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Introduction
Printemps 2003. L'envie me prend de photographier les noms des rues de Madrid.
Ce sont des azulejos, des carreaux de céramique peints. Ils représentent le nom de
la rue : un saint, la vie quotidienne, un écrivain illustre, etc.
Peu à peu j'entreprends de couvrir mon quartier, "el Barrio de las Letras". Beaucoup
de rues portent le nom d'écrivains (Cervantes, Quevedo, Lope de Vega). S'y trouve
aussi las huertas (les potagers), rue piétonne célèbre attirant les noctambules dans
ses nombreux bars. Les Saints ne manquent pas à l'appel : Santa Ana, Santa Maria,
San Sebastian.
En espagnol le mot azulejo signifie simplement carrelage ou carreau de salle de bain
(baldosa). Il n'existe pas de mot spécifique pour désigner ce qu'en français on
appellera azulejos. Cet éclairage linguistique donne l'importance accordée aux
azulejos de noms de rues : pour les espagnols rien n'est plus naturel et banal, de
vulgaires carreaux. Dans de nombreuses villes les noms des rues sont écrits et
illustrés sur des carreaux de céramique.
"Qu'il est bizarre le touriste à photographier ces choses si ordinaires!"
Trouver les azulejos introuvables, les ruelles cachées, les illustrations les plus
bizarres, m'offre de belles ballades dans Madrid. Arrêtant mes explorations au centre
historique où les rues sont toutes indiquées par des azulejos, je photographie
régulièrement, jusqu'à "épuiser" certains quartiers.
Lors de mes promenades d'autres images commencent à attirer mon attention. Entre
tags et expressions artistiques, les pochoirs sont à la mode à Madrid. C'est dans le
quartier populaire de Lavapiés, que l'on en voit le plus. Les façades des kasas
okupadas (maisons occupées, squats le plus souvent illégaux) sont couvertes de
graffitis.
Commence alors une autre collecte : un pochoir inconnu, un graffiti qui se répète des
dizaine de fois. Il faut lever la tête, prendre des ruelles qu'on ne prend jamais, sortir
de ses chemins quotidiens. Chercher au milieu d'un amas de tags, l'image différente,
celle qui raconte quelque chose.
Peu à peu ma quête glisse vers d'autres images : de l'officiel à l'illégal.
Avant de repartir en France fin juin, je fais les comptes : environ 300 photos
d'azulejos et autant de street art. La question se posait du rapport entre ces deux
formes graphiques présentes dans l'espace public.
A la suite de cette longue série de photos, je laissais moi aussi quelques images
dans les ruelles madrilènes.
Afin de situer le sujet je commencerai par présenter les différentes formes de graffiti.
Nous analyserons ensuite leurs rapports étroits et complexes avec les autres images
de l'espace public.