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nouveau être envisagées de manière impartiale. D’autre part, ce sont justement les
Lumières allemandes ainsi que la philosophie et la littérature de l’époque classique
allemande — lesquelles fondent la vie collective des humains sur un sujet autonome, sur
sa raison et son langage — qui se doivent de combattre le mensonge perçu comme «la
marque de la corruption de la nature humaine» (Kant), tout en se rendant compte des
difficultés auxquelles se heurte un projet si ambitieux. Rien d’étonnant à ce que certains
courants radicaux et avant-gardistes à leur début, tel le romantisme, finissent par
rejoindre une morale et une théorie de l’État à fondements métaphysiques. Pourtant, ce
regard tourné vers les sommets de la pensée ne devrait pas occulter le fait que la
condamnation morale du mensonge persiste dans les discours « quotidiens »
(Alltagsdiskursen), notamment pédagogiques, et qu'elle domine les discours officiels tout
au long du XIXe siècle.
Quant à la théorie du mensonge, des ruptures importantes se produisent avec la
découverte du lien entre connaissance de la vérité et intérêt des classes par Marx, ainsi
qu’avec la réhabilitation du mensonge par Nietzsche, qui conçoit la vérité comme
transitoire et le mensonge, ou plutôt la tromperie, comme constituant indispensable de la
vie et de la survie. S’y ajoute la critique du sujet, de la connaissance et du langage propre
au courant de la modernité autour de 1900. La Selbsttäuschung inconsciente (Freud), le
manque de fiabilité de la perception (Mach), les limites du langage (Hofmannsthal)
occupent le centre de la pensée du XXe siècle et remettent en question la notion de
mensonge. Au sein de la psychanalyse, il n’a pas de statut clair, il en va de même dans la
pensée marxiste ; la sociologie (à l’exception de Simmel) le marginalise, les courants
avant-gardistes littéraires s’en méfient, la philosophie du langage prononce sa liquidation
(Wittgenstein). Sartre lui préfère la notion de « mauvaise foi », la post-modernité l’utilise
à ses fins. De nos jours enfin, l’acte individuel du mensonge intentionnel est perçu
comme dérisoire face aux moyens techniques de manipulation et à la production de la
« fausse conscience », qui ont pris une ampleur insaisissable.
Pourtant, on ne saurait renoncer à la notion de mensonge : le combat mené contre lui est
resté un ressort politique important, de Karl Kraus aux mouvements sociaux actuels en
passant par Hannah Arendt. Aujourd’hui encore, il constitue un motif important de
l’écriture littéraire, et ce pas seulement dans les pays totalitaires. Même la philosophie
contemporaine comme celle des « interactions communicatives » (Habermas) ne peut
s’en passer, l’œuvre tardive de Derrida en témoigne également.
Les contributions sur la théorie du mensonge seront les bienvenues, mais aussi les études
de cas relevant de la littérature, de la philosophie, de la civilisation ou de la linguistique.
On peut ainsi envisager des travaux sur le rapport entre fiction et mensonge en général,
ou plus spécialement dans certains genres littéraires comme le récit fantastique et le
conte. Une place peut également être accordée à des figures rhétoriques apparentées au
mensonge comme l’ironie ou la satire. On pourrait en outre s’intéresser aux traditions
populaires d’ « histoires mensongères » (Lügengeschichten), d’Eulenspiegel à Schwejk en
passant par les Münchhausenaden. L’histoire littéraire est peuplée de différents types de
« menteurs » comme l’intrigant (Marinelli dans Emilia Galotti de Lessing) ou l’imposteur