la mémoire à long terme

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COURS DE PSYCHOLOGIE COGNITIVE JEAN-MARC MEUNIER
IED - Université de Paris 8
4 - LA MEMOIRE A LONG TERME
Que serions-nous si la Mémoire, avec la majuscule qui lui convient, n’existait pas , autrement dit
si notre capacité à stocker des informations se limitait à un stockage transitoire ? Il n’y a qu’à
penser à la grande souffrance des patients amnésiques, ou plus simplement à l’anxiété de
l’étudiant face à une matière un peu ardue, pour prendre conscience de l’importance de stocker
des informations de manière durable pour mener à bien nos activités quotidiennes. L’acquisition,
la conservation et la récupération de l’information sur le moyen et le long terme est l’objet de ce
chapitre. Mais auparavant, nous allons préciser, comme nous l’avons fait dans les chapitres
précédents, la notion de mémoire à long terme
4.1 - La notion de mémoire à long terme
Certaines de nos connaissances ne semblent pas dépendre du contexte dans lequel elles ont
été acquises. D’autres, en revanche, semblent très fortement liés à un contexte particulier. Il
existe par ailleurs plusieurs formes de représentation, verbales, imagées, liées à l’action.
Certaines de nos connaissances sont explicitables, d’autres non. Faut-il concevoir la mémoire à
long terme comme une structure unitaire ou faut-il différencier des sous-structures en fonction
du type d’information qu’elles contiennent ? S’il n’y a pas de consensus sur l’organisation de la
mémoire à long terme, il semble cependant que plusieurs distinctions s’avèrent nécessaires.
4.1.1. Mémoire sémantique et mémoire épisodique
La première de ces distinctions repose sur l’opposition entre nos connaissances
encyclopédiques et nos connaissances relatives à des événements personnels. Les premières
sont des connaissances très générales et leur récupération semble ne dépendre que très
faiblement d’indices contextuels. Ces connaissances relèvent de ce qu’on appelle la « mémoire
sémantique ». En revanche, les secondes sont des connaissances particulières relatives à notre
vécu et dont la récupération est très liée au contexte de mémorisation. Elles relèvent de ce
qu’on appelle la « mémoire épisodique ». C’est à Tulving (1972) qu’on doit cette distinction.
Plusieurs arguments expérimentaux étayent cette distinction. Par exemple, l’effet des indices
contextuelles n’est pas le même dans la récupération des connaissances générales (par
exemple, les oiseaux ont des ailes) que dans la récupération de connaissances personnelles
(par exemple, j’ai passé mon permis de conduire à Paris) (Tulving, 1983, 1985). McKoon et
Ratclif (1979) ont montré dans une expérience d’amorçage que la manipulation de la relation
épisodique entre l’amorce et la cible n’avait pas d’effet sur une tâche de nature sémantique
(décision lexicale entre des mots et des non mots). En revanche, l’amorçage n’a pas le même
effet lorsqu’on demande aux sujets de dire si la cible a été présentée dans l’expérience. Trois
conditions sont comparées, pour ces deux tâches : la cible entretient (i) une relation simplement
sémantique (vert-herbe), (ii) une relation épisodique (couple amorce-cible sans relation et déjà
présenté), (iii) épisodique et sémantique (couple amorce-cible entretenant une relation
sémantique et déjà présenté).
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Figure 2.18 Temps moyen de réponse dans les tâches de décision lexicale et de
reconnaissance en fonction de la relation entre l’amorce et la cible. D’après McKoon et
Ratcliff (1979).
Les résultats montrent clairement que la relation entre amorce et cible n’influence pas la tâche
de décision lexicale. Cette relation est, en revanche, déterminante dans la tâche de
reconnaissance épisodique, puisque l’amorce a un effet de facilitation sur les cibles déjà
présentées, surtout si amorce et cible entretiennent une relation sémantique, alors que la seule
relation sémantique facilite moins l’accès à la cible. Cette opposition entre mémoire sémantique
et mémoire épisodique a suscité et continue de susciter des débats. Selon certains auteurs, une
mémoire strictement sémantique ne peut pas rendre compte des effets de contextualisation
(Anderson, 1983). Par ailleurs le caractère plus ou moins spécifique à un événement des
connaissances épisodiques peut être discuté. Par exemple, savoir que « votre professeur de
statistiques est un homme » est une connaissance personnelle n’ayant aucune spécificité
situationnelle. De la même façon, des connaissances sémantiques peuvent concerner des
individus ou des événements très particuliers (mon chien est un labrador, l’Amérique fut
découverte en 1792). La distinction entre ces deux types de connaissances n’est donc pas si
évidente qu’elle y paraît en première analyse et pourrait relever d’une simple distinction entre le
général et le particulier plutôt que d’une distinction structurelle et fonctionnelle.
4.1.2. Mémoire déclarative et mémoire procédurale
Une autre distinction importante dans la conceptualisation de la mémoire à long terme est
l’opposition entre les connaissances qu’on est capable de verbaliser et celles qui relèvent de
notre savoir non verbalisable sur l’action. Les connaissances verbalisables sont appelées «
connaissances déclaratives ». Elles correspondent aux connaissances sémantiques et
épisodiques que nous avons examinées au point précédent. Elles seraient caractérisées par un
plus grand contrôle intentionnel. Ces connaissances déclaratives sont opposées aux
connaissances procédurales (Squire, 1980) Ainsi, tenir en équilibre sur un vélo relève de la
mémoire procédurale, le discours qu’on peut tenir sur cette habileté est assez pauvre. Les
connaissances déclaratives seraient plutôt de nature automatiques (Logan, 1990). Mémoire
déclarative et mémoire procédurale apparaissent dissociées dans certains syndromes
amnésiques (Cohen et Squire, 1980, Squire, 1992). Nous reviendrons sur cette distinction dans
le chapitre sur les représentations.
4.1.3. Mémoire implicite et mémoire explicite
Une autre distinction proposée par Graf et Schacter (1985) oppose une mémoire implicite et une
mémoire explicite. Cette distinction recouvre en partie la distinction précédente entre mémoire
déclarative et mémoire procédurale sans toutefois être confondue avec elle. Dans la distinction
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précédente, il s’agissait de différencier le savoir sur quelque chose et le savoir-faire. La partie du
savoir-faire non verbalisable relevant de la mémoire procédurale. Dans la distinction mémoire
implicite et explicite, il s’agit d’opposer les informations selon qu’elles peuvent faire l’objet d’une
récupération consciente ou non. Comme les autres formes de mémoire à long terme, des
arguments expérimentaux mettant en évidence l’effet différencié de certains facteurs sur des
tâches de mémoire explicite (rappel, rappel indicé, reconnaissance) ou des tâches de mémoire
implicite (récupération d’informations nécessaire pour la tâche). Ces études tendent à montrer
que la performance en mémoire explicite est affectée chez certains patients amnésiques, tandis
que la mémoire implicite ne l’est pas.
4.1.4. Vers une organisation de la mémoire à long terme.
Toutes ces mémoires constituent-elles des registres séparés ayant leurs caractéristiques
propres où n’existe-t-il qu’une seule mémoire à long terme. Le débat reste encore vif et comme
le rappel Baddeley (2000) les différents modèles théoriques de la mémoire s’appliquent soit à
des phénomènes très précis, soit se veulent des cadres plus généraux, mais dans tous les cas,
ils cherchent à rendre compte d’un grand nombre de données tout en laissant certaines d’entre
elles de coté. Il n’y a donc pas de modèle parfait, mais en faut-il un ? Un modèle n’est après tout
qu’une source de réflexion pour le psychologue et non une vérité en soi. Dans ce point, nous
allons examiner différentes propositions théoriques récentes d’organisation de ces différents
types de mémoire.
A - Le modèle SPI de Tulving
La première formulation de l’opposition entre mémoire sémantique et mémoire épisodique de
Tulving (1972) l’a conduit à préciser son modèle tant sur le plan structural que fonctionnel. En
1984, il propose un nouveau modèle en ajoutant aux deux systèmes précédents une mémoire
procédurale. Son modèle est dit monohiérarchique parce que les mémoires sont organisées
hiérarchiquement, chacun des systèmes dépendant des systèmes inférieurs, tout en possédant
ces capacités propres. Ainsi la mémoire sémantique est conçue comme un sous-système de la
mémoire épisodique. On peut, en effet, voir les connaissances sémantiques comme des
connaissances issues des connaissances épisodiques, par généralisation des évènements. La
mémoire sémantique est à son tour conçue comme un sous-système de la mémoire
procédurale.
Dans les années 90, Tulving étend son modèle en lui adjoignant deux autres sous-systèmes, le
système de représentations perceptives destiné à rendre compte du stockage des
représentations qui ne sont pas sous une forme propositionnelle (représentations imagées,
auditives etc.) et le système de la mémoire de travail de Baddeley.
Figure 2.19 : Nature des relations entre mémoire épisodique et mémoire sémantique en
fonction du processus mis en oeuvre dans le modèle SPI (sériel, parallèle et Indépendant)
de Tulving (1995).
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Dans son modèle, c’est surtout la relation entre la mémoire sémantique et la mémoire
épisodique qui a été étudiée. L’articulation entre ces deux sous-systèmes est précisée dans son
modèle SPI (Tulving, 1995). La nature de la relation entre ces deux sous-systèmes dépend du
processus mis en jeu (D’où le nom de son modèle). Ainsi, l’encodage se fait de façon sérielle,
d’abord dans le système représentationnel perceptif, puis dans la mémoire sémantique et enfin
dans la mémoire épisodique. Le stockage peut se faire de façon parallèle dans les deux
systèmes, les informations générales relatives à l’événement étant stockées dans la mémoire
sémantique et les informations spécifiques à l’événement, dans la mémoire épisodique. Enfin
pour la récupération, les deux systèmes sont indépendants. Son modèle a fait l’objet de
nombreuses critiques, notamment sur la hiérarchisation des systèmes de représentations. Il a,
cependant, suscité un grand intérêt pour le cadre explicatif et les prédictions précises qu’il
fournit pour l’étude des différentes formes d’amnésie (pour une revue, voir Eustache, 2003).
B - Le modèle de Squire
Squire et ses collaborateurs ont proposé une autre modélisation de la mémoire à long terme
(Squire et Zola-Morgan, 1996 ; Squire, 2004). Leur modèle se présente comme une ontologie
des différents systèmes de représentation en mémoire à long terme. Pour eux, il faut distinguer
en premier lieu la mémoire explicite de la mémoire implicite. Mémoire sémantique et mémoire
épisodique sont alors vu comme des sous système de la mémoire explicite. Dans la mémoire
implicite, on trouve la mémoire procédurale, les apprentissages perceptifs avec lesquels on peut
également classer les effets d’amorçage, les conditionnements et les apprentissages non
associatifs comme l’habituation et les arcs réflexes.
Figure 2.20 Ontologie des différents systèmes de mémoire à long terme. D’après Squire
(2004)
Ce modèle est intéressant pour l’ontologie des différents systèmes de mémoire qu’il propose. Il
présente cependant un certain nombre de caractéristiques qui le rende incompatible avec le
modèle de Tulving. Ces caractéristiques concernent surtout la mémoire explicite notamment la
relation entre la mémoire sémantique et épisodique. Dans le modèle de Tulving, celles-ci sont
hiérarchisées, alors que dans le modèle de Squire, elles sont vues simplement comme des
soussystèmes de la mémoire explicite. Ces deux modèles conduisent à prédire des
dissociations très différentes de ces mémoires dans les syndromes amnésiques. Dans le
modèle de Tulving, Les doubles dissociations (atteintes de la mémoire épisodique sans atteinte
de la mémoire sémantique et inversement) sont possibles dans les amnésies rétrogrades
(puisqu’il y a indépendance de la récupération dans les deux systèmes), mais le système ne les
permet pas dans l’amnésie antérograde (puisque les systèmes sont hiérarchisés pour
l’encodage). Le modèle de Squire prévoit quant à lui une atteinte conjointe des deux systèmes,
l’ensemble formant la mémoire déclarative. Les doubles dissociations sont donc exclues. La
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mise en évidence de ces doubles dissociations se heurte cependant à des problèmes
théoriques et méthodologiques. Théorique d’abord, la distinction entre connaissances
sémantiques et épisodiques n’étant pas toujours aisée, comme nous l’avons signalé plus haut.
Méthodologique ensuite, les épreuves utilisées étant des épreuves de laboratoires ayant une
faible valeur écologique, leur spécificité à l’un ou l’autre des types de connaissances n’est pas
toujours évidentes et dépend grandement des définitions qu’on donne à ces mémoires (Tulving,
2001 ; Hodges et Graham, 2001).
4.2 - Les facteurs facilitant la fixation en mémoire à long terme
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le passage de l’information de la mémoire de travail à la
mémoire à long terme. Un premier facteur invoqué est l’attention. il paraît assez trivial de penser
que pour bien apprendre, il faut se concentrer suffisamment sur le matériel. Les recherches sur
la mémorisation de liste dans des situations d’attention partagées montrent qu’effectivement la
mémorisation est affectée par une activité concurrente. Il existe cependant des résultats qui
suggèrent que l’attention n’est pas indispensable (apprentissage incident ou apprentissage
durant le sommeil). Un autre facteur fréquemment mis en avant est la motivation. Nous avons
tous, durant nos années d’études, expérimenté le fait que les matières intéressantes sont plus
faciles à mémoriser ou qu’on est plus enclin à apprendre lorsque l’enjeu est important
(examens, concours). Des recherches suggèrent cependant que ce facteur n’est pas, à lui seul
décisif. La promesse d’une récompense variable selon les performances au rappel ne suffit pas
toujours à influencer l’apprentissage de façon positive (Nilsson, 1987). Il semble que les facteurs
décisifs soient plutôt à chercher du côté du traitement des informations à apprendre. Cette idée
n’est pas contradictoire avec le fait qu’apprendre nécessite une attention soutenue et une
certaine motivation. On consacre en effet davantage de temps et d’effort sur les matières qui
nous paraissent importantes et/ou nous intéressent particulièrement
4.2.1. La répétition du matériel
Il ne fait de doute pour personne, et il n’est pas besoin d’être psychologue pour le savoir, que la
répétition du matériel est un des modes les plus basiques et les plus courants pour fixer en
mémoire à long terme l’information. Chacun se souviendra des poésies et des tables de
multiplication apprises à l’école primaire, des théorèmes qu’il fallait mémoriser au collège et des
séances de révision pour le baccalauréat. Nous avons déjà évoqué ce facteur à propos de l’effet
de position sériel dans le chapitre sur la mémoire à court terme. Pourtant, le résultat n’est pas
toujours en proportion du temps passé et des efforts fournis. Dans une recherche Atkinson
(1972) a étudié les stratégies d’apprentissage. Dans sa situation, les sujets devaient apprendre
la traduction de 7 listes de 12 mots allemands, soit au total 84 mots. Tous les sujets sont de
langue maternelle anglaise et l’allemand est une langue seconde. Trois conditions sont
comparées.
- Sélection libre : Dans cette condition, les sujets choisissaient librement les mots
qu’ils voulaient étudier. Il leur était suggéré de se concentrer plutôt sur les mots qui ne
sont pas connus.
- Sélection assistée par ordinateur : dans cette condition, les mots à réviser sont
choisis parmi les mots non-acquis (réponses erronées systématiques) ou en cours
d’acquisition (réponse exacte suivie de réponses erronées). Les mots acquis
(réponses correctes systématiques) sont laissés de côté.
- Sélection aléatoire : Dans cette condition, les mots à réviser sont choisis au hasard
(situation contrôle).
Les essais se déroulent de la façon suivante dans toutes les conditions. D’abord une liste de
mots est présentée que le sujet essaie de mémoriser. Un mot est ensuite choisi, soit par le sujet,
soit par l’ordinateur en fonction de leur état d’acquisition ou aléatoirement selon la condition
dans laquelle le sujet se trouve. Le sujet doit alors fournir la traduction du mot en question. S’il
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se trompe, la traduction correcte est présentée. Sa réponse est alors enregistrée et une nouvelle
liste est proposée. Chacune des listes est présentée quatre fois, soit un total de 336 essais. Une
semaine plus tard les sujets sont soumis à un test de traduction pour mesurer l’apprentissage.
Figure 2.21 Fréquences des réponses correctes durant l’apprentissage et les post-tests
en fonction des conditions. D’après Atkinson (1972)
Durant l’apprentissage, la performance au rappel est meilleure dans le cas de la sélection
aléatoire et la sélection libre que dans le cas de la sélection par l’ordinateur. En revanche la
tendance s’inverse dans le post-test. Les sujets ayant eu les items à réviser sélectionnés par
l’ordinateur réussissent mieux que ceux qui ont choisi eux-mêmes les items à réviser. Comme
on pouvait s’y attendre, c’est avec la sélection aléatoire que la performance au post-test est la
moins bonne. A l’évidence, les individus n’ont pas toujours une bonne conscience de ce qu’ils
ont ou non mémorisé et ils ont tendance à surévaluer leur degré d’apprentissage, d’où l’intérêt
de modèle précis de la mémorisation pour la conception de dispositif informatisé d’aide à
l’apprentissage.
4.2.2. Le rythme de l’apprentissage
Comment faut-il répartir les séances d’apprentissage dans le temps pour obtenir une meilleure
performance au rappel ? Cette question, fondamentale pour de nombreux étudiants, a intéressé
très tôt les psychologues. Dans ses recherches, Ebbinghaus avait déjà montré la supériorité
d’un apprentissage distribué, c’est-à-dire réparti dans le temps, sur un apprentissage massé,
c’est-àdire concentré dans le temps.
Un premier aspect de la question est la répartition des séances d’apprentissage sur la journée.
Baddeley et Longman (1974) ont étudié l’apprentissage de la frappe sur une machine à écrire
chez des postiers. Ils ont comparé quatre groupes en manipulant deux facteurs : la durée des
séances (une ou deux heures) et le nombre de séances (une ou deux séances) par jour de
formation. Il s’agit là d’un apprentissage moteur et, après l’apprentissage de la localisation des
touches, la performance est mesurée en nombre de caractères tapés à la minute. Leurs
résultats montrent que pour un nombre d’heures d’entraînement égal la performance des sujets
qui avaient des séances d’une heure est meilleure que celle les sujets qui ont des séances de
deux heures, indépendamment du nombre de séances par jour. Ils montrent également que les
sujets n’ayant qu’une séance par jour présentaient une meilleure performance que les sujets
ayant deux séances par jour de formation. Il semble donc que l’apprentissage d’un savoir-faire
soit plus profitable s’il est réparti dans le temps sur de courte séance, même s’il faut davantage
de temps pour l’acquérir.
Un autre aspect de la question est l’influence de l’intervalle entre les essais. Celui-ci peut être
plus ou moins long. Plusieurs recherches semblent montrer que la performance est meilleure
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lorsque l’intervalle entre les essais est long que lorsqu’il est court. Cependant les résultats sont
très hétérogènes selon le type de tâche, de matériel et d’indicateurs pris en compte. Ces études
concernent souvent des apprentissages moteurs et les quelques études sur du matériel verbal
ne permettent pas toujours de reproduire ce résultat, de sorte qu’il est difficile de généraliser sur
l’effet de ce facteur (Underwood, 1964).
Enfin la question du rythme de l’apprentissage peut également concerner l’intervalle de
répétition entre les items. Melton (1970) a montré que l’apprentissage d’un item isolé était facilité
par des présentations successives relativement éloignés, mais sans doute pas trop, comme
l’illustre « l’effet de la pratique du rappel : un item qu’on est amené à récupérer fréquemment en
mémoire à plus de chance d’être rappelé ultérieurement. Ces deux effets, fréquence des
répétitions et pratique du rappel ont conduit Landauer et Bjork (1970) à proposer une stratégie
de répétition particulièrement efficace qui consiste à augmenter l’intervalle entre les répétitions
d’un item correctement rappelé et à diminuer l’intervalle pour les items qui n’ont pas été
récupérés.
4.2.3. L’organisation du matériel à apprendre
De nombreuses observations montrent que l’organisation du matériel est un facteur important
dans la mémorisation. Par exemple Bousfield (1953) a observé que le rappel de listes de mots
présentant des relations catégorielles était bien meilleur que celui de listes de mots
quelconques. Des résultats similaires sont rapportés par Jenkins et Russell (1952), Deese
(1959) et Bower (1959). Au-delà de la structuration même du matériel à apprendre, il semble
que ce soit l’activité même du sujet pour organiser le matériel à apprendre qui soit déterminante.
Tulving (1962) a fait apprendre à ses sujets une liste de mots appartenant à différentes
catégories, mais présentés dans un ordre aléatoire. A chaque essai, l’ordre des mots changeait,
mais l’épreuve de rappel montre que l’ordre dans lequel les mots sont restitués tend à devenir
stéréotypé, reflétant l’organisation interne des catégories pour les sujets. L’étude de Mandler
(1969) constitue également une illustration convaincante du caractère déterminant de l’activité
d’organisation du matériel sur la mémorisation. Dans son expérience, il demande aux sujets de
classer un ensemble de mots en catégories. Deux groupes de sujets sont comparés. Le premier
groupe à pour seule consigne le classement des mots (mémorisation incidente), le second est
averti de l’objectif d’apprentissage (mémorisation explicite). Ces résultats montrent que le
matériel est aussi bien restitué dans les deux groupes. D’autres formes d’organisations
(chronologique, alphabétique, sériel) permettent d’observer des résultats similaires (Mandler et
Dean, 1969). Un certain nombre de procéder mnémotechniques relèvent peu ou prou de cette
activité d’organisation du matériel à apprendre comme l’organisation par rime, l’intégration dans
une image commune, dans une comptine ou une petite histoire.
4.2.4. La profondeur de traitement
L’idée que les activités de traitements jouent un rôle essentiel dans la mémorisation à long
terme a été renforcée par les progrès des connaissances sur le rôle de la mémoire de travail
dans la mémorisation à long terme. Craik et Lockart (1972) proposent une théorie de la
mémorisation fondée sur la profondeur de traitement en mettant en avant les différences de
codages utilisés en mémoire courte et mémoire à long terme. Nous avons vu dans le chapitre
précédent que la mémoire à court terme est caractérisée par un codage préférentiellement
acoustique, tandis que la mémoire à long terme ce codage est préférentiellement sémantique.
Bien que ces codages ne soient pas exclusifs, ils constituent pour les auteurs des codes
mnémoniques qualitativement différents et hiérarchisés. Le traitement d’un stimulus passerait
par différents niveaux. La lecture d’un mot par exemple commence par l’identification des
caractéristiques physiques du stimulus (lettres, police de caractères, couleur) puis se poursuit à
un niveau phonétique et enfin sémantique. Craik et Tulving (1975) ont testé l’hypothèse que la
mémorisation variait en fonction de la profondeur de traitement. Dans leur expérience, les sujets
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étaient avertis qu’on cherchait à étudier la perception et la vitesse de réaction. Ils devaient
répondre le plus vite possible à trois types de questions. (i) des questions sur la forme du mot
(Est-ce que le mot est en lettres capitales ?), (ii) des questions sur la prononciation du mot (Estce que le mot rime avec CHOUETTE ?), (iii) des questions sur le sens du mot (Est-ce que le mot
serait approprié dans la phrase : Jean a bu un ___ de vin ?). Chacune de ces questions est
suivie d’un mot pour lequel le sujet doit dire si la réponse à la question est positive ou négative.
En fait, les réponses aux questions ne constituent pas l’objectif de l’expérience et le test est
immédiatement suivi d’un test de reconnaissance sur les mots qu’ils ont vus durant l’expérience.
Figure 2.22 Temps de réponse dans la tâche initiale (à gauche) et performance au test de
reconnaissance (à droite) en fonction du niveau de traitement
Un premier résultat montre que le temps de réponse dans la tâche initiale varie en fonction du
niveau de traitement et pas en fonction du caractère positif ou négatif de la réponse attendue
(Figure 2.22 à gauche). Cela ne doit cependant pas laisser penser que la rétention est liée à la
seule durée de traitement. D’autres tâches portant sur des caractéristiques superficielles des
items comme compter les voyelles ou dire si deux consonnes se suivent, prennent plus de
temps que d’identifier la taille des caractères, mais ne provoquent pas une meilleure
mémorisation. Leurs résultats montrent également que le taux de réponses correctes augmente
avec la profondeur de traitement, aussi bien pour les items positifs que pour les items négatifs
(Figure 2.22 à droite). Ce résultat a eu une grande influence dans les théories de
l’apprentissage. D’abord parce qu’une telle théorie fournissait un cadre explicatif précis à ce que
beaucoup de pédagogues savent : c’est l’importance et la qualité du travail sur une matière qui
assurent sa mémorisation, bien plus que la répétition. Ensuite parce que cette théorie permettait
d’assimiler les différents registres mémoire à des étapes du traitement de l’information.
Rappelons qu’à l’époque où ce modèle a été proposé, l’approche qui dominait était de la
mémoire à court terme (voir le modèle de Broadbent). Enfin, cette théorie offrait un cadre assez
simple permettant de faire des prédictions précises et d’interpréter les résultats. La principale
difficulté de la théorie de la profondeur de traitement vient du fait qu’elle postule une
hiérarchisation des types de codage et que cette hiérarchie se confond avec la notion de
profondeur et les étapes du traitement. Au début des années 80, cette théorie commence à être
mise en cause pour deux raisons majeures : La mémoire à court terme est de moins en moins
vu comme un simple registre de stockage et l’information peut y être traitée à un niveau
sémantique (Nelson, 1977 ; Baddeley 1978).
4.3 - Evolution des informations en mémoire à long terme
Même si on conçoit la mémoire comme une grande bibliothèque où nos connaissances seraient
stockées de façon permanente, l’information n’en subit pas moins des modifications au cours du
temps. C’est un fait auquel personne ne peut échapper, l’information en mémoire à long terme
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n’est pas stable, au grand dam des étudiants qui fournissent des efforts de mémorisation pour
passer leurs examens et ont l’impression, quelques mois après d’avoir tout oublié. Un des
apports de la psychologie cognitive est d’avoir montrer que cette disparition de l’information
n’est qu’apparente et relève de modifications du souvenir dues à un certain nombre de facteurs
et de mécanismes que nous allons examiner.
4.3.1. L’interférence
Un des premiers mécanismes de modification du souvenir est l’interférence. Ce terme désigne
l’influence d’un apprentissage sur un autre apprentissage. L’interférence peut être due à un
apprentissage antérieur, on parlera d’interférence proactive. Elle peut également être due à un
apprentissage ultérieur, c’est l’interférence rétroactive. On peut représenter schématiquement le
déroulement expérimental permettant de mesurer ces deux effets d’interférence de la façon
suivante :
Figure 2.23 Schéma de la procédure expérimentale de mesure des effets d’interférences.
A - L’interférence proactive
L’interférence proactive désigne la détérioration d’un apprentissage préalable sur un
apprentissage cible. La mesure de l’effet d’interférence se fait par comparaison avec la situation
contrôle où seul l’apprentissage cible est présenté. Cet effet peut être illustré par une étude
classique d’Underwood (1957). Cet auteur avait observé chez ses sujets des taux de rappel
particulièrement bas dans des situations d’apprentissage de listes de syllabes sans signification.
Les sujets, habituellement ses étudiants participaient à de nombreuses expériences et
Underwood entrepris de d’analyser les données pour voir si ces deux variables n’étaient pas
liées. Ses résultats montrent qu’effectivement le taux de rappel décroît à mesure que le nombre
de listes augmente.
B - Interférence rétroactive
Dans l’interférence rétroactive, c’est un apprentissage ultérieur qui vient perturber
l’apprentissage cible. Comme précédemment la mesure de l’effet est réalisée par comparaison
avec une situation contrôle. Ce type d’interférence fut étudié par Slamecka (1960) qui demanda
à ses sujets d’apprendre un texte en prose. Selon les groupes, le texte était présenté 2, 4 ou 8
fois. Après l’apprentissage, une partie des sujets ont pu se reposer tandis que d’autres devaient
apprendre un autre texte avec 4 ou 8 répétitions. Ses résultats montrent que quelque soit le
nombre de répétitions lors de l’apprentissage cible, le rappel de celui-ci était détérioré par
l’apprentissage ultérieur. La détérioration était d’autant plus importante que le nombre de
répétitions lors de l’apprentissage interférent était important. S’agit-il d’une simple confusion
entre deux informations ou bien l’information apprise ultérieurement est-elle effacée par la
nouvelle ? Dans une expérience, Loftus (1977) présente à ses sujets une série de diapositives
relatant un accident de la route dans lequel une voiture verte ne s’est pas arrêtée. La projection
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est suivie d’un questionnaire dont la dernière question, pour une partie des sujets, mentionne
une voiture bleue qui ne s’arrête pas. Vingt minutes plus tard, elle demande aux sujets de quelle
couleur est la voiture qui ne s’est pas arrêtée. Chez les sujets exposés à la question sur la
voiture bleue, la réponse est plus fréquemment bleue. Bekerian et Bowers (1983) ont cherché à
savoir si l’effet d’interférence observé par Loftus correspondait au remplacement de l’information
initiale par l’information erronée. Ils ont repris le matériel et le questionnaire de Loftus mais en
présentant le questionnaire soit dans l’ordre original, soit dans un ordre aléatoire, soit dans
l’ordre chronologique de l’incident. Leurs résultats permettent de retrouver l’effet d’interférence
pour les ordres aléatoire et original. En revanche les sujets qui ont vu les questions dans l’ordre
chronologique de l’incident ne subissent aucune distorsion de leur souvenir des diapositives. Il
semble donc que l’effet d’interférence dépende en grande partie des caractéristiques de
l’apprentissage ultérieur et que ce dernier à pour effet de masquer, plutôt que de remplacer
l’information initialement mémorisée.
4.4 - La récupération de l’information en mémoire à long terme
4.4.1. Disponibilité et accessibilité de l’information
La notion de mémoire à long terme renvoie à notre capacité à conserver des informations de
façon stable et à les réutiliser longtemps après les avoir acquises. Cette mémoire est parfois
également appelée mémoire permanente pour souligner le fait que l’intervalle entre l’acquisition
et la récupération n’est à priori pas limité. De fait, nous avons tous fait l’expérience de la
réminiscence de souvenirs très anciens que l’on croyait avoir oublier. Cette conception de la
mémoire à long terme nécessite que nous insistions sur la distinction entre la disponibilité de
l’information en mémoire et l’accès à celle-ci. Un phénomène fréquent, auquel nous avons tous
été confronté, et qui illustre bien cette distinction est le phénomène du mot sur le bout de la
langue. Dans ces situations, nous avons la conviction intime que nous connaissons le mot sans
pour autant pouvoir le retrouver. Un autre phénomène qui montre bien la distinction entre la
disponibilité et la récupération est le phénomène d’économie au réapprentissage utilisé par
Ebbinghaus. Le fait que dans ces expériences, les sujets ne puissent ni rappeler, ni reconnaître
les items de la liste apprise, mais réapprennent néanmoins la liste en un nombre d’essais moins
important, ne peut être expliqué que par la présence de l’information en mémoire, bien que le
sujet ne puisse y accéder. La différence entre rappel et reconnaissance est un autre argument
en faveur de la distinction entre accessibilité et récupération. Mandler, Pearlstone et Koopmans
(1969) ont fait apprendre à leurs sujets une liste de 100 mots et tester la rétention à l’aide de
tâches de rappel ou de reconnaissance. Dans la tâche de rappel, les sujets rappelaient en
moyenne 38 mots sur 100. Dans la tâche de reconnaissance, les mots appris étaient présentés
en nombre égal avec des mots nouveaux. Les sujets reconnaissaient correctement 96 mots sur
100. La différence de performances entre ces deux tâches correspond aux mots disponibles
mais non accessibles en mémoire dans la tâche de rappel.
4.4.2. La récupération de l’information en mémoire à long terme.
Contrairement à la mémoire à court terme, l’accès à l’information en mémoire à long terme se
fait de façon parallèle, c’est-à-dire qu’on peut accéder à plusieurs informations à la fois. Ce
processus de récupération de l’information opère également de façon directe. Le contenu de la
mémoire à long terme n’a, fort heureusement pas besoin d’être balayé pour rendre disponibles
certaines informations. Ces caractéristiques de l‘accès à l’information en mémoire à court et
long terme ont été étudiées dans une recherche de Schneider et Schiffrin (1977). Dans cette
situation, les sujets doivent explorer des planches présentées visuellement et à un rythme très
rapide. Leur tâche consiste à détecter une liste de 1 à 4 items dont la liste leur a été fournie
juste avant. Deux conditions sont comparées : (i) la liste change à chaque essai, les items
critiques doivent donc être stockés en mémoire de travail (ii) la liste est la même d’un essai à un
autre, les items peuvent alors être stockés en mémoire à long terme.
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Leurs résultats montrent que, dans la condition «mémoire de travail », les items critiques sont
mieux détectés lorsqu’il n’y en a qu’un à surveiller. Par ailleurs, le temps de réponse est une
fonction linéaire du nombre d’items à surveiller. Autrement dit, plus il y a d’items à surveiller,
plus les sujets mettent de temps à répondre. En revanche, dans la condition « mémoire à long
terme », la détection des items critiques ne dépend pas du nombre d’items à surveiller.
L’analyse des temps de réponse montre également que celui-ci ne varie pas en fonction du
nombre d’items critiques. Les résultats de Schneider et Shiffrin sont tout à fait cohérents avec
ceux de Sternberg (1966). L’accès à l’information en mémoire de travail se fait bien de façon
séquentielle et exhaustive (réponse et temps de réponse dépendent du nombre d’items). Mais
en mémoire à long terme, la récupération de l’information se fait de façon parallèle et directe
(réponse et temps de réponse ne dépendent pas du nombre d’items).
A - La notion d’activation
Une conception assez largement répandue aujourd’hui chez les psychologues cognitivistes est
que la mémoire à long terme peut-être vue comme un lieu de stockage relativement passif dans
lequel seules quelques informations sont disponibles. Le mécanisme de base qui permet cette
disponibilité de l’information à un moment donné est l’activation. Il ne faut pas confondre
l’activation d’une information avec le souvenir conscient de cette même information. La notion
d’activation recouvre seulement la disponibilité de l’information pour la tâche en cours. Une
information peut tout à fait être active (donc récupérer en mémoire à long terme) sans pour
autant arriver à la conscience. Ainsi dans le phénomène d’amorçage sémantique que nous
avons déjà évoqué, la présentation d’une amorce, même de façon brève, ne donnant pas
l’impression d’avoir vu le mot, provoque un effet facilitation sur la décision lexicale concernant la
cible. On estime en général que cet effet de facilitation est dû à une activation de l’amorce qui
diffuse sur les mots sémantiquement reliés. La mise en oeuvre de cette activation et de sa
diffusion se fait de façon extrêmement brève, de l’ordre de 200 millisecondes. Cette activation
ne doit pas non plus être confondue avec le phénomène de préparation attentionnelle dont nous
reparlerons un peu plus loin, celle-ci n’apparaissant que dans un délai de l’ordre de 700
millisecondes (voir le chapitre sur les processus attentionnels). Ce phénomène d’amorçage
permet de souligner trois caractéristiques essentielles de l’activation : sa rapidité, son
automaticité et sa diffusion.
Dans une expérience de 1974, Anderson a présenté à ces sujets une série de descriptions de
faits associant des lieux et des personnes, sous la forme d’une phrase simple (sujet, verbe,
complément). Les personnes pouvaient être associées à un ou deux lieux, de même que les
lieux pouvaient être associés à une ou deux personnes. Les sujets devaient apprendre par
coeur le matériel. Ils étaient soumis ensuite à un test de reconnaissance.
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Figure 2.24 Effets du nombre d’éléments associés sur le temps de reconnaissance de fait
mémorisés. D’après Anderson (1977)
On peut observer sur la figure précédente que le temps de réponse est d’autant plus grand que
le nombre d’éléments associés est important. Ainsi le temps de réponse dépend à la fois du
nombre de personnes associées à un lieu et du nombre de lieux associés à une personne.
Anderson postule que les informations sont stockées en mémoire sous la forme d’un réseau
décrivant les relations entre les mots. Au moment de la reconnaissance, l’activation d’un noeud
dans le réseau diffuserait sur les noeuds reliés. La vitesse de la diffusion de l’activation serait
inversement proportionnelle au nombre de noeud reliés au noeud activé. Anderson a précisé
son approche dans le modèle ACT*, publié en 1983. Dans son modèle, la quantité d’activation
est supposée constante, la relation entre les noeuds est caractérisée par une force d’association
qui reflètent leur proximité sémantique. Lorsqu’un noeud dans le réseau est activé, l’activation
se répartit sur l’ensemble des noeuds reliés proportionnellement à la force de la liaison. Ce
modèle permet de rendre compte de l’effet observé précédemment (Anderson, 1977) et qu’il
baptise « effet FAN » pour FActs Number, selon lequel : le temps d’accès aux informations
factuelles associées à un noeud est proportionnel au nombre d’informations qui sont liées à ce
noeud.
B - Les indices de récupération et la spécificité de l’encodage
Il vous est sans doute déjà arrivé de vous rendre chez un ami habitant une grande ville, de garer
votre voiture deux ou trois pâtés de maisons plus loin et en sortant de chez lui, après une
agréable soirée, de ne plus savoir dans quelle rue la voiture est stationnée. Généralement, pour
se sortir de ce type de situation, on essaye de faire appel à des détails particuliers qui vont nous
mettre sur la voie du souvenir à récupérer comme un magasin à l’angle de la rue, des arbres
bordant le boulevard, la couleur de la façade de l’immeuble devant lequel nous nous sommes
garés. Cet exemple, et il est possible d’en trouver bien d’autres, montre que les informations
contextuelles constituent des indices de récupération puissants. Godden et Baddeley (1975) ont
mené une étude très illustrative de ce phénomène auprès de sujets pratiquant la plongée
sousmarine, La tâche des sujets consistait à apprendre une liste d’items. Pour une partie des
sujets, l’apprentissage avait lieu sur la plage, pour l’autre, il avait lieu sous l’eau à environ 5
mètres de profondeur. Les sujets ont ensuite été soumis à un test de rappel qui comme
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l’apprentissage avait lieu sur terre ou dans l’eau. Leurs résultats montrent que le rappel est
meilleur lorsque le contexte de rappel est le même que le contexte d’apprentissage. En
revanche, lorsque contexte d’apprentissage et contexte de rappel diffèrent, la performance
chute de près de 40%. On comprend aisément que cet impact du contexte d’apprentissage sur
le rappel puisse être tout à fait vital pour des activités comme la plongée. Cet effet doit
cependant être nuancé. Godden et Baddeley (1980) ont répliqué leur expérience en soumettant
les sujets à une épreuve de reconnaissance plutôt que de rappel. Les résultats n’ont pas permis
de retrouver l’effet du contexte d’apprentissage. Une autre étude comparant les résultats
d’étudiants passant leur examen dans la même salle que leur cours ou dans une salle différente
n’a pas permis de mettre en évidence l’effet du contexte d’apprentissage (Saufley, Otaka et
Bavaresco, 1985). Il n’est d’ailleurs pas indispensable de se retrouver physiquement dans le
même contexte. Comme dans notre exemple de la voiture égarée, celui-ci peut simplement être
imaginé. Smih (1980) a fait apprendre une liste de 80 mots à ses sujets. L’épreuve de rappel
avait lieu le lendemain, soit dans la même pièce, soit dans une pièce différente. A une partie des
sujets qui devaient rappeler la liste dans une autre pièce, il a demandé de se remémorer la
pièce dans laquelle avait eu lieu l’apprentissage. Smith n’a pas observé de différence entre le
groupe qui devait rappeler dans la pièce où avait eu lieu l’apprentissage et le groupe qui devait
simplement imaginer cette pièce. En revanche ces deux groupes rappellent significativement
plus de mots que le groupe qui devait faire le rappel dans une autre pièce que l’apprentissage
sans avoir à imaginer cette dernière. Il semble donc que ce soit l’accès aux informations
contextuelles (que celles-ci soient présentes ou imaginées) qui constituent l’effet facilitateur
dans la récupération de l’information.
Tulving et Thomson (1971) ont proposé la notion « d’encodage spécifique » pour rendre compte
de l’importance des indices contextuels dans le rappel et la reconnaissance. Selon ces auteurs,
l’encodage d’un stimulus en mémoire est déterminé à la fois par les caractéristiques de ce
stimulus, mais également par les informations qui lui sont associées lors de l’apprentissage.
Selon ce principe, lors de l’apprentissage d’une liste de mots, les indices associés à ces mots
devraient alors être aussi efficaces que des mots proches sémantiquement.
Figure 2.25 Taux de reconnaissance pour les trois contextes de rappel en fonction des
trois contexte d’apprentissage. D’après Tulving et Thomson (1971).
Ils ont testé cette hypothèse dans une expérience où les sujets devaient apprendre une liste de
mots présentés pendant une seconde. Les sujets ont été répartis dans trois groupes pour
manipuler le contexte d’apprentissage. Dans le premier groupe, les mots étaient présentés de
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façon isolée. Dans le second groupe, les mots étaient précédés d’un mot fortement associé
(Associatif +), par exemple le mot table était précédé du mot chaise. Dans le troisième groupe,
le contexte d’apprentissage était constitué d’un mot faiblement associé (Associatif -), par
exemple « chemise » précédant « table ». Les sujets ont ensuite été soumis à un test de
reconnaissance dans l’un des trois contextes. Les résultats présentés dans la figure 4.8
permettent de voir que le contexte d’apprentissage n’a pas d’effet sur le taux de reconnaissance
si les mots sont présentés isolément au moment de la reconnaissance. En revanche, dans les
deux autres conditions, la performance est nettement améliorée si le contexte de
reconnaissance est le même que le contexte d’apprentissage. Ce principe a été repris et
systématisé par Tulving (1982) dans sa théorie de l’ecphorie et permet de mieux comprendre en
quoi le contexte peut influencer l’apprentissage et la récupération des informations.
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