Peut-on parler d'un modèle français de développement économique au XIX° siècle ? Dans l'histoire de la croissance économique, la France tient une place charnière parmi les nations européennes. Le point de départ des transformations décisives a été plus tardif en France qu'en Grande-Bretagne, mais la France bénéficie d'une avance initiale sur tous les grands pays du continent, y compris l'Allemagne. Le développement économique français présente aussi un caractère intermédiaire en ce qui concerne le rythme et l'intensité de l'industrialisation : la France à la fin du XIX° et au début du XX° siècle fait encore figure de nation semi-agricole, semi-industrialisée, à mi-chemin entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Enfin la nature même du modèle de croissance de l'économie française présente également un caractère intermédiaire entre le "modèle" britannique d'un côté, et celui des pays d'industrialisation tardive de l'autre. 1. La Révolution Française et l'Empire ont jeté les bases du modèle français de croissance économique du XIXèle siècle. Les mutations structurelles L'œuvre agraire de la Révolution : c'est dans le domaine agraire qu'ont eu les transformations juridiques et sociales les plus importantes. Les vagues de confiscation de "biens nationaux" de 1789 ont bénéficié par la vente de lots de terre très importants aux acquéreurs bourgeois et à quelques paysans aisés. Ainsi il n'y a pas eu de révolution agraire, ni de véritable redistribution des terres et la conséquence essentielle de la révolution a été la consolidation pour un siècle et demi d'un régime de petite exploitation et de petite propriété paysanne. Selon T. Kemp, la révolution paysanne a contribué sans aucun doute à ralentir le développement économique de la France. La législation de la période révolutionnaire comporte, dans divers domaines, des mesures d'inspiration libérale, bourgeoise destinées à favoriser l'essor de l'industrie et du commerce. Ainsi la mise en place d'une législation adaptée au besoin du capitalisme a donc largement devancé en France le développement du capitalisme industriel (Code civil en 1804 Les à-coups de la croissance économique jusqu'en 1815 L'Empire marqué par la guerre pratiquement ininterrompue a connu un véritable effondrement économique en contrepartie la production d'armements et les industries de guerre ont été stimulées. Cependant le commerce colonial est quasiment anéanti : l'Angleterre occupe les colonies françaises. L'agriculture en pâtit également et les progrès réalisés en un quart de siècle apparaissent médiocres et incertains (diffusion de la pomme de terre = "nourriture de pauvres"). L'accroissement industriel a profité de cette période et plusieurs branches ont été indiscutablement stimulées : l'industrie lourde, la production de sucre, de betteraves (industries de substitution), l'industrie cotonnière a bénéficié de l'élimination temporaire de l'Angleterre. De manière générale, la médiocre "performance" de l'industrie française n'est pourtant pas synonyme de ralentissement général et la France se trouve dotée vers la fin de l'Empire, d'un noyau d'industries modernes capable d'exercer un effet d'entraînement : filature mécanique du coton et de la laine, construction de machines, quelques industries chimiques. C'est là une des caractéristiques du dynamisme industriel de la France qui repose sur des branches telles que l'industrie cotonnière où elle se trouve nettement distancée par l'Angleterre: l'expansion de la première moitié du XIXème siècle dépendra inévitablement en priorité du marché intérieur. La période de la Révolution et de lEmpire ne correspond donc pas à un simple freinage temporaire, mais elle marque une inflexion durable des orientations de la croissance. 2. L'accélération de l'essor industriel : 1815-1860 L'économie française face à ses handicaps L'instabilité des régimes politiques et leur succession n'a pas réellement remis en cause l'essentiel : les fondements de la société "bourgeoise" et le libéralisme économique des gouvernements. Selon F Crouzet la France a connu une croissance irrégulière mais forte de 1815 à 1840 puis une croissance économique forte de 1840 à 1860. Même si la France connaît des handicaps de différentes natures, elle a toutefois réussi à les surmonter ou tout du moins en partie : - Au lendemain de la chute de l'Empire la production agricole par habitant vers 1820 est probablement inférieure à celle des années 1780. - La France ramenée à son territoire de 1815 se trouve pratiquement dépourvue d'industries lourdes. - L'industrie de betteraves est brutalement ruinée et l'industrie cotonnière exposée à la concurrence anglaise subit de nombreuses faillites. - La France a un handicap structurel en charbon qui la pénalise durement. - La France connaît une croissance démographique modérée. En revanche, l'économie bénéficie indiscutablement dans plusieurs régions de traditions industrielles anciennes et d'une main-d'œuvre hautement qualifiée dans les industries de luxe et de demi-luxe. De plus la France bénéficie d'une grande importance de capitaux. Enfin durant toute la première moitié du XIX° l'économie française est défendue par un vigoureux protectionnisme, mais n'est cependant pas autarcique. Les forces d'impulsion Deux secteurs en moins ont contribué, durant les premières décennies du XIX° siècle, à donner une impulsion décisive au développement industriel: l'agriculture (influence la demande de produits industriels) et les transports. La France du début du XIXe reste à dominante agricole et rurale. Le progrès agricole à cette époque est à l'origine d'une amélioration très progressive du pouvoir d'achat moyen, ce qui permet d'expliquer en partie l'essor de toutes les industries de biens de consommation. Ainsi l'importance du facteur agricole est attestée. La rénovation des transports qui est passée par la modernisation des transports traditionnels (1815- 1840) et par la révolution des chemins de fer ( depuis 1842) est directement à l'origine de l'intensification du processus d'industrialisation sous le Second Empire. Les étapes de l'industrialisation industrialisation et croissance extensive de 1815 à 1848 : cette période qui connaît déjà un remarquable progrès de l'industrialisation, se caractérise en fait, par la coexistence dans l'industrie de méthodes de production modernes et traditionnelles : les premières gagnent du terrain, mais sans marquer encore d'avantage décisif dans la plupart des branches. C'est le cas de la métallurgie mais aussi de l'industrie textile. Au total, l'industrialisation française présente trois principaux traits distinctifs : la prépondérance des industries produisant des biens de consommation, la croissance parallèle de la grande et de la petite industrie et la spécialisation dans les articles de qualités. Il s'agit là d'une heureuse adaptation aux conditions propres de l'économie française et non d'un retard de son industrie moderne. 3. mutations décisives et intensification de la croissance de 1850 à 1860 : cette décennie tient une place exceptionnelle dans l'économie française : c'est à la fois l'apogée de la prospérité agricole, la naissance du système bancaire moderne, l'ère des grands travaux de rénovations urbaine et la phase décisive de la révolution ferroviaire. Quant à la croissance industrielle, elle se caractérise par un changement de nature : les industries productrices de moyens de production prennent désormais une place prépondérante (la métallurgie devient la principale branche motrice, l'équipement en machines à vapeur atteint son rythme le plus rapide). Ralentissement, crises et dépression de 1860 à 1890 Selon F. Crouzet, la France a connu un ralentissement de son activité économique entre 1860 et 1882 puis une stagnation dans la période suivante qui s'étend de 1882 à 1896. La dépression française présente une spécificité marquée, en effet le fléchissement a été plus précoce en France, puisqu'on en perçoit les premiers signes dès la décennie 1860-1870. Mais surtout la dépression a été d'une exceptionnelle intensité. Il n'y a pas eu de recul absolu mais un considérable recul relatif notamment par rapport à l'Allemagne. Ainsi en 1880 déjà elle est rattrapée ou devancée par l'Allemagne dans les principaux secteurs économiques. Les origines du fléchissement Il n'y a pas eu de rupture brutale de la croissance, mais les premiers signes de fléchissement se manifestent dès les années 1860.Ils correspondent en partie à des facteurs politiques, naturels et économiques. - L'influence du traité de commerce franco-britannique de 1860 même si ce dernier a été accueilli par une tempête de protestation en France, il est certain cependant que l'industrie française n'a pas été surclassé par l'industrie britannique malgré une baisse du rythme de croissance industriel de la France. - les conséquences économiques de la défaite de 1870 ont particulièrement pénalisé la France mais beaucoup plus la cession de l'Alsace-Lorraine (deux régions très industrialisées) que le versement à l'Allemagne de l'indemnité de 5 milliards de francs-or. - Dépression agricole et déclin démographique : l'une des causes principales du déclin relatif de l'économie française durant cette période est la dépression agricole. En effet, le produit agricole enregistre une stagnation quasi-totale sur au moins deux décennies (1870-1890), alors que pour l'industrie la dépression est un simple ralentissement de la croissance. L'agriculture française directement menacée par la concurrence extérieure, témoigne d'une faible capacité d'adaptation. Freinage et réorientation de la croissance industrielle L'industrialisation a subi un ralentissement indiscutable, mais modéré en comparaison du blocage de la croissance agricole. La décélération industrielle : ampleur et limites : la dépression agricole, responsable essentielle des difficultés de l'industrie, exerce une double influence : elle tend à la fois à freiner l'immigration de main-d'œuvre vers l'industrie et à réduire la demande de produits industriels. En effet, l'industrialisation a sévèrement pâti de la stagnation complète du pouvoir d'achat des agriculteurs durant près d'une génération, et du freinage de produits industriels qui en est résulté. Selon certains calculs 60 à 75 % de la réduction du taux de croissance industrielle s'explique par ce facteur et constitue le facteur le plus évident du recul relatif de la France par rapport à l'Allemagne. Au total tout ce passe comme si après une entrée assez progressive dans la dépression, il était par la suite d'autant plus difficile d'en sortir. Cependant durant cette période de nombreuses restructurations ont eu lieu préparant la reprise de l'expansion. L'adaptation de l'industrie française : la restructuration géographique et sectorielle de l'industrie française dans son ensemble tend à compenser le recul de certaines activités, tandis que se mettent en place de nouveaux mécanismes de croissance : - L'industrie textile connaît une reprise tout comme la métallurgie. - De façon générale la croissance industrielle est fortement marquée par la croissance soutenue des salaires réels. Conclusion La croissance de l'économie française présente à coup sûr des ressemblances nombreuses et fort apparentes avec le "modèle" britannique. Comme en Grande-Bretagne, l'industrialisation a progressé en France à rythme très graduel, elle est longtemps demeurée axée sur les industries textiles. Les banques n'ont joué qu'un rôle secondaire dans le financement de l'accumulation industrielle, tandis que le processus de concentration accuse un retard considérable par rapport à l'Allemagne. En revanche, le cas de la France s'apparente à celui des pays d'industrialisation récente dans la mesure où l'économie française a connu une phase initiale de dépendance à l'égard des techniques anglaises. Quant au rôle d'impulsion des progrès agricoles, il demeure, dans tous les cas, controversé. La croissance française ne présente pas seulement un caractère "intermédiaire", mais une spécificité marquée, en effet tout se passe comme si la France avait connu une croissance sans décollage puisqu'elle est dépourvue d'accélération spectaculaire. L'industrie française n'est pas en retard, mais simplement différente (spécialisée dans des produits de haute qualité). 1. Les théories du retard 2. Un retard qui s’explique par des conditions structurelles spécifiques à la France (pays à dominante agricole, préoccupé surtout de la vie politique, ruiné par les guerres parfois, à structure sociale différente de celle de l’Angleterre) 3. Une voie spécifique, sinon un modèle