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Karl Heinz Götze / Ingrid Haag
À la recherche de quelques vérités à propos du mensonge.
Versuch, einige Wahrheiten über die Lüge zu finden.
Réflexions théoriques et études de cas de l’Antiquité à nos jours.
La notion de mensonge n’ayant jamais pu faire l’objet d’un consensus au niveau
théorique, les grands courants de la pensée moderne du marxisme à la postmodernité
en passant par la psychanalyse et l’existentialisme l’ont volontiers éludée, sinon
écartée. Difficile à cerner avec précision en théorie mais la plupart du temps associé à des
connotations dépréciatives, le mensonge n’en demeure pas moins un fait d’expérience
d’une importance capitale. Dans la communication courante, la confrontation avec le
mensonge est d’ailleurs inéluctable pour savoir si tel ou tel énoncé a é émis avec
l’intention délibérée de tromper.
Le caractère flou mais incontournable de la notion de mensonge n’est pas sans rappeler
les problématiques liées à la notion d’amour que le groupe de recherche du Département
d’Etudes germaniques d’Aix-en-Provence a explorées à l’occasion de trois colloques
internationaux. La démarche consistant à relier l’analyse théorique à l’étude de cas
empruntés à différentes époques s’était alors révélée particulièrement fructueuse. C’est
donc une démarche de ce type qui permettra d’approcher et de saisir le caractère
contradictoire du mensonge, qui - au-delà du jeu de sonorités reliant les termes allemands
(Liebe-Lüge) - présente certaines affinités avec la notion d’amour.
Si le mensonge vise à tromper, s’il peut avoir un effet destructeur, voire autodestructeur,
il apparaît pourtant comme un ressort primordial, non seulement à l’échelle de
l’existence individuelle à l’instar de la Lebenslüge chère à Ibsen mais aussi pour
l’humanité dans le cadre du processus de civilisation.
On l’aura compris : cet appel ne se limite pas aux germanistes et encore moins aux
germanistes « littéraires ». Sans un regard sur les débats de l’Antiquité au sujet du lien
entre fiction et mensonge (Platon), sans un regard sur la figure du « rusé » (Ulysse), qui,
selon Horkheimer et Adorno, inaugure la « Dialectique des Lumières », on ne saura saisir
l’histoire du discours sur le mensonge, comme il paraît également indispensable de
garder à l’esprit la condamnation chrétienne du mensonge chez un Saint-Augustin, un
Thomas d’Aquin ou encore un Luther, auteurs qui, tout en insistant sur son caractère
démoniaque, ont bel et bien dû prendre en compte ses multiples fonctions.
Dès l’Époque moderne, certains domaines s’affranchissent de la théologie : la théorie
politique (Machiavel, Hobbes) ou encore l’art de la sagesse d’un Graciàn. C’est ainsi que
pour la première fois depuis l’Antiquité les vertus civilisatrices du mensonge peuvent de
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nouveau être envisagées de manière impartiale. D’autre part, ce sont justement les
Lumières allemandes ainsi que la philosophie et la littérature de l’époque classique
allemande lesquelles fondent la vie collective des humains sur un sujet autonome, sur
sa raison et son langage qui se doivent de combattre le mensonge perçu comme «la
marque de la corruption de la nature humaine» (Kant), tout en se rendant compte des
difficultés auxquelles se heurte un projet si ambitieux. Rien d’étonnant à ce que certains
courants radicaux et avant-gardistes à leur début, tel le romantisme, finissent par
rejoindre une morale et une théorie de l’État à fondements métaphysiques. Pourtant, ce
regard tourné vers les sommets de la pensée ne devrait pas occulter le fait que la
condamnation morale du mensonge persiste dans les discours « quotidiens »
(Alltagsdiskursen), notamment pédagogiques, et qu'elle domine les discours officiels tout
au long du XIXe siècle.
Quant à la théorie du mensonge, des ruptures importantes se produisent avec la
découverte du lien entre connaissance de la vérité et intérêt des classes par Marx, ainsi
qu’avec la réhabilitation du mensonge par Nietzsche, qui conçoit la vérité comme
transitoire et le mensonge, ou plutôt la tromperie, comme constituant indispensable de la
vie et de la survie. S’y ajoute la critique du sujet, de la connaissance et du langage propre
au courant de la modernité autour de 1900. La Selbsttäuschung inconsciente (Freud), le
manque de fiabilité de la perception (Mach), les limites du langage (Hofmannsthal)
occupent le centre de la pensée du XXe siècle et remettent en question la notion de
mensonge. Au sein de la psychanalyse, il n’a pas de statut clair, il en va de même dans la
pensée marxiste ; la sociologie l’exception de Simmel) le marginalise, les courants
avant-gardistes littéraires s’en méfient, la philosophie du langage prononce sa liquidation
(Wittgenstein). Sartre lui préfère la notion de « mauvaise foi », la post-modernité l’utilise
à ses fins. De nos jours enfin, l’acte individuel du mensonge intentionnel est perçu
comme dérisoire face aux moyens techniques de manipulation et à la production de la
« fausse conscience », qui ont pris une ampleur insaisissable.
Pourtant, on ne saurait renoncer à la notion de mensonge : le combat mené contre lui est
resté un ressort politique important, de Karl Kraus aux mouvements sociaux actuels en
passant par Hannah Arendt. Aujourd’hui encore, il constitue un motif important de
l’écriture littéraire, et ce pas seulement dans les pays totalitaires. Même la philosophie
contemporaine comme celle des « interactions communicatives » (Habermas) ne peut
s’en passer, l’œuvre tardive de Derrida en témoigne également.
Les contributions sur la théorie du mensonge seront les bienvenues, mais aussi les études
de cas relevant de la littérature, de la philosophie, de la civilisation ou de la linguistique.
On peut ainsi envisager des travaux sur le rapport entre fiction et mensonge en général,
ou plus spécialement dans certains genres littéraires comme le récit fantastique et le
conte. Une place peut également être accordée à des figures rhétoriques apparentées au
mensonge comme l’ironie ou la satire. On pourrait en outre s’intéresser aux traditions
populaires d’ « histoires mensongères » (Lügengeschichten), d’Eulenspiegel à Schwejk en
passant par les Münchhausenaden. L’histoire littéraire est peuplée de différents types de
« menteurs » comme l’intrigant (Marinelli dans Emilia Galotti de Lessing) ou l’imposteur
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(Felix Krull de Thomas Mann). En tout état de cause, le mensonge et la tromperie sont
omniprésents dans le texte littéraire ils constituent le plus souvent un ressort essentiel
de l’intrigue. Dans le cadre du colloque, il serait intéressant d’élaborer une typologie
historique des difrentes figures « mensongères ».
Les contributions sur la sémantique historique du mensonge, sur la question de sa portée
interculturelle (par exemple sur les traditions françaises et allemandes de la politesse), ou
encore dans le domaine, très vaste de la relation entre image et mensonge seront
particulièrement bienvenues.
Les domaines et thématiques mentionnés ne sont en rien restrictifs, ils ne représentent
que quelques pistes de réflexions.
Le colloque aura lieu le 17, 18 et 19 octobre 2013 à Aix-en-Provence. Une publication
est prévue dans les Cahiers d’Études Germaniques, sous réserve de l’accord du Comité
de rédaction, au printemps 2014.
Nous souhaiterions connaître vos propositions, accompagnées de quelques lignes d’un
résumé, d’ici le 2 janvier 2013.
Avec nos salutations cordiales,
Karl Heinz Götze, 8 rue du 4 septembre, 13100 Aix-en-Provence
charly. goetze@univ-provence.fr
Ingrid Haag, 27 ter rue de la paix, 13100 Aix-en-Provence
A Aix en Provence, le 5 octobre 2012
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