Notes format Word

publicité
La nutrition de la préhistoire
à nos jours
26 juin 2002
Le docteur Jacques Di Costanzo
Nutritionniste à l’hôpital Ste Marguerite
-
Origine de l’espèce humaine
Moyens d’études de la nutrition
Sources alimentaires
Le régime paléolithique
Stratégies alimentaires
L’alimentation : une pression de sélection
Nutrition et capacités cérébrales
Données génétiques
Cette étude présente non seulement un intérêt culturel évident mais une réflexion
d’ordre physiologique : l’homme sapiens-sapiens, il y a quarante mille ans, avait le même
patrimoine génétique et toutes les fonctions physiologiques identiques à celles de
l’homme moderne ; or nos habitudes alimentaires ont beaucoup changé et ne
correspondent plus à nos besoins physiologiques : il en résulte un conflit qui serait à
l’origine de certaines pathologies chroniques dites modernes.
D’autre part, l’alimentation constitue une pression de sélection fondamentale pour un
individu au sein d’un groupe dans un milieu donné, favorisant la survie de ceux qui sont
les plus aptes à s’approprier les nutriments nécessaires à s’adapter et à subsister.
Le contexte de la nutrition préhistorique ne peut se dissocier de celui de l’étude de
l’origine de l’espèce humaine.
Origine de l’espèce humaine
Il y a cinq à six millions d’années environ, vivaient les hominidés présumés être à
l’origine du phyllome = les Australopithèques.
On retrouve le berceau des premiers hommes du genre homo en Afrique australe au
niveau du lac Fhocana. En effet à l’effondrement du rift, gigantesque fissure à l’est de
l’Afrique, fait surgir deux saillies montagneuses faisant barrage aux pluies. Le premier
versant, plus humide, couvert de forêts à sélectionné gorilles et chimpanzés. Le deuxième
versant, dont le climat est plus sec et couvert de savane, a sélectionné l’australopithèque
(étymologiquement « Singe du Sud »). Les primates se redressent pour mieux repérer leurs
proies et finissent par marcher sur les deux membres devenant bipèdes.
Ainsi apparaît le premier singe australopithèque, Lucy, découverte en 1974 en Ethiopie et son
conjoint Lucien. Lucy avait la bipédie permanente, le bassin non plus vertical mais entouré
par les viscères et adapté à la gestation, un col du fémur, un fémur et des pieds de bipède
permanent. Elle marchait de manière chaloupeuse, sautant de branche en branche, mais avait
un crâne et une dentition tout à fait humaine.
Hybride entre les préhominidés et hominidés, ce n’était pas notre ancêtre mais celui
des australopithèques qui ont disparu.
Dans la même région est découvert en 1993 un spécimen d’Australopithèque encore plus
ancien anamensis baptisé Ramidus. Il avait le genou raide mais c’est vraiment notre ancêtre.
Leurs Bahnelghazale est trouvé, lui, sur la côte ouest de l’Afrique et l’Australopithèque
Garrhy, notre ancêtre lui devait laisser la place aux hommes ;
Homo hapilis , premier homme capable de fabriquer des outils et d’apprendre à s’en
servir.
Si quelqu’un a mérité ce surnom, c’est bien lui. Leus hadolfens et enfin les Erectus
pithecanthropes, encore plus grands et bipèdes qui ont disparu de la planète pour laisser la
place au Sapiens, puis à l’homo sapiens Sapiens, l’homme du paléolithique Supérieur qui
nous intéresse plus particulièrement car il nous a légué son patrimoinegénétique conditionnant
à la fois notre phénotype et nos fonctions physiologiques.
Les moyens d’étude de la nutrition
Il n’est pas facile de définir avec précision la nature de l’alimentation préhistorique.
- Les fossiles, bien que rares et fragmentaires, peuvent fournir un certain nombre
d’informations, en se resituant dans le contexte géographique et climatique.
- Les outils, par leurs degré de finesse et leur technique de fabrication nous renseignenet
sur le niveau des capacités cérébrales, les animaux qu’ils tuaient et la façon de les
dépecer :
Ils étaient canibales, mangeaient leurs morts ; On s’en est aperçu en découvrant des ossements
humains cannibalisés et des fragments d’os d’origine animale mélangés sans distinction dans
une fosse.
La taille des individus est plus importante en cas d’alimentation carnée que chez ceux qui
mangent des légumes.
Le crâne est un bon indice : plus l’alimentation est riche en hydrates de carbone plus il est
développé.
L’usure des dents renseigne tout particulièrement : L’existence de stries verticales serait
plutôt en faveur d’une alimentation carnée alors qu’une usure horizontale témoignerait d’une
alimentation plus riche en végétaux.
La présence de caries, rares jusqu’au paléolithique supérieur, témoigne d’une alimentation
enrichie en sucres purs.
Le rapport strontium : calcium de la matière osseuse diminue chez les carnivores, augmente
chez les herbivores. Sans l’exploration des sites, les fossiles renseignent sur l’époque et la
saison.
Enfin l’étude des populations existantes de chasseurs–cueilleurs (Aborigènes Buchmen du
Kaloari…) se nourrissant à la manière de l’homme préhistorique peut relativement nous
renseigner.
Sources alimentaires
Les premiers hominidés, dont le régime alimentaire devait comporter une grande part de
végétaux, complétaient probablement leurs apports nutritifs par charognage en se contentant
des restes que leur laissaient les grands prédateurs de l’époque (hyènes, …).
Puis du temps de l’érectus, ce sont des chasseurs-cueilleurs, la chasse incombant à l’homme,
la cueillette des fruits et champignons à la femme. Ainsi que l’indiquent les dessins (quelques
fois hermétiques) trouvés dans les grottes, les sources alimentaires animales étaient le bison,
le renne, le bouquetin, le cheval, le cerf, les oiseaux et les œufs. Dans le milieu méditerranéen,
il péchait des coquillages, des orques, le phoque et l’otarie.
L’homme est nomade et en symbiose avec la nature.
Quelle était alors son alimentation ?
Régime du paléolithique supérieur
Animales
190,7 g/jour
Protéines
Végétales
60,4 g/jour
Total
251,1 g/jour
Animales
29,78 g/jour
Graisses
Végétales
41,6 g/jour
Total
71,3 g/jour
Hydrates de carbone
333,6 g/jour
Fibres(origine végétale)
45,7 g/jour
C’est une alimentation surprotéinée car il avait besoin, à la manière d’un gymnaste, de
sources protéiques principales animales (bisons, bouquetins, …). En revanche, ce régime était
cruellement carencé en en lipides, les fraises étant plus rares : extraction du crâne des
animaux ou des parents morts ou de la moelle des os longs.
La richesse en protéines alimentaires, trois fois plus que l’homme moderne, était
imposée par la nécessité et l’environnement mais aussi par l’action dynamique spécifique des
protéines : la thermogenèse est accrue par les protéines et diminuée par les glucides et les
lipides. Dans ce cas, il y a augmentation des dépenses énergétiques de repos. Lorsque cette
augmentation n’est pas compensée par un apport, le métabolisme s’oriente vers la
néoglucogenèse pour restituer les réserves en glycogène et la fabrication du glycérol d’où un
besoin permanent d’énergie. Trois kilos de viande pour jour, soit 5000 calories (chez
l’américain moyen moderne 2400 calories, chez un tennisman 5000 à 6000 calories). Plus
tard, il sait faire des provisions et du stockage alimentaire dans les grottes. L’apport en
hydrates de carbone provenait des plantes.
Avec le réchauffement climatique de la fin du pléistocène, responsable d’un certain
degré de maigreur du gibier, le besoin de nouvelles sources d’énergie s’est rapidement fait
sentir. L’avènement de l’agriculture au néolithique a donné de nouveau une place
prépondérante aux végétaux dans l’alimentation. L’homme devient sédentaire, agriculteur,
éleveur. Sa sociabilité augmente et il prend famille, crée un clan, embryon de société. Il
cultive, élève et ne chasse plus donc prend du poids (lipides). La révolution industrielle il y a
cinquante ans vient encore modifier ce schéma par l’apparition d’autres sources alimentaires
et de la pollution …
100
Australopithecus
H. habilis
Agriculture
90
80
Industrie
H. Erectus
70
60
H. Sapiens
50
40
30
20
10
0
10Mas
1Ma
1 000 000
10 000
1000
Evolution de l'apport en végétaux
100
10
Temps
années
Le régime paléolithique :
Comparaison avec l’américain moyen
Tableau II
Alimentation de l’Homo Sapiens du paléolithique supérieur, de l’américain moyen er
recommandations diététiques américaines.
Hydrates de carbone
Glucides
Lipides
AGP/AGS
Cholestérol (mg)
Fibres (g)
Sodium (mg)
Calcium (mg)
Vitamine C (mg)
Paléolithique
34
45
21
1,41
591
45
690
1580
392,3
Américain
12
46
42
0,44
600
19,7
2300-6900
740
87
Recommandation
12
58
30
1
300
30-60
1100-3300
800-1200
45
En résumé, le régime paléolithique était riche en protéines animales 26% tandis que de 8%
chez nous, pauvre en protéines végétales, pauvre en glucides (1%), pauvre en lipides (9%),
pauvre en sodium mais riche en vitamine C.
La conservation des rapports acides gras poly insaturés, acides gras saturés n-3/n-6, proche
des recommandations actuelles et en tout cas éloignés de ceux de l’américain moyen, le
mettait à l’abri de bien des pathologies. La faible consommation en sodium comparée à celle
de l’américain moyen et très vraisemblablement de l’européen moyen est un autre fait saillant
de ce régime.
Les stratégies alimentaires
L’étude du comportement des hominidés laisse penser qu’ils se différentiaient déjà des
autres espèces par leur aptitude à partager la nourriture avec leurs congénères de manière
systématique sinon équitable : ébauche d’un comportement social.
De véritables stratégies alimentaires, au départ certes intuitives, n’ont pu être élaborées que
progressivement grâce au développement social et à l’apparition d’un langage articulé.
L’amélioration des techniques et des tactiques de chasse ont permis par la suite de progresser
du simple charognage à la chasse spécialisée voire hyper spécialisée :
- on mettait le feu à la savane et attendait le gibier après,
- on creusait une fosse, se postant au bord du talus,
- on effrayait le gibier par des bruits, des voix, l’obligeant à tomber du haut d’une
falaise
-…
Le feu découvert ou maîtrisé il y a environ 450 000 ans, obtenu à l’aide d’un bâton que l’on
enroule comme une étoffe et que l’on frotte contre une pierre, a fait fuir les prédateurs des
grottes, durci les pointes des lances, permis de cuire des aliments (réaction de Mailhard entre
glucides et lipides pour donner son goût à la viande). La répartition des tâches, les hommes
allant à la chasse, les femmes cueillant, permet de la différentiation de l’alimentation en
maintenant l’apport lipides-glucides-oligoéléments.
L’orientation, lors du dépeçage, vers une nourriture adaptée au besoin :
en période faste, on abandonne les femelles gestantes souvent dénutries,
en période maigre, on prenait les cuisseaux, désarticulait les os, ouvrait le
crâne, extrayait la moelle.
Le raffinement des outils et des armes : une petite lance d’abord, puis une lance montée sur un
bras de levier servait d’accélérateur (capable de transpercer de part en part une omoplate) puis
des arcs.
L’alimentation : une pression de sélection
Les caractères des primates modernes résultent du régime alimentaire d’un ancêtre
commun et a sélectionné des individus à capacité crânienne de plus en plus grande, et dont le
tube digestif est de plus en plus complexe, à la suite de divers processus métaboliques.
Cette alimentation a conditionné deux stratégies évolutives :
une morphologique : la taille de certaines espèces, notamment les primates,
dépend de leur régime alimentaire, plus importante chez les carnivores que chez les
végétariens,
une comportementale : l’ensemble des singes araignées et des singes hurleurs
est à ce propos caricatural. Tous deux sont issus d’un même ancêtre mais différent
seulement par leur régime alimentaire : fructivore chez le premier, herbivore chez le
second. La recherche de la nourriture a conditionnée la taille de leur cerveau, leur
mobilité et leurs capacités digestives :
 La masse du cerveau : 107 g chez le singe araignée contre 50,3g chez le singe
hurleur végétarien,
 La distance parcourue par jour : 9 km/jour chez le singe araignée contre 4
km/jour chez le singe hurleur,
 La longueur de leur tube digestif : les premiers ont un tube digestif court, les
seconds un tube digestif long.
La rareté des fruits et le transit rapide des singes araignées les ont contraints à un parcours de
chasse plus important que les seconds à transit lent et dont la principale source alimentaire est
plus immédiatement accessible.
Nutrition et capacités cérébrales
Deux remarques préalables nous introduiront à une réflexion plus générale
- le volume du cerveau de Lucy est de 5% plus important que celui de ses
congénères. Or, elle était bipède, mais surtout à l’origine du rameau hominidé
qui a dominé la planète,
- la taille du cerveau des fœtus de primates fructivores est supérieure à celle du
cerveau des primates herbivores.
Cette augmentation des capacités cérébrales aboutit à des besoins énergétiques accrus et à la
recherche d’aliments de haute valeur énergétique : en conséquence la chasse augmente en
technologie et le comportement social évolue dans le sens du langage (pour indiquer ce qui est
dangereux, les bons endroits, …).
Il y a une corrélation entre le poids du cerveau et le poids du corps :
Log
poids cerveau
Log poids corps en g
Chez l’homme, le cerveau fœtal consomme environ 60% de l’énergie délivrée à l’organisme
entier ; chez l’adulte, la consommation est de 20% du métabolisme de base pour un poids
n’excédant pas 2% du poids du corps. Ainsi, l’augmentation des capacités cérébrales serait un
avantage acquis, résultant en partie d’un rendement métabolique optimal au cours de la
grossesse entretenu par la suite, voire amélioré par le type de l’alimentation.
Nutrition et développement cérébral sont ainsi reliés en un cycle dont l’énergie est en quelque
sorte la pierre angulaire :
Locomotion
Soins des petits
Vie sociale
Energie
Recherche de
nourriture
Taille du cerveau
Développement cérébral et démographie sont à leur tour en relation : les bonds
technologiques sont parallèles aux bonds démographiques.
Données génétiques
Il existe des liens étroits entre l’environnement, le génotype, le phénotype et le
comportement des espèces vivantes, en particulier chez l’homme.
La sélection naturelle par le biais de l’écosystème a permis en survie et la profilération
d’individus ayant bénéficié d’une mutation « adaptive », ou favorable. Il est cependant
difficile de préciser dans quelle mesure le milieu a pu modifier le patrimoine génétique en
suscitant des mutations spécifiques.
Il est par ailleurs certain que le génotype conditionne dans une large mesure le phénotype
mais l’alimentation interfère dans une certaine mesure avec le processus. Le génotype induit
une pulsion alimentaire : des variations génétiques mineures individuelles conditionnent à leur
tour l’absorption des nutriments, leur métabolisme, les sensations de faim ou de satiété.
Ceci peut se schématiser :
Génotype
Phénotype
Environnement
Comportement
Aussi sans être fanatique de l’écologie, devons-nous laisser de l’énergie à la planète que nous
liguons à la génération future ?
Il est probable que l’environnement et en particulier l’alimentation contrôle en partie
l’expression des gènes. A titre d’exemple, le cholestérol alimentaire exerce un puissant effet
inhibiteur de la transcription du gène de l’HMG-COA réductase et inducteur de la maladie
d’Alzheimer et de certaines pathologies cardiovasculaires.
Les acides gras poly insaturés, et en particulier ceux de la série n-3, inhibent la production
hépatique de l’ARNm de la synthèse des acides gras chez le rat adulte. Ces mêmes lipides
réduisent considérablement le niveau de transcription de l’ARNm du Platelet-Derived Growth
Factor et de l’InterlenKine 1.
Or notre potentiel génétique n’a pas varié depuis l’homme d’il y a quarante mille ans puisqu’il
y a environ 15 % de mutations spécifiques par million d’années.
Il s’en suit que dans le cas d’anomalies génétiques mineures le comportement alimentaire
devra être modifié. Diverses pathologies peuvent ainsi bénéficier de recommandations
particulières : obésité, diabète, dyserptdémies, hypertension artérielle, ostéoporose, carences
en folates mais aussi des déficits génétiques comme la phénylcétonurie, la tyrosine mie, la
maladie coehaque et certains cancers digestifs.
Conclusion
La nutrition a été une pression de sélection majeure, a influencé les capacités
cérébrales. La recherche alimentaire a conditionné le mode de vie, la technologie et la vie
sociale.
L’alimentation paléolithique et l’évolution ont déterminé nos fonctions digestives et le
métabolisme de l’homme du XXème siècle.
E l’absence de mutation significative depuis cette époque, l’alimentation paraît plus adapté à
nos possibilités physiologiques. La dérive alimentaire constatée au fil des millénaires doit
nous alerter pour le futur. Néanmoins, sans préconiser le retour à un régime préhistorique,
l’homme moderne peut, intuitivement ou non, moduler ses apports alimentaires et survivre
dans des conditions relativement satisfaisante, en respectant certaines recommandations
alimentaires.
Moins de graisses saturées, moins de sucres raffinés et de sel mais plus de végétaux, plus de
sucres lents.
Téléchargement