Epistémologie
Rationalisme (17e siècle)
Selon Le dictionnaire des sciences humaines (2006, p. 954) le rationalisme est un courant
épistémologique qui considère que « toute connaissance valide provient soit exclusivement, soit
essentiellement de l'usage de la raison ».
On reconnaît généralement que des philosophes grecs comme Euclide (~300 av J.-C.), Pythagore
(569-475 av. J.-C.) et Platon (428-347 av. J.-C.) défendaient des positions rationalistes en accordant
la primauté aux idées. Cette association se fait évidemment a posteriori puisque le courant
épistémologique rationaliste n'était pas encore défini à l'époque. Plus récemment, on associe les
mathématiciens Descartes (1596-1650) et Leibniz (1646-1716) à ce courant qui privilégie le
raisonnement en général et plus particulièrement le raisonnement déductif (ou analytique) qui va de
l'abstrait vers le concret comme mécanisme de production de connaissances.
Il est important de comprendre ici que, pour les rationalistes, l'expérimentation est exclue du
mécanisme de production de nouvelles connaissances. L'expérimentation (ou l'interaction avec la
réalité) sert tout au plus à vérifier ce qui a été déduit et, dans la mesure où ce qui a été déduit relève
de l'évidence, l'expérimentation devient inutile et superflue.
Un professeur de science rationaliste aura évidemment tendance à insister sur l'importance du
raisonnement (au détriment de l'expérience) en allant peut-être, dans les cas extrêmes, jusqu'à
éliminer complètement l'expérimentation du processus d'apprentissage de l'élève. Un cours de
science correspond, pour ce professeur, à une suite de raisonnements analytiques que l'élève doit
réussir à comprendre, à reproduire et à maîtriser.
Nous avons choisi de nous arrêter sur deux grands rationalistes du XVIIème siècle : Descartes et
Leibniz et Kant :
-Descartes René (1596-1650) : Mathématicien, physicien et philosophe français. Il est
considéré comme l’un des fondateurs de la philosophie moderne. Descartes affirme un dualisme
(deux principes premiers irréductibles) radical entre l’âme et le corps.
Descartes est le fondateur du rationalisme moderne : Pour lui, ni l'autorité des Anciens, ni les
vérités sensibles ne constituent des principes de recherche. Il est nécessaire de pratiquer un doute
méthodique et de s'appuyer sur les forces de la raison et de l'évidence, de manière à parvenir au vrai,
par une intuition claire et distinctive.
Les concepts fondamentaux de la philosophie de Descartes sont les suivants :
* le doute, conçu non point comme doute sceptique, comme suspension définitive du jugement,
mais en tant que méthode consistant à rejeter tout ce qui n'est pas certain d'une évidence absolue. Le
doute ne représente, chez Descartes, qu'un moment provisoire.
* l'intuition, il l’envisage comme la conception d'un esprit pur et attentif, conception si distincte
qu'aucun doute ne subsiste plus.
* la raison (raison bon sens), il la définie comme faculté de bien juger et de distinguer le vrai du
faux.
* la pensée, qui selon lui est une activité spirituelle synonyme de conscience : «Par le mot de pensée,
j'entends tout en qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous
mêmes» (Principes).
* la connaissance claire et distincte : « j'appelle claire a connaissance qui est présente et manifeste à
un esprit attentif; distincte, celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres qu'elle ne
comprend en soi que ce qui paraît manifestement a celui qui la considère comme il faut »
(Principes).
-Leibniz (1646-1716) : Le rationalisme Leibnizien repose sur une rationalité s’appuyant à la
fois sur l’entendement humain et sur Dieu. Le Dieu Leibnitzien est mathématicien.
Les quatre principes du système leibnitzien sont :
- Le principe de la raison suffisante : Un raison suffisante est le principe expliquant ce qui
arrive et comment cela arrive. Ce principe pose la question : Pourquoi y a-t-il quelque chose
plutôt que rien ? Cette raison est intelligente parce que Dieu calcule tous les mondes
possibles et choisit ensuite le meilleur
- Le principe de la contradiction
- Le principe de continuité
- Le principe du meilleur ou perfection : c’est la base de l’optimisme leibnitzien. Il place son
optimisme dans les libertés et les responsabilités humaines. Cet optimisme n’est pas naïf
puisqu’il tient également compte de l’imperfection, de la finitude et du mal.
Une des caractéristiques du meilleur des mondes possibles est l’harmonie préétablie.
Leibnitz répond à Descartes en disant qu’il n’y a pas deux substances (une pensante et une autre).
Pour Lebnitz, l’esprit est partout, tout est lié, tout est dans tout.
Le mal est lié à notre degré de perfection ou d’imperfection. Le mal vient de notre imperfection.
-Pascal Blaise ( 1623-1662) : Mathématicien, physicien, inventeur, philosophe et théologien.
Dans un de ces ouvrages, De l’esprit géométrique et de l’art de persuader, Pascal fait
l’épistémologie des mathématiques, pour lui, elles reposent d’abord sur des principes évidents
connus par intuition, il serait vain de vouloir démontrer ces principes évidents en utilisant des
affirmations moins évidentes. Ceci nous amène à penser qu’il serait un rationaliste.
De 1646 à 1654, Pascal multiplie les expérimentations avec toutes sortes d’instruments, ceci
lui permet de confirmer la réalité du vide et de la pression atmosphérique.
Pascal réalise la fameuse expérience des liqueurs, l’expérience des liquides, à l’époque l’idée était
courante selon laquelle « la nature a horreur du vide ». Il émet l’hypothèse qu’une sorte de
« pression atmosphérique » empêche l’eau de monter haut dans les pompes, et que le vide occupe
l’espace supérieur des tubes, avec cette hypothèse, il se heurte fortement à certains esprits de son
temps et particulièrement à l’Eglise, qui fait refaire l’étanchéité des pompes afin de vérifier qu’il ne
s’agit pas d’air. Mais leurs travaux leur donnent finalement tort. Ceci nous amène à penser que
Pascal était un scientifique empirisme du XVIIème siècle.
Empirisme (18e siècle, siècle des lumières)
Le XVIII est le siècle se précise l'activité empirique. Progressivement les sciences humaines et
sociales se différencient des sciences dures. L'expérience se détache du dogme religieux.
L'empirisme s'oppose au rationalisme. En effet, l'empirisme insiste sur l'importance de
l'expérimentation, toute connaissance valide provient essentiellement de l'expérience. La déduction
n'est qu'une étape temporaire permettant de faire une hypothèse ou de simplifier la description de
l'ensemble des observations. Le raisonnement inductif a pour but de produire des idées pour de
nouvelles expériences.
Galilée et Newton furent les pionniers de l'expérimentation. L'essentiel pour Galilée était d'accepter
les faits et de construire la théorie en accord avec eux. Il n'y a pas de place dans la science pour les
opinions personnelles, goût et spéculations de l'imagination. La science est objective.
Un professeur de science d'allégeance empiriste aura tendance à insister sur l'importance de
l'expérimentation par les élèves dans le but de vérifier des hypothèses. Un cours de science, pour ce
professeur, correspond à une suite d'expériences cruciales que l'élève doit réussir à comprendre, à
reproduire et à maîtriser.
Nous avons choisi de nous arrêter sur plusieurs grands empirismes du XIXème siècle :
-Francis Bacon (1561-1626) et ses contemporains vont permettre à ce courant de se dégager
de l'empirisme naïf en refusant des pièges de la ressemblance, en restant fidèle au concret. Ainsi
Bacon va mettre en place la doctrine de l'induction vraie et légitime (induction énumérative) et
donne ainsi à la science les moyens d'une généralisation objective. Elle suppose une
expérimentation massive et sérieuse. La science ne va plus catégoriser les choses par leur
ressemblance mais par leur dissemblance. Le savoir progresse par élimination toujours plus fine du
faux et non par l'accumulation progressive des vérités (Wagner, p.315). Les erreurs individuelles et
subjectives qui se glissent dans les enquêtes seront corrigées par une organisation impersonnelle et
collective du travail scientifique. Bacon relève la nécessite d'un certain scepticisme. Mais, Dieu est
au cœur de son épistémologie. Il faut conduire l'homme aux idées que Dieu produit.
D'après Bacon, nos théories scientifiques sont construites en fonction de la façon dont nous voyons
les objets ; l'être humain est donc biaisé dans sa déclaration d'hypothèses. Pour Bacon, « la science
véritable est la science des causes ».
-Newton (1642-1726) : Nous pensons tous que l'épistémologie de Newton est basée sur des
méthodologies expérimentales rigoureuses et donc sur l'inductivisme. Mais cette définition restreint
les méthodes utilisées par cet auteur dans la mesure il s'appuyait souvent sur des méthodes
préexistantes et modifiait ses méthodes selon les domaines qu'il étudie (par exemple en
mathématiques, il utilise la méthode déductive). Il a suivi les préconisations de la société royale
londonienne (dont dépend Françis Bacon) et est donc devenu un philosophe expérimental.
La science expérimentale peut prétendre à une plus haute connaissance sur la nature qu'un simple
recueil factuel. L'induction doit permettre d'établir des propositions générales sur des phénomènes
et une connaissance de leur cause : remontée inductive vers la cause grâce à une démarche
analytique (Newton).
L'application de cette méthode a permis à Newton et à ses contemporains de décrire les forces en
mécanique (en particulier celle de la gravité) et de construire un modèle corpusculaire de la lumière.
-L'encyclopédie de Diderot et d'Alembert : L'encyclopédie est un ouvrage de vulgarisation
scientifique donnant la primauté aux connaissances techniques et scientifiques.
La science est ici définit comme une pensée capable d'user librement de ses facultés, qui a le
pouvoir de raisonner sans être asservi d'une autorité c'est à dire la mise en valeur d'une connaissance
qui fait usage de la raison (en opposition aux collections d'observation de la nature).
L'encyclopédie est le réceptacle lui-même en mouvement du mouvement des sciences.
Pour d'Alembert, « toutes nos connaissances viennent de nos sens » (sensualisme). « C'est à notre
sensation que nous devons toutes nos idées ».. Il souligne la valeur épistémologique de l'enquête
empirique, l'observation de la nature, la référence aux faits, la comparaison des effets de
l'expérience (cette méthode est appliquée dans le recueil d'articles même de l'encyclopédie)
Des divergences apparaissent lorsque Diderot et D'Alembert en viennent à préciser leur conception
épistémologique du savoir scientifique (notamment sur quelle discipline sert de modèle pour se
représenter la science). D'Alembert pense que toute science doit prendre exemple sur les
mathématiques alors que pour Diderot, la science de référence doit être les sciences du vivant.
Diderot penche vers une philosophie matérialiste la matière est éternelle, perpétuellement en
mouvement et nécessairement en mouvement.
Mais Diderot et d'Alembert sont d'accord pour critiquer les philosophes rationalistes du XVIIe,
insuffisamment éclairées par les observations de la nature et qui ne bénéficiaient que de peu
d'expérience et de calcul. De plus, Ils admettent l'arbitraire du savoir de l'homme.
Mais les sciences sociales et humaines ne sont pas nées dans l'encyclopédie. L'idée d'une science de
l'homme avec des méthodes comparables à la science de la nature n'apparaît pas dans cet ouvrage.
-Locke John (1632-1704) : L'un des premiers empiristes modernes et un des précurseurs
des lumières. Il va rechercher l'origine des idées qui relève de l'expérience de nos sens et de notre
réflexion. La matière de notre esprit provient soit des objets extérieurs (idées qui viennent des sens)
soit des opérations de la pensée elle-même (idées qui viennent à la suite de l'action de la réflexion) :
dans les deux cas, les idées proviennent de l’expérience. Sa méthode consiste à observer les faits de
l'âme et à décrire l'expérience de l'intériorité. Il affirme que nous n'avons pas accès à l'essence réelle
des choses et que la vraie démarche des savants consiste à analyser l'objet.
Locke dépend du sensualisme (courant intrinsèque de l'empirisme) qui propose que toutes les
connaissances proviennent des sensations.
-Georges Berkeley (1685-1753) : Philosophe irlandais. Il crivit la théorie de l'idéalisme
empirique ou immatérialisme
L'un de ses ouvrages les plus connus est le « principe de la connaissance humaine » (1710). Seuls
les objets de la perception ou les esprits qui les perçoivent sont réels, les mots n'étant que des signes
qui renvoient directement à ces objets de la perception, non des « choses » abstraites. Les idées
n’existent pas en dehors d’un esprit qui les perçoit. C’est là une vérité intuitive . Le monde extérieur
n'est cependant pas illusoire : son existence, en tant que phénomène est réel, mais il n'a pas de
substance, en ce sens qu'il n'existe pas en soi.
-David Hume (1711-1776) : Fondateur de l'empirisme moderne avec Locke et Berkeley,
mais en étant le plus radical dans son scepticisme. Il va appliquer des méthodes expérimentales aux
phénomènes mentaux.
Le projet général de Hume est d'établir une nouvelle manière d'étudier l’homme, en lui appliquant
les méthodes des sciences de la nature.
La philosophie de Hume consiste à analyser ce qu'il y a dans notre esprit, entendu au sens large
(idées, tendances, volonté, sentiments, etc.). Il s'agit, de cette manière, de découvrir l'origine des
perceptions de l'esprit, en les ramenant à des impressions sensibles que nos idées reproduisent,
puisque presque toutes nos idées sont le rappel d'anciennes sensations, et d'établir les relations
qu'elles entretiennent.
Pour Hume, toutes les perceptions de l'esprit sont d'abord des impressions, et leur réalité n'est pas, à
proprement parler.
Constructivisme (20e siècle)
Source : Les épistémologies constructivistes
Auteur : Jean-Louis Le Moigne PUF 1995
Le constructivisme (Tome 1 et Tome 2) Le Moigne ESF 1995
Définition :
Etymologiquement épistémologie signifie « discours sur la connaissance ».
Pour Piaget, c’est : « l’étude de la constitution des connaissances valables ».
Quand on s’interroge sur légitimité des connaissances, 3 grandes questions se posent :
-La question gnoséologique : (philosophie par laquelle il est possible de connaître les choses
divines) : qu’est-ce que la connaissance, quels sont ses fondements, quel est son statut
scientifique » ou non) qu’est-ce qui est à connaître (le quoi)
-La question méthodologique : comment la connaissance est-elle engendrée (le comment).
-La question éthique : comment établit-on la valeur d’une connaissance, comment distingue t’on
une science « valable » du charlatanisme.
Dans son ouvrage Jean- Louis Le Moigne, nous invite à prendre ce recul épistémologique. Il
identifie d’autres axiomes (hypothèses) et d’autres principes qu’il nous propose de suivre. Ces
axiomes et principes fondent une nouvelle famille : les épistémologies constructivistes.
Le mot « constructivisme » remis au goût du jour par Piaget est un nouveau mot du mathématicien
Brouwer (1881-1966) qui fait référence au caractère construit de la connaissance.
Toutefois, on retrouve des traces du constructivisme dans la période grecque, médiévale, la
renaissance….
Les connaissances constructivistes s’appuient sur deux axiomes :
L’axiome phénoménologique (la phénoménologie est la philosophie qui écarte toute interprétation
abstraite pour se limiter à la description et à l’analyse des seuls phénomènes perçus).
Piaget identifie le principe d’inséparabilité entre l’acte de connaître un objet et l’acte de se
connaître ; c’est interaction entre le phénomène (l’objet) à connaître et le sujet connaissant qui
forme la connaissance (de l’objet) et le mode d’élaboration de la connaissance (l’intelligence).
L’axiome téléologique (la téléologie c’est l’étude de la finalité).
L’acte cognitif est intentionnel. Le sujet ayant un rôle décisif dans la constitution de la connaissance,
il faut prendre en compte la finalité du sujet, il en ressort que l’objet est lui-même finalisé.
Les connaissances constructivistes s’appuient sur 2 principes méthodologiques :
-Le principe de modélisation systémique
La modélisation systémique privilégie la modélisation de l’acte (qu’est-ce que ça fait, pourquoi,
ouvrant le modèle, ne cherchant pas l’exhaustivité) à la modélisation de la chose (modélisation
analytique de quoi c’est fait ?cherchant l’exhaustivité et fermant le modèle).
-Le principe d’action intelligente :
Caractérise la capacité d’un système cognitif à explorer et à construire les représentations
symboliques des connaissances qu’il traite (couramment appelé « résolution de problème »).
L’œuvre de Piaget en est une illustration il privilégie une approche génétique de la construction de
la connaissance, il s’intéresse directement à l’éducation. Il identifie une succession de stades et de
périodes parfois brutales de transition pendant laquelle l’acquisition de connaissances se produit par
assimilation (comme processus de généralisation) et l’accommodation (comme processus
d’ajustement à des environnements et intérêts divers) c’est à partir de l’action que se met en œuvre
ce processus.
Le courant constructiviste est peu présent dans les milieux scientifiques traditionnels, mais occupe
une place importante en psychologie et en didactique. En psychologie on utilisera le terme
constructivisme pour appréhender l’activité cognitive du sujet, alors qu’en didactique on réutilisera
les deux principes précédemment cités.
Le chercheur en didactique va modéliser le savoir pour anticiper leurs constructions et se projeter
dans des démarches possibles de l’élève en essayant d’élargir au maximum sa capacité
d’exploration afin d’apporter une ou des résolutions au problème.
Résumé des principaux courants épistémologiques
Nous résumons ici, dans un tableau, le nom des principaux courants épistémologiques, l'époque où
chacun d’eux a dominé la pensée ainsi que les tendances pédagogiques correspondantes à chaque
courant.
Tableau I. Courants épistémologiques
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