Antoine FONGARO

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Que Vlo-Ve ? Série 4 No 5 janvier-mars 1999 pages 1-16
Apollinaire traducteur des Sonnets luxurieux de l’Arétin FONGARO
© DRESAT
Antoine FONGARO
APOLLINAIRE
TRADUCTEUR DES SONNETS LUXURIEUX
DE L'ARETIN
A Michel Décaudin. Sans lui, une nouvelle fois, ce travail n'aurait pas pu être entrepris.
A la mémoire de l'ami Henri Monnier.
Dans le cadre d'une étude d'ensemble sur Apollinaire «traducteur» (les guillemets
s'imposent, on le sait) de textes italiens1, l'objet des remarques qui vont suivre est uniquement
d'examiner la traduction des Sonnets luxurieux figurant au tome 1 de L'Œuvre du divin Arétin 2,
ouvrage publié en 19U9 dans la «Bibliothèque des curieux».
Voilà qui économise tout développement sur la vie de l'Arétin, sur son œuvre, sur son art.
Il n'y aura même pas à s'occuper de l'histoire (compliquée) ni de l'établissement du texte
arétinesque, puisqu'on ne peut juger d'une traduction que d'après l'original qu'elle traduit, et
Apollinaire ne connaissait que le texte établi par Alcide Bonneau3 en 1882. Il ne sera même pas
nécessaire de relever les imperfections de ce texte tant pour le nombre des syllabes dans les vers,
que pour les étrangetés morphologiques ou syntaxiques : il est reproduit ici scrupuleusement,
sans qu'il ait paru utile de multiplier les [sic]. Il n'y aura pas non plus, de toute évidence, A tenir
compte d'une édition de ces sonnets datant des environs de 1530, avec les gravures de l'époque :
elle n'est venue au jour qu'assez récemment et Alcide Bonneau ne la connaissait pas4.
Il suffira de donner ici quelques indications générales.
Les sonnets sont au nombre de seize; ils sont à queue (colla coda, en italien). Apollinaire
reprend dans sa première note (p. 192) à peu près littéralement ce qu'avait dit A. Bonneau (éd. de
1904, p. 78, n. 1) :
On appelle ainsi des sonnets auxquels on ajoute une queue d'un ou plusieurs tercets dont le premier vers
n'est qu'un simple hémistiche rimant avec les derniers vers du tercet précédent. La queue des sonnets
luxurieux n'est que d'un tercet.
Et Apollinaire ajoute de son cru : «Je pense que la mode de cette sorte de sonnets
provenait d'Espagne». Mais il faut préciser que le premier vers du tercet ajouté n'est pas
vraiment un hémistiche : le sonnet étant, en principe, composé d'hendécasyllabes (comme c'est
le cas ici), le premier vers de l'ajout est un vers de sept syllabes (settenario).
Les sonnets sont en forme de dialogue entre les deux partenaires, sauf le sonnet XI, où
l'on a trois interlocuteurs : l'homme, une vieille, la femme, et le sonnet XIV, où seul l'homme
parle. Le passage d'un interlocuteur à l'autre est indiqué par un tiret dans l'édition d'A. Bonneau.
[3]
Reste le problème des gravures : à l’origine chaque sonnet commentait un dessin de
Giulio Romano, gravé par Marcatonio Raimondi, au-dessous duquel il était placé. Les gravures
de l'édition des environs de 1530 sont parfois fort différentes de celles de l’édition d’A. Bonneau
(on le verra surtout pour le sonnet XIV). Apollinaire se demande (p. 17), avec raison semble-t-il,
s'il n'y a pas «quelque supercherie» dans les illustrations de l’édition Honneau de 1904:
1
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Apollinaire traducteur des Sonnets luxurieux de l’Arétin FONGARO
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Ces images coïncident presque entièrement avec la description qu'avait donnée Bonneau de l’apparence que
devaient avoir les gravures disparues. Mais sont-ce bien là des calques datant du XVIIIe siècle ou bien ne
s'agirait-il pas plutôt d'une habile reconstitution faite d’après la description de Bonneau et où l'on a mis
quelques différences pour que l'authenticité des calques parût moins discutable? Je ne sais.
I
J’espère ne scandaliser personne si je déclare d'emblée et sans ambages que la traduction
de ces sonnets proposée par Apollinaire est lamentable. C’est peut être pour se démarquer tant
soit peu de la traduction d'A. Bonneau (qu’il plagie sans honte), qu'Apollinaire commet sur le
texte des sonnets de l'Arétin un contresens fondamental généralisé.
Pour le lecteur le moins averti, même pour celui qui ne connaît guère la langue italienne,
il saute aux yeux que l'originalité de ce texte arétinesque réside toute dans le fait que l'Arétin
appelle chat un chat et con un con ou un cul un cul. La première tricherie d'Apollinaire a été de
ne pas publier le texte italien en regard de sa traduction.
Alcide Bonneau, lui, avait bien vu que les sonnets de l'Arétin n'avaient d’autre mérite que
d'être, franchement et sans voiles, pornographiques. Il s’agit d'une pornographie élémentaire :
aucune trace d'érotisme, de raffinement sexuel, encore moins de déviations (nous sommes aux
antipodes de Sade, par exemple). On peut aller jusqu'à dire qu'une telle pornographie est saine
dans ce qu'elle a de direct, d'immédiat, presque d'innocent dans son animalité (les animaux
s'accouplant ne sont pas érotiques, ils sont naturels),
Dès la première page de son édition de 1904, Bonneau déclare à propos des sonnets :
«Comme morceaux de poésie, ils n'ont de remarquable que leur crudité et leur cynisme». Il a
donc rendu à la lettre culo par cul, cazzo par vit, potta par con, fottere par foutre. Le malheureux
Apollinaire a complètement oblitéré le caractère essentiel de ce texte arétinesque, en produisant
une traduction qui pue à plein nez la pudibonderie victorienne et n'a plus rien à voir avec la
manière directe et crue de l'original.
[4]
Si l'on suppose, pour justifier Apollinaire, qu'il a eu le dessein de conférer un certain air
littéraire à un texte original qui n'en possède absolument pas, cela ne fait qu'aggraver son erreur.
Car le trait distinctif du vocabulaire des sonnets est sa réduction extrême, je dirais même son
misérabilisme; et le trait distinctif de leur style est la répétition mécanique des quatre termes
fondamentaux (culo, cazzo, potta, fottere). Au point qu'on est en droit de se demander si l'Arétin
n'a pas voulu réaliser une espèce de gageure, un tour de force (voir surtout le sonnet V,
entièrement construit sur les deux mots culo et cazzo à toutes les rimes). De ce point de vue, la
traduction d'Apollinaire ajoute au contresens fondamental une nouvelle trahison par son
caractère hybride mêlant le détail grossier à des expressions rares ou recherchées et à des tours
pseudo-élégants, ce qui anéantit le minimum d'originalité littéraire que peut avoir le texte
arétinien.
Apollinaire semble, tout de même, s'être rendu compte que quelque chose n'allait pas; il
écrit en effet à la fin de l'Introduction de son volume (p. 20) :
En ce qui concerne les sonnets, on en a parfois adouci les termes, et malgré cela on est persuadé que ces
poèmes n'ont pour ainsi dire rien perdu de leur vivacité gaillarde. D'ailleurs, le lecteur est libre de
remplacer les mots qui lui paraissent faibles par les plus forts qu'il connaisse, et suppléant ainsi par la
perspicacité de son entendement à ce que le traducteur a dû gazer, par pudeur, il formera avec certitude son
opinion sur l'œuvre du Divin Pierre Arétin dont on a écrit en son temps qu'il était la règle de tous et la
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balance du style.
Déconcertant et décevant, cet Apollinaire «adoucisseur des termes» et qui «gaze» le texte
«par pudeur».
Parfois cela frise le ridicule. Comment celui qui a publié des vers tels que ceux-ci :
Dame de mes pensées au cul de perle fine
Dont ni perle ni cul n'égale l'orient5
peut-il traduire l'italien culo par «les hanches» (sonnets VI, v. 1; XI, v. 2 et 3; XIV, v. 12 et 15),
ou par des euphémismes fades du genre «derrière» ou «de l'autre côté» (sonnets VIII, v. 4, 10,
12, 17; X. v. 1; XIII, v. 7), ou par un archaïsme inusité comme «le pertuis» (sonnets II, v. 1; IV,
v. 15; VII, v. 9)?
Les archaïsmes sont la ressource de la pudibonderie. Il serait trop long de relever toutes
les occurrences où le simple et direct (et encore usité en italien) potta, c'est-à-dire (pour parler
aussi crûment que l'Arétin) le con, est traduit par «le mirely» chez Apollinaire (mais pas chez
Bonneau). Il n'est pas jusqu'aux naturels et élémentaires coglioni (sonnet I, v. 16), où même un
enfant reconnaît les couillons, qui ne deviennent les solennels et
[5]
6
inconnus «appendages» chez Apollinaire. Quant au terme noble, il est toujours incongru dans
ce contexte, comme lorsque, par exemple, Apollinaire traduit cazzo par «virilité» (sonnets X, v.
10 ; XI, v.16).
Le comble est atteint, l lorsque le vers 3 du sonnet XIV : «ch’io vo fotter in potta e non in
culo» devient : «Je veux faire l’amour dans la bonne voie et non dans la prohibée». La brièveté
vigoureuse du texte italien («Je veux foutre en con et non en cul», traduisait Bonneau) s'amollit
en délayage flasque. C’est à se demander si Apollinaire avait lu ce qu'il prétend traduire.
Tout cela ne veut pas dire que la traduction des termes crus du langage pornographie ne
présente pas quelques difficultés.
Si les choses vont de soi pour culo = cul, elles se compliquent déjà avec cazzo < une. A.
Bonneau traduit toujours ce mot par vit, sémantiquement exact. Mais la sonorité aiguë de «vit»
est quasiment le contraire de la sonorité, disons, solide de «cazzo». Le meilleur équivalent
français de cazzo est donc cas, en raison de l'analogie phonique7 ; et c'est bien «cas» que met
Apollinaire, en général; sauf, hélas! au sonnet V, où toutes les rimes sont en «cazzo» et «potta».
La difficulté est d'un autre genre avec l'emploi métaphorique du mot cazzo en italien, alors qu'en
français le mot cas n'est jamais pris au sens figuré. On en rencontre deux exemples dans les
Sonnets luxurieux. Au vers 4 du premier sonnet «e saria '1 mondo un cazzo senza questp», la
traduction «Car le monde ne serait rien qui vaille sans cela» rend bien le sens du texte; en effet,
le mot cazzo s'emploie au figuré, en italien populaire et grossier, péjorativement et avec mépris
(non vale un cazzo ; testa di cazzo; etc); mais le tour «rien qui vaille» escamote complètement la
verdeur et la vigueur du texte italien; d'autre part, la traduction littérale : «car le monde ne serait
qu'un cas sans cela» est tout à fait incompréhensible. La langue française emploie, dans la même
fonction péjorative que cazzo en italien, le mot con ou couillon, quand il s'agit de personnes
(c'est un jeu de con; c'est un couillon; etc.), et l'abstrait connerie on ( (nullonnade, quand il s'agit
d'événements, de choses; il vaut donc mieux traduire ici : «sans cela, le monde ne serait qu'une
connerie». C'est une autre nuance de l'emploi figuré de cazzo en italien qui se présente au vers 11
du sonnet X. L'homme dit à la femme :
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il cazzo è suo, e se '1 vi piace tanto
com'a cazzo gli havete a comandare
La traduction littérale «comme à un cas vous n'avez qu'à lui commander» (Apollinaire) ou
«comme à un vit, c'est à vous de lui ordonner» (Bonneau) n'a aucun sens en français; en italien,
cazzo est pris ici au sens de niais, balourd, andouille, etc.; l'équivalent français dans ce sens est,
dans le langage populaire : manche (quel manche; c'est un manche; il s'est débrouillé comme
[6]
un manche; etc.). mot qui est (comme «andouille», d'ailleurs) une métaphore du sexe masculin,
bien sûr.
Le mot potta pose un intéressant problème de traduction. Le correspondant français
immédiat de ce terme dans la langue de tous les jours, oserai-je dire, est con. L'utiliser ici permet
des allitérations avec cas et cul (sonnet I, v. 3 «e se tu '1 cazzo adori, io la potta amo» == Si tu
adores le cas, moi j'aime le con; sonnet III, v. 10 «e in potta e *n culo il cazzo» -et en con et en
cul le cas; sonnet VI, v. 1 «Tu m'hai il cazzo in la potta, e il cul mi vedi» = tu as mon cas dans le
con et tu me vois le cul; etc.). Apollinaire, on l'a vu, n'emploie jamais le mot con, et quand il est
bien obligé de le mettre, comme au sonnet V, où il est répété systématiquement à la rime,
Apollinaire écrit pudiquement «c...». Bonneau, lui, met con, on l'a vu; mais il perd bonne part
des allitérations, parce qu'il emploie vit pour traduire cazzo. Cependant, outre qu'ajouter des
allitérations à un texte c'est le trahir (en italien, potta n'allitère ni avec cazzo, ni avec culo), le
mot con présente un double défaut : d'abord, il est du masculin, alors que potta est du féminin;
ensuite, sa sonorité (nasale, typiquement française) est radicalement différente de la sonorité du
terme italien. C'est pourquoi il semble préférable d'employer le mot féminin motte, qui a le
même sens, et où seule l'initiale est changée par rapport à potta 8.
Il faut encore signaler les contradictions qui déparent la traduction d'Apollinaire. Par
exemple, pour rendre l'italien fottere il y a le verbe français foutre (tout à fait usuel : on s'en fout;
il est foutu; va te faire foutre; etc.); et c'est bien ce verbe qu'utilise sagement Bonneau. Quant à
Apollinaire, il rend bien le dernier vers du sonnet IX, «di voi meglio vestite, ma non fottute», par
«mieux vêtues que vous, mais non mieux foutues», et dans tout le sonnet XII il emploie le verbe
foutre, même si, pudiquement, il l'abrège en «f...». On ne comprend plus alors pourquoi les deux
premiers vers du premier sonnet :
Fottiamci, anima mia, fottiamci presto,
poichè tutti per fotter nati siamo
deviennent:
Faisons l'amour, mon âme, faisons vite l'amour,
Puisque nous sommes tous nés pour faire l'amour
où l'opposition, certainement voulue par l'Arétin, entre fottiamci et anima mia9 s'estompe en une
atmosphère sentimentalo-romantique. Les exemples analogues ne manquent pas : comme au vers
12 du sonnet III, «Chi n'ha poco, in cul fotti dì e notte», traduit par «Qui en a peu qu'il fasse
l'amour
[7]
à la sodomite jour et nuit» ; ou comme au vers 12 du sonnet XII, «Signor sì, che con voi
fottendo, sguazzo» traduit par «Oui, Seigneur, car je jouis beaucoup en me donnant à vous»10,
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ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont dites, pourrait-on ironiser en parodiant Molière11
Au total, il est difficile d'expliquer, sinon par le désir de se démarquer de la traduction de
Bonneau qu'il pillait, pourquoi Apollinaire, qui s'y entendait pourtant en gaillardise et en
paillardise12, a publié une traduction qui oblitère à ce point le langage dru et cru des sonnets de
l'Arétin. D’autant plus qu'il semble avoir vu au moins une fois (il est vrai que cela crevait les
yeux) la nécessité de respecter le texte. C'est au sonnet V, où il a mis en note (p. 200) : «Il fallait,
pour ce sonnet, essayer d'en rendre l'aspect si particulier que lui donne la répétition alternée des
deux mots à la fin des vers» (ces deux mots sont cazzo et potta). Mais il ajoute : «On a dû, pour
Cela, recourir au déplaisant artifice typographique des trois points qu'on pourrait appeler points
de discrétion ou d'hypocrisie». Qu'Apollinaire use, en pleine conscience, d'hypocrisie dans ce
domaine, c'est un comble. Craignait-il une condamnation pour outrage aux bonnes mœurs?
Incontestablement un tel danger existait. Cependant, pour ce qui le regardait personnellement, il
suffisait de ne pas mettre de nom d'auteur, ou de prendre un pseudonyme (comme il a signé
«Germain Amplecas» l'édition de L’œuvre libertine des poètes du XIXe siècle, en 1910). Quant à
l'éditeur, le risque qu'il courait était peut-être moins grand qu'on ne croit : c'est bien dans la
Bibliothèque des Curieux, que sont publiés, comme L'Œuvre du divin Arétin en 1909, L'Œuvre
libertine des poètes du XIXe siècle en 1910, et Parnasse satyrique du XVIIIe siècle en 1912, deux
ouvrages où l'obscénité n’est certes pas voilée.
Le résultat est que la langue systématiquement grossière et populaire de l’Arétin est
transformée en un texte pour lecteurs gourmés et cultivés. Il est amusant de constater
qu'Apollinaire mérite le reproche qu'Antonia adresse à Nanna, dans la première journée (la vie
des Nonnes) des Ragionamenti de l'Arétin (à la p. 58 du volume d'Apollinaire) :
Parle donc librement et dis cu, ca, po et fo sinon tu ne seras comprise de personne que de la Sapienza
Capranica, avec ton cordon dans l'anneau [suit un chapelet de métaphores évoquant l'acte ou les deux
sexes]. Allons! disons oui pour oui, et non pour non, sinon garde-le pour toi.
Or Apollinaire avait lu ce passage, puisqu'il y a mis deux notes : l'une aux syllabes en
italique : «Première syllabe de culo, cazzo, potta et fottere, que l'on entend assez»; l'autre à
Sapienza Capranica : «Université de Rome» mais probablement il s'est contenté de reproduire les
notes qu'avait mises Alcide Bonneau à sa traduction des Ragionamenti en 1882).
[8]
II
À côté de ce radical contresens généralisé, les erreurs ponctuelles de traduction peuvent
sembler peu de chose. Il faut les signaler tout de même; car Apollinaire se flatte, dans
l'Introduction de son livre (p. 19), d'avoir amélioré la traduction qu'il reprend : «Les traductions
que l'on donne ici paraîtront souvent plus exactes que celles qui les ont précédées»; et il poursuit
en jetant la poudre aux yeux du lecteur avec quelques remarques de détail13. En réalité,
Apollinaire ne connaît pas grand-chose à la langue italienne, et pour les Sonnets de l'Arétin non
seulement il reprend toutes les erreurs commises par Alcide Bonneau, mais encore, à chacune de
ses interventions personnelles, il ajoute une nouvelle erreur à la traduction de son prédécesseur.
Voici quelques remarques au fil du texte.
Dans le premier sonnet, au vers 7 : «di là fotterem Eva e Adamo», Apollinaire suit
Bonneau, qui a traduit : «Après, nous irons foutre Adam et Eve», et écrit «À partir de ce
moment-là nous ferons l'amour avec Adam et Eve». C'est confondre di là avec da lì\ di là
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signifie : de l'autre côté; c'est-à-dire : quand nous serons passés de l'autre côté (= dans l'autre
monde). Aux vers 13-14 : «che mi si schianti / l'anima» ne signifie pas «que de moi jaillisse /
l'âme» comme traduit le tandem Bonneau-Apollinaire, mais : que mon âme se brise. Enfin aux
vers 15-16 la virgule ne doit pas être placée après «fore», mais avant; fore est une forme
archaïque de fuori, et il faut construire : «non mi tener fore della potta anche i coglioni».
Au sonnet II, le vers 12 : «E chi vuoi essore gran maestro è pazzo» avait été correctement
traduit par Bonneau : «Qui veut passer pour grand maître est un fou»; Apollinaire semble ignorer
que è avec l'accent est la troisième personne du singulier de l'indicatif présent du verbe être, et il
écrit : «Et celui qui veut être un grand maître fou». Au dernier vers, rendre foja par «la rage»,
comme font nos deux traducteurs, risque d'induire en erreur le lecteur qui ne tiendrait pas compte
du contexte; il s'agit de la rage du sexe dans ce qu'elle a de plus animal, en un mot du rut.
Nouvelles erreurs introduites par Apollinaire dans le sonnet III. Au vers 7, «un cazzo
picciol si disdice», la traduction de Bonneau, «un tout petit vit démérite», est acceptable;
Apollinaire, entraîné peut-être par le jeu des sonorités, a mis «un cas tout petit se dédit», ce qui
est inexact, le verbe disdire ayant ici le sens que l'on trouve, par exemple, dans l'adjectif dérivé
disdicevole (== inconvenant). Au dernier vers, traduire la guglia par «l'aiguille», comme fait
Apollinaire, risque de réduire outrageusement ce qui, en italien, n'est pas l'aiguille à coudre (qui
se dit ago), mais l'aiguille
[9]
des Alpes ou la flèche de la cathédrale ; Bonneau proposait, plus exactement, «l’obélisque» ; je
risquerais «pinacle», pour des motifs évidents.
Nos deux traducteurs pataugent aux vers 13-14 du sonnet V : «[…] in giù la
potta/ficcate,, e io in sù ficcherò il cazzo». Bonneau propose : «soulevez le con/En haut, et moi
en bas j'enfoncerai le vit». Apollinaire, probablement arrêté par ce «soulevez le con en haut»
quand le texte dit «in giù la potta ficcate», croyant améliorer la traduction, commet un contresens total : «affermissez en bas votre c... / Tandis que moi au-dessus je ficherai mon v...». Mais
ficcare n'a jamais signifié «affermir», et c'est bien «ficher» qui le traduit en seconde occurrence.
En réalité, on a le binôme oppositionnel : ficcare in sù vs ficcare in giù, où in giù ne signifie pas
«en bas» mais «vers le bas», et où in sù ne signifie pas «au-dessus», mais «vers le haut». Le
résultat est que la «position» décrite dans le sonnet est exactement le contraire de ce que dit la
traduction d'Apollinaire (Bonneau, lui, s'en lirait plutôt mal que bien en renversant la
signification de in giù et de in sù).
Il n'est pas facile de déterminer ce que signifie exactement «fottere per lettera», au vers 9
du sonnet VI. Il est douteux que la traduction «le faire à la lettre», proposée par Apollinaire, soit
exacte : «à la lettre» supposerait un iode formulé pour l'accomplissement de l’acte sexuel. Peutêtre faut-il voir dans «per lettera» un équivalent de l'expression usuelle per filo e per segno, qui
signifie : minutieusement, dans tous les détails ; interprétation que sembleraient autoriser les vers
10 et 11 (Bonneau entendait-il cela en mettant «en toutes lettres»?).
Dans le sonnet VII, au vers 4 : «se ne '1 cul me lo caccio per disgratia», «me lo caccio»
ne veut pas dire «je me le chasse» (de nouveau Apollinaire est victime de sa médiocre
connaissance de l'italien et de son goût du jeu phonique), mais «je me le fourre», comme
traduisait Bonneau; et dans «per disgratia», disgratia ne signifie pas «malheur», mais «caso
spiacevole che si verifica senza colpe proprie» (par exemple : l'ho fatto per disgrazia = je l’ai fait
involontairement). Au vers 14, traduire «argomento» par «argument», comme fait Apollinaire,
ne signifierait rien pour un lecteur français, si le contexte ne venait l'éclairer; il faudrait au moins
ajouter l'adjectif «pointu» au mot «argument» (comme on dit: bouillon pointu). Mais en italien
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ancien argomento signifiait outil, instrument (les exemples sont nombreux ; Decamerone,
Orlando furioso, surtout celui, fameux, de Dante, Purgatorio, II, 31-33) et le Dizionario della
Crusca explique comment, le clystère étant le remède le plus fréquent (cf., en français, prendre
médecine), le mot argomento a fini par désigner l'instrument par excellence du médecin : la
seringue; c'est par ce mot qu'il convient donc de le traduire en français, à moins que l'on ne
préfère le «clysopompe» rimbaldien.
[10]
Au vers 8 du sonnet VIII, l'opposition «[est plus différent] que la tisane du malvoisie»,
qui se trouve dans les deux traductions, est suggestive, mais elle déplace le domaine de la
comparaison, ce que blâme Apollinaire chez Bonneau16. Le texte italien est : «che l'acquata dalla
malvasia», or l'acquata est l'aiguade, c'est-à-dire la provision d'eau embarquée sur le navire, ici
le navire qui transporte le bon vin de Morée; dès lors, comme Apollinaire, avec raison, ne voulait
pas «faire passer dans l'officine de l'usurier une locution populaire qui sortait sans doute du
fournil du boulanger», il ne faut pas, ici, faire passer dans l'officine de l'apothicaire une
expression sortant du navire de commerce.
Au sonnet IX, le vers 2 «Deh! se l'hai caro, lasciamelo vedere» est traduit par
Apollinaire, à la suite de Bonneau : «Allons! Si tu veux bien, laisse-moi le voir»; mais lo, élidé
devant hai, n'est pas un neutre : il représente il cazzo du vers 1, comme lo dans «lasciamelo
vedere»; d'autre part, avere caro quelque chose ou quelqu'un signifie : tenir à lui, le considérer
comme précieux; le sens est donc : si tu tiens à lui, la conjonction si prenant une nuance de
concession («même si», ou «puisque»). En outre, Deh!, n'a pas un sens d'encouragement ou
d'invite, comme «Allons!», mais exprime une prière ou un désir (c'est presque «je t'en prie»). Au
vers 11, la traduction de «solazzo» par «soulas», que propose Apollinaire, présente, sous un
nouvel angle, le problème de l'emploi des archaïsmes : «soulas» a l'avantage de ressembler
phonétiquement à «solazzo»; mais c'est, pour un lecteur actuel, un mot savant inusité, tandis que
sollazzo (orthographe moderne) est encore utilisé dans la langue italienne courante au sens de
«grand plaisir, grand divertissement». La conformité à l'emploi dans la langue d'origine doit
l'emporter sur les jeux phoniques, et Apollinaire a eu tort de ne pas conserver «plaisir», que
mettait là Bonneau.
Un passage des vers 12-13 du sonnet X : «spingel' da canto / più su, più giù» a donné de
la tablature à nos deux traducteurs. Bonneau propose: «pousse ferme, / Plus avant, plus à fond»;
mais «da canto» ne signifie pas «ferme», et «plus avant, plus à fond» sont synonymes et ne
traduisent pas «più sù, più giù». Apollinaire, qui a dû voir la faiblesse de cette traduction, écrit :
«pousse de côté, / Plus haut, plus à fond»; mais «più giù» opposé à «più su» ne signifie pas «plus
à fond» mais «plus bas». L'erreur des deux traducteurs est d'avoir oublié le l’ qui est soudé à
«spinge» et qui est le pronom lo apocope; il représente le «cas» que l'homme a accepté de mettre
là où veut la femme; il faut donc comprendre que celle-ci guide en quelque sorte son partenaire
dont le cas cherche «le pertuis prohibé», comme dirait Apollinaire; et traduire : «pousse-le de
côté, / plus haut, plus bas».
Encore des difficultés au second quatrain du sonnet XI. Au vers 5, «io vi vagheggio»
devient «je vous caresse» chez les deux traducteurs; mais ce
[11]
verbe ne pourrait se traduire ainsi que dans des expressions comme «vagheggiare un sogno, un
progetto, una speranza», etc. où «caresser» serait tout à fait métaphorique (=caresser un rêve, un
projet, un espoir) sans aucun rapport avec les caresses concrètes. En réalité, ce verbe veut dire
«contempler avec tendresse, ou passion, ou admiration» (dans l’acnienne langue il pouvait
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signifier «être situé en face»). Si l'on n'oublie pas la position des partenaires, indiquée aux vers
1-2 du sonnet («acciò ch'io vegga bene / il tuo bel culo e la tua potta in viso» = que je puisse bien
voir / ton beau cul et ta motte en face), on comprend dans quel «specchio» (= miroir) l’homme se
voit plus beau que Narcisse; cela, d'ailleurs, est dit en clair au vers 13 du sonnet XIV : «io mi
specchio nel cul vostro» (= je me mire dans votre cul). Au vers 8, «Nel specchio ch'il mio cazzo
allegro tiene», Bonneau escamote la difficulté : «Dans le miroir qui s'offre à mon vit, tout
guilleret». Apollinaire a voulu être fidèle au texte et il propose : «Dans le miroir qui tient mon
cas allègre tient», qui est, pour le moins, surprenant : certes les exploits du cas peuvent être
extraordinaires, mais il est difficile de lui voir tenir un miroir, celui-ci fût-il de chair. En réalité,
l'adjectif «allegrp»- n'est pas épilhète, mais attribut de «cazzo», et il faut traduire : dans le miroir
qui tient mon cas dans l'allégresse. Au vers 9 la traduction de «in terra» par «sur terre»
(Bonneau) ou «sur la terre» (Apollinaire) est erroné, c’est «par terre» tout simplement. Enfin, au
vers 14, Bonneau a eu tort de traduite «je me jetterais sans seau dans un puits»; Apollinaire a
respecté l'ordre des mots : «J'entrerais dans un puits sans seau»; tout le monde comprendra
qu'«un puits sans seau» contient autre chose que de l’eau.
An sonnet XII, nos deux traducteurs font une légère erreur de mode au vers 10. où
«faresti» [= fareste] n'est pas un futur (ce serait farete), mais un conditionnel (= vous feriez),
dans le système hypothétique : «se ci fosse […] vi sonerei [...] e voi [...] faresti [...]». L'erreur est
beaucoup plus grave au vers 2. «Cosi sotto una donna non si reca», traduit par «on ne se place
pas ainsi sous une femme» (Bonneau; Apollinaire met «femmelette» pour la rime avec «à
l'aveuglette»). Cette traduction évoque une position qui est le contraire de celle qu'indiquent les
vers 10 et 11 : «sù la potta ballar faresti il cazzo, / menando il culo in sù, spingendo forte», où la
femme est placée sous l'homme, non sur lui; et elle ne s'harmonise pas avec les vers 3-4 : «E non
si fotte Venere alla cieca, / con assai furia e poca discretione». En réalité, «si reca» n'est pas le
réfléchi (recarsi), qui exigerait la présence du sujet (=ci si reca), et si est le sujet indéfini du
verbe actif (cf. si ride = on rit; si mangia = on mange; etc.); le sens est donc à l'opposé de ce que
proposent Bonneau et Apollinaire, et il faut traduire : on ne place pas ainsi une femme dessous
(sotto est adverbe, mais il équivaut ici à sotto di
[12]
sè).En outre, il semble qu'il faille donner au verbe recare un sens très fort, en raison des vers 3-4
: «alla cieca / con assai furia e poca discretione». Mais l'origine de l'erreur semble venir de
l'adjectif «poltrone» au vers 1, et du substantif «Poltroneria» au dernier vers : Bonneau traduit
par «fainéant» et «Fainéantise», ce qui jure avec la violence soulignée dans le premier quatrain;
pour une fois Apollinaire améliore un peu en mettant «poltron» et «lâcheté paillarde». Il me
semble que «poltrone» équivaut à l'archaïque «ribaud» qui évoque à la fois la violence (pas la
lâcheté) et la paillardise; on en est réduit à mettre «débauché» ou «paillard».
Encore une erreur grave au vers 6 du sonnet XIII : «O! come? su la potta ci confetto»,
traduit respectivement : «Oh! comment? au bord du con il se morfond!» (Bonneau) et «Oh! voici
qu'au bord du mirely il se morfond.» (Apollinaire). Non seulement le verbe confettare ne signifie
pas «se morfondre» (il serait plutôt du côté de la confiture); mais encore «ci confetto» est à la
première personne du singulier et se rapporte à la femme qui parle et non au «cazzo» qui la
besogne. Le sens est éclairé par les vers 7 et 8, où la femme déclare que la prochaine fois elle
prendra le cazzo dans le culo. On pourrait traduire par : «Oh! comment? je m'en régale sur la
motte!» exclamation de surprise de la femme, qui, de toute évidence, préfère l'action a tergo.
Le sonnet XIV est obscur à cause de la complication de la position17, dite «à la brouette»,
qu'il décrit. La «brouette» est un jeu d'enfant qui se joue à deux : l'un des deux enfants avance sur
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Apollinaire traducteur des Sonnets luxurieux de l’Arétin FONGARO
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ses mains, tandis que l'autre le tient par les pieds. On peut imaginer l'incommodité de la posture
analogue pour accomplir l'acte : l'homme doit forcément se rapprocher de la femme (qui
représente la brouette), et celle-ci a forcément tendance à s'écarter en avant : d'où la première
injonction de l'homme : «Non tirar [...) la cariola; fermati [...]» (= ne tire pas la brouette; arrêtetoi), adressée métaphoriquement à Cupidon, rendu responsable du mouvement en avant de la
femme; d'où, surtout, la nécessité pour l'homme d'empêcher cet éloignement en tenant avec force
les jambes de la femme contre son corps. En tout cas, le vers 5 : «E nelle braccia le gambe mi
fido» ne peut pas se traduire, comme fait Apollinaire, par : «Je me fie aux jambes et aux bras»;
la syntaxe est claire : «nelle braccia» est complément de lieu, «le gambe» est complément
d'objet, et il n'y a pas dans le texte de conjonction «et». Bonneau était plus fidèle à l'original en
traduisant : «Je me fie à mes bras du poids des jambes», même s'il ajoutait ce «poids» qui n'est
pas dans le texte. C'est la traduction de «mi fido» (littéralement : je me fie) qui fait difficulté. Au
vers 6 «E si disconcio sto (e non t'adulo)» Apollinaire, en traduisant «Je suis dans une position si
incommode que Je ne t'adore pas en ce moment», établit entre «si disconcio sto» et «e non
t'adulo» une
[13]
relation qui n’est pas dans le texte ; par contre, il supprime la relation «e si disconcio sto […] che
si morebbe […] un mulo» entre les vers 6 et 7. Bonneau n’avait pas commis cette erreur. Mais
les deux traducteurs ont tort de rendre «non t’adulo» par «je ne t’adore pas» ; adulare ne signifie
pas adorer, il veut dire louer ou péjorativement, flagorner, c’est-à-dire flatter par des mensonges :
ici adulare a un sens voisin d’ingannare (=tromper). Au vers 8 «E però tanto col cul soffio e
grido», à l'interprétation de Bonneau «et pourtant je ne souffle que...» , on pourrait préférer celle
qui ferait de «però» l'indication de la cause, et de «tanto» un intensif (=c’est pourquoi je souffle
tellement...). Au vers 13, dans le contexte proposé par Bonneau, il faut rapporter «stando
sospeso» à «cul vostro» du vers 12, alors que, grammaticalement, il serait plus normal de la
rapporter à «io», sujet du \ verbe principal. Enfin, au vers 16, il est clair que Bonneau («N’était
que je puis te contempler bien en face») n’a pas compris le texte italien («Se non cch’io son per
mirarti di vena»); pour une fois Apollinaire a amélioré la traduction de son prédécesseur («Si
votre vue ne me donnait du cœur»).
Le sonnet XV contient au premier tercet une finesse intraduisible en français : «il fotter»
est du masculin en italien, il peut donc être dit «reverendo»» (== révérend) au vers 10, ce qui
permet le jeu des genres avec «e come io fossi una Badessa godo» (= et je jouis comme si j'étais
une Abesse) au vers 11; tandis qu'en français la «fouterie» étant du féminin, le jeu verbal est
perdu. Enfin, aux vers 15-16 «E tu, cazzo corrivo, / in le gran frette in la polla ti caccia», il n'est
pas sûr du tout que «corrivo» signifie «bonhomme» comme dit Bonneau, ou «volage» comme dit
Apollinaire, mais il est sûr que «ti caccia» n'est pas «cache-toi» (qui se dit nasconditi en italien),
comme dit Apollinaire (qui est peut-être trompé une nouvelle fois par la ressemblance
phonétique), mais : fiche-toi, fourre-toi («enfonce-toi». propose Bonneau).
An vers 11 du sonnet XVI, Apollinaire n'a pas compris le sens de «a vostra posta» (=
selon votre bon plaisir) et a malencontreusement modifié la traduction de Bonneau «à votre
volonté», en «en suivant votre mouvement».
Apollinaire n'avait pas, on a pu le constater, une connaissance bien solide de la langue
italienne. Mais le plus grave n'est pas là. Il est regrettable qu’Apollinaire nous ait servi cet Arétin
à l'eau de rose. L'auteur des Onze mille verges et des Exploits d'un jeune Don Juan, des poèmes à
Lou et des poèmes à Madeleine, était-il encore, en 1909, un enfant de chœur? Que
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[14]
n'a-t-il conservé aux sonnets luxurieux de l’Arétin cette «vivacité gaillarde» qu'il leur reconnaît à
la fin de l'Introduction de son volume!
NOTES
1. Voir Que vlio-ve?, juillet-septembre 1987, p. 16-20; avril-juin 1991, p. 50-52; janvier
mars 1992, p. 6-9; avril-juin 1993, p. 29-35; avril-juin 1995. p. 43-47; juillet-septembre 1995, p.
84-85; et surtout janvier-mars 1995, p. 1-36 («Le Théâtre italien» de G. Apollinaire).
2. Exactement aux p. 191, 193, 195,197, 199, 201, 203, 207, 209, 211, 213. 215. 221,
223. 225, 227; les autres pages étant blanches ou occupées par des notes (très longues aux p. 204
6 et 216-9).
3. Apollinaire donne les références : a) Les sonnets luxurieux du divin Pietro Aretino,
texte italien, le seul authentique, et traduction littérale par le traducteur des Ragionamenti
[Alcide Bonneau], avec une notice sur les sonnets luxurieux, l'époque de leur composition, les
rapports de l'Arétin avec la Cour de Rome et sur les dessins de Jules Romain, gravés par MarcAntoine. Imprimé à cent exemplaires par Isidore Liseux et ses amis, Paris, 1882 (p. 16. n. 1) —
b) l.cs sonnets luxurieux de l'Arétin, texte italien et traduction en regard accompagnée de la
notice et de commentaires de Is. Liseux [en réalité d'A. Bonneau] et publiés pour la première fois
avec la suite complète des dessins de Jules Romain d'après des documents originaux, Paris, 1904
(p. 17. n. 1).
4. Le seul exemplaire retrouvé jusqu'à ce jour de cette édition est reproduit (avec
commentaire et notes) dans l’Edizione Nazionale delle Opere di Pietro Aretino, vol. I, Poésie
varie, t. 1. a cura di G. Aquilecchia e A. Romano, Roma, Salerno Editrice, 1992, 394 p. (aux p.
103-14), ou, à moindre prix, dans le vol. : Pietro Aretino, Sonetti sopra i «XVI modi», a cura di
G. Aquilecchia, Roma. Salerno Editrice, 1992. 80 p.
Si l'on ne tient pas compte des variantes de détail, les 3 premiers sonnets coïncident avec
ceux de Bonneau; le sonnet 4 est le sonnet 9 chez Bonneau; il manque les sonnets 5 et 6 dans
l'exemplaire retrouvé de l'éd. du XVIe siècle; les sonnets 7 et 8 coïncident avec ceux de Bonneau;
le sonnet 9 est le sonnet 6 chez Bonneau; les sonnets 10 à 14 coïncident avec ceux de Bonneau
(mais voir plus loin pour le sonnet 14); les sonnets 15 et 16 n'ont aucun rapport avec les
correspondants chez Bonneau.
Ceux qui ne lisent pas l'italien trouveront les données relatives à la vie de l'Arétin, aux
circonstances de la publication des «sonnets luxurieux», aux problèmes du texte, dans le vol. :
L'Arétin, Sonnets luxurieux - Sur les XVI postures, traduit de l'italien par Alcide Bonneau et Paul
Larivaille, Préface et notes de Paul Larivaille, Rivages poche - Petite Bibliothèque, 1996, 86 p.;
volume qui reprend la susdite édition de G. Aquilecchia, ainsi que les gravures du XVIe siècle
qui y figurent.
5. Ce sont les vers 17-18 de «Palais», dans Alcools. Ils ne figuraient pas encore dans la
première publication de ce poème sous le titre «Dans le palais de Rosemonde», dans la Revue
littéraire de Paris et de Champagne, n° 32, nov. 1905. Je signale qu'au v. 15 du sonnet XIV
l'Arétin a écrit «O cul di latte e d'ostro», traduit absurdement par Apollinaire «Ô hanches de lait
et de pourpre».
6. Quand il emploie ce mot au début du ch. V des Onze mille verges (Pr III, 916), Apollinaire est obligé de gloser : «[...] ces deux petites boules qui servent d'appendages et que l'on
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appelle testicules [...]».
7. À la Renaissance, les écrivains français ont translittéré l'italien cazzo en caize. Pour la
précision sémantique, catze vaudrait mieux que cas, puisque celui-ci peut signifier aussi le con
(c'est son sens le plus fréquent) et même le cul (cf Baudelaire, «Le Monstre», v. 61-4 : «Oh! très
sincèrement je souffre / De ne pas aller aux sabbats, / Pour voir, quand il [= le Diable] pète du
soufre, / Comment tu lui baises son cas!»). Mais catze, qui est encore parfois
[15]
e
employé par les écrivains «libres» du XVIII siècle, a pratiquement disparu de la langue et serait
un archaïsme inutile.
8. Curieusement, Bonneau emploie «motte» une seule fois au v. 16 du premier sonnet,
puis l’abandonne.
9. Cf. sonnet 1, v.14 : «l’anima, ch’in sul cazzo hor nasce hor muore».
10. L’italien sguazzo, si faiblement rendu ici, était correctement traduit au dernier v. du
sonnet XI (mais avec un «me» explétif : «je me mouille»). Nouvel exemple du manque
d’homogénéité de cette traduction. Inutile d'ajouter que lorsque l’Arétin veut dire «jouir» il
emploie le verbe godere, par ex., sonnet XV, v. 11 : «e corne io fossi una Badessz godo».
11. Pour la traduction édulcorée de fottere, voir aussi les sonnets IV, v. 14; VI. v. 5; VII.
v 17 ; VIII. v 2, 6, 9 ;XIII. v. 4; XIV, v. 3. 11; XVI, v. 13.
12. P'oint n'est besoin, je suppose, de donner des références aux œuvres d'Apollinaire,
tant en vers qu'en prose.
13. «Le traducteur de l'édition de Liseux, malgré tous ses mérites, n'a pas évité quelques
contresens regrettables comme celui-ci au deuxième dialogue [Ragionamenti] où il traduit
spazzare ogni gran camino par «balayer la poussière des plus larges chemins». Ce qui n'était évidemment pas ce que voulait dire le Divin, les ramoneurs étant de son temps plus communs
que les cantonniers. On a aussi serré le texte italien de plus près. C'est ainsi qu'on a rendu
schiavina, non pas seulement par «manteau», mais par «esclavine», et que traduire le fu renduto
da me migliocco per torta par «je lui rendis mille pour un» a paru une étrange façon de faire
passer dans l'officine de l'usurier une locution populaire qui sortait sans doute du fournil du
boulanger» (p. 20).
14. Il ne faut pas se laisser tromper par le fait que «en haut» et «en bas» peuvent signifier
«vers le haut» et «vers le bas» dans des expressions figées, comme «de haut en bas» et «de bas
en haut» où le mouvement d'un point à un autre est indiqué par la combinaison des prépositions :
de […] en [...].
15. En ancien italien, per lettera employé avec des verbes comme scrivere, parlare, etc.
signifiait : «en latin»; c'était le mode de s'exprimer utilisé par les doctes (ou, de façon ridicule,
par les prétentieux, dont se moquent les satiriques). Si l'Arétin a voulu rappeler ce sens primitif,
per lettera signifierait : «savamment»; de toute façon, le sens ne serait pas différent de «minutieusement»
16. Voir, plus haut, la note 13.
17. Au sonnet XIV la différence entre le texte et la gravure de l'éd. Bonneau et le texte et
la gravure de l'éd. des environs de 1530 est totale. Dans l'éd. du XVIe s. la gravure ne laisse
aucun doute: la cariola (orthographié aussi carriola) n'est pas une brouette, mais (comme
l’enregistrent les dictionnaires) un lit qui au lieu de pieds a quatre petites roues (certains
dictionnaires précisent même que ce lit à roues était très bas et pouvait être logé sous le lit
normal et servir de lit d'appoint); c'est sur ce lit bas roulant, que sont placés les deux partenaires,
et l'homme tempête contre Cupidon, qu'il accuse de tirer cette «cariola», étant donné la position
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terriblement incommode dans laquelle il se trouve : dans la gravure, l'homme est arc-bouté sur
ses pieds et sur ses mains, la face tournée vers le haut, et la femme l'enfourche » en lui tournant
le dos; le texte dit au v. 5 : «E nelle braccia e le gambe mi fido (= je me fie à mes jambes et à
mes bras), et aux v. 13-14 : «e se non ch'io mi specchio nel cul vostro / stando sospeso in l'uno e
l'altro braccio», il faut comprendre : n'était que je me mire dans votre cul / en me tenant soulevé
sur l'un et l'autre bras. La position de l'homme est encore plus éreintante que celle que proposent
la gravure et le texte de l'éd. Bonneau; mais la gravure de l’éd. Bonneau, on l'a vu plus haut,
semble bien avoir été faite d'après le texte italien et la traduction de Bonneau (et non au XVIIIe
s.). Voir les illustration, p. 51.
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