La population juive de Roumanie (devenue aujourd’hui symbolique), traditionnellement
religieuse et dotée d’une appartenance culturelle forte, a légué un héritage majeur dans le
pays. Ce patrimoine historique s’est construit au cours des siècles de présence sur les
territoires roumains, desquels elle a tiré sa spécificité.
Les Juifs en Roumanie
Des objets et des tombes trouvés par des archéologues témoignent de la présence de juifs dès
le 1er siècle de l’ère chrétienne. Ils vinrent en appui des troupes Romaines, lorsque celles-ci
occupaient la Dacie. Cette présence fût temporaire et n’eut, semble t-il, aucun impact sur le
pays.
La population juive de Roumanie, telle qu’elle a existé à la fin de la première guerre mondiale
fut un amalgame d’immigrants venus d’Europe de l’ouest (Allemagne, Bohème, Hongrie) du
Nord (Pologne) et plus tard du Sud (Empire Ottoman). La Roumanie a commencé à se
peupler de Juifs à partir du 14ème siècle.
Les premiers, arrivés autour de l’année 1367, fuient la Hongrie, d’où ils sont expulsés. Ils se
répandent en Valachie ils resteront jusqu’à leur persécution et/ou assassinat durant la
seconde guerre mondiale. Au 16ème siècle, des Séfarades (juifs d’origine espagnole ou plus
largement des pays d’Afrique du Nord) jusqu’alors habitant l’empire Ottoman s’installent
également en Valachie et en Moldavie. Ce sont des marchands qui sont envoyés par les
Sultans pour faire du commerce, ou qui s’établissent au cour de leur voyage sur la route
marchande menant à la Pologne et à la Lituanie. A cette époque, on trouve des communautés
importantes dans des villes telles que Iasi, Suceava ou Siret. Par ailleurs, de nombreux Juifs
sont diplomates ou physiciens. Ils sont liés à la cour et assurent des relations avec les
territoires voisins. En 1867, on compte environ 130 000 juifs en Roumanie.
Enfin, une large population de Juifs magyarisés est intégrée à la Roumanie suite à l’inclusion
de la Transylvanie, territoire récupéré à l’issue de la première guerre mondiale. La population
passe alors à plus de 800 000 personnes au début du 20ème siècle.
Les Roumains ont ainsi connu, pendant six siècles, deux communautés juives qui vivaient
côte à côte : les Ashkénazes venus d’Europe et les Sépharades venus de Turquie. Ces
communautés ont su garder leurs spécificités, comme par exemple la manière de célébrer les
offices, leurs objets rituels ou encore l’architecture des synagogues.
Elles se sont surtout développées en Moldavie (jusqu’à 50% de juifs dans la ville de Iaþi et
30% dans les villes de Bucovine en 1930) et dans la région du Maramureþ (située en
Transylvanie, où les juifs représentaient plus de 20% de la population citadine en 1930).
Avant la fin du 19ème siècle, les Juifs comme la plupart des minorités présentes dans un pays
d’Europe Centrale ou Orientale, n’ont pas de els droits. Ils sont tributaires de la bonne
volonté des souverains qui leur en accordent selon leur bon vouloir. Ils ont beaucoup de mal à
accéder à des postes politiques ou à des professions libérales ainsi qu’à obtenir la nationalité
roumaine, que la plupart n’ont toujours pas au début du 20ème siècle. Alors que la France,
l’Angleterre ou l’Autriche ont déjà donné des droits à « leurs » Juifs, la Roumanie ne
commence à réfléchir à la « question juive » qu’à la fin du siècle.
La révolte de 1848 contre la Russie donne un semblant d’évolution. Cela commence par la
proclamation d’une égalité civique entre les minorités, de la part des insurgés et se poursuit
par le traité de Paris de 1858, qui sollicite le pouvoir roumain pour rendre celle-ci effective.
Ces droits n’entrent pas en vigueur et à l’inverse, les persécutions contre les Juifs
s’intensifient sous le règne de Carol Von Hohenzollern. L’antisémitisme, déjà présent au
cours des siècles (principalement sous la forme d’anti-judaïsme), connaît alors une ampleur
sans précédent.
Ce n’est qu’après la première guerre mondiale, à laquelle les Juifs ont participé activement,
que le Traité commence à être appliqué. A la fin de cette guerre, dont la Roumanie sort plus
forte que jamais (le pays devient alors la Grande Roumanie tant rêvée), les Juifs sont gratifiés
de droits particuliers pour le patriotisme dont ils ont fait preuve. Entre les deux guerres, la
communauté connaît ainsi un dynamisme exceptionnel.
Cependant, les Juifs n’ont pas attendu la première guerre mondiale pour se faire une place
dans l’histoire roumaine. La communauté est, dès le milieu du 17ème et jusqu’à la seconde
guerre mondiale, très dynamique. Elle occupe une place importante dans son pays. Les juifs
sont très présents en ville : le recensement de 1899 témoigne de cette réalité en dénombrant
une population urbaine, juive à 30% alors qu’elle est de 1% à la campagne. Ces chiffres sont
encore plus importants dans des villes telles que Falticeni (57% de la population totale),
Dorohoi (53.6%) ou Iasi (50.8%).
Economiquement, la place des juifs est également considérable. Selon les statistiques de 1904,
la part des juifs dans le commerce est de 20,4%. Dans les villes (citées précédemment) ils
sont très nombreux, ils possèdent souvent plus de 70% des commerces. Aussi, ils sont visibles
dans les professions libérales (qu’ils avaient le droit de pratiquer, contrairement à de
nombreux autres métiers). Par exemple, 38% des médecins exerçant en 1904 sont de
confession juive.
Cette omniprésence dans les domaines marchands et libéraux provient de la place qui a été
accordé à cette minorité, dés son arrivée dans le pays, ainsi que des droits octroyés au gré des
souverains. Cela n’a pourtant pas empêché ses membres de développer une dynamique qui
s’est perçue jusqu’à la seconde guerre mondiale. C’est à ce moment sombre de l’histoire
qu’on peut situer la « fin » de la formidable vie de la communauté juive de Roumanie.
Comme nous le savons, les juifs ont été en première ligne de cette guerre.
En Roumanie, le gouvernement de l’époque tenu par le « maréchal » Antonescu, a eu un
comportement contradictoire envers ceux-ci. Ils sont massacrés pendant les premières années
par les « légionnaires » de la tristement célèbre « garde de fer », groupuscule fasciste qui a
l’autorisation du chef de l’Etat (Antonescu), de mener les actions qu’il souhaite. Sans aucune
indication des Nazis, ces barbares commettent des pogroms (à Iasi par exemple) et des
déportations (en Transnistrie). Par la suite, et à partir de 1944, les Juifs sont protégés par le
gouvernement qui ne résiste pas longtemps et qui est renversé par le Roi Michel.
Le nouveau chef de l’état (le roi Michel, lui-même expulsé par les communistes plus tard),
opposé aux idées mise en œuvre par le Maréchal Antonescu, se retourne contre la force de
l’Axe pour rejoindre les Alliés. Le bilan est pourtant tragique, avec plus de 40% de la
population juive assassinée (selon les estimations, environ 350 000 à 450 000 personnes sur
un total de 850 000 à 900 000).
Suite à ces années sombres, les juifs croient bon de s’allier aux communistes qui pensent-ils
les protégeront. Ils sont vite déçus, comme le montre le renversement de situation qu’est la
condamnation du groupe communiste juif Patrascanu en 1954. Commence alors une massive
émigration vers Israël (selon les derniers recensement les israéliens d’origine Roumaine sont
environ 400 000). Aujourd’hui, la communauté de Roumanie est composée, comme le
recensement de 2002 nous le fait savoir de moins de 10 000 personnes.
Pourtant, l’âme du peuple Juif, très présente au cours des 17ème, 18ème et 19ème siècle, existe
toujours dans la société. On peut s’en rendre compte en visitant les villes les Evrei (Juifs
en Roumain) vécurent : cimetières, habitations, synagogues témoignent de cette histoire.
L’héritage des Juifs de Roumanie
Au cours de ces six siècles de vie Roumaine, les Juifs ont construit et développé un
patrimoine important. Les synagogues et les cimetières sont les principaux témoins de cette
présence et de sa fin tragique. L’état dans lequel elles subsistent vient nous rappeler qu’il y a
eu une communauté importante en Roumanie et que sa disparition est d’actualité.
Voir une partie de l’histoire du pays et de l’Europe disparaître de cette manière serait une
perte énorme pour le patrimoine historique et la mémoire du continent. Cela serait également
une victoire pour ceux qui ont souhaité la disparition des juifs. La présence de la communauté
représente une partie de l’histoire Européenne, notamment par la manière dont y vivaient les
minorités avant le milieu du 20ème siècle.
Notons que la France, pays ayant le plus aidé à la création de la Roumanie, a toujours été très
influente dans le soutien aux minorités. Ceci à travers toute l’Europe (Roumanie y comprise)
ou l’Afrique du Nord. Elle a encouragé les gouvernements à lutter contre les groupuscules
antisémites et défendu les différents groupes ethniques par le vote de lois spécifiques. Suite à
ces demandes, la Roumanie a accepté de ratifier le Traité de protection des minorités, inclus
dans le traité de Paris de 1858. Malheureusement, celui-ci n’a jamais été réellement appliqué.
Cet héritage est aussi réel sur les plans intellectuels et artistiques. En effet, on retrouve une
influence juive dans différentes formes d’art et de littérature roumaines.
Ainsi, un certain nombre de personnalités nées dans des familles juives de Roumanie ont eu
une part considérable dans l’art et la littérature occidentale du début et milieu du 20ème siècle.
Ceux-ci ont transposé toute l’inspiration acquise dans leur pays d’origine à travers différentes
formes d’expression. Ils ont également transporté ces œuvres à travers le monde et ont apporté
à la Roumanie une reconnaissance mondiale supplémentaire.
Ces artistes et intellectuels ont laissé une emprunte dans des domaines aussi variés que la
peinture, la littérature, la linguistique ou l’architecture. Les plus fameux sont sans conteste :
Marcel Janco, illustrateur, peintre et architecte. Il est également célèbre pour sa participation
au mouvement dada. Il termina sa vie en Israël.
Tristan Tzara, grand ami de Marcel Janco, il est un des « pères » du mouvement dada. Il fut
poète puis historien et émigra en France, où il vécut ses derniers jours.
Paul Celan, philosophe et poète de langue allemande émigra aussi en France. Il est
particulièrement reconnu par ses pairs allemands.
Benjamin Fondane fut un écrivain passionné par la culture française. Il vécut en France
avant d’être déporté à Auschwitz puis gazé à Birkenau.
De nombreux autres, tels que Mihail Sebastian, Constantin Dobrogeanu-Gherea, Lazar
Saineanu ou Alexandru Graur ont écrit, peint ou pensé en opérant un subtil mélange de leur
culture religieuse et de celle de leur pays.
Les Juifs de Roumanie ont aussi influencé la vie juive en créant le premier théâtre Yiddish au
monde (1876, situé à Iasi et toujours en activité), divers journaux confessionnels et en
composant de la musique traditionnelle. Ils ont joué un rôle important dans la création de
l’Etat d’Israël en fondant deux des plus anciennes localités Israéliennes. Il s’agit de Rosh Pina
(1878) et de Zikhron Ya'akov (1882).
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