Revue Commerce - Février 1999 Le Canada a de nombreux défis à relever MAURICE N. MARCHON Professeur à l'Institut d'économie appliquée École des Hautes Études Commerciales 17 décembre 1998 Source des données des graphiques : Statistique Canada Page - 1 - Les experts de l’OCDE publient à chaque année, un rapport sur l’économie canadienne contenant une revue détaillée de son évolution conjoncturelle et structurelle. Les journaux ont surtout retenu la prévision selon laquelle le PIB réel par habitant perdrait du terrain par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. Le PIB réel par habitant, qui serait présentement 10 % supérieur à la moyenne en terme de parités de pouvoir d’achat, pourrait tomber un peu au-dessous de la moyenne d’ici 2020 dans le meilleur des cas et chuter jusqu’à 25 % au-dessous de la moyenne dans le pire scénario. Nous estimons qu’il est encore un peu tôt pour se déclarer vaincus. Au cours des dernières années, le Canada a subi des chocs très importants en ce qui a trait aux prix des matières premières et a travaillé fort pour corriger les abus de la politique fiscale. Maintenant que plusieurs correctifs ont été apportés, il n’est pas utopique de croire que le Canada puisse entrer dans une période plus faste en ce qui concerne sa performance économique, même si un coup d’œil sur le rétroviseur fait ressortir plusieurs points faibles. Au cours des deux dernières décennies, le Canada s’en est assez bien tiré lorsqu’on compare l’évolution du PIB réel par habitant du Canada avec celui des États-Unis et de l’Allemagne en monnaie locale (figure 1). Il n’en demeure pas moins que depuis la dernière récession de 1990-1991, le PIB réel par habitant du Canada a augmenté de 11 % comparativement à 16,4 % aux États-Unis et 9,4 % en Allemagne. Figure 1 PIB réel par habitant en monnaie locale d’Allemagne, du Canada et des États-Unis (indice normalisé à 1,0 au 1er trimestre de 1983) 1.5 1.4 1.3 1.2 1.1 1.0 0.9 84 86 Canada 88 90 92 États-Unis 94 96 98 Allemag ne Page - 2 - Le premier changement important de la dernière décennie a été la nécessité de la part du gouvernement d’arrêter de soutenir le pouvoir d’achat des consommateurs par l’endettement. Au cours de la période d’expansion des années 80, les gouvernements ont soutenu le niveau de vie des consommateurs en empruntant pour redistribuer le revenu. La figure 2 montre à quel point le changement de fusil d’épaule causé par la lutte aux déficits budgétaires a miné le niveau de vie des travailleurs canadiens. Du 3e trimestre de 1993 au 3e trimestre de 1998, le revenu personnel disponible en dollars constants des travailleurs canadiens a diminué de 7 % comparativement à une modeste augmentation de 0,5 % aux États-Unis. Au cours de la même période, les recettes fiscales des gouvernements se sont appropriées 51,6 % de la croissance du PIB nominal comparativement à 40,2 % aux États-Unis. Nous estimons toutefois qu’au cours des prochaines années, les contribuables devraient connaître des baisses d’impôts puisque, sur la base des comptes nationaux, le surplus de toutes administrations publiques s’élevait au taux annuel de 19 milliards de dollars au 3e trimestre de 1998. Figure 2 Revenu personnel disponible réel par personne employée en monnaie locale au Canada et aux États-Unis (indice normalisé à 1,0 au 1er trimestre de 1983) 1.10 1.08 1.06 1.04 1.02 1.00 0.98 84 86 88 90 C anada 92 94 96 98 États-U nis Le deuxième phénomène qui a appauvri le Canada a été la déflation des prix des matières premières et la dépréciation du dollar canadien. Il est assez paradoxal de constater que la maîtrise de l’inflation qui est positive pour la Page - 3 - performance de l’économie à long terme a également eu des répercussions négatives sur l’économie canadienne. Lorsqu’il y a une désinflation généralisée, les prix des biens diminuent relativement à ceux des services. Par exemple, en octobre 1998, le taux d’inflation annuel canadien était de 1 %, mais l’augmentation annuel des prix des biens dans l’indice des prix à la consommation était nul comparativement à 2,1 % pour les services. De plus, pour que l’inflation soit près de zéro dans le secteur des biens, il faut que le prix des matières premières relativement à ceux des biens diminue encore davantage. C’est précisément le message qui ressort de la figure 3 avec les données canadiennes. Depuis janvier 1983, le prix des biens comparativement à ceux des services a baissé de 13 %. Le prix des matières premières, mesuré à l’aide de l’indice CRB au comptant, relativement à ceux des biens a diminué de 33 %. Un environnement mondial désinflationniste n’est donc pas réjouissant pour le Canada puisque les prix que nous recevons pour les exportations de produits dérivés de l’exploitation des ressources naturelles diminuent. L’impact est considérable puisque ces derniers représentent encore près de 40 % de nos exportations de marchandises. Il est toutefois fort probable que nous avons atteint le creux de la vague et une stabilisation du prix des matières premières serait positive pour le Canada. Figure 3 Prix relatif des biens et des matières premières - Canada 1.20 1.15 1.10 1.05 1.00 0.95 0.90 0.85 0.80 0.75 0.70 0.65 janv-83 janv-85 janv-87 janv-89 Prix relatif des biens janv-91 janv-93 janv-95 janv-97 Prix relatif des matières premières Le troisième point faible du Canada est l’incapacité des entreprises manufacturières à accroître leur productivité aussi rapidement que les autres pays Page - 4 - industrialisés. Une étude récente du département du travail des États-Unis confirme la perte de terrain des entreprises manufacturières canadiennes comparativement à celles de plusieurs pays industrialisés. Le seul pays que le Canada a été capable de distancer est la Norvège. Nous sommes à la traîne de tous les autres pays de l’étude (tableau 1) aussi bien pour le période 1985-1990 que pour les années 1990-1997. En 1996-1997, notre performance s’améliore mais plusieurs autres pays accélèrent encore davantage leurs gains de productivité du secteur manufacturier. Allemagne Belgique Canada États-Unis France Italie Japon Norvège Royaume-Uni Suède Tableau 1 Taux annuel moyen de variation de la production par heure travaillée du secteur manufacturier 1985-1990 1990-1997 1996-1997 2.2 3.2 5.9 2.3 2.7 5.6 1.2 2.0 2.7 2.2 3.7 4.6 3.4 3.5 6.8 2.6 3.4 2.7 4.3 3.2 6.1 1.4 0.9 0.6 4.6 2.7 0.9 1.8 5.0 6.5 Source : United States Department of Labor Il est étonnant que les résultats de la restructuration ne soient pas plus positifs en ce qui a trait au gain de productivité, car le Canada est tout de même le pays des G7 qui a le plus accru sa part du commerce international dans le PIB. Cela signifie que de nombreux défis sont à relever, notamment en ce qui a trait à l’allégement de la charge fiscale en général qui pèse sur les Canadiens et à la réduction des taux marginaux d’imposition sur le revenu. L’écart important des taux marginaux entre les provinces et les États-Unis incitent les personnes à hauts revenus, qui sont également les plus mobiles et les plus susceptibles de créer des emplois, à se déplacer vers les taux de taxation les moins élevés. Les provinces à taux d’imposition élevés et le gouvernement fédéral doivent rétablir des taux d’imposition plus concurrentiels avec les États-Unis et les provinces qui taxent moins (Alberta). De plus, il faut donc rétablir un système d’incitation fiscale qui stimule la prise de risque et favorise la mobilité de la main-d’œuvre vers les régions en Page - 5 - croissance plutôt que vers celles qui sont en déclin en maintenant des prestations de chômage plus généreuses pour les régions défavorisées (taux emploi de 45,7 en novembre 1998 à Terre-Neuve). Il est également important que l’Accord sur le commerce intérieur soit appliqué et que des efforts soient consentis pour augmenter le taux d’activité. Il est temps d’éliminer les dispositions qui encouragent les préretraites et les dispositions du régime de pensions qui découragent l’exercice d’une activité rémunérée. Il faut rétablir les incitations qui permettent aux Canadiens d’allonger leur vie professionnelle par des mesures actives en faveur de l’emploi et de la formation. Les défis à relever pour maintenir notre niveau de vie sont importants puisque nous devons devenir plus productifs tout en augmentant le pourcentage de la population qui est en âge de travailler (15 ans et plus) de détenir un emploi. La figure 4 illustre bien le retard accumulé par le Canada et le Québec comparativement aux États-Unis où le taux d’emploi s’élevait à 64,1 % en novembre 1998. Si le taux d’emploi était le même qu’aux États-Unis, 916 000 Canadiens de plus détiendraient un emploi et le PIB réel serait près de 53 milliards de dollars plus élevé. Notons toutefois que des signes encourageants se pointent à l’horizon puisque le taux d’emploi a grimpé à 60,3 % au Canada et à 56,6 % au Québec en novembre 1998. Figure 4 Taux d’emploi au Canada, au Québec et aux États-Unis 65 64 63 62 61 60 59 58 57 56 55 54 53 52 51 1980:1 1982:1 1984:1 1986:1 1988:1 Canada 1990:1 États-Unis 1992:1 1994:1 1996:1 1998:01 Québec Page - 6 -