Alexandre Safran et les juifs de Roumanie Par le professeur Albert Bensoussan On connaît depuis longtemps les ailleurs, sur les Juifs du Midi, son lieu de travaux du chercheur Carol Iancu qui, résidence, voire sur les Juifs d'Afrique du depuis Montpellier où il est professeur Nord, aux côtés de sa savante épouse émérite de l'université Paul Valéry et Danièle Agou (originaire de Djelfa). directeur de l'École des Hautes Études du Naguère venu à l’université de Rennes-2, Judaïsme de France, s'est intéressé de il s’était penché avec bon nombre de près à sa communauté d'origine en spécialistes sous l’autorité de l’historien produisant des ouvrages tels que Les Marc Belloc sur ce que disent et ce que Juifs en Roumanie (1866-1919). De ne disent pas des Juifs et de la tragédie l'exclusion à l'émancipation, Le combat juive les manuels scolaires d’histoire − international pour l'émancipation des mais où en est aujourd’hui en France Juifs de Roumanie ou La Shoah en l’enseignement de la Shoah en classe Roumanie. Tout en se penchant, par d’histoire ? 1 Carol Iancu S'il est une figure emblématique du Nous retrouvons donc ici le grand-rabbin judaïsme roumain contemporain, c'est de Roumanie dans les années de peste bien celle du grand-rabbin Alexandre brune, suivies de celles de peste rouge, Safran i auquel consacre car comme le dit cet épigramme politique aujourd'hui l'étude la plus documentée en d'un opposant roumain : « Camarade, ne produisant, sois pas triste / la Garde de Fer avance / en Carol complément de sa biographie, des documents totalement inédits – provenant diplomatiques des par le Parti Communiste » ! archives américaines Si les statistiques disent qu'entre 280 et 000 et 380 000 Juifs Roumains et britanniques des année 1944-1948 – et Ukrainiens – ceux de Bessarabie, de des articles de presse, du plus haut intérêt. Bucovine où était né Aharon Appelfeld, Cette étude complète un précédent et de Transnistrie (région de l'Ukraine ouvrage Alexandre Safran. Une vie de combat, un faisceau de confiée par Hitler à la Roumanie entre lumière 1941 et 1944) – ont p é ri dans les (Montpellier, 2007 – et publié en pogromes et les déportations sous traduction roumaine à Bucarest en 2008). administration 2 roumaine alliée à l'Allemagne chiffres vie en jeu pour sauver celle de son précédents il faut ajouter 135.000 Juifs importante communauté. Menacé de tout roumains de la Transylvanie du Nord, côté par le pouvoir fasciste en place, c'est occupée par la Hongrie entre 1940 et miracle – Baroukh Hachem – qu'il ait pu ont é t é déport é s par les échapper à la mort. À la Libération – par autorités hongroises à la demande de l'Armée Rouge, qui saura bien faire 1944, qui nazie (aux sentir combien ces Roumains lui sont l'Allemagne nazie en mai-juin 1944, et dont 110.530 redevables – on trouvera Alexandre ont é t é exterminés à Safran sur deux fronts : d'une part ses Auschwitz- Birkenau), il restera malgré démarches aux États-Unis pour obtenir tout en Roumanie 360 000 Juifs à la fin des secours bien nécessaires et collecter de la Seconde Guerre mondiale, ce qui des fonds auprès de l'American Jewish représente alors la plus importante Committee – et le rôle, après la guerre, de communauté juive d'Europe de l'Est. Il y l'American Joint Distribution Committee, a en Israël un peu plus de 300 000 juifs là comme ailleurs pour la survie des originaires de Roumanie. communautés juives (et je me rappelle sa Mais justement, nous dit Iancu, si présence et son action à Alger, capitale plus de la moitié des Juifs roumains de la France Libre en 1943 : son purent échapper à la Shoah, c'est grâce à représentant s’appelait Élie Gozlan). leur combat pour leur survie sous la L’auteur note que cette générosité et ces conduite de dirigeants remarquables dont, largesses, bien qu'une partie de l'aide ait au premier chef, Alexandre Safran, leur été guide spirituel. Iancu cite à ses côtés, versée aussi aux populations chrétiennes, attisèrent l'antisémitisme notamment, la haute figure de Wilhelm roumain qui ne demandait qu'à se raviver, Filderman, président de l'Union des Juifs malgré Roumains, lui-même victime de la l'horreur deuxième répression et déporté un temps en front du Génocide. d'autre part, Et la conférence de Seelisberg en Suisse (30 Transnistrie. Tout cela ne fut pas facile, juillet – 5 août 1947) où Alexandre on le comprend bien, on le devine, et le Safran se rendit pour que l'Europe grand-rabbin sut et dut toujours mettre sa chrétienne – à partir des 18 propositions 3 de notre grand Jules Isaac (issues de son marchandise, empochant 10 000 dollars ouvrage capital Jésus et Israël) − puisse de "compensation" pour chaque juif en partir sur un autre pied, et d’un bon pied partance pour Israël. Mais, bien sûr, avec le bon pape Jean XXIII. On le voit Alexandre Safran en avait trop fait, et il à Seelisberg sur une photo reproduite ici fut contraint à l'exil, juste au lendemain aux côtés de notre grand-rabbin du du vote tant attendu et tant célébré de moment, Jacob Kaplan. Par ailleurs, l'ONU sur la partition de la Palestine et Alexandre Safran aida au développement la création d'un État juif indépendant de ce qu'on a appelé l'Alya Beth – « pour lequel – écrit Carol Iancu – il l'immigration illégale – qui, malgré s'était tant investi ». On ne peut l'opposition farouche – et, disons-le, évidemment pas résumer pareil ouvrage franchement des si plein d'informations, de chiffres, de Britanniques qui firent refluer bon précieux documents, totalement inédits, nombre d’émigrants sur l’île de Chypre, et aussi de photos émouvantes, dont en recréant pour eux de nouveaux camps celles où l'on voit le grand-rabbin aux de concentration (le film Exodus, de côtés d'Albert Einstein, près de Jacob Preminger, en a fait son point de départ) Kaplan, près aussi de Mişu Benvenisti, –, permit, entre 1950 et 1951, à 100 000 président de la Fédération sioniste de Juifs roumains de gagner Eretz-Israël où Roumanie ils constituent aujourd'hui une très active compagnie de Yehudi Menuhin : les et importante communauté israélienne, grands sages de la terre se tenaient près forte de plus de 300 000 âmes. Rappelons de lui. Assurément Alexandre Safran fut que la Roumanie communiste traitera les un grand sage, un tsadik. candidats i « dégueulasse » à l'alya comme en 1947, et aussi Albert Bensoussan une Carol Iancu, Alexandre Safran et les Juifs de Roumanie durant l'instauration du communisme, Editura Universităţii ''Alexandru Ioan Cuza'' Iaşi, 2016, 562 p. 4 en