2.2 L`image détournée

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Projet Personnel en Humanités
Juin 2004
Images et graphismes dans l'espace public :
de l'officiel à l'illégal
Etudiant : Romain PROTTI
Tuteur : Noël Podevigne
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Introduction ............................................................................................................................... 3
1. Définitions et historique .................................................................................................. 4
1.1
Définitions ................................................................................................................. 4
1.2
Terminologie des graffitis ....................................................................................... 4
Histoire du graffiti ................................................................................................................. 6
1.2.1
Préhistoire ......................................................................................................... 6
1.2.2
Le graffiti au XXème siècle ............................................................................ 6
2. De l'officiel à l'illégal ...................................................................................................... 10
2.1
Du texte vers l'image ............................................................................................. 10
2.1.1
Dans la publicité............................................................................................. 10
2.1.2
Dans la signalétique ...................................................................................... 12
2.2
L'image détournée ................................................................................................. 14
2.2.1
Le détournement de la publicité .................................................................. 14
2.2.2
Le slogan......................................................................................................... 14
2.2.3
Les rapports entre le pochoir, la publicité et la signalétique ................... 14
2.2.4
Les références à l'art ..................................................................................... 14
2.3
Le retour vers la galerie ........................................................................................ 16
3. Discussion....................................................................................................................... 18
Conclusion .............................................................................................................................. 19
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Introduction
Printemps 2003. L'envie me prend de photographier les noms des rues de Madrid.
Ce sont des azulejos, des carreaux de céramique peints. Ils représentent le nom de
la rue : un saint, la vie quotidienne, un écrivain illustre, etc.
Peu à peu j'entreprends de couvrir mon quartier, "el Barrio de las Letras". Beaucoup
de rues portent le nom d'écrivains (Cervantes, Quevedo, Lope de Vega). S'y trouve
aussi las huertas (les potagers), rue piétonne célèbre attirant les noctambules dans
ses nombreux bars. Les Saints ne manquent pas à l'appel : Santa Ana, Santa Maria,
San Sebastian.
En espagnol le mot azulejo signifie simplement carrelage ou carreau de salle de bain
(baldosa). Il n'existe pas de mot spécifique pour désigner ce qu'en français on
appellera azulejos. Cet éclairage linguistique donne l'importance accordée aux
azulejos de noms de rues : pour les espagnols rien n'est plus naturel et banal, de
vulgaires carreaux. Dans de nombreuses villes les noms des rues sont écrits et
illustrés sur des carreaux de céramique.
"Qu'il est bizarre le touriste à photographier ces choses si ordinaires!"
Trouver les azulejos introuvables, les ruelles cachées, les illustrations les plus
bizarres, m'offre de belles ballades dans Madrid. Arrêtant mes explorations au centre
historique où les rues sont toutes indiquées par des azulejos, je photographie
régulièrement, jusqu'à "épuiser" certains quartiers.
Lors de mes promenades d'autres images commencent à attirer mon attention. Entre
tags et expressions artistiques, les pochoirs sont à la mode à Madrid. C'est dans le
quartier populaire de Lavapiés, que l'on en voit le plus. Les façades des kasas
okupadas (maisons occupées, squats le plus souvent illégaux) sont couvertes de
graffitis.
Commence alors une autre collecte : un pochoir inconnu, un graffiti qui se répète des
dizaine de fois. Il faut lever la tête, prendre des ruelles qu'on ne prend jamais, sortir
de ses chemins quotidiens. Chercher au milieu d'un amas de tags, l'image différente,
celle qui raconte quelque chose.
Peu à peu ma quête glisse vers d'autres images : de l'officiel à l'illégal.
Avant de repartir en France fin juin, je fais les comptes : environ 300 photos
d'azulejos et autant de street art. La question se posait du rapport entre ces deux
formes graphiques présentes dans l'espace public.
A la suite de cette longue série de photos, je laissais moi aussi quelques images
dans les ruelles madrilènes.
Afin de situer le sujet je commencerai par présenter les différentes formes de graffiti.
Nous analyserons ensuite leurs rapports étroits et complexes avec les autres images
de l'espace public.
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1. Définitions et historique
1.1 Définitions
Le mot graffiti vient de l'italien graffito, ti, «dessin», dérivé de graffio, «coup de griffe,
égratignure», mais surtout «stylet», du latin graphium, «poinçon à écrire», emprunté
au grec grapheion se rattachant au verbe graphein, «écrire». L'idée d'écrire avec un
poinçon, par extension avec un objet agressif ou agressivement contre une surface
(un mur), est présente dans le terme.
Aujourd'hui on donne la définition suivante d'un graffiti : "inscription spontanée ou
clandestine dans un lieu public comportant en proportion variable des formes
abstraites, des idéogrammes ou pictogrammes et du texte."
Cette forme d'expression populaire, ou tout au moins non académique, peut utiliser
des textes de la littérature canonique et/ou des images de la conscience collective
(citation, clin d'oeil) et prétendre elle-même à un statut littéraire et/ou artistique,
souvent contesté, comme expression de protestation ou de libération.
[Cette définition est tirée du Dictionnaire International des Termes Littéraires.]
1.2 Terminologie des graffitis
GRAFFITI - dessin ou inscription griffonné sur différents supports (sur une surface
non officielle). C'est le terme global employé pour des expressions murales et illicites
(voir définition plus haut). On parle aussi d'expressions graffitiques.
TAG - En anglais, il signifie " insigne " ou "
étiquette ". C'est la forme la plus simple du
graffiti. Il s'agit d'une signature en une seule
couleur exécutée rapidement à la bombe. Il
existe sous la forme d'autocollant (sticker).
GRAFF (ou graphe) - dessin en couleur,
mural, plus élaboré et plus long à réaliser
que le tag. Il est composé de lettrages et
parfois de personnages.
FRESQUE (peinture murale extérieure) dessin sur une surface de plusieurs mètres
carrés et en couleurs, le plus souvent
réalisée en équipe de travail.
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GRAVURE (gravage ou gravitti) – tag réalisé à l'aide d'objets saillants (poinçon, clé,
clou) sur des surfaces vitrées (principalement du RER et du métro). La gravure
ajoute au tag une réponse au politique de répression : elle est ineffaçable.
POCHOIR - Il est réalisé grâce à une
plaque fine de carton ou d'aluminium. Le
dessin est découpé en négatif. Le
pochoir est ensuite appliqué à la bombe
ou parfois au pinceau. L'intérêt du
pochoir réside dans la possibilité de
reproduction identique et dans le niveau
de détail possible.
STREET ART (ou parfois Post-Graffiti) –
Ce terme regroupe les artistes de rue qui
utilisent l'affiche, le sticker, le pochoir,
mais aussi la peinture et les installations
dans l'espace urbain. Ils ont en commun que leurs travaux sont illégaux. Les buts
sont variés : comme celui du graffeur montrer un nom, ou dans le cas du street art
une image, d'autres ont des intentions plus politiques. La plupart veulent simplement
que leur art soit vu du public.
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Histoire du graffiti
1.2.1 Préhistoire
On pourrait considérer les peintures des grottes préhistoriques comme les premiers
graffitis. Or ces inscriptions murales ne reflétaient pas à l'époque le caractère
particulier du graffiti par opposition à d'autres formes d'expression traditionnelles.
C'est dans l'Antiquité que l'on place l'apparition des premiers graffitis. Il s'agissait
d'inscriptions tracées à la main par des passants sur des monuments, ou, comme à
Pompeï (le patrimoine historico-graffitique y est en effet assez important), par des
gladiateurs. Ces inscriptions peuvent être considérées comme de véritables
documents d'époque: elles ont permis de révéler certains détails historiques,
concernant notamment l'écriture et l'évolution de la langue, ainsi que les habitudes
de vie des Grecs ou des Romains.
1.2.2 Le graffiti au XXème siècle
Depuis la deuxième Guerre mondiale, avec la libéralisation des moeurs et
l'amélioration de la liberté d'expression, la présence des graffitis semblent s'être
accrue.
1.2.2.1 Mai 68
La révolution qui touche en mai 68 les universités – d'abord – puis le
monde ouvrier ensuite se déroule largement dans la rue. Pendant
cette période l'expression par les graffitis et les affiches est
omniprésente. Les slogans des manifestations et les revendications
sociales sont repris sur les murs des facultés.
L'ouvrage "Les murs ont la parole" compile alors ces écrits
contestataires, engagés, souvent humoristiques, mais toujours forts
de sens.
Interdit d'interdire. La liberté commence par une
interdiction : celle de nuire à la liberté d'autrui.
Sorbonne
Soyez réalistes demandez l'impossible.
Censier
Dessous les pavés c'est la plage…
Sorbonne
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1.2.2.2 Le graffiti moderne naît à New York
A New York, dans les années 1970, le mouvement graffitique gagne du terrain, et la
protestation devient revendication d'un art. Le métro et les murs de la ville accueillent
alors d'étranges signatures aux calligraphies indéchiffrables, les tags.
Peu à peu, quelques tagueurs sortent du métro pour entrer dans les galeries de
Soho. Keith Haring et Jean-Michel Basquiat deviennent des stars.
Chaque groupe a son style
comme chaque individu a
le sien, des messages se
transmettent. Nous
sommes en pleine guerre
des gangs. Chacun
marque son territoire. "Les
premiers tags répondaient
à cette logique
d’appropriation territoriale"
raconte le sociologue Alain
Milon, expert du street art.
Mais un problème est lié à
la reconnaissance : les
tags sont vécus comme
des dégradations dans la ville et les transports, dans les lieux publics. Dans les
années 80, le plan de nettoyage du métro coûte annuellement 52 millions de dollars
à la ville de New-York et quelques mille personnes sont employées pour nettoyer le
métro
Ne se focalisant plus sur New York, Mecque de l'avant-garde artistique, le
phénomène tag devient international en se répandant en Europe avec tous les
attributs d'une culture pour jeunes enracinés-déracinés des blocs des villes
modernes.
C'est en 1981 que pour la première fois la presse française évoque les Tags U.S. du
métro New-Yorkais. Le phénomène apparaît à Paris au début des années 80. Des
adolescents parisiens de milieux aisés faisant le va-et-vient New York / Paris ont
importé les tags sur les murs de la capitale.
Ils se répandent alors au Quartier latin, aux Halles et dans le Marais. Localisés
exclusivement sur Paris au départ, ils gagnent la banlieue et le mouvement atteint
son point culminant en 1990 pour toucher toute la France.
C'est une période faste qui s'ouvre pour les jeunes engagés dans la pratique : le
pochoir se développe, le graff est perçu comme un art décoratif, sera encouragé par
le Ministère de la Culture tant qu'il est légal, des expositions d'art de la rue ont lieu,
les pouvoirs publics sont tolérants ... jusqu'à une certaine limite. Les municipalités
s'organisent entre prévention et actions d'insertion des expressions graphiques et
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des acteurs dans le cadre urbain. Actions de développement social (ou
accompagnement social) soutenues par le Ministère de la Culture, c'est le temps du
réalisme politique. Mais la population se distancie du phénomène : les tags sont
perçus comme des nuisances relevant de l'agression dans certains quartiers
parisiens. Au niveau de la répression et de la condamnation des auteurs de tags, la
nouveau code pénal du 1er Mars 1994 est particulièrement sévère.
Au milieu des années 1980, le tag devient le graff. En clair, il gagne une certaine
dimension esthétique et artistique: Paris, sous les bombes, s'anime d'un florilège de
formes et de couleurs. «Les compositions, les lettrages deviennent de plus en plus
élaborés et exigent des croquis préparatoires. L'évolution concerne la forme et les
matières utilisées», explique Alain Milon.
Parallèlement, certains dessins accrochent
l'oeil. Des artistes sortent de l'ombre, sous
forme de personnages mystérieux et
reconnaissables entre mille. On aperçoit
Miss Tic derrière des silhouettes féminines
peintes au pochoir et signées d'une
maxime. Némo crayonne ses
bonshommes à chapeau noir. Jérôme
Mesnager leur invente des copains - des
hommes blancs. A cette époque, Claude
Costa esquisse ses premières pubs
détournées.
1.2.2.3 Le cas particulier du pochoir
Dans ce document nous nous intéresserons peu au tag et au graff, mais plutôt au
pochoir et à d'autres expressions récentes du street art. Ce document présente
surtout des pochoirs car c'est le style que j'ai le plus rencontré et sur lequel je me
suis attardé.
Le pochoir a une particularité : il est reproductible à l'identique un nombre de fois
pratiquement infini. Dans la pratique si le patron est en carton il va très rapidement
se détériorer. En revanche un motif réalisé au cutter dans une plaque d'aluminium
fine est, lui, très résistant.
Le travail de conception et de réalisation du pochoir ne suppose pas la même
rapidité d'exécution que le tag ou de graphe. Il permet un grand niveau de détail.
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Comme le tag, le pochoir a valeur
de signature : image reproduite à
l'identique des dizaines de fois.
Mais comme le graphe, il a aussi
un aspect très graphique : le
niveau de détail est grand. La taille
peut être aussi importante (1x2
mètres).
Le graff et le tag utilisent des
calligraphies complexes et sont
difficiles à décoder. Le pochoir
n'utilise pas les mêmes outils
graphiques pour communiquer. Il
fait appel des images préexistantes
d'origine diverses : la publicité, la télévision, la politique, l'art (peinture, cinéma).
Il sont la plupart du temps figuratifs. Ils utilisent les techniques de la publicité et de la
signalétique pour faire passer un message.
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2. De l'officiel à l'illégal
Nous allons voir les différents mouvements que la communication dans l'espace
public a connus.
Dans un premier temps nous analyserons la place grandissante de l'image dans les
expressions officielles de la rue. A travers l'histoire de la publicité nous entreverrons
une évolution plus générale de la communication visuelle.
Dans un second temps, nous verrons comment les expressions graffitiques ont
détourné et utilisé les techniques de la publicité et de la signalétique. Elles ont ainsi
créé de nouvelles formes d'expressions dans l'espace public, illégales cette fois-ci.
Enfin les artistes de la ville remarqués par les galeristes et les commissaires
d'expositions, ont quitté la rue. Leur art est venu s'enfermer dans des musées et a
donc été récupéré par les institutions.
2.1 Du texte vers l'image
2.1.1 Dans la publicité
L'affichage est apparu dès le XVIème siècle. Il n'était alors utilisé que pour annoncer
des décisions du roi. Jusqu'à la fin du XVIIIème les affiches sont apposées aux coins
des rues, aux portes des particuliers, ou aux Eglises.
Le formidable essor industriel du XIXè siècle, les débuts de la mécanisation,
l'organisation de la production ouvrent une ère nouvelle pour les affiches. La publicité
naît. Productivité et consommation, les deux critères de l'économie moderne, vont
transformer la société en "société de consommation". La multiplication de produits
nouveaux issus des progrès techniques, tels le cycle ou l'automobile naissante, la
masse de marchandises mises à disposition dans les premiers grands magasins,
«nouveaux temples» de la consommation, l'extension à tous de produits d'industrie
jusqu'alors dits de luxe, telle la mode, l'information déferlant, grâce à la liberté de la
presse, sur une population largement alphabétisée sont autant de facteurs de
mutation sociale.
C'est pendant cette période que l'affiche, bénéficiant du progrès des techniques
d'impression lithographique, se transforme pour devenir le premier des médias.
Parallèlement, pressentant l'importance sans cesse croissante de "la réclame", des
imprimeurs cherchent et innovent.
Avec l'apparition de la photo vers 1850, la publicité se modifie. Utilisant de plus en
plus l'image, le texte se raréfie et passe de l'informatif au slogan. L'image qui est au
départ se suffit à elle-même va prendre du sens. Elle devient utilitaire.
Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, animée par de grands courants artistiques cubisme, futurisme et plus tard surréalisme - l'affiche ne perd rien de sa force vitale.
Toutefois, une rupture marquée commence à se creuser entre l'Europe et les EtatsUnis. C'est outre-atlantique que l'urbanisme, le gigantisme et le développement de la
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théorie publicitaire créent une situation que l'Europe connaîtra trente ans plus tard.
Après la seconde guerre mondiale, dans le nouveau contexte économique, social et
culturel, une fois la vie du pays redevenue normale, l'affiche doit redéfinir sa fonction,
et revoir son langage graphique.
La peinture d'avant garde qui s'est engagée dans la voie de l'abstraction est
difficilement exploitable par la publicité. Un dessin simplifié, la priorité accordée à la
couleur, alliés à un humour bon enfant sont les principales caractéristiques de ces
affiches.
Mais le "gag visuel" et le "coup de poing" ne font pas l'unanimité des professionnels.
Déjà au début des années 50, les premiers signes de la future révolution sont là.
Certains publicitaires, forts en connaissances théoriques, se tournent vers l'exemple
américain : la publicité photographique.
La France est marquée de façon indélébile par le mouvement de révolte qui secoue
le pays en mai 68. Durant cette période de crise, la paralysie du pays est totale, celle
de l'information "normale" également : les journaux ne paraissent plus à cause des
grèves, la télévision et la radio, contrôlées par l'Etat ne diffusent qu'une information
filtrée. L'affiche va donc s'avérer le seul moyen de communication, d'information libre
et rapide. Elle retrouve une place privilégiée, en revenant à sa fonction première :
informer, le journal mural renaît. Illustrées d'un graphisme vigoureux, concentré,
dépouillé de tout artifice, de caricatures agressives, ne visant qu'à l'efficacité, elles
sont imprimées en sérigraphie, technique rapide et très souple.
Cette rupture va susciter chez les créatifs des agences et les graphistes une
réflexion qui s'illustre dans les années 70 de deux façons.
D'une part, la récupération pure et simple de la recette de mai 68, dont l'efficacité a
été prouvée : dépouillement et apparente économie de moyens pour des
campagnes.
En 1984, le même phénomène de récupération appliqué au graffiti se généralise. Les
fresques sauvages du métro new-yorkais disciplinées, adaptées à la publicité sont
rentabilisées (campagne de l'agence Ecom pour la RATP).
D'autre part, à l'opposé, une recherche de la sophistication orientée surtout vers
l'utilisation artistique de la photographie qui arrive à son apogée de perfection dans
les années 1980.
Toutefois, il faut distinguer plusieurs tendances :
• La création véritable, c'est à dire de grands photographes en travaillant pour la
publicité : Helmut Newton, Sarah Moon, Guy Bourdin, Jeanloup Sieff, créent
leur propre style, celui de la marque qu'ils valorisent.
• L'utilisation de la photographie en tant que moyen technique au service de
l'idée, entrant dans le processus de création.
• La photographie "documentaire" du produit : la machine à laver ou la perceuse
s'étalent sur 4 mètres de longueur et 3 de hauteur. Ce type d'affiche dans
laquelle la création est inexistante au niveau de l'idée, de sa réalisation, du
sens artistique, et à ce titre internationalement stéréotypée.
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2.1.2 Dans la signalétique
2.1.2.1 Petite histoire
La signalétique routière apparaît au début du 20ème siècle. L'essor de l'automobile
la rend indispensable. Elle permet de régler les problèmes liés à la circulation
urbaine : la prévention des risques et la régulation du trafic.
Elle utilise tout d'abord peu l'image. Les indications sont données par du texte.
Suivant un processus sociologique complexe, de même que dans la publicité, peu à
peu l'image remplace le texte.
L'internationalisation et la croissance
des échanges mondiaux poussent les
sociétés à adopter des codes
communs. Le pictogramme est l'unité
élémentaire pour la communication. Il
ne fait appel à aucune langue et tend
vers l'universel.
La signalétique ne se limite pas aux
routes et aux espaces ouverts. Elle est
aujourd'hui utilisée dans de nombreux
lieux publics fermés. Elle a un but
utilitaire bien sûr : indiquer les salles d'un musées, les services d'une administration.
Mais aussi et surtout, elle renforce l'identité d'un lieu. Les pictogrammes, les
typographies, les couleurs et les supports utilisés tendent à structurer un espacer, le
rendre harmonieux. C'est un travail aujourd'hui réalisé par des urbanistes,
architectes, designers et infographistes.
Les pictogrammes interviennent généralement comme éléments de navigation (site
internet, architecture, édition, etc.). Ils doivent être perçus rapidement et sans
ambiguïté. Sur eux reposent le confort de lecture, d’utilisation.
2.1.2.2 Les noms des rues
D'une façon générale, les noms des rues se sont fixés au terme d'un processus
souvent très long de décantation. En effet, pendant des siècles, chaque habitant a
désigné sa rue selon sa perception personnelle de " l'environnement ". Peu à peu les
notaires et les conseils municipaux ont donné aux rues leur nom actuel.
Ce sont de véritables lieux de mémoire que ces noms de rues attachés à leur
environnement. Les rues ont été marquées par la présence historique. Souvent leur
nom a changé, au gré des événements, des rois, des habitants. Le nom (et ses
racines) signifie au lieu son occupation. Il est socialement défini. La rue est alors le
territoire de la représentation d'une ville harmonisée dans ces parties les plus
diverses
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2.1.2.3 Un cas particulier de signalétique : les azulejos à Madrid
Il est très difficile de trouver des
informations sur la signalétique des
noms des rues à Madrid. Le nom des
rues est un des sujets abordés par les
historiens de la ville, mais pas leur
représentation imagée.
Ces azulejos sont modernes, ils ont été
installés à Madrid il y a 50 ans. Ils ont
été peints par Jaciento Alcántara,
directeur de l'Ecole de Céramique
Municipale et Nationale.
Au départ très peu de rues avaient des azulejos. Les services de la ville continuent
actuellement à remplacer les plaques bleues de métal par des carreaux peints. Ils ne
sont présents que dans le centre historique de la ville. C'est l'endroit où le nom des
rues est le plus varié.
Les sujets sont comme partout des personnages historiques, des saints, des
généraux et des écrivains. Mais aussi des choses de la vie courante (la poste, le sel,
les potagers), des corps de métiers anciens (les couteliers, les tanneurs), des villes
(Cádiz, Barcelona).
Dans certaines rues on rencontre l'azulejo
plusieurs fois. Il est parfois accompagné de
la classique plaque bleue métallique ou
d'autres indications placées au fil du temps
pour identifier les blocs d'immeubles et le
recensement.
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2.2 L'image détournée
2.2.1 Le détournement de la publicité
"La publicité est une communication de masse qui est partisane. Elle n'est pas
exclusivement marchande, elle peut défendre des institutions, des causes sociales
ou politiques. Tous les medias peuvent l'intéresser, et elle les intéresse tous. Elle
peut beaucoup mais elle ne sait pas faire de miracle."
Brochand, Lendrevie, Le Publicitor, éd. Dalloz, 1989
La publicité est le symbole du capitalisme de masse. Rassemblant en elle toutes les
valeurs de l'économie marchande, elle a souvent été prise pour cible. Le phénomène
des anti-pubs récemment médiatisé n'est que la face visible d'actions menées depuis
plus longtemps.
Il faut distinguer ces dégradations pures et simples des espaces publicitaires, reflet
d'un rejet sans concessions de la publicité, et les actions de certains artistes visant à
donner une autre vision au public.
De nombreuses techniques de street art sont des détournements. Le détournement
de la publicité est l'un des plus présents : affiches découpées, panneaux utilisés
comme support à d'autres expressions ou affiches repeintes.
2.2.2 Le slogan
Les graffitis à tendance politique ou sociale ont repris à leur sauce les
caractéristiques du slogan publicitaire. Le message est bref, percutant, parfois
humoristique ou basé sur un jeu de mots. Il va à l'essentiel et fait souvent référence à
l'image pour être compris.
2.2.3 Les rapports entre le pochoir, la publicité et la signalétique
Le tag et le graff ont inventé des graphismes radicalement nouveaux. On y retrouve
peu de références à des éléments préexistants. Le pochoir est sur ce point-là tout à
fait différent. Il utilise les techniques de la publicité et de la signalétique. Le
pictogramme, icône reconnue universellement est détourné au profit d'un message.
Lorsque qu'un film à gros budget sort, ce sont des centaines d'affiches qui recouvrent
la ville. Le paysage urbain est alors transformé temporairement. De la même manière
l'auteur d'un pochoir va recouvrir un quartier de sa création. Selon un itinéraire non
défini, la ville se voit affublée de nouvelles images. Comme les affiches 4x3 elles ne
resteront pas très longtemps : le temps que les services de la ville les repèrent et les
effacent.
2.2.4 Les références à l'art
Miss-Tic, artiste du pochoir parisien, utilise des tableaux célèbres dans ses pochoirs.
Ils sont accompagnés d'un slogan original. La référence à de grands artistes est
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directe, le message est souvent inédit.
A gauche, "Le Massacre des innocents " (1525-1526) de Poussin.
A droite, "Le monde est d'humeur massacrante" de Miss-Tic.
A gauche, "Jeune femme au miroir" (1512-1515) de Titien.
A droite, "Interroger le sens dans le reflet ironique des apparences" de Miss-Tic.
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2.3 Le retour vers la galerie
Les artistes de la rue ont parfois tellement apporté de soin à l'esthétique de leurs
images que le message est passé en arrière plan. Seules les expérimentations
graphiques sont retenues par les galeries qui les invitent à exposer.
Le phénomène commence à New York où J.M. Basquiat et K. Haring deviennent des
artistes reconnus internationalement dans les années 70.
En France on ne peut pas dire que les artistes de la culture hip-hop aient été
vraiment récupérés par les musées. En revanche le ministère de la Culture de Jack
Lang a tenté de récupérer le phénomène en organisant des manifestations autour du
graff.
La SNCF a condamné certains graffiteurs à… graffer pour leur compte ! Drôle
retournement des choses. Certains retournent leur veste, d’autres refusent de se
laisser dompter. La SNCF a aussi tenté de canaliser le phénomène en offrant des
espaces vierges offerts aux taggueurs. Ce fut un échec : ils ont tagué à côté,
refusant toute tentative de normalisation.
Les exemples les plus intéressants viennent plutôt des jeunes artistes, venant parfois
des milieux plutôt aisés, qui ont inventés d'autres formes de graffitis.
Le plus célèbre est sans doute Space Invaders. Il place dans les villes du monde
entier des petites mosaïques représentant des "envahisseurs de l'espace". Derrière
un leitmotiv l'invasion des villes par ces petites bêtes, il met en place un
merchandising lui permettant de se payer ses voyages à Tokyo où il place ses
petites mosaïques.
En 2002, pour la Biennale d'Art contemporain, la ville de Lyon est couverte de
martiens. La biennale diffuse une carte de leurs emplacements. L'artiste passe alors
de l'autre côté : ses pratiques illégales se voient officialisées par une grande
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manifestation culturelle.
A Madrid, Eltono, artiste français, et Nuria, espagnole, saupoudrent Madrid et
d’autres villes (Paris, Porto, Liverpool) d’objets étranges. Eltono peint des formes
labyrinthiques (des diapasons en fait), Nuria des clés.
Leur travail original est doté de plus d'une certaine "éthique de tagueur" : ne pas
peindre sur le marbre d'immeubles neufs et n'utiliser que des vieilles portes ou des
lieux désaffectés pour peindre. Cela correspond à une certaines volonté de ne pas
modifier la ville n'importe comment.
Leur travail semble plaire puisque au-delà des rues madrilènes, on les retrouve à la
biennale d’art contemporain de Liverpool, lors de la manifestation PHotoEspaña 04
pour un parcours d'artistes exposés dans la rue. Ils ont aussi été sollicités pour
refaire la décoration d'un bar.
Eltono et Nuria dans Exposition éphémère 4x3 "une nuit"
Paris 24, 25, 26/05/2002 rue Oberkampf
Tout en poursuivant leurs travaux dans la rue, leur art trouve une certaine
reconnaissance dans le milieu de l’art officiel.
Le retour à l’officiel de ces artistes de l’illégal modifie la force de leurs œuvres. Le
passage de la rue à la galerie fait perdre aux œuvres leur clandestinité et change
leur rapport aux habitants. Ce ne sont plus des dégradations mais des œuvres d'art.
L'œuvre née dan l'illégalité gardera-t-elle sa crédibilité légalisée par les institutions ?
Cela pourrait permettre de mieux éduquer le public à ces pratiques et qu'elles ne
soient plus systématiquement elles soient vues comme des souillures de l'espace
urbain et rejetées.
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3. Discussion
Dans un entretien, Eltono explique qu'il se tient à une certaine éthique du street art :
ne taguer que sur de vieilles portes, ou sur des maisons à l'abandon, ne pas peindre
sur des pierres ou du marbre d'immeubles rénovés. Ce n'est pas hélas le cas de
beaucoup de taggueurs. Chacun place lui-même ses propres limites.
Certains utilisent la rue comme un espace de contestation politique, d'autres comme
un territoire d'expérimentations artistiques. Le style et la forme comptent toujours
beaucoup dans l'efficacité des messages transmis. Le terrain artistique connaît des
modes. A Madrid en 2003, c'est le pochoir qui était la mode. Consulté, eltono me
conseille de faire autre chose. Certains explorent d'autres pistes autour de l'affiche,
d'installations, d'interactions avec le public,
Au-delà des images
Une fois la ville apprivoisée et adoptée, j'ai moi aussi voulu y
laisser mon empreinte. Sur le point de partir je laissais
quelques images à la bombe dans le quartier de Lavapiés.
Un homme regarde au loin. Signé avec des lettres
empruntées aux azulejos : AzulLejos ("BleuLoin"). Même si
le pochoir est alors très en vogue et un peu trop présent, il
me fallait ce parcours initiatique.
Et si le street art n'était pas seulement des images aux murs.
Ce pourrait aussi être des performances et des installations.
Au cœur d'un espace qui n'est pas le leur, elles interpellent
alors les passants.
Quelques boîtes de fers et les membres d'un bébé en plâtre
trouvées devant chez moi feront BB Lata : personnage
pendu aux grilles d'un magasin muré depuis longtemps. Ce
sera la pièce supplémentaire (non officielle bien sûr) à une
exposition de PHotoEspaña organisée dans différents
endroits du quartier de "Las Letras".
La récupération de tubes de cartons et de journaux donnera
Madame G., girafe de 2 mètres. Expérience confinée à
l'appartement, puis dévoilée à la ville. La girafe fera un
voyage d'une heure entre le centre de la ville et la périphérie
pour rejoindre sa nouvelle maison. Les voyageurs du métro
sont alors interloqués, et ne comprennent pas trop ce qu'est
cette objet étrange.
18/20
Conclusion
Mes pérégrinations dans Madrid m'ont permis de réfléchir sur la Ville en général et
surtout sur la place qu'y jouent les habitants. Ils la vivent et parfois veulent y apporter
leur touche personnelle. Comme on décorerait sa chambre d'une affiche, la rue est
propice à être agrémentée d'images supplémentaires, créées par des passants, des
étrangers, des noctambules.
"Que nous soyons artistes, plasticiens, décorateurs, surligneurs, acteurs politiques
de la Ville ou simples passants, nous sommes tous touchés, à des degrés divers par
ses multiples apparences. Toutefois le rapport à la Ville est propre à chacun. Il y a
ceux qui la traversent sans l'habiter véritablement comme s'ils étaient en transit
permanent, ceux qui l'occupent comme de simples locataires, ceux qui, comme les
touristes font trois petits tours et puis s'en vont, mais il y a aussi les autres, ceux qui
tentent de l'habiter, ceux qui participent de sa respiration, ceux qui, en fait,
l'investissent en se posant la question de savoir si son habillage est seulement
l'affaire des spécialistes comme les urbanistes, promoteurs, architectes, aménageurs
ou responsables politiques." (Alain Milon)
19/20
Bibliographie
Webographie
Martine Joly – "Introduction à l'analyse
de l'image" – Nathan Université
http://fr.wikipedia.org/wiki/Graffiti
"Les murs ont la parole"
Journal mural - Mai 68
Sorbonne, Odéon, Nanterre, etc.
Citations recueillies par Julien
Besançon - Tchou Editeur
Alain Milon – "Les expressions
graffitiques : peau ou cicatrice de la
Ville ?" in Villes, revue Prétentaine,
Université de Montpellier, numéro
16/17 - Hiver 03/04.
Musée de la publicité
www.museedelapub.org
Thierry Teulé : tags et graffitis à
Perpignan
www.ifrance.com/tags-graffitis
Paris et pochoirs
www.parispochoirs.com
www.graffiti.org/index/frenchshow.html
www.sitefun.com/lesmursmurs
Madrid et azulejos
www.madridhistorico.com
www.isabelgea.es.vg
www.arte-hoy.com
www.ceramikarte.com
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