
légitime (celui de l’homme) et d’un discours charmeur et dominé (celui de la femme) permet de
signaler la différence entre le choix de la langue française en tant que « code » et l’adéquation
intersubjective aux conditions mêmes de l’énonciation.
En poussant plus loin notre analyse, on remarque que les mots-arguments utilisés sont des
indices du système de représentations du sujet-parlant ; ainsi, le critère esthétique (« elle est jolie »)
et la métaphore (« est un vrai bijou ») apparaissent ici comme autant de signes de représentations
féminines, comme signes d’un discours féminin prototypique, totalement différent de celui de
l’homme
. Autrement dit, les signes utilisés par les sujets parlants les désignent et nous aident à les
encadrer dans des formations discursives données, spécifiques. C’est pourquoi, dans la conclusion,
la femme reste sur le terrain qui lui est supposé spécifique, en énonçant un simple : « Elle me
plaît », symbole d’un discours non-rationnel de la séduction, du charme et du caprice (censé la
caractériser), choisi pour redonner de l’efficacité à son propos parce qu’en dépit d’un effort
d’ajustement, l’échec est toujours possible.
L’échec est toujours possible parce que la nature profonde du discours publicitaire est
monologique. Dans cette conduite discursive asymétrique, le public-destinataire n’a pratiquement
aucune initiative, étant « tributaire des manoeuvres persuasives de l’annonceur. Le discours
publicitaire ne peut donc donner qu’une apparence d’échange à sa structure fondamentalement
monologique ; se présentant comme un hybride énonciatif, il entremêle, pour ce faire, un ETRE
MONOLOGIQUE et un PARAITRE DIALOGIQUE » (Adam & Bonhomme, op. cit. : 37).
Tout comme le montre la publicité citée, le dialogisme, s’il existe, est simulé, étant mis en
scène à travers non plus une structure de dialogue, mais des formes discursives stéréotypées de
« complétudes »
différentes : une technicité (basée sur des chiffres, finances, économie) supposée
représenter la complétude masculine et une non-rationalité séductrice et charmeuse supposée
représenter la complétude féminine. L’efficacité persuasive du discours publicitaire en est ainsi
augmentée passant par un ajustement des mots-arguments orientés vers deux types de destinataires
à la fois : les hommes et les femmes.
Dans une autre publicité, plus récente (1999), pour la Nouvelle Nissan Primera, le même
jeu des complétudes est mis en oeuvre de façon implicite, beaucoup plus subtile. Cette annonce
présente, sur une double page, à gauche, en arrière-plan, le dos nu d’une femme assise sur un
rocher, tandis que le premier plan reproduit la voiture dont il est question ayant comme en titre :
« Nouvelle Nissan Primera. Quand le corps se sent bien, l’esprit va plus loin. » et, en bas,
l’argumentaire suivant :
Dans la Nouvelle Nissan Primera, le plus important c’est vous. Son système de confort actif
préserve votre corps de la fatigue : siège conducteur avec réglage lombaire du dossier, isolation
acoustique optimale, climatisation à régulation automatique, ordinateur de bord. Sa technologie
apporte un vrai plaisir de conduite : souplesse et performance de la boîte de vitesses Hypertronic
CVT M6, système audio RDS 6 haut-parleurs avec volume asservi à la vitesse. Et pour votre
sécurité, elle est la première de sa catégorie à proposer un ABS avec répartiteur et amplificateur de
freinage, 4 airbags dont 2 airbags latéraux tête et thorax, une suspension multibras pour un
comportement dynamique exemplaire. Ainsi vous réagissez mieux, vous êtes plus détendu. Nouvelle
Nissan Primera. Quand le corps se sent bien, l’esprit va plus loin.
Même si ce n’est pas présenté de façon explicite, on comprend bien que cette publicité
s’adresse à la fois aux hommes et aux femmes, en mêlant les arguments choisis compte tenu des
complétudes stéréotypées dont on a déjà parlé. Le dos nu de la femme assise pourrait constituer le
destinataire explicite du message publicitaire. Ce destinataire apparaît également dans le filigrane
de l’argumentaire, connoté par les notions de confort absolu, souplesse, vrai plaisir de conduite,
sécurité. Néanmoins, les hommes sont eux aussi envisagés en même temps, la partie technique de la
L’association métaphorique entre « voiture » et « bijoux » a pour but, d’une part, de faire transparaître à travers
l’énonciation les marques de la féminité aussi, et, par ailleurs, de valoriser l’objet publicisé.
Flahault (1978) définit la complétude comme un système global de représentations.