Texte 1 Les bases s.. - Association Pour la Pédagogie Explicite

publicité
Les bases scientifiques de l’enseignement explicite de la lecture
Les recherches en éducation confrontent la France globalement à deux courants pédagogiques opposés.
Le courant dominant, ou pédagogie socioconstructiviste ou encore pédagogie par la découverte, d’inspiration
sociologique, assigne un rôle prépondérant à l’origine familiale et sociale dans la réussite ou l’échec scolaire
et, pour ce motif, privilégie par-dessus tout les actions contre les facteurs familiaux et sociaux appelés
inégalités sociales.
Le courant émergent, ou pédagogie instructionniste ou encore pédagogie explicite, issu de l’épistémologie,
met au tout premier rang la transmission directe des connaissances fondée sur l’analyse des processus
neuronaux et cognitifs à l’œuvre dans l’apprentissage éducatif en général et l’apprentissage éducatif efficace
en particulier.
Ainsi, le succès ou l’échec trouverait sa source hors de l’institution scolaire d’après la pédagogie
socioconstructiviste et dans l’institution scolaire selon la pédagogie instructionniste. Ce faisant, la pédagogie
socioconstructiviste souligne les conditions externes de l’apprentissage tandis que la pédagogie
instructionniste insiste sur les conditions internes au centre desquelles se trouve la détermination précise de
l’objet de l’apprentissage.
La pédagogie doit, à la limite, faire un choix entre les apports de la sociologie d’une part, et ceux de
l’épistémologie qui mobilisent le cerveau, la cognition, l’estime de soi et le contenu du savoir d’autre part.
Mener des actions contre les inégalités sociales et assurer la transmission des connaissances sont non pas
incompatibles, mais complémentaires.
Des études comparatives à base d’observations longitudinales ont démontré l’efficacité supérieure de la
pédagogie instructionniste sur la pédagogie socioconstructionniste.
En effet, l’observation empirique initiée et formalisée par S. Engelmann et, à sa suite, B. Rosenshine, a été
approfondie et évaluée par leurs continuateurs, et les résultats obtenus ont mis en lumière la supériorité de
l’efficacité de la pédagogie instructionniste sur la pédagogie socioconstructiviste.
Il s’est agi dès lors de dépasser le constat objectif pour rechercher les facteurs qui président à l’impact
supérieur enregistré. La pédagogie explicite s’inscrit dans ce nouveau cadre de pensée éducative. A la
différence radicale de la pédagogie de la découverte, la pédagogie explicite se définit essentiellement par
quatre procédés qui sont les suivants au regard de l’apprentissage :
1) L’identification claire et nette de l’objet de la connaissance.
2) La prise en considération du fonctionnement du cerveau et de la cognition pour l’organisation et la
présentation de l’objet de la connaissance.
3) La transmission directe de l’objet de la connaissance.
4) La progression allant des données simples aux données complexes de l’objet de la connaissance.
Dans une perspective qui ne tient pas compte des apports scientifiques ci-dessus, des recherches conduites au
siècle dernier avaient défini le texte comme l’unité de base de l’apprentissage de la lecture et accrédité l’idée
d’une provenance du code du sens et la pédagogie de la lecture était alors conçue sur la construction du sens.
Celles du 21e siècle apportent une réfutation de ces hypothèses. Le code écrit, socle de la méthode
d’enseignement explicite de la lecture, se construit avec deux catégories d’unité de la langue écrite, les lettres
et les syllabes en tant qu’images des sons et des syllabes respectivement, qui sont les constantes distributives
sur l’ensemble de tous les mots de la communication porteuse de sens. Au terme de l’analyse du
fonctionnement des mécanismes du cerveau et de la cognition pour l’apprentissage scolaire, la pédagogie
explicite de la lecture se construit à la fois sur le code et le sens. Elle part du code écrit pour aller vers le sens
en passant par les sons, c’est-à-dire par la prononciation.
Une découverte fondamentale du neuropsychologue et académicien des Sciences Stanislas Dehaene, qui est
issue, grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), de la visualisation de l’activité du
cerveau au cours de l’apprentissage de la lecture, et qui fait consensus dans la communauté scientifique, est le
mode de stimulation cérébrale pour l’apprentissage de la lecture, lequel induit la nature, linguistique, des
contenus de l’objet de la connaissance qui sont les signes graphiques élémentaires et leurs associations, ou les
lettres et les syllabes dénommées constantes distributives.
La dimension de structuration et de fonctionnement des contenus de l’objet de la connaissance est constitutive
des valeurs de l’explicite en tant que propriété qui répond à la particularité qui caractérise les contenus de
l’objet de la connaissance par rapport aux mécanismes de fonctionnement harmonieux du cerveau et de la
cognition pour l’apprentissage appliqué à l’éducation scolaire en général et à la lecture en particulier.
La théorie mathématique de la correspondance entre les ensembles en l’espèce la langue orale et la langue
écrite vient conforter la théorie scientifique du fonctionnement cérébral pour l’apprentissage de la lecture issue
des résultats des travaux de Stanislas Dehaene par rapport à la construction de cet apprentissage à partir du
signe graphique, c’est-à-dire à partir du stimulus visuel opposé au stimulus auditif du langage.
La langue humaine en général se caractérise par une relation entre deux ensembles qui sont, dans l’ordre
chronologique de constitution, la langue orale et la langue écrite, relation qui, à chaque catégorie d’unité de la
première, associe une seule catégorie d’unité de la seconde. Ainsi, la langue orale et la langue écrite sont deux
ensembles en bijection réciproque. Cette propriété suppose nécessairement une transcription phonologique et
donc transparente ou régulière de la langue écrite. Tel n’est cependant pas le cas dans la plupart des langues
particulières surtout à longue tradition d’écriture comme le français où de sérieuses entorses sont constatées
entre les unités graphiques et les unités phonétiques correspondantes. Pour résumer, dans la généralité des
langues écrites, la relation entre l’oral et l’écrit est bijective en théorie et surjective en réalité. Il n’empêche
que le principe fondamental sur lequel repose la relation entre les deux formes de la langue demeure inchangé.
En somme, selon le mode de fonctionnement cérébral des langues humaines munies de système d’écriture
alphabétique latine, sous le prisme des mathématiques et plus exactement de la théorie des ensembles,
l’apprentissage de la lecture est défini par un ensemble de départ qui est la langue orale, un ensemble d’arrivée
qui est la langue écrite et une relation de la première vers la seconde qui présuppose essentiellement une
transcription phonologique induisant une orthographe transparente de la langue écrite et dans laquelle pour
toute image de la langue écrite il existe un unique antécédent dans la langue orale et inversement, ce qui fait de
la langue écrite et de la langue orale deux ensembles en bijection réciproque.
Dans cette perspective, chaque élément des constantes distributives de la langue écrite est image d’un seul
élément des constantes distributives de la langue orale, pour autant que celle-là provient de celle-ci dont elle
fait office de code et que celle-là est historiquement postérieure à celle-ci ; ce schéma de relation est le
principe même de fonctionnement de la langue écrite à orthographe transparente vis-à-vis de la langue orale. A
tout élément des constantes distributives de la langue écrite est relié un et un seul élément des constantes
distributives de la langue orale ; c’est le principe essentiel de fonctionnement de l’apprentissage de la lecture
par rapport au mode de fonctionnement du système nerveux. Comme cela a été énoncé plus haut, la condition
imposée aux constantes distributives de la langue écrite est une transcription phonologique qui permet une
bijection réciproque entre la langue écrite et la langue orale ou entre les constantes distributives graphiques et
les constantes distributives phonétiques que nous proposons d’appeler correspondance grapho-phonétique
mettant en relation dans un ordre nécessaire et obligatoire le couple graphie et phonie ou lettres et sons
qu’elles représentent du point de vue de la linguistique et de la neuroscience.
Conformément à la théorie des ensembles, étant donné que la langue écrite sert à représenter la langue orale, la
langue orale est l’ensemble de départ et, la langue écrite, l’ensemble d’arrivée. C’est l’ensemble d’arrivée,
langue écrite, qui est la plus directement concernée par l’apprentissage de la lecture. On part alors de
l’ensemble « connu » (au sens intuitif du terme), la langue orale, pour aller vers l’ensemble à connaître, la
langue écrite. Le principe, sous l’angle du mode de fonctionnement du cerveau pour l’apprentissage de la
lecture, en est une démarche qui, à toute constante distributive de la langue écrite, associe une et une seule
constante distributive de la langue orale. Ainsi, suivant le mode d’activation du cerveau pour l’apprentissage
de la lecture, la démarche procède de l’écrit vers l’oral ou des lettres vers les sons qui leur correspondent, d’où
l’expression de correspondance grapho-phonétique. Les constantes distributives graphiques sont, en termes de
stimulation cérébrale pour l’apprentissage de la lecture, l’objet essentiel de la connaissance. Les contenus de
l’objet fondamental du savoir sont les lettres et leurs combinaisons dites syllabes, en tant que constantes
distributives et bases de construction de la langue écrite et de l’apprentissage de la lecture.
L’approche pédagogique de la lecture qui part des lettres pour aller vers les sons correspondants se fonde sur
des arguments qui relèvent principalement de la linguistique, des mathématiques, de la neuroscience et de la
cogniscience. La recherche et la pédagogie de la lecture ont postulé justement le concept mathématique de
correspondance appliqué à la relation entre la langue écrite et la langue orale. Toutefois, elles ne se sont pas
intéressées aux propriétés de cette correspondance par rapport au fonctionnement de la langue humaine en
général et à celui de la langue française en particulier, ce qui leur aurait permis d’éviter l’hypothèse absurde de
l’inexistence des syllabes en français écrit et les profondes difficultés qui en résultent et auxquelles elles se
trouvent confrontées. A ce sujet, il y a lieu de noter en passant ce qui suit : d’une part, la théorie de la
correspondance grapho-phonologique postule implicitement l’existence d’une orthographe transparente du
français écrit et donc l’existence d’une relation bijective réciproque entre le français parlé et le français écrit,
d’autre part, la théorie de la correspondance grapho-phonologique n’envisage pas le traitement des
changements phonétiques des lettres en fonction du contexte et de la position dans les syllabes (syllabes au
reste erronément considérées par la recherche grapho-phonologique, à l’instar de celle de l’Observatoire
national de la lecture à la suite d’E. Charmeux et de J. Foucambert, comme inexistantes en français écrit).
En théorie des ensembles et dans le principe de correspondance qui en découle, l’ensemble d’arrivée est
logiquement mis en avant puisqu’il représente le but de l’opération en même temps que la langue écrite
concernée au premier chef par celle-ci ; transposé dans le champ pédagogique de la lecture, le principe de
correspondance a pour ensemble de départ, ou antécédent, la langue orale et, pour ensemble d’arrivée, ou
image, la langue écrite. Le système de relation qui est construit souligne le rôle prépondérant de l’image par
rapport à celui de l’antécédent.
Ce schéma usuel de correspondance en mathématiques est renversé, sans raisons (sinon réfutables telles que
« l’enfant connaît sa langue ») dans son application au domaine de l’apprentissage de la lecture et donne lieu à
une approche pédagogique qui part de l’oral pour aller vers l’écrit contre le fonctionnement du cerveau. Et
lorsque certains scientifiques parlent de « correspondance grapho-phonologique » qu’ils assimilent volontiers
à « correspondance grapho-phonétique » confondant au passage phonologie et phonétique précisément à
travers les notions de phonème et de son perçus à tort comme interchangeables, ils désignent sans ambiguïté
une orientation pédagogique qui va de l’oral à l’écrit, de la phonie à la graphie ou des sons aux lettres, c’est-àdire de la langue parlée vers la langue écrite, ce que remet en cause le mode de fonctionnement cérébral pour
l’apprentissage de la lecture (1).
La centration de l’apprentissage de la lecture sur l’oral appelle une remarque en passant. La question du sens
d’orientation pédagogique de la lecture, c’est-à-dire celle du départ de l’oral pour aller vers l’écrit ou l’inverse,
s’est posée et continue à se poser. Les chercheurs ont accordé beaucoup plus d’importance à l’oral qu’à l’écrit
en faisant valoir les connaissances de l’enfant de la langue maternelle et en intégrant du même coup la
phonologie dans l’enseignement et l’apprentissage de la lecture selon une démarche qui mène de la langue
parlée à la mangue écrite. Néanmoins, les élèves des collèges qui apprennent le latin ou le grec, par exemple,
partent de l’écrit pour aller vers l’oral. C’est la preuve tangible, confortée par la théorie scientifique du
fonctionnement cérébral pour l’apprentissage de la lecture, que l’approche pédagogique de la lecture chemine
de l’écrit vers l’oral et non l’opposé ; c’est également la démonstration que la langue maternelle n’est pas un
argument recevable pour le postulat du départ de la langue orale vers la langue écrite. La justification d’un
recours à la phonologie par rapport à l’enseignement de la lecture est que les élèves parlent le français qui est
leur langue maternelle et qu’ils apprennent à lire. Toutefois, il se démontre que la phonologie n’est pas
nécessaire à l’enseignement de la lecture (l’exemple le plus éloquent en est celui des parents sans formation en
phonologie qui réussissent parfaitement bien à faire apprendre à lire à leurs enfants) et que l’axiome de la
langue maternelle ne suffit pas à valider la démarche d’enseignement qui procède des sons aux lettres ou de la
langue orale à la langue écrite. Cela dit, c’est surtout le mode de fonctionnement du cerveau pour
l’apprentissage de la lecture qui remet profondément en cause le rôle de la phonologie dans l’enseignement de
la lecture (2).
Dans les langues naturelles écrites, toute catégorie d’unité phonétique possède généralement une catégorie
d’unité graphique correspondante.
Il ressort des considérations qui précèdent que la lecture, son enseignement et son apprentissage mobilisent la
langue (spécialement la langue écrite), le cerveau et la cognition dont les domaines de recherche sont la
linguistique, la neuroscience et la cogniscience respectivement.
Une langue écrite telle que le français se construit avec deux catégories d’unités de base appelées constantes
distributives qui sont les lettres et les syllabes permettant de représenter l’unité phonétique du langage parlé,
laquelle unité phonétique peut être indécomposable comme un son ou décomposable comme une syllabe
résultant de l’association de sons.
Une lettre est chacun des signes graphiques constituant l’alphabet, qui se prononce d’une seule émission
vocale dite unité phonétique.
Une syllabe est une suite ordonnée de signes graphiques, qui se prononce d’une seule émission vocale dite
unité phonétique.
Une lettre et une syllabe codent une unité phonétique équivalant à une prononciation en une seule émission de
voix.
La propriété majeure qui caractérise une lettre est la prononciation selon le contexte et la position dans les
syllabes des mots de la langue française.
Une particularité caractéristique des lettres et des syllabes en tant que constantes distributives est de se
remobiliser sur des mots différents afin de les composer et de permettre de les reconnaître et de les identifier et
donc de les lire.
Au-delà de son caractère sémiologique, une lettre de l’alphabet, signe graphique minimal conventionnel, sert à
désigner, en termes de phonétique acoustique et physiologique, notamment un ensemble des mouvements des
organes articulatoires et phonatoires au travers desquels le cerveau imprime la lettre, constante distributive qui
permet de construire toutes les catégories d’unités graphiques de la langue en commençant par les syllabes qui
sont, elles aussi, des constantes distributives.
Une syllabe graphique a deux propriétés principales qui sont, d’une part, la remobilisation sur différents mots
pour construire leur composition, d’autre part, la prononciation spécifique correspondante appelée unité
phonétique. Une unité phonétique a un équivalent qui est une unité graphique. Une unité phonétique est une
règle générale de prononciation ; par transitivité, son image, qui est l’unité graphique, est une règle générale
de prononciation. Du point de vue de la linguistique théorique contemporaine qui conçoit le fonctionnement
des langues humaines en termes de « système de règles », l’unité phonétique et son équivalent qui est l’unité
graphique sont des constantes distributives qui constituent des règles générales de prononciation du français.
En somme, une syllabe graphique est l’image d’une unité phonétique qui est une constante distributive
représentant une règle générale de prononciation.
Dans ces conditions, affirmer que le français écrit n’a pas de syllabe et donc pas d’unité graphique qui
représente l’unité phonétique équivaut à dire qu’il n’a pas de règle générale de prononciation, ce qui n’est pas
cohérent et ne correspond pas au fait. Des recherches théoriques et pédagogiques qui se réclament pourtant de
la linguistique ont, de toute évidence faute d’informations suffisantes, dénoncé les notions de lettre et de
syllabe dans l’apprentissage de la lecture et voilà pourquoi elles sont rarement évoquées dans les recherches et
surtout enseignées. Les mêmes insuffisances ont amené à soutenir que le code procédait du sens, ce qui a
entraîné une conception pédagogique de la lecture qui démarre par le texte vecteur de sens.
L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) en neuroscience montre que le cerveau qui
apprend à lire s’active pour les lettres et les syllabes et conséquemment sur présentation de stimuli visuels
(c’est ensuite que leur sont associés et présentés les stimuli auditifs correspondants), c’est-à-dire les signes
graphiques de la langue écrite qui correspondent à des unités phonétiques de la langue orale, d’où la nécessité
impérieuse d’enseigner et d’apprendre les lettres et les syllabes de la langue.
La théorie de l’apprentissage appliqué à l’éducation scolaire valide l’objet de la connaissance impliqué par le
cerveau, plus particulièrement sous l’angle du rapport entre l’élaboration mentale de l’objet de la connaissance
et le coût attentionnel qu’elle entraîne. Le coût doit être acceptable, ce qui suppose une relative simplicité et
facilité de l’apprentissage et ce à quoi répondent les lettres et les syllabes.
La méthode de lecture se conçoit sur la base des données scientifiques ainsi très sommairement esquissées et
inspirées des acquis des recherches de mathématiques, de linguistique, de neuroscience et de cogniscience.
L’explicite est un trait de la démarche pédagogique qui est l’occasion, pour les élèves en situation
d’apprentissage de la lecture, de connaître comment la langue écrite est construite en partant des éléments
graphiques les plus simples, les lettres, pour aller vers les éléments graphiques les plus complexes, les textes,
en passant par les syllabes, les mots et les phrases et en articulant le code écrit avec le sens de la même
manière que le code oral s’articule conventionnellement avec le sens dans un schéma d’organisation et de
fonctionnement identique qui instaure un principe de relation bijective entre la langue écrite et la langue orale.
Néanmoins, les méthodes de lecture n’enseignent pas les lettres et les syllabes sinon très rudimentairement (3)
et, de ce fait, elles ne tiennent compte que très partiellement du fonctionnement de la langue, du cerveau et de
la cognition.
La recherche et la pédagogie ont banni des contenus d’enseignement les lettres et les syllabes dont les
définitions, non spécifiées et d’un intérêt extrêmement limité, sont « unités non signifiantes », « unités infralexicales », « unités sub-lexicales », « unités de bas niveau », etc.
La raison principale de l’exclusion des lettres et des syllabes de l’enseignement et de l’apprentissage de la
lecture est leur privation de sens. Elle paraît peu consistante.
Celle des syllabes est imputée également à leur inexistence supposée en français écrit. Mais, l’argument
plausible semble être une méconnaissance de l’existence de la relation de correspondance biunivoque entre les
deux ensembles en bijection que sont la langue orale et la langue écrite. En effet, si les syllabes existent en
français parlé comme c’est le cas concédé à juste titre par tous, alors elles existent aussi en français écrit et il
s’agit précisément de correspondance stricte entre les catégories d’unités de la langue orale et celles de la
langue écrite. C’est une question de cohérence dans le raisonnement (4).
Un autre motif également logique peut être évoqué : un postulat de l’existence des syllabes dans la langue à
orthographe non phonologique et donc opaque qu’est la langue française était incompatible avec un modèle
pédagogique fondé sur l’hypothèse de construction du sens des textes ou sur l’idée de conversion des sons de
la parole en lettres dite « décodage phonologique ». Le principal point faible commun à ces deux conceptions
est l’absence d’étude des structures des lettres et de celle des relations mutuelles que les lettres entretiennent.
Dans le même ordre d’idées, les recherches n’ont pas suffisamment appréhendé le lien, viscéral en termes
d’organisation et de fonctionnement, qui se noue non seulement entre les lettres, mais encore entre les syllabes
et les mots ; en conséquence, les méthodes de lecture, dans leurs contenus matériels, relèguent au second plan
le traitement des lettres et des syllabes et même des mots présentés par les recherches comme des « images
visuelles indivisibles ». Au total, les méthodes de lecture sont conçues sur des hypothèses fausses que les mots
sont des images visuelles indivisibles et que les syllabes n’existent pas en français écrit. Or, rappelons-le, la
langue écrite prioritairement visée et l’apprentissage de la lecture se construisent avec trois catégories d’unités
qui sont les lettres, les syllabes et les mots.
A cet égard, les résultats des travaux de Stanislas Dehaene l’ont conduit à postuler logiquement l’existence des
syllabes en français écrit et à préconiser une approche pédagogique de la lecture qui procède des lettres vers
les sons correspondants et mobilise les lettres, les sons et le sens, c’est-à-dire, en somme, l’articulation du code
écrit et du sens en partant de la langue écrite pour aller vers la langue orale.
Dans la mesure où elles n’intègrent pas le traitement des propriétés caractéristiques de fonctionnement du mot
écrit qui est l’unité sémantique minimale de la langue écrite , les méthodes d’enseignement de la lecture
s’avèrent fort peu explicites et leurs résultats se soldent par un échec ou demeurent approximatifs. Un élève
voire un étudiant qui sait lire peut-il expliquer comment et pourquoi il lit un mot tel que ‘lettre’ (en supposant
que sa lecture du mot est correcte) ? C’est peu probable et c’est cet état de fait qui n’est pas admissible en
termes d’acquisition solide et durable des connaissances. Au reste, les carences pointées génèrent les
problèmes de déchiffrage, de compréhension, d’orthographe, d’illettrisme, de dyslexie qui alimentent les
débats auxquels on assiste depuis quelques décennies.
Les enseignants de la lecture sont-ils mieux lotis quant à la connaissance du principe d’organisation et de
fonctionnement internes des mots ? L’absence de cet aspect en amont des travaux de recherche et en aval des
contenus de leur formation initiale permet d’en douter puisqu’il est posé dès le départ que les syllabes
n’existent pas en français écrit et que l’apprentissage des lettres, dénuées de sens au même titre que les
syllabes, n’a pas d’intérêt.
La pertinence de la méthode de lecture tient à sa construction sur l’organisation et le fonctionnement internes
des mots, c’est-à-dire sur la clé de voûte du code écrit que constituent les lettres et les syllabes compatibles
avec le mode de fonctionnement du cerveau pour l’apprentissage de la lecture.
Pertinence et explicite sont les propriétés essentielles de la méthode de lecture.
La méthode d’enseignement explicite de la lecture, conception pédagogique présente dans l’arrêté ministériel
du 3 janvier 2006 et le programme officiel de 2008, se bâtit sur le principe d’organisation et de
fonctionnement internes des mots, c’est-à-dire sur ceux des lettres (5) et des syllabes à la fois en tant qu’unités
de base de construction de la langue écrite directement concernée par la lecture en apprentissage, en tant que
facteurs d’identification des mots et en tant que signes graphiques en cohérence avec le mode de
fonctionnement cérébral et cognitif pour l’apprentissage de la lecture.
Bernard WEMAGUE
(1) A la différence de la correspondance grapho-phonétique, la correspondance grapho-phonologique (le
terme, qui prête à confusion, est concurrencé par le terme de correspondance « phono-graphémique » plus
adapté à une pensée pédagogique dont la démarche va des sons aux lettres), est contraire au mode de
fonctionnement du cerveau pour l’apprentissage de la lecture.
(2) Précisons, pour lever toute équivoque, que la conception théorique et pédagogique neuro-cognilinguistique de la lecture, laquelle est issue essentiellement des travaux de neuroscience, de cogniscience et de
linguistique et sous-tend l’ensemble des considérations développées, exclut la phonologie de l’enseignement et
de l’apprentissage de la lecture.
(3) Un défaut rédhibitoire des méthodes de lecture en usage consiste à ne pas assurer l’enseignement des
lettres et des syllabes. A la suite de conceptions erronées, l’enseignement des lettres et des syllabes a été
formellement déconseillé. Cela est une aberration en termes de linguistique générale. En outre, les élèves ont
nécessairement besoin de connaître l’alphabet pour rechercher les mots dans un dictionnaire. Ils ont également
absolument besoin d’identifier les syllabes pour être capables de reconnaître et de lire les mots ainsi que pour
découper ces derniers lorsqu’ils produisent leurs propres écrits ou recopient des textes.
En réalité, c’est les conceptions mêmes des méthodes de lecture et des théories sous-jacentes qui ne sont pas
compatibles avec l’enseignement des lettres et des syllabes, lesquelles sont les bases de construction de la
langue écrite et de l’apprentissage de la lecture.
(4) En somme, les méthodes de lecture n’enseignent pas généralement les syllabes, tout comme les lettres,
pour deux raisons dont l’une est superficielle et, l’autre, profonde. La raison de surface est l’inexistence des
syllabes en français écrit. La raison de fond est l’ignorance de la propriété de la relation du versant oral à la
dimension écrite des langues humaines ; cette relation, bijective, ne laisse subsister aucun doute sur l’existence
des syllabes en français écrit, en dépit de l’orthographe opaque de ce dernier. Au demeurant, on voit que les
parents font apprendre à lire en s’appuyant sur les lettres et les syllabes en dehors de toute référence à la
phonologie ; de son côté, l’école bannit généralement les lettres et les syllabes et prend appui sur la
phonologie. Les résultats respectifs reflètent ces profondes divergences d’approche et s’expliquent par leur
cohérence ou leur incohérence avec le principe de fonctionnement cérébral pour l’apprentissage de la lecture.
La question posée est alors de savoir comment il faut concevoir et mettre en œuvre l’apprentissage des
syllabes compte tenu du fonctionnement cérébral précisément pour l’apprentissage de la lecture.
(5) Les méthodes de lecture qui se construisent sur le texte ou le sens (les méthodes globales et apparentées)
n’enseignement pas les lettres de l’alphabet ; celles qui partent des sons confondus avec phonèmes (les
méthodes phonologiques et dérivées) n’enseignent pas les lettres de l’alphabet usuel ni l’alphabet
phonologique (du moins intégralement). Au vu du mode de fonctionnement cérébral pour l’apprentissage de la
lecture, on imagine les difficultés sérieuses auxquelles elles confrontent les élèves.
Téléchargement