurs, provo-
quant une crise de confiance.
Dans la période contemporaine, la libéralisation financière a joué ce rôle d'innovation majeure qui a trans-
formé en profondeur les comportements et les systèmes financiers. Cette innovation a conduit à une plus
grande mobilité des capitaux à l'échelle internationale, ce qui a favorisé l'accélération du processus de
globalisation financière. Il est aujourd'hui admis, y compris par ses promoteurs, notamment le Fonds mo-
nétaire international (FMI), que la libéralisation financière est à l'origine de la répétition des crises dans le
monde, et que cette innovation a eu plus d'inconvénients que d'avantages pour les pays en développe-
ment. Ces pays ont été exposés à des nouvelles formes de risques et d'instabilité, auxquels ils n'étaient pas
préparés (à la différence des pays les plus avancés), ce qui a souvent perturbé leur développement.
Le rôle décisif du système bancaire dans l'ampleur des crises
La gravité des crises tient au degré de concentration/dispersion des risques et au degré de résistance du
système bancaire. On constate, en effet, que les crises financières sont d'autant plus graves que tous les
risques tendent à se concentrer sur les banques, alors qu'elles sont au centre de la continuité du système
des paiements et des relations de crédit. Ainsi s'explique la volonté des banques centrales de prêter lar-
gement aux banques lors de la crise de l'été dernier, afin de rapidement rétablir la confiance entre acteurs
financiers et sauvegarder le bon fonctionnement du financement des économies. Ainsi s'explique égale-
ment le fait que le Japon ait connu une grave baisse des prix et de l'activité dans les années 90, à la suite de
l'éclatement d'une bulle spéculative: les banques avaient pratiqué une sous-estimation systématique des
risques qu'elles étaient les seules à porter. Inversement, les banques américaines n'avaient été que fai-
blement affectées par l'éclatement de la bulle Internet au début des années 2000: elles ont su gérer leurs
risques et en reporter une large partie vers d'autres agents économiques, comme les assureurs ou les
investisseurs financiers, qui acceptent d'acheter une partie des risques pris par les banques.
Dans les pays nouvellement ouverts à la finance internationale, souvent qualifiés de "marchés émergents",
les désordres financiers les plus graves ont été marqués par des "crises jumelles", un effondrement simul-
tané du taux de change et du système bancaire. Les agents et surtout les banques des pays en développe-
ment deviennent, en effet, très vulnérables dès lors qu'ils s'endettent sur les marchés internationaux. Leur
dette étant libellée en monnaie étrangère (en dollars, le plus souvent), elles sont soumises aux variations
des taux de change qui peuvent aggraver brutalement le coût de leur dette. Ainsi s'expliquent les nom-
breuses faillites bancaires enregistrées dans les pays émergents. Ces crises jumelles ont un coût social et
économique considérable, pouvant s'élever jusqu'à 50 % du produit intérieur brut (PIB), comme en Indo-
nésie après 1997.
Crise financière : un cercle vicieux
Une innovation importante, comme la libéralisation des mouvements de capitaux, incite les acteurs finan-
ciers à prendre des risques pour en profiter. En période d'euphorie, le crédit bancaire vient financer les
placements spéculatifs sur les différents marchés auxquels, par mimétisme, participent tous les interve-
nants. Une bulle se forme alors, qui accroît la fragilité de l'économie et finit par un krach, que seule une
intervention énergique, et souvent coûteuse, de l'Etat peut endiguer. Une fois la confiance revenue, un
nouveau cycle peut commencer.
Dominique Plihon, Mario Dehove et Robert Boyer Alternatives Economiques Hors Série La finance dé-
cembre 2007
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