LE CONSTRUCTIVISME
INTRODUCTION
La théorie constructiviste qui prend de plus en plus d’importance dans la littérature
théorique des relations internationales est apparue à la fin des années 1980, au
moment où disparaissait le mur de Berlin et le communisme soviétique.
Le constructivisme naît en opposition aux théories strictement matérialistes et
individualistes prédominantes jusque et a pour ambition de mieux comprendre les
évolutions observées dans la marche de la politique mondiale aujourd’hui.
Le constructivisme est et s’est développé dans d’autres disciplines que la science
politique, essentiellement la sociologie, la philosophie et l’anthropologie.
Après avoir montré l’apport du constructivisme à la sociologie, nous expliquerons la
genèse du constructivisme, sa définition et son originalité par rapport aux autres
théories des relations internationales, et enfin nous verrons sa place au sein de la
science politique et des relations internationales.
I. L’APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU CONSTRUCTIVISME
En sociologie, le constructivisme se définit comme la construction sociale de la réalité
et se rattache à la sociologie de la connaissance.
Cette partie de l’exposé se réfère au livre de Peter Berger et Thomas Luckmann : La
construction sociale de la réalité.
A- La sociologie de la connaissance
La sociologie de la connaissance correspond à 3 développements distincts de la
pensée allemande du 19ème siècle : Les pensées marxiste, nietzschéenne et
historiciste.
I- C’est à Marx que la sociologie de la connaissance doit sa proposition
fondamentale : la conscience de l’homme est déterminée par son être social.
La sociologie de la connaissance de Marx a été marqué par les concepts d’idéologie,
d’infrastructure (activité humaine) et de superstructure (le monde produit par cette
activité). Ce qui intéressait Marx était la pensée humaine créée par l’activité humaine
(le travail au sens large) et par les relations sociales découlant de l’activité.
II- l’anti-idéalisme nietzschéen a ajouté de nouvelles perspectives par rapport à
Marx sur la pensée humaine comme instrument de combat pour la survie et le
pouvoir.
III- l’historicisme en particulier celui exprimé par Wilhem Dilthey a immédiatement
précédé la sociologie de la connaissance. Le thème dominant chez lui a été le sens
de l’inévitable historicité de la pensée humaine. L’héritage historiciste de la sociologie
de la connaissance a prédisposé cette dernière à s’intéresser à l’histoire et à
l’utilisation d’une méthode essentiellement historique.
C’est Scheler qui invente la sociologie de la connaissance qui apparaît dans le monde
de langue anglaise avec l’œuvre de Karl Mannheim.
De façon significative, la préoccupation fondamentale de Mannheim concernait le
phénomène de l’idéologie comme caractéristique non seulement d’un adversaire mais
aussi de la pensée propre d’un individu.
Le propos du livre est l’analyse sociologique de la réalité de la vie quotidienne, plus
précisément de la connaissance qui guide nos conduites dans la vie quotidienne.
La réalité de la vie quotidienne se présente à la personne comme un monde
intersubjectif, c'est-à-dire un monde qu’elle partage avec les autres. En effet, on
ne peut pas exister dans le monde de la vie quotidienne sans interagir et
communiquer avec les autres.
Comme la société existe à la fois en tant que réalité objective et subjective, toute
compréhension théorique adéquate de sa nature doit impliquer ces 2 aspects.
B- La société comme réalité objective
Il est impossible pour l’homme de se développer isolément en tant qu’homme car
l’humanité spécifique de l’homme et sa socialité sont jumelées de façon inextricable.
L’ordre social existe
seulement
en tant que produit de l’activité humaine et les
individus jouent des rôles qui représentent l’ordre institutionnel.
Par exemple, l’institution de la loi est également représentée par le langage légal, les
codes de loi, les théories de la jurisprudence et par les légitimations de l’institution et
de ses normes dans des systèmes de pensée éthiques, religieux ou mythologiques.
La réalité de la vie quotidienne est la sphère à laquelle appartiennent toutes les
formes de conduite institutionnelles et de rôles. Il existe un univers symbolique qui
englobe la alité de la vie quotidienne et fournit la légitimation ultime de l’ordre
institutionnel en lui octroyant la primauté dans la hiérarchie de l’expérience humaine.
Dans la mesure les univers socialement construits changent, le changement est
introduit par les actions concrètes des êtres humains.
Fréquemment, une idéologie est adoptée par un groupe à cause d’éléments
théoriques spécifiques qui sont favorables à ses intérêts. La marginalité sociale
exprime un manque d’intégration théorique à l’univers de la société.
Ce qui est sociologiquement essentiel, c’est l’affirmation que tous les univers
symboliques et toutes les légitimations sont des produits humains dont l’existence
prend sa source dans la vie des individus.
C- La société comme réalité subjective
Il existe une identification mutuelle entre individus. Ils ne vivent pas seulement dans
le même monde, ils participent chacun à l’existence de l’autre.
C’est seulement quand l’individu aboutit à ce degré d’intériorisation que l’individu
devient un membre de la société.
Il existe une socialisation primaire dans l’enfance et une socialisation secondaire qui
consiste en tout processus postérieur qui permet d’incorporer un individu déjà
socialisé dans des nouveaux secteurs du monde objectif de sa société.
La socialisation secondaire devient nécessaire lorsque 2 phénomènes se produisent :
la division du travail et parallèlement, la distribution sociale de la connaissance.
La socialisation secondaire est l’acquisition de connaissance spécifique de rôle, les
rôles étant directement ou indirectement enracinés dans la division du travail.
Le contenu de la connaissance acquise au cours de la socialisation secondaire est
bien moins subjectif que le contenu de la connaissance acquise au cours de la
socialisation primaire.
L’identité est, bien sûr, un élément clef de la réalité subjective, et comme toute
réalité subjective, elle se trouve dans une relation dialectique avec la société.
L’identité est formée par des processus sociaux. Une fois cristallisée, elle est
conservée, modifiée, ou même reformées par des relations sociales.
L’homme est prédestiné à construire et à habiter un monde avec autrui qui devient
pour lui la réalité dominante et définitive.
Cette conception de la sociologie de la connaissance est, selon les auteurs,
humaniste et a une relation continue à l’histoire et à la philosophie. L’objet de
l’investigation sociologique est la société, partie d’un monde humain, produit par les
hommes, habitée par eux, et qui, à son tour, produit les hommes, dans un processus
historique continu.
Cette conception humaniste nous amène à la théorie constructiviste en politique.
II. LE CONSTRUCTIVISME
Le constructivisme se définit par opposition aux autres théories et par ce qu’il
apporte de nouveau à la science politique.
A- La Genèse
En relations internationales, le terme de constructivisme est donc apparu à la fin des
années 1980. Nicolas Oluf fut sans doute le premier à l’utiliser dans son livre « World
of our making ».
Cet auteur s’appuyait sur les critiques déjà anciennes du réalisme structurel inapte à
expliquer les changements car a-historique. Ces critiques mettaient en avant les
« arrangements intersubjectifs ». Ainsi, l’un a démontré comment l’entente
intersubjective a guidé les actions des décideurs à propos de l’économie mondiale
empreinte de libéralisme dans l’immédiat après-guerre ; l’autre comment le
dénouement de la crise des missiles à Cuba était lié au développement
d’ « arrangements mutuels » ; un autre encore comment la « norme de l’égalité
raciale » s’est diffusée dans la politique mondiale et a contribué à la disparition de
l’apartheid.
Avec cette intersubjectivité - communication entre 2 sujets - les constructivistes ont
mis en évidence la notion d’ « agent » à côté de celle de « structure » et fait
apparaître les carences ontologiques (ayant tait à l’homme) au sein des autres
théories politiques.
Le constructivisme se démarque de la notion d’objectivité du positivisme et des
courants relativistes du post-positivisme.
B- La définition
Le constructivisme est d’abord une « façon d’étudier les relations sociales à partir de
l’hypothèse des êtres humains comme êtres sociaux ». C’est moins une théorie des
relations internationales qu’ « une théorie sociale sur laquelle fonder des théories de
relations internationales ».
Le constructivisme accorde plus d’importance à l’intersubjectivité et au contexte
social qu’aux organisations formelles. Pour le constructivisme, les normes sont des
modes de comportements partagés, les institutions et les structures sont
fondamentalement des constructions sociales qui comportent à la fois des discours et
des organisations formelles; les buts et les comportements des agents sont
conditionnés par des cadres institutionnels.
Les constructivistes contestent la vision réaliste selon laquelle les institutions ne
seraient que le reflet des intérêts des grandes puissances. Selon eux, de nombreux
acteurs étatiques ou non étatiques sont en concurrence pour faire prévaloir certaines
normes ou des organisations plus formelles qui créent le contexte d’évolution des
relations internationales.
Les institutions comme les agents jouent des rôles qui vont au-delà de ceux formulés
par les postulats matérialistes ou rationalistes.
La nature des acteurs dépend du contexte social dominant tandis que les normes
sociales et les institutions existent parce que les acteurs les reproduisent. Les
« règles du jeu » et les « arrangements intersubjectifs » encadrent les
comportements et les rendent possibles. Aussi, le changement dans la politique
mondiale se produit lorsque « les acteurs par leurs pratiques changent les règles et
les normes constitutives de l’interaction internationale. »
Les traits distinctifs du constructivisme sont donc l’accent mis sur le contexte
social, l’intersubjectivité et la nature constitutive des règles et des normes.
Ces trois postulats constituent l’ontologie (Science de l’être) qui distingue le
constructivisme des approches positivistes.
C- Le débat
Il existe deux débats :
- entre les matérialistes et les idéalistes : les premiers pour lesquels l’être
détermine la conscience et les seconds pour lesquels inversement la
conscience détermine l’être.
- Entre les individualistes et les holistes : pour les premiers l’agent existe hors
de la structure, pour les seconds l’agent n’existe pas hors de la structure.
En relations internationales, les différents modèles se positionnent selon ces théories
antagonistes : les réalistes, les néo-réalistes, les matérialistes…et les constructivistes.
Le constructiviste est une combinaison du holiste (plutôt qu’individualiste) et de
l’idéaliste (plutôt que matérialiste).
En effet, d’une part holiste, les intérêts des Etats ne sont ni endogènes aux acteurs
ni fixes mais affectés par le système international et d’autre part idéaliste, le système
international est une structure constituée par l’ensemble des idées que les Etats
partagent
III. LE CONSTRUCTIVISME ET LES RELATIONS INTERNATIONALES
On peut définir le constructivisme comme une théorie sociale sur laquelle fonder des
théories de la politique internationale et comme une perspective sociologique de la
politique mondiale qui met l’accent sur le contexte social, l’intersubjectivité et la
nature constitutive des règles et des normes. Le constructivisme met également
l’accent sur les structures normatives, le rôle de l’identité dans la constitution des
intérêts, ainsi que la constitution mutuelle des agents et des structures qui sont les 3
postulats de l’ontologie post-positiviste qui distingue le constructivisme des
approches positivistes.
A Les 3 postulats de l’ontologie post-positiviste
C’est l’Allemand Alexander Wendt qui fait la meilleure présentation de cette
ontologie.
- Les structures normatives
Martha Finnemore estime que la politique mondiale est déterminée moins par une
structure objective de rapports de force matériels que par une structure cognitive
composée des idées, croyances, valeurs, normes et institutions partagées
intersubjectivement par les acteurs. Dans son livre, Martha Finnemore développe,
dit-elle, « Une approche systémique en vue de comprendre les intérêts et le
comportement des Etats à partir d’une structure internationale non pas de puissance
mais de significations et de valeurs sociales ».
- Le rôle de l’identité
Peter Katzenstein postule que la structure que constitue les normes partagées non
seulement contraint et affecte le comportement des acteurs, mais contribue à
constituer les acteurs, façonnent leur identité et leurs intérêts qui sont construit à
travers les interactions sociales : « les environnements culturels ont un impact non
seulement sur les incitations à l’origine des différents comportements des Etats, mais
ils affectent le caractère fondamental des Etats, ce que nous appelons leur identité. »
- La constitution mutuelle des agents et des structures
Selon Nicolas Onuf, les structures et les agents se reconstituent, c'est-à-dire que les
structures n’existent pas indépendamment des acteurs, façonnent les intérêts et les
identités de ces derniers qui peuvent à leur tour les changer : « les relations sociales
font les gens tels qu’ils sont, les construisent tels les êtres qu’ils sont.
Réciproquement, nous faisons le monde tel qu’il est à partir des matériaux bruts
fournis par la nature. »
B- Analyse de la politique internationale
- La violence et sa régulation : stato-centrisme
Wendt : « la régulation de la violence est l’un des problèmes les plus fondamentaux
de l’ordre dans la vie sociale, car toutes les autres relations sociales sont
profondément affectées par la nature de la technologie de la violence, le contrôle de
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