LA COMMUNICATION NON VERBALE DANS
LA CLASSE DE FLE
Cristiana-Nicola TEODORESCU
L’enseignement des langues étrangères connaît comme endroit de
prédilection la classe, en tant que «lieu d’une pratique exemplaire», lieu de
formation, mais aussi d’interaction (Cicurel 2002). Cette «scène» rassemble toute
sorte de manifestations de communication verbale, mais aussi non verbale, dont le
poids (in)formatif reste à être bien mesuré par les chercheurs en didactique. Mais,
comme le souligne Dominique Forest, dans sa thèse de doctorat (2006: 5) même si
«tout le monde s'accorde sur l'importance du corps du professeur et de l'espace de
la classe dans l'acte d'enseignement; il existe peu de recherches et encore moins de
résultats permettant de mettre en relation directe cet usage du corps et les
apprentissages des élèves».
Notre objectif de recherche est de voir quelles sont les stratégies de
communication gestuelle et proxémique privilégiées par les professeurs de français
langue étrangère, dans cet espace - scène qui est la classe de langues étrangères et
quel est leur impact sur l’apprentissage des élèves. Nous concevons l’action de
l’enseignant d’une manière anthropologique, considérant, à la suite de Gérard
Sensevy, que «le didactique constitue l’une des dimensions fondamentales du
social, au même titre que le politique, le religieux, le juridique, etc.» (Sensevy,
Forest, Barbu 2005).
1. L’analyse du comportement gestuel et proxémique de l’enseignant de
FLE On ne peut pas parer la communication verbale de celle non verbale de
l’enseignant, son comportement interactionnel, en tant que l’un des acteurs de la
scène -classe, influençant de manière extrêmement puissante la communication
didactique avec les apprenants, facilitant ou bloquant leur rythme d’apprentissage.
Notre intérêt de recherche est de mesurer le pouvoir du geste didactique et de
la proxémie dans la classe de FLE, leurs rôles pédagogique et didactique, nous
appuyant sur la constatation de Mercier, Lemoine et Rouchier (2001: 247) qui
voient dans le comportement non verbal du professeur une «technique d’aide à
l’étude». L’action du professeur est fondamentalement une action communicative,
«centrée sur l’initiation et le maintien de la relation didactique. La relation
didactique est une action ternaire, qui unit l’élève, le professeur et les savoirs. Les
savoirs sont donc enjeu de cette relation: nous postulons qu’ils lui donnent sa
logique et qu’ils déterminent sa grammaire. Comprendre la relation didactique,
c’est donc comprendre comment le savoir - enjeu modèle les différentes
interactions qui la composent» (Sensevy, Forest, Barbu 2005). Dans l’architecture
de la relation didactique, un rôle fondamental est joué par le comportement non
verbal de l’enseignant.
Le corpus soumis à l’analyse est représenté par l’enregistrement de dix
leçons de français langue étrangère, soutenues par deux enseignantes du Collège
National «Elena Cuza» de Craiova, Roumanie, enseignantes avec une longue
ancienneté dans l’enseignement du FLE et une grande expérience didactique. Nous
avons enregistré plusieurs classes de collège, cinq classes pour chaque enseignante,
une classe de IX-ème, deux classes de X-ème, une classe de XI-ème et une classe
de XII-ème, pour voir s’il y a des modifications significatives au niveau du
comportement non verbal en fonction de l’âge des apprenants. Nous avons observé
et analysé uniquement le comportement communicationnel non verbal des deux
enseignantes, la manière dans laquelle ce comportement favorise ou non la
communication didactique en langue étrangère.
2.1. La communication non verbale quelques repères théoriques.
L’affirmation conformément à laquelle la communication est un phénomène
multicanal ou plurimodal est déjà du domaine de la banalité, la démultiplication
des canaux et des modes de communication faisant partie intégrante de notre vie
quotidienne. Entre deux personnes, la communication ne se réduit pas à des
échanges de nature verbale. Plus précisément, «durant une interaction face à face,
par exemple, chaque interlocuteur émet et reçoit un énoncé total, hétérogène,
résultat de la combinaison, en général synergique, de plusieurs éléments» (Cosnier,
Brossard 1984: 5).
Barlund s’inscrit dans la même ligne quand il affirme que «Beaucoup de
significations humaines - même la plupart - sont façonnées par le toucher, la
parole, les gestes, l'expression du visage, avec ou sans paroles. Les individus
s’observent réciproquement, en écoutant les pauses et l'intonation, en observant les
vêtements, les yeux ou la tension du visage, tout comme les mots qu’ils prennent
en considération» (Barlund 1970: 67). Sans communication non verbale, notre
monde serait incomplet et la pauvreté de nos interactions maximale.
Il est très difficile de définir la communication non verbale, son caractère
pluricanal et plurimodal. La communication non verbale serait représentée par tout
élément entrant dans la composition d’un phénomène communicatif et qui ne
s’appuie pas directement sur la communication orale ou écrite (Martin 2002: 26) et
qui implique «la somme des stimulus (à l’exception de ceux verbaux) présents dans
le contexte d’une situation de communication, générés par l’individu et qui
contiennent un message potentiel» (Chiru 2003: 32). On voit que la communication
non verbale «contient un ensemble vaste et hétérogène de processus ayant des
propriétés communicatives, en commençant avec des comportements plus
manifestes et macroscopiques, comme l’aspect extérieur, les comportements de
relation spatiale avec les autres (rapprochements, distanciations) et les mouvements
du corps (du tronc, des membres ou de la tête) jusqu’au aux activités moins
évidentes et plus fugaces, comme les expressions faciales, les regards et le contact
visuel, les intonations vocaliques» (Hennel-Brzozowska 2008: 22). Il s’agit ici
d’éléments de nature paralinguistique, comme l’intonation et la mimique, mais
aussi la gestualité, la proxémique, la kinésique, qui peuvent modifier ou influencer
le message et l’interaction.
2.1.1. L’approche interdisciplinaire de la communication non verbale
Les chercheurs sont d’accord avec le fait qu’il n’y a pas une seule théorie
générale de la communication non verbale et qu’il y a plusieurs disciplines qui
s’occupent de l’étude de ses types, formes et fonctions. En synthétisant tous les
types d’approche de la communication non verbale, S. Chelcea tire la conclusion
que «du point de vue théorique et méthodologique, l’analyse de la communication
non verbale s’est développée sur trois grandes dimensions : a) l’analyse des
indicateurs (l’étude de l’apparence physique, des artefacts); b) les facteurs
déterminants de la communication non verbale (hérédité, culture, appartenance au
genre, contexte, etc.); c) les fonctions de la communication non verbale» (Chelcea,
Ivan, Chelcea 2005: 31), dimensions qui ont conduit à des approches extrêmement
généreuses, dont nous ne pouvons pas exclure la dimension didactique. On voit que
l’étude de la communication non verbale se retrouve au carrefour de plusieurs
disciplines scientifiques, qui, toutes, corroborent leur réflexion, leurs analyses et
leurs observations sur ce domaine fascinant de la connaissance: biologie,
neurosciences, sociologie, anthropologie, psychologie expérimentale, sociale et
clinique, didactique et pédagogie.
2.2. La gestualité didactique
Les gestes contiennent les mouvements, la tenue de la tête, des bras, des
mains, du corps, des pieds. La gestualité ou ce qu’on appelle body language n’est
pas une préoccupation récente, mais, comme le souligne Adam Kendon (cf.
Chétochine 2008: 6), le grand historien de la gestualité, les premières informations
écrites apparaissent dès l’antiquité. Les gestualistes sont préoccupés par les
significations multiples des gestes dans les divers rapports de communication
interpersonnelle, confirmant, tous, la vérité de la célèbre affirmation de José Ortega
y Gasset qui disait «sans vos gestes, j’ignorerais l’entier secret lumineux de votre
âme».
2.2.1. La classification des gestes
La littérature de spécialité distingue plusieurs typologies des gestes:
H. Wespi (apud Dinu 2000: 229) divise les gestes en fonction de leurs
rapports avec les mots en: substitutifs, complétifs et d’accompagnement du
discours verbal.
Une autre typologie des éléments mimo-gestuels inventorie: gestes quasi-
linguistiques (le doigt devant les lèvres comme signe de silence), co-verbaux (le
geste de présentation ou d’introduction d’une personne, synchronisateurs
(mouvement léger de la tête, accompagpar la parole, en signe de confirmation)
et extra-communicatifs (les gestes qui accompagnent le discours sans supplément
d’information, comme le toucher des cheveux, du front, de la blouse etc.).
Paul Ekman et Wallace V. Friesen (apud Chelcea, Ivan, Chelcea 2005: 130-
135) proposent la typologie suivante:
Les emblèmes représentent, au fond, les gestes substitutifs de la typologie
de Wespi, pouvant remplacer le langage et former un autre langage (le langage des
sourds-muets). Les emblèmes soulignent et doublent les mots, le locuteur ayant un
contrôle quasi total sur leur utilisation. Il y a plusieurs types d’emblèmes, en
fonction de l’identité entre la forme du geste et celle de l’objet désigné: emblèmes
référentiels, codifiés du point de vue iconique, et emblèmes conventionnels, mais
leur différenciation est assez difficile. Les emblèmes sont codifiés du point de vue
culturel, variant, tant quantitativement que formellement, d’une culture à l’autre.
Indifféremment de la culture dans laquelle les emblèmes se manifestent, elles ont
des fonctions claires: l’insulte, la signalisation de la distance dans les relations
interpersonnelles, l’appréciation de l’activité et des performances des autres, la
signalisation de la séparation, des réponses affirmatives ou négatives à des
sollicitations diverses, le commentaire de certains états physiques ou affectifs. Les
emblèmes représentent l’apanage du locuteur, mais aussi de l’interlocuteur, qui,
parfois à travers le paralangage, exprime son intérêt et son désir de continuation de
la communication.
Les illustrateurs sont des éléments non verbaux qui ont le rôle
d’accompagner et de compléter le message. Ils sont moins arbitraires que les
emblèmes et, ayant un caractère inné, sont universels. Les deux chercheurs
identifient huit types d’illustrateurs réalisés avec les mains;
Les bâtons, mouvements verticaux des mains qui ont le rôle d’accentuer
certains mots ou certaines idées du discours;
Les pictographes, mouvements des mains qui décrivent dans l’air certaines
formes des objets dont on parle. Mihai Dinu (2000: 233-234) cite la définition
amusante, des années 60, de la notion de gentleman: «un gentleman est un
monsieur qui peut décrire Marylin Monroe sans utiliser ses mains»;
Les idéographes sont des gestes qui décrivent les mouvements abstraits de
la pensée ou du raisonnement;
Les mouvements déictiques soulignent le discours, indiquant des objets, des
endroits ou des personnes. Ils sont soumis aux règles de politesse, entrant sous
l’incidence du tabou gestuel, le mouvement déictique pouvant être repris par
d’autres composants corporels (le regard, par exemple);
Les mouvements spatiaux sont des gestes qui décrivent des relations
spatiales et des rapports de positionnement entre les objets et les personnes;
Les mouvements rythmiques sont des gestes qui décrivent la cadence d’une
action ou le tempo d’un discours;
Les kinéographes sont des gestes qui indiquent le fonctionnement du corps
humain (l’échine souple des subordonnées devant leurs chefs) ou différents
comportements des animaux (le geste qui imite la morsure d’un chien);
Les illustrateurs emblématiques sont des gestes qui mettent en évidence un
certain mot ou une partie d’un discours qu’ils accompagnent (les doigts en forme
de V pour signifier la victoire, accompagnés du cri «victoire»);
Les expressions faciales (appelées par Mihai Dinu mouvements affectifs)
ont le rôle d’indiquer nos états affectifs (joie, peur, dégoût, colère, tristesse,
surprise, fatigue, etc.);
Les régulateurs ou gestes de réglage sont les gestes qui maintiennent et
contrôlent la communication, c'est-à-dire l’interaction avec les autres. Leurs
principales fonctions sont celle expressive (quand on écoute nous ne restons pas
passifs, mais on fait des gestes pour marquer l’intérêt, la curiosité, la confirmation,
l’accord, etc.) et celle phatique (on assure le maintient du contact avec
l’interlocuteur). L’émetteur peut ainsi bénéficier d’un précieux feed-back et régler
son énonciation.
Les adapteurs sont les gestes les moins liés à la communication, des gestes
stéréotypes, ayant un rôle de soupape qui apparaissent dans les moments de
concentration (mouvements rythmiques des pieds) ou de tension psychique. Les
chercheurs distinguent:
Les alter-adapteurs, des gestes de manipulation des objets dans un but
pratique (balayage) qui acquièrent des valences communicationnelles dans leur
utilisation à des finalités didactiques («c’est ainsi qu’on balaye»).
Les auto-adapteurs (manipulateurs dans la terminologie de R. B. Adler et G.
Rodman (apud Chelcea, Ivan, Chelcea 2005: 34) sont des gestes de manipulation
du propre corps (avec les mains, les doigts…) et des mouvements faits pour
satisfaire certains besoins biologiques, bien des fois interdits dans leur utilisation
en public.
Les adapteurs objectuels sont des gestes mécaniques et répétitifs réalisés
avec certains objets (stylo, verre…).
Desmond Morris (apud Chelcea, Ivan, Chelcea 2005: 135-137) propose une
autre typologie des gestes, en les classifiant en:
Gestes expressifs, expressions faciales qui trahissent des états émotionnels
et échappent au contrôle volontaire;
Gestes mimés, à l’aide desquelles on essaie l’imitation d’une personne,
d’une action, d’un objet. On peut parler de: mimétisme social (le sourire large à la
rencontre avec une personne désagréable), mimétisme théâtral (la tentative
délibérée d’imiter certaines actions ou personnes), mimétisme partiel (l’imitation
de certaines actions inconformes à la réalité - l’imitation du vol, du suicide),
mimétisme en vide ou en absence d’un certain objet (l’imitation de la sensation de
faim);
Gestes schématiques qui ressemblent aux gestes mimés, une sorte de
variante simplifiée,
Gestes symboliques qui signifient une qualité abstraite, étant fortement
connotés du point de vue culturel (le geste pour «mon œil»);
Les gestes techniques, spécifiques et significatifs pour certaines professions
ou groupes sociaux;
Gestes codifiés, qui ressemblent beaucoup aux gestes techniques, étant
spécifiques à certaines catégories (sourds-muets, par exemple).
Il serait intéressant pour notre démonstration de rappeler la typologie des
gestes proposée par J.B.Bavelas (apud Chelcea, Ivan, Chelcea 2005: 137) en
directe corrélation avec leur rôle dans la conversation, dans les interactions de type
face-to-face:
Gestes liés au contenu de la discussion (les emblèmes et les illustrateurs de
la classification de Ekman);
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