26 octobre 1929 : « Ce qui semble avoir réconforté notre marché, c'est l'orage qui a secoué assez forte-
ment Wall Street hier... Maintenant que l'abcès de Wall Street est crevé, on peut envisager l'avenir immé-
diat sous de plus agréables couleurs », cela pendant que plusieurs indices annonçaient un recul marqué de
l'activité. Ainsi, la valeur moyenne des exportations s'effondrait de 1 833 francs en 1926 à 1 256 francs en
1929. De même, les exportations d'automobiles chutaient de 3,8 milliards en 1926 à 2,3 milliards en 1929,
avant le krach d'octobre. Celles de l'industrie textile baissaient pour la même période de 15 milliards de
francs à 12,6 milliards. L'industrie de la soie, qui était la première branche exportatrice, voyait son activité
reculer de 23,9 % entre le deuxième trimestre 1928 et le troisième trimestre de 1929. Autant d'indica-
teurs d'un retournement de conjoncture antérieur à la crise américaine, à laquelle il est trop facile d'impu-
ter la responsabilité du désastre qui allait suivre.
En mai 1931, la faillite de la Kreditanstalt de Vienne, la plus grande banque d'Autriche, fragilisée par la
division de l'Autriche-Hongrie et l'hyper-inflation des années 20, provoqua une panique qui se propagea
dans les pays danubiens, en Pologne et en Allemagne, où la Danatbank fait également faillite en juillet. Le
21 septembre 1931, la Grande-Bretagne, qui avait beaucoup prêté à l'Allemagne, doit dévaluer, provo-
quant une vaste crise des changes et des échanges dans le monde. A la suite du Royaume-Uni, 14 pays
dévaluent avant la fin de l'année 1931, du Danemark au Canada, de l'Egypte à la Bolivie, de la Norvège à la
Suède, de la Finlande au Portugal.
Comment les Etats-Unis auraient-ils pu échapper à cette tempête ? La chronologie fine répond une nou-
velle fois à cette question. C'est bien entre la mi-1931 et la mi-1932 que la production industrielle améri-
caine chute lourdement, que l'indice du cours des actions s'effondre et que le chômage passe de 8,7 % de
la population active à près de 25 %. C'est 1932 qui a été l'année tragique aux Etats-Unis, pas 1929. Et c'est
cette année de forte crise qui assura, comme en 2008, la victoire du candidat démocrate (avec 43,1 %
d'abstentions). Tout juste investi, Franklin Roosevelt annonce, dès le 10 mars 1933, qu'il va réduire les
dépenses publiques pour mettre le budget fédéral à l'équilibre et torpille, en juillet 1933, la conférence de
Londres dont le but était de remédier à la désorganisation du commerce international et d'endiguer la
marée montante du protectionnisme.
A partir de cette date, chaque pays va jouer sa partition pour lutter contre la crise. A ce jeu, ce fut l'Angle-
terre qui s'en sortit le mieux. En dévaluant avant tous les autres, elle s'attribua un avantage comparatif
décisif. Le PIB par habitant, qui s'élevait à 5 138 dollars (de 1990) en 1931, monta à 6 266 dollars en 1938,
une hausse de près de 22 % qui contraste avec celle de 5,5 % seulement enregistrée dans les années 20.
De 1920 à 1930, on avait construit un million et demi de maisons. On en construisit 2 700 000 dans les
années 30. Ce fut aussi l'Allemagne... nazie qui, en lançant une politique « keynésienne » de grands travaux
publics et surtout d'armement tout en pratiquant une politique d'argent bon marché, permit au PIB par
habitant d'augmenter de 48,5 % de 1931 à 1938, alors qu'il n'avait augmenté que de 41,2 % au cours des
années 20, et de retrouver le plein-emploi ! Un modèle de politique de relance keynésienne qui ne mérite
guère de faire école.
Les Etats-Unis, en revanche, malgré le New Deal, n'avaient toujours pas retrouvé en 1938 le PIB par habi-
tant de 1929. A cette date, il s'élevait à 6 899 dollars (de 1990). Il plafonnait à 6 126 en 1938. Le déficit du
budget fédéral était passé de 20,9 milliards de dollars en 1933 à 43 milliards, et le pays comptait toujours
9 millions de chômeurs, soit 17 % de la population active. Autant de chiffres qui invitent à ne pas accorder
au New Deal les vertus que lui prête aujourd'hui la pensée unique.
Ce fut enfin la France, désespérément accrochée à sa politique du franc fort, comme dans les années 90,
qui fut lourdement déclassée. En 1929, ses exportations représentaient 6 % des exportations mondiales et
12,2 % des exportations européennes. En 1937, elles n'en représentaient plus respectivement que 3,7 %
et 5 %. A cette date, ses exportations industrielles ne représentaient plus que 32,3 % de celles de la
Grande-Bretagne au lieu de 50,5 % en 1929. En 1938, le PIB par habitant (4 466 dollars de 1990) était,
comme aux Etats-Unis, inférieur à celui de 1929 (4 710). Enfin, si le chômage recensé apparaît modeste au
regard de celui enregistré en Allemagne, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, la dégradation du marché du
travail enregistrée dans les années 30 contrastait avec l'amélioration enregistrée dans les autres pays.
Comme celles des années 70-80, la crise des années 30 souligne le comportement « original » de l'écono-
mie française : relativement épargnée dans un premier temps, elle connaît dans les deux cas un chômage
élevé et durable. Vers 1938, le déclin de la France annonce finalement la déroute de 1940.
(…)
Jacques Marseille – Le Point – janvier 2009