Esclaves et esclavage à Athènes
A l’époque classique, les esclaves sont présents partout, dans le quotidien de la cité comme dans les
comédies d’Aristophane. Les historiens distinguent « l’esclave-marchandise » (Athènes) et les formes
communautaires de dépendance (les hilotes à Sparte).
L'histoire de l'esclavage en Grèce antique pose un double problème :
- Les sources sont lacunaires et disparates ; elles concernent surtout Athènes ; elles portent plus sur le
IVeme que sur le Veme siècle. Les inscriptions funéraires sont peu nombreuses. « Nous ne possédons
pratiquement aucun texte écrit par un esclave et traitant de sa condition d’esclave » (Jean Andreau et
Raymond Descat). Il en résulte un usage fréquent du conditionnel par les historiens.
- Le mode de pensée et les repères utilisés par un Grec du Veme sont très différents des nôtres. Il faut donc
éviter de reporter sur la société athénienne ce que l’on sait de l’esclavage dans les périodes postérieures,
notamment lors des traites négrières ou dans les Etats-Unis d’avant la guerre de Sécession. De plus, c’est
seulement par le témoignage des maîtres que nous connaissons l’esclavage et la vie des esclaves.
Qu’est-ce qu’un esclave ?
C’est un homme, une femme ou un enfant qui est considéré comme la propriété d’un autre homme.
« Juridiquement et politiquement, l’esclave est tenu à la fois comme un être humain et comme un objet,
qui peut être acheté, vendu, donné en gage au même titre qu’un autre bien ».
Le grec ancien possède plusieurs termes. A l'âge classique, le mot le plus courant est sans doute δοῦλος /
doûlos, qui est employé par opposition à l’homme libre (ἐλεύθερος / eleútheros) et plus particulièrement
au citoyen (πολίτης / polítês). On emploie aussi le terme οἰκέτης / oikétês : littéralement, « celui qui habite
la maison », par extension, le « domestique » ; l’esclave, c’est aussi νδράποδον / andrápodon (littéralement
« l’homme à pattes», par opposition à τετράποδον / tetrapodon, le quadrupède, c'est-à-dire le bétail).
L’esclave au travail
Les esclaves sont fréquemment employés à la maison. Une femme esclave peut servir de nourrice ou
s’occuper des tâches domestiques, en particulier de la cuisson du pain et de la fabrication des vêtements.
Au sens premier, le « pédagogue » est un esclave chargé d’emmener les enfants à l’école. En temps de
guerre, un esclave peut accompagner son maître hoplite et lui servir de valet.
En dehors du domicile, la principale activité utilisant des esclaves est probablement le travail de la terre.
Certains petits propriétaires terriens possédaient un esclave, voire deux. Une abondante littérature de
manuels pour propriétaires terriens (comme l’Économique de Xénophon ou celui du pseudo-Aristote)
atteste de la présence de plusieurs dizaines d'esclaves dans les grands domaines.
Les esclaves sont également employés dans les ateliers et dans les boutiques. Le père de Démosthène
possède une fabrique de couteaux et une fabrique de lits. Ces deux ateliers rassemblaient une cinquantaine
d’esclaves chacun.
Dans les mines et les carrières, le travail servile est très important. C’est une source de revenus pour les
propriétaires qui louent ces travailleurs. Ainsi, le stratège Nicias loue un millier d’esclaves aux mines
d’argent du Laurion ; Hipponicos 600 et Philomidès, 300. Xénophon (Des revenus) indique qu’ils
rapportent une obole par esclave et par jour, soit 60 drachmes par an. On a pu estimer au total à 30 000 le
nombre d’esclaves travaillant dans les mines du Laurion.
La condition des esclaves.
Dans une société qui fonctionne avec d’autres repères que les nôtres, il est difficile d’apprécier cette
condition. L’esclave est à la fois omniprésent et invisible dans la cité ; il travaille et appartient à une
maison, mais pour les citoyens, il est considéré comme « l’étranger par excellence, et même le barbare ».
A l’époque archaïque, Athènes pratique l’asservissement pour dettes. Solon y met fin par la σεισάχθεια /
seisakhtheia, la libération des dettes, l’interdiction de toute créance garantie sur la personne du débiteur et
l'interdiction de vendre un Athénien libre, y compris soi-même. Dans sa Constitution d'Athènes (XI, 4),
Aristote fait dire à Solon: « J’ai ramené à Athènes, dans leur patrie fondée par les dieux, bien des gens
vendus plus ou moins justement (…), subissant une servitude (douleia) indigne et tremblant devant
l’humeur de leurs maîtres (despotes), je les ai rendus libres. »
À Athènes, les esclaves n’ont juridiquement aucun droit. Un délit passible d’amende pour l’homme
libre donne lieu à des coups de fouet pour l’esclave, à hauteur, semble-t-il, d’un coup par drachme. À
quelques exceptions près, le témoignage de l’esclave n’est pas recevable, sauf sous la torture. L’esclave
n’est protégé qu’en tant que bien.
Selon le pseudo-Aristote (Économique, 1344a35), le quotidien de l'esclave se résume à trois mots « le
travail, la discipline et la nourriture ». Xénophon conseille de traiter les esclaves comme des animaux
domestiques, c’est-à-dire de les punir en cas de désobéissance et de les récompenser en cas de bonne
conduite (Économique, XIII, 6). Aristote pour sa part préfère en user comme avec les enfants, et de
recourir aux ordres mais aussi aux recommandations, car l'esclave après tout est capable de comprendre
les raisons qu'on lui donne (Politique, I, 3, 14). Selon Plutarque (Vie de Solon, I, 6), Solon (v. 594-593 av.
J.-C.) aurait interdit aux esclaves de pratiquer la gymnastique et la pédérastie.
De fait, la condition des esclaves varie beaucoup selon leur statut : l’esclave mineur du Laurion connaît
des conditions de travail particulièrement pénibles, tandis que l'esclave en ville jouit d’une relative
indépendance. Il peut vivre et travailler seul, moyennant paiement d’une redevance (ἀποφορά / apophora)
à son maître. Il peut ainsi mettre de l’argent de côté, parfois suffisamment pour se racheter.
L’esclave peut être affranchi et racheter sa liberté. La pratique devient plus courante à partir du IVeme
siècle et donne lieu à des actes gravés sur pierre ; certains ont été retrouvés dans des sanctuaires comme
ceux de Delphes ou Dodone. Pasion, affranchi par son maître, se lance à son tour dans la banque. Il
possède une manufacture de boucliers et devient un des hommes les plus riches d’Athènes. Pour le
récompenser de ses largesses, il est admis comme citoyen.
Cette promotion semble très exceptionnelle. Au regard de la cité, l’affranchi est loin d’être l’égal d’un
citoyen de naissance. Il est soumis à toutes sortes d’obligations dont on peut se faire une idée au vu de
celles que propose Platon dans les Lois (XI, 915 a-c) : présentation trois fois par mois au domicile de
l’ancien maître, interdiction de devenir plus riche que ce dernier, etc. En fait, le statut de l’affranchi se
rapproche de celui du métèque.
Cette situation n’empêche pas 20 000 esclaves athéniens de s’enfuir à la fin de la guerre du Péloponnèse,
sur l’incitation de la garnison spartiate stationnée en Attique, à Décélie. La tentation de la fuite est forte,
les propriétaires n’hésitent pas à utiliser des professionnels pour retrouver les fugitifs. Ceux qui étaient
repris étaient jetés en prison (à l’Anakeion, peut-être). Certains marchands d’esclaves (les plagiaires)
cherchaient à s’approprier les esclaves d’autrui.
D’où viennent les esclaves ?
Xénophon conseille de loger esclaves hommes et femmes séparément, de peur qu’ils « ne fassent des
enfants contre [le] vœu [des propriétaires] car, si les bons domestiques redoublent d’attachement pour
nous quand ils sont de la famille, les mauvais acquièrent en famille de grands moyens pour nuire à leurs
maîtres » (Économique, IX). En dehors de l’accroissement naturel et des enfants nés à Athènes, il existe
deux sources majeures, la guerre et le commerce.
Dans la guerre, le vainqueur possède tous les droits sur le vaincu, que celui-ci ait combattu ou non[14].
L’asservissement, sans être systématique, est pratique courante. Ainsi, Thucydide (VI, 62 et VII, 13)
évoque les 7000 habitants d’Hyccara, en Sicile, faits prisonniers par Nicias et vendus ensuite (pour 120
talents) dans la ville voisine de Catane.
Dans certaines régions, piraterie ou brigandage sont de véritables spécialités nationales, que Thucydide
qualifie de vie « à la manière ancienne » (I, 5, 3) : c’est le cas de l’Acarnanie, de la Crète ou encore de
l’Étolie. Hors de Grèce, c'est également le cas des Illyriens, des Phéniciens et des Tyrrhéniens.
Il existe par ailleurs un commerce d’esclaves avec les peuples barbares voisins : Thraces, Scythes,
Cariens, Lydiens, Egyptiens, etc. Les principaux centres de commerce d’esclave semblent avoir été Délos,
Éphèse, Byzance ou encore Tanaïs, sur l’embouchure du Don.
Le prix des esclaves varie en fonction de leur compétence. Ainsi, Xénophon évalue à 180 drachmes le prix
d'un mineur du Laurion - en comparaison, un ouvrier de grands travaux est payé une drachme par jour -
mais les couteliers du père de Démosthène valent bien 500 ou 600 drachmes chacun. Le prix est également
fonction de la quantité d'esclaves disponibles à la vente : au IVeme siècle , ceux-ci sont abondants et donc
bon marché. Sur les marchés d'esclaves, une taxe est prélevée par la cité sur le produit de la vente : au
sanctuaire d'Apollon à Actiôn, par exemple, la confédération des Acarnaniens, qui prend en charge la
logistique des festivités, perçoit la moitié de la taxe, tandis que la cité d'Anactorion, sur le territoire duquel
se trouve le sanctuaire, perçoit l'autre moitié.
Combien d’esclaves ?
Il est difficile d’estimer le nombre d’esclaves en Grèce antique.
Les historiens hésitent entre 40 000 et 250 000, l’estimation basse permettant de minorer la réalité de
l’esclavage, l’estimation haute obligeant à s’interroger sur les conséquences sociales d’un tel nombre.
Les immenses concentrations d’esclaves des Romains semblent inconnues chez les Grecs. Quand Athénée
(VI, 264d) cite le cas de Mnason, ami d’Aristote et propriétaire de mille esclaves, cela reste exceptionnel.
Platon (lui-même propriétaire de cinq esclaves au moment de sa mort), quand il évoque des gens très
riches (République, IX, 578d-e), se contente de leur attribuer cinquante esclaves.
Les historiens exploitent deux sources majeures, quand les archives ont survécu, souvent à l’état de
fragments recopiés par des chroniqueurs : les recensements ; les taxes portant sur le commerce des
esclaves. Les exemples qui suivent portent sur le IVeme siècle seulement.
En 338, à la suite à la défaite grecque de Chéronée, l’orateur Hypéride évoque le projet d’enrôler 150 000
esclaves (donc mâles et en âge de porter les armes) (Contre Aristogiton).
Entre 317 et 307, selon un texte du chroniqueur Ctésiclès repris par Athénée de Naucratis (Banquet des
sophistes), le tyran Démétrios de Phalère aurait ordonné un recensement général de l’Attique qui aboutit
aux chiffres suivants : 21 000 citoyens, 10 000 métèques et 400 000 esclaves [oiketès]. Les historiens
admettent la validité du chiffre en ce qui concerne les citoyens et les métèques. Le chiffre de 400 000 peut
difficilement désigner l’ensemble des esclaves : l’Attique n’aurait pas pu nourrir une population aussi
nombreuse ; Démétrios n’avait pas de raison de s’intéresser aux seuls esclaves. Par contre, si ce chiffre
désigne l’ensemble de la population [oiketès valant alors pour l’ensemble des personnes vivant dans une
maison], alors, à Athènes, au IVeme siècle, un habitant sur deux aurait été un esclave. La validité de ce
chiffre élevé est encore l’objet de débats entre historiens.
Penser l’esclavage.
Pour un Athénien de l’époque classique, « l’esclavage est une pratique sociale, à laquelle on s’adapte, une
pratique difficile à laquelle on s’adapte », comme à la guerre et à la mort. De plus, l’esclavage concernant
surtout des non-Grecs, la question ne se pose pas.
Dans le Politique, Aristote développe la théorie de l’esclavage par nature : « L’être qui, grâce à son
intelligence, est capable de prévoir, est gouvernant par nature ; l’être qui, grâce à sa vigueur corporelle, est
capable d'exécuter est gouverné et par nature esclave » (I, 2, 2). Contrairement aux animaux, l’esclave
peut percevoir la raison mais il est « complètement dépourvu de la faculté de délibérer » (I, 13, 17).
Platon, lui-même réduit en esclavage puis racheté par l'un de ses amis, donne au contraire une
condamnation explicite de l'esclavage dans le Ménon en faisant participer un esclave à une discussion
philosophique. Par là, le statut de celui-ci comme humain à part entière est reconnu, et le fondement
essentiel de l'esclavage est contredit.
Chez les Modernes, les Chrétiens s’attribuent la responsabilité de la disparition de l’esclavage antique.
À partir du XVIe siècle, le discours sur l’esclavage antique devient moralisateur : il est interprété à la
lumière de l’esclavage colonial, soit que les auteurs en louent les mérites civilisateurs, soit qu’ils en
dénoncent les méfaits. Ainsi, en 1847, Henri Wallon qui combat l'esclavage dans les colonies françaises
publie une « Histoire de l’esclavage dans l’Antiquité ».
Par la suite, émerge un discours différent, notamment chez les penseurs influencés par le marxisme. la
société antique est alors pensée comme une société esclavagiste, l'esclavage étant considéré comme l’un
des cinq stades de l’histoire humaine.
Pour le courant positiviste représenté par l’historien Edouard Meyer (l’Esclavage dans l’Antiquité, 1898),
l’esclavage est l’envers de la démocratie grecque. Il est donc un phénomène juridique et social, et non
économique. Ce courant historiographique évolue au XXe siècle : mené par un auteur comme Joseph
Vogt, il insiste sur les possibilités offertes aux esclaves d’être affranchis voire de devenir citoyens.
« Un des aspects de l’histoire grecque, c'est le progrès, main dans la main, de l'esclavage et de la liberté. »
écrit l’historien Moses Finley.
Aujourd’hui, l’esclavage grec fait toujours l’objet de débats historiographiques, en particulier sur deux
questions. Peut-on dire que la société grecque était esclavagiste ? Les esclaves grecs formaient-ils une
classe sociale ?
Sources :
Esclavage en Grèce antique : http://fr.wikipedia.org/wiki/Esclavage_en_Gr%C3%A8ce_antique
Moses Finley Ancient Slavery and Modern Ideology 1979 (Esclavage antique et idéologie moderne, 1981)
Yves Garlan Les esclaves en Grèce ancienne 1982
Jean Andreau Raymond Descat Esclave en Grèce et à Rome Hachette littératures 2006
Claude Mossé : Grèce, l’esclavage a-t-il existé ? La Grèce antique, terre de liberté ou société esclavagiste ? L’histoire
n° 64, février 1984
Raymond Descat A Athènes, un habitant sur deux était esclave, L’histoire, n° 280 octobre 2003
Bibliotheca Classica Selecta : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Escl.html
DL 2007
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