Russie et parmi les travailleurs d'Europe. Pour la Russie, soviétique, cette victoire signifiait la fin de l'isolement et le signe
tangible que la révolution mondiale avait démarrée. Le 21 mars, le Parti bolchevique était en congrès. La situation était grave: la
guerre civile et la famine faisaient rage, la contre-révolution et l'intervention militaire étrangère menée par les capitalistes
occidentaux menaçaient de toute part de renverser le pouvoir des soviets. Au début, Lénine crut que l'annonce de la victoire de
la révolution en Hongrie était un bobard. Lorsqu'il fut convaincu de la véracité des faits, l'atmosphère pessimiste du congrès
changea radicalement.
En Hongrie, le nouveau pouvoir entama la construction du socialisme; la bourgeoisie fut expropriée de son pouvoir politique et
économique, une réforme agraire est décrétée le 4 avril; l'armée et la police furent dissoutes et remplacées par une armée
rouge de volontaires; de profondes mesures sociales et culturelles, analogues à celles de la Russie soviétique, sont prises
(enseignement, égalité hommes-femmes, accès à la culture, droits sociaux, etc.).
Mais le 20 avril, après un mois d'existence, on proclame «La révolution en danger». L'impérialisme, comprenant le danger
mortel d'extension de la révolution vers l'ouest (vers l'Autriche et l'Allemagne) que représentaient les soviets hongrois, lance de
nouveau à l'assaut les armées roumaines, à l'est, serbes, au sud et tchèques au nord. La nouvelle armée rouge ne peut résister
au choc. Le 1er mai, les troupes roumaines ne sont plus qu'à une centaine de Km de Budapest. Dans un sursaut, les Conseils
ouvriers décrètent la résistance et la mobilisation générale du prolétariat. En 6 jours, 40.000 ouvriers de la capitale montent au
front: l'offensive impérialiste est brisé et reflue même, en Tchécoslovaquie notamment, où, sous l'avance de l'armée rouge
hongroise, une République soviétique slovaque est proclamée.
La fin
Le 10 juin, l'Entente envoyait une proposition de paix à Budapest. Cette proposition impliquait le retrait de l'armée rouge en
échange du retrait des troupes roumaines. Bela Kun, commissaire du peuple aux Affaires étrangères et leader de la révolution
tente de manœuvrer diplomatiquement pour gagner du temps. Mais en définitive, le 20 juillet, il refuse l'offre et pour tenter de
relancer l'ardeur révolutionnaire des masses, il décide d'une nouvelle contre-offensive militaire.
C'est que la dictature du prolétariat est en crise: Les masses sont affaiblies et déboussolées par les privations (la famine), par
les erreurs du régime (la production est désorganisée) et par la division croissante au sein du Parti socialiste entre ses ailes
gauche, centriste et droitière. Dans ce contexte, la contre-révolution intérieure relève la tête. Aristocrates et bourgeois
complotent et provoquent des attentats contre le pouvoir des soviets.
Après quelques succès initiaux, l'armée rouge est battue et en fuite: les officiers ont saboté les ordres et les fournitures
matérielles manquent. Le moral n'y est plus. Fin juillet, les troupes roumaines sont de nouveau aux portes de la capitale. Les
sociaux-démocrates de droite, soutenus par la puissante bureaucratie syndicale, exigèrent et obtinrent la démission du Conseil
des commissaires du peuple. Un gouvernement dit «syndical» est constitué dont la volonté est de rétablir l'ordre social
capitaliste et d'instaurer une démocratie bourgeoise de type occidentale pour séduire l'impérialisme et empêcher l'invasion du
territoire.
Mais en vérité, il n'y avait pas de place pour une telle «alternative». En supprimant la dictature du prolétariat au nom de la
«démocratie» formelle, c'est à la dictature sanglante de la bourgeoisie qu'on ouvrait la porte. Ainsi, dès le 6 août, le
gouvernement «syndical» est renversé par la contre-révolution, dont les troupes roumaines, qui font leur entrée à Budapest,
servent de fer de lance. Un ancien amiral de la flotte austro-hongroise, Horthy, est mis au pouvoir par l'impérialisme et un
régime pré (puis complètement) fasciste s'instaure. La répression est terrible: les communistes qui ne se sont pas exilés à
temps sont traqués, emprisonnés, torturés et exécutés - il y eut 5.000 exécutions et 75.000 arrestations en quelques semaines.
Quels enseignements?
Les causes de l'échec de la Révolution hongroise furent multiples. La cause première est bien entendue l'agression
impérialiste, facilitée par l'échec de la Révolution allemande. Mais la gestion du nouveau régime et la politique des dirigeants
communistes fit le reste: «Bela Kun avait vu trois choses qui étaient d'une importance fondamentale pour une révolution
hongroise: la révolution agraire, la lutte acharnée de Lénine contre les réformistes et les négociations de paix avec les
Allemands à Brest-Litovsk. De ces trois expériences, il semble avoir tiré les surprenants principes qu'il ne fallait pas donner la
terre aux paysans, qu'il fallait à tout prix faire la guerre et qu'au moment décisif un révolutionnaire doit conclure une alliance
avec les réformistes.». En effet, la réforme agraire nationalisait les terres mais, au lieu de les distribuer aux paysans, les
collectivisait en grands domaines dont la gestion fut souvent confiée aux anciens grands propriétaires! L'insatisfaction des
paysans n'allait donc pas les pousser à soutenir en masse la défense de la Révolution. Le chaos et la chute de la production
industrielle fut renforcée par des mesures hâtives de socialisation. Toute l'industrie ainsi que le petit commerce furent socialisés
d'un seul coup, sans attendre que ce dernier dépérisse par lui-même, ce qui dressa la petite-bourgeoisie contre le régime. Si les
communistes avaient eu raison de fusionner avec le Parti social-démocrate, ils n'auraient pas dû accepter que les membres de
ce dernier prennent une place prépondérante dans le nouveau parti unifié ainsi qu'au Conseil des commissaires du peuple. De
plus, le Parti unifié gardait les mêmes structures que l'ancien Parti social-démocrate, à savoir que chaque membre du syndicat
était automatiquement membre du Parti. La démarcation en son sein avec les réformistes et avec les travailleurs non politisés
et purement syndicaux ne se fit pas, ce qui démontre une incompréhension du rôle et de la nature du parti d'avant-garde
révolutionnaire. La jeunesse, le manque de maturité et la vision livresque du socialisme du Parti des communistes hongrois
expliquent beaucoup de choses. Ils n'avaient pas, comme leurs frères russes, de longues années d'expérience derrière eux.
Enfin, rajoutons que l'aide miliaire et économique de la Russie soviétique ne put avoir lieu. La région jouxtant les deux pays,
l'Ukraine, était ravagés par la guerre civile et largement aux mains des «blancs».
A lire:
- «La Révolution d'Octobre et la République des Conseils en Hongrie», Balazs Nagy, in «La Révolution d'Octobre et le
mouvement ouvrier européen», éd. EDI, Paris 1967.
- «Les 133 jours de Bela Kun», Arpad Szepal, éd. Fayard, Paris 1970.
- «Histoire de l'Internationale communiste 1919-1943», Pierre Broué, éd. Fayard, Paris 1997.
Ataulfo Riera