Croire contre toute espérance Il est faux de dire que la présence de Dieu est visible de partout et qu’il suffit d’ouvrir ses yeux et son cœur pour voir Dieu à l’action dans la vie des hommes et dans la nature. Il m’a été donné de rencontrer des hommes meurtris, cassés par les expériences de la vie que le nom de Dieu suffisait à indisposer. Ce n’est même pas le nom de Dieu, c’est le mot dieu qui leur était insupportable. Quand on utilise alors la carte de visite de pasteur pour s’introduire auprès d’eux, leur réaction devient violente. Evidemment je fais ici allusion à mes expériences d’aumônier de prison. J’ai rencontré un homme auquel je pense parfois, son visage a laissé une empreinte indélébile dans ma mémoire. Il était enfermé derrière un mur de haine, cloîtré volontairement dans sa cellule. Comment acceptait-il ma présence, je ne sais plus ? Il acceptait que je m’asseye devant lui quelques minutes en silence dans sa cellule, et ma présence silencieuse devait quelque peu le soulager, parfois il me signifiait qu’il fallait que je le laisse, d’autre fois il se mettait à engager le dialogue sur tout autre sujet que sur Dieu et je me disais parfois que la partie était gagnée. Un jour, et ce fut la dernière fois que nos chemins se croisèrent, il avait été transféré au mitard, dans la cellule des punis. Je me proposais d’aller le visiter. Il refusa ma présence et me fit dire par le surveillant : « je n’ai rien à voir avec Dieu ». Je ne lui avais moimême jamais parlé de Dieu, mais il avait interprété cette fois là ma présence comme une intrusion de Dieu dans sa détresse. Du fait de sa nouvelle situation sa haine devenant insupportable, il la transféra sur moi, d’abord, sur Dieu ensuite, sur lui-même enfin. L’histoire s’arrête là pour moi, mais me laisse toujours un goût amer quand j’y repense. Je conçois que l’on puisse ne pas croire en Dieu. Je conçois également qu’on cherche à n’avoir ni rapport ni relation avec lui. C’est le sort de beaucoup de gens ! Mais projeter sur lui tout le contenu de sa haine cela me dépasse, il faut un courage formidable ou être totalement déconnecté de la réalité pour le faire, car cela demande beaucoup de hardiesse pour commettre ainsi un crime de lèse-majesté divine au risque de déclencher le courroux du Seigneur. C’est d’ailleurs peut être cela qu’il cherchait. Mais dans sa condition, le ciel resta apparemment vide pour lui et seul le silence répondit au silence. Quelle frustration cela doit-il être que de se trouver sans Dieu et de se découvrir seul pour l’éternité ! Du temps où j’allais au lycée j’avais été marqué par la mort du loup de Vigny et c’est ce poème qui revient toujours à ma mémoire quand je pense à cet homme. « Gémir, pleurer et prier est également lâche Fais énergiquement ta longue et lourde tâche, Dans la voie où le sort a voulu t’appeler, Puis, après comme moi, souffre et meurt sans parler. » Pour ce qui me concerne, après cette histoire, somme toute banale en prison, j’ai alors découvert que je n’étais plus en paix avec Dieu et je lui en voulais. J’étais parvenu à m’imaginer être dans la même situation qu’ Elie, quand pourchassé par les spires de la reine Jézabel qui avait décidé de sa mort, il reçu de la main de l’ange de Dieu un quignon de pain et une cruche d’eau pour continuer sa route et rejoindre l’Horeb où Dieu l’avait convoqué. 1 Dans ma lecture des Ecritures, je trouve frustrant que le serviteur de Dieu soit aussi mal reconnu dans sa fonction par son Seigneur. Dans l’histoire de ce garçon que je vous relate. Je n’étais pas frustré pour moi, mais pour cet homme à qui j’avais été envoyé, comme l’ange, pour lui apporter le quignon de pain et qui me l’avait renvoyé au visage comme une charité inacceptable. Sur la montagne Elie reconnut Dieu dans le souffle silencieux du vent et il fut luimême reconnu par Dieu. Cela avait suffit pour remettre Elie sur pied. Mais dans l’événement que je vous rapporte, il n’y eut rien de tout cela. Dieu ne fut pas perceptible ni dans ma respiration, ni dans mon silence. La haine avait entraîné cet homme dans une région de sa conscience où même Dieu n’avait pas accès. Tout en en voulant à Dieu, je mesurais aussi la profondeur du chagrin de Dieu qui devait souffrir dans sa divinité de ne pas réussir à accéder à ce cœur humain. Il y a dans la vie de certains humains des événements qui empêchent que Dieu fasse un bout de chemin dans leur vie. Il y a des poids impossibles à supporter tout seul et l’image traditionnelle de Dieu fait peser sur nous un tel poids de culpabilité qu’on préfère s’en détourner. La lecture habituelle de la Bible ne fait-elle pas peser sur toute l’humanité une culpabilité éternelle selon laquelle Dieu resterait en procès avec l’humanité qu’il considérerait comme coupable d’un péché dit originel ?. Beaucoup de ceux qui cherchent Dieu aujourd’hui ne supportent pas cette théologie du péché originel qui fait de nous d’éternels coupables « nés dans le péché, incapables d’aucun bien qui chaque jour transgressent de plusieurs manières les saints commandements ». …Nous connaissons tous, cette prière de Calvin. Un seul remède à une telle situation : le recours à la grâce, attendre patiemment le moment propice où nous comprendrons que Dieu nous tend une main secourable. C’est alors que nous pourrons découvrir que Dieu dans sa grande générosité est seul capable d’effacer nos péchés. Alors, accablés par le repentir nous lèverons les yeux vers lui, nous nous jèterons dans ses bras. Il effacera alors la conséquence du péché que d’autres ont commis bien avant nous, mais qui pèse lourdement sur nous et qui irrite Dieu. Jouets d’un destins implacables, enfermés dans la révolte, les hommes ne peuvent s’en sortir que par un geste de miséricorde de celui qui les aurait enfermés dans leurs péchés. Il y a quelque chose de pervers et de morbide dans cet état de fait et je partage aisément avec d’autres frères humains qu’il est insupportable d’être considérés par le Tout Puissant comme des rebelles condamnés à tout jamais à l’errance éternelle à moins de s’humilier, de se repentir des fautes dont l’histoire les accable et dont ils n’ont pas conscience. Il est donc difficile, voire impossible de croire en ce Dieu de miséricorde si on se limite à cet aspect des Ecritures tant la situation ici décrite nous paraît injuste. Certes la lecture de la Bible nous a familiarisés avec une telle approche du message de la grâce. Nous y sommes tellement habitués que nous ne sommes plus choqués par ce type de message qui cadre assez mal, il faut bien le dire avec ce Dieu que par ailleurs on nous présente comme plein d’amour et de tendresse. 2 Mais ce n’est pas tout et, pardonnez-moi, si je vous heurte encore, mais je vais dire un certain nombre de choses qui nous semblent évidentes mais qui sont inacceptables pour celui qui a l’intuition de Dieu sans le connaître vraiment et qui cherche à se rapprocher de lui. N’essayez pas, je vous en prie de me dire ce qu’on a coutume d’asséner à tout chercheur de Dieu : « tu ne chercherais pas Dieu si lui ne t’avais déjà trouvé…» Soit ! Que Dieu ait fait le premier pas, on peut l’accepter volontiers, mais de quel Dieu s’agit-il ? C’est alors que se pose la question de sa toute puissance. En effet il semblerait inconcevable qu’il y ait des choses qui lui échappent (accidents, catastrophes ou famines...) Rien ne devrait se passer sans que Dieu en ait conscience ou sans qu’il ne l’ait permis, même notre propre mort, si bien que dans une telle perspective nous sommes invités à dire avec Job, « Dieu a donné, Dieu a repris , que le nom de Dieu soit béni ( Job 2/4 -3/20 Paroles faciles pour l’homme de foi. Seul, celui qui sait que Dieu est le pilote de l’embarcation que représente son existence et qui s’est toujours sorti des mauvais pas peut tenir de tels propos. Il a la certitude que son batelier pilote sûrement au travers des écueils, sur les flots imprévisibles du torrent de la vie qui doit achever paisiblement sa course dans l’océan de l’éternité. Il sait que Dieu attendra les passagers pour les accueillir dans un face à face éternel. J’admire la sagesse de ceux de ceux dont la foi a forgé une telle confiance et qui donne l’exemple d’une vie exemplaire, faite de vertus et de bénédictions. Mais qu’en est-il de ceux qui ont sombré, dont l’embarcation a chaviré et que les dégâts qui en ont résulté ont laissé des meurtrissures inguérissables ? Je suis également en admiration pour tous ceux qui rencontrent Dieu alors qu’ils contemplent la nature dans ce qu’elle a de plus beau. J’ai un respect infini pour tous ceux qui reconnaissent Dieu dans la lumière qui filtre à travers les verrières d’une cathédrale et dont les reflets colorés créent en eux un ravissement qui les plonge dans une sérénité indescriptible. Mais tous n’en sont pas là et ma pensée va maintenant vers tous ces enfants que leurs parents envoient au catéchisme en espérant qu’ils trouveront la foi. Ces enfants sont portés par une civilisation qui n’est plus celle que les adultes des générations passées ont connue. Ils n’ont pas la même vision des choses qu’eux, ce qui ne veut pas dire que leur vision soit fausse. Mais ils ne croient qu’au miracle de la technique et ils se demandent comment on peut parler de Dieu dans ce monde en mutation constante dont la science est capable de détruire la planète mais pas de la nourrir. Leur conscience a été nourrie des fautes commises par les générations passées pour servir ce Dieu qu’on voudrait leur faire aimer : ces fautes s’appellent inquisition, guerres de religion, Shoa racismes, apartheid et elles ne sont pas toutes disparues. Comment des éducateurs, des catéchètes ou des pasteurs que les jeunes considèrent comme des gens venus d’un autre âge peuvent-ils leur donner envie de vivre la modernité de Dieu ? Comment ces jeunes peuvent-ils même avoir envie de rencontrer Dieu puisqu’il leur apparaît tout à fait conforme à la société culpabilisante à laquelle ils ne veulent plus appartenir. On leur serine à la maison ou à l’école que s’ils ne réussissent pas c’est qu’ils ont fait le mauvais choix et s’ils réussissent ont 3 les rend coupables de faire partie d’une caste de privilégiés, celle des nantis ou des gens intelligents, basta ! Le monde où ils sont est culpabilisant, et Dieu dans tout ça ? Il en rajoute une couche et nous rend coupables de notre péché. On pourrait s’arrêter là et tirer un trait, mais ce ne serait pas le but de ce message, car j’ai bien l’intention de vous dire que malgré tout ce que je viens de dire, Dieu est présent dans ce monde et selon moi, lui seul peut mettre en nous assez d’espérance pour que nous puissions y vivre heureux. Depuis si longtemps les hommes ont voulu faire de Dieu le créateur du monde tel que ceux qui le dirigent le conçoivent. Ils en ont fait un potentat dont la toute puissance soumet les éléments de la nature et les organise selon son gré. Ils ont imposé aux hommes cette lecture des Ecritures comme la seule possible. Ils ont fait de Dieu le complice des puissants et oublient de constater que la Bible le présente comme un libérateur et que le rôle qu’il confie à Moïse est d’apporter une contestation dans le bien fondé d’une situation établie. C’est dans ce rôle qu’il s’approche de Caïn et se fait le protecteur du criminel. Quand l’écrivain biblique imagine que Dieu est capable de se fâcher contre l’humanité coupable, au point de décider de sa destruction par le déluge, c’est Dieu qui se révolte contre le rôle qu’on lui attribue. Il refuse le projet et sauve l’humanité menacée de destruction par la volonté du narrateur. S’il convient à une partie de l’humanité dominante de concevoir Dieu comme une divinité toute puissante faite à sa propre image et dont elle prétend retrouver le portrait dans la Bible, il est possible pour d’autres lecteurs de découvrir une toute autre image de Dieu. Dieu est perceptible aussi, sous les traits de celui qui se présente comme le contestataire du précédent. Il vient vers nous comme celui qui met en cause les valeurs établies. Et il se définit par des mots qui donnent de la valeur à la vie des hommes : amour, fraternité, espérance, salut. Dieu est alors perçu comme le porteur d’une bonne nouvelle pour une humanité perdue dans les méandres d’un monde qui n’a pas de sens. J’attire alors votre attention sur les deux premiers mots de l’Evangile de Marc, c’est le plus vieil évangile. Il dit « Commencement d’une bonne nouvelle ». Commencement, c’est également le premier mot de la Bible, le premier mot du livre de la Genèse. La Bible débute par ce mot, puis elle nous raconte des tas de choses. Elle nous dit qu’au commencement c’était bien et même que c’était très bien et puis que ça a mal tourné. Elle nous parle du fruit défendu, du serpent diabolique, d’une pomme de discorde , d’une femme trop curieuse, d’un homme trop cupide et que c’est là l’origine de tous nos malheurs, mais Dieu se refuse à ce que nous soyons enfermés dans ce cycle diabolique où nous n’avons pas d’avenir et d’où il cherche à nous faire sortir. L’Evangile, j’y reviens, se présente essentiellement comme une bonne nouvelle. C’est quoi cette bonne nouvelle ? Je reprends alors la série de mots de tout à l’heure. Amour, salut espérance, fraternité et je les replace dans le contexte où Jésus les a placés. Mais ça ne suffit pas pour que la mayonnaise prenne et c’est là encore que les hommes ont fait une mauvaise manœuvre, ils ont rajouté ce qu’il ne fallait pas. Ils ont dit que ces mots pour devenir vrais devaient être utilisés au conditionnel, et qu’il y avait des conditions favorables pour que ça marche, mais 4 que généralement ces conditions n’étaient pas respectées si bien que ça marche rarement. Ils ont dit qu’on ne pouvait pas aimer comme ça, que l’espérance ne nous était donnée que sous conditions, que le salut était une hypothèse qui se vérifierait après notre mort. Notre mort, voilà le mot terrible enfin lâché ! Pour nous rassurer les hommes, enfin ceux qui savent, attribuent à Dieu la décision de prononcer le dernier mot sur notre vie. Et ainsi ils nous invitent à rédiger nos faire-parts de décès comme suit : « il a plu à Dieu de rappeler untel… » et nous nous résignons dans la formulation de notre foi en pensant que c’est lui, Dieu, « qui nous fait vivre, c’est lui qui nous fait mourir » comme si notre mort devait être perçue comme une bonne nouvelle. Quant à la bonne nouvelle, de l’amour du salut et de la résurrection, tout cela ne se mettra en place que quand la mort aura fait son œuvre en nous. C’est par une tel tour de passe-passe que depuis toujours on a essayé de concilier les deux lectures de la Bible. Dieu selon ce double langage serait tout puissant, comme on a dit et manierait sa justice selon des critères qui seraient réglés par notre mort ! Pour que tout cela devienne cohérent, il nous faut comprendre que la langue de bois joue ici un rôle essentiel. Elle met de la cohérence dans toutes ces choses mais trahit les Ecritures. Paul l’a bien compris quand il écrit : « Dieu était en Christ réconciliant le monde avec lui-même 2 Cor / 5-19 » Dieu serait au donc courant de cet immense malentendu qui fait obstacle à notre foi. Il sait donc qu’il faut dire les choses autrement. Même si, pour des raisons que j’ignore, les hommes ne veulent pas admettre qu’il y a une autre manière de voir les choses. S’il y a une bonne nouvelle, elle s’adresse à nous, tels que nous sommes dans ce monde-ci, avec nos frustrations et nos espoirs avec notre haine aussi et nos péchés dont on nous rabâche les oreilles. Dieu n’en tient pas compte. Quand Jésus s’approche de nous, c’est une autre voix de Dieu qu’il nous fait entendre. Il nous dit qu’il est tout entier investi dans une force d ‘amour qui cherche à infiltrer le monde. Cette puissance s’accroît d’autant plus que les humains la répercutent autour d’eux. Dieu n’a pas d’autre projet que de conquérir le monde pour y instaurer un nouvel ordre des choses. Mais cela ne peut pas se produire sans le concours des hommes. C’est pourquoi Jésus cherche à les rallier à cette manière de concevoir la réalité de Dieu dans le monde. Nous découvrons alors que Dieu est d’autant plus perceptible que chacun se mettra à aimer davantage. Plus on aimera, plus la présence de Dieu sera visible, plus le monde sera transformé et agréable à vivre. En pratiquant l’amour d’une manière responsable, en chassant toute forme de haine et d’animosité nous aiderons Dieu, si on peut dire les choses ainsi à devenir davantage Dieu ou plutôt à accroître la perception que les hommes ont de sa présence dans le monde. Dieu sera d’autant plus accessible que c’est par notre capacité à aimer que nous deviendrons des humains créés à l’image de Dieu tels que le début de la Bible nous en donne vocation. Sous la plume de Paul nous lisons que Dieu est désolé de ce malentendu qui couvre le monde depuis toujours. Il est désolé de notre mauvaise lecture des 5 Ecritures. Il est désolé que nous n’ayons pas compris qu’il nous offrait la liberté et pour dissiper ce malentendu, il plaide coupable. Nous découvrons alors que le monde est un organe vivant, qu’il est toujours en cours dévolution et cette activité a parfois de mauvais côtés pour ceux qui l’habitent, mais si cela n’était pas, le monde serait figé et nous cesserions d’exister. Rassurés nous pouvons saisir la main que Dieu nous tend et avancer avec audace pour que le monde soit transformé par notre collaboration avec lui. Dieu en effet nous apprend que l’amour désintéressé du prochain pèse d’un tel poids que le monde risque d’en être changé. Dieu fait le pari de jouer l’avenir du monde sur le fait que l’homme sera assez intelligent pour le rejoindre dans cette conception des choses. C’est alors que nous pouvons croire de toute notre force qu’il est possible de construire avec Dieu ce Royaume dont Jésus a parlé. C’est ce Dieu là que Jésus appelait son Père et c’est en lui que je crois. 6