CHAPITRE 4 : Emile Durkheim

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CHAPITRE 4 : Emile Durkheim
Durkheim (1858-1917) ............................................................................................................... 2
I) La sociologie durkheimienne : objet, méthode, enjeux… ...................................................... 2
1) L’objet de la sociologie. ...................................................................................................... 2
2) La méthodologie durkheimienne. ....................................................................................... 2
3) Les enjeux de la sociologie : exemple du suicide. .............................................................. 3
II) La contribution de Durkheim à la sociologie économique. .................................................. 4
1) Institutions, division du travail et marché : l’incomplétude du marché pour faire circuler
les richesses. ............................................................................................................................... 4
2) Lien social, formes de solidarité et division du travail social : origine et fondements
sociologiques de la division du travail. ...................................................................................... 5
Conclusion :................................................................................................................................ 6
Durkheim (1858-1917)
Elevé dans les canons des juifs, mais il ne devient pas rabbin. Il a fait l'École normale supérieure pour
les études d'agrégation de philosophie. Nommé professeur de philosophie en Province, il travaille sur sa thèse de
la division du travail social qui porte sur le problème de l'articulation entre individus et société. En 1887, il est
nommé chargé de cours en sciences sociales et pédagogiques à l'université de Bordeaux. C'est là qu'il jette les
bases d'une réflexion sociologique. Durkheim se donne pour projet la fondation d'une morale laïque, et il définit
la société sur le modèle d'un organisme doté conscience collective, qu’il étudie en considérant les formes de
solidarité sociale. Il étudie le système éducatif et son histoire, ce qui l'amène à définir l'école comme un
instrument de lutte idéologique pour le monopole duquel luttent différents groupes politiques issus des classes
dominantes. Il s'intéresse également à l'évolution de la famille, et propose une analyse nouvelle de la prohibition
de l’inceste. En 1902, il entre à la Sorbonne sur un poste de sciences de l'éducation qui se transforme en 1913 en
sciences de l'éducation et sociologique. Auparavant en 1896, il fonde l'année sociologique qui fédère un groupe
de jeunes collaborateurs qui vont constituer la fameuse école française de sociologie. Le contenu de l'oeuvre de
Durkheim est inséparable du cadre sociologique historique de son époque, c'est-à-dire la IIIe République qui doit
faire face un problème majeur, celui de résoudre les problèmes sociaux liés à l'industrialisation croissante de la
société de manière pacifique et non pas de manière forte. Face aux ouvriers puissants et unis, les républicain
choisissent d'intégrer la classe ouvrière grâce à de nouvelles lois sociales et en valorisant l'école à canal de
socialisation. À une époque où le socialisme acquiert presque le rang de doctrine officielle de la république,
Durkheim se concentre sur le problème de la solidarité et de l'intégration de l'individu à la société au travers de
thèmes de réflexion divers comme le suicide, la division du travail, la famille, l'école, la religion ou encore la
religion. Par ailleurs, il manifeste un goût prononcé pour l'action politique, ou même pour l'outil pédagogique.
C'est en fondant la sociologie qu'il se donne véritablement les moyens scientifiques pour penser et solutionner la
crise sociale.
I) La sociologie durkheimienne : objet, méthode, enjeux…
1) L’objet de la sociologie.
Très tôt, il porte un intérêt au socialisme, doctrine à laquelle il n'adhère pas mais à laquelle il consacre
un cours. Ils ne pensent pas que le socialisme puisse remédier aux problèmes sociaux et veut fonder une morale
scientifique qui puisse le faire. Plus précisément, la morale (= ensemble de règles qui déterminent la conduite de
façon impérative), Durkheim cherche à penser avec les instruments de la science (morale scientifique). « Nous
ne devons pas tirer la morale de la science mais faire la science de la morale ». La science doit en effet aider à
trouver le sens dans lequel on doit orienter sa conduite. C'est là une finalité fondamentale de la sociologie.
Du reste, elle correspond au projet de nombreux hommes politiques de l'époque qui cherchent à fonder
une morale civique et laïque. Durkheim trouve le principe est la source de la morale dans la solidarité sociale,
pour lui, il existe deux grandes formes de faits moraux :
Les moeurs qui renvoient au devoir que les hommes ont les uns vis-à-vis des autres car ils
appartiennent à un groupe social avec la famille, la corporation professionnelle, l'État.
Le droit qui renvoie à une éthique plus générale indépendante de toutes conditions locales et
qui constitue le fondement du droit à la vie et du droit de propriété.
Plus largement, comprendre les formes de solidarité et leur fonctionnement. C'est selon Durkheim
comprendre le système des règles de conduite sachant que toute fait moral ou humanitaire obéit à des règles
définies socialement qui en cas de non-respect peuvent donner lieu à une sanction. Plus précisément, « voilà
donc un ordre de fait qui présente des caractères très spéciaux, il consiste en des manières d'agir, de penser, et
de sentir, extérieures à l'individu, doué d'un pouvoir de coercition en vertu duquel il s’impose à lui ».
On comprend dès lors que la sociologie puisse se définir comme science des faits sociaux, humanitaires,
et le fait social comme cette manière de faire qui exerce sur l'individu, une contrainte extérieure. Autrement dit,
si le droit contraint, il existe tout un système de règles moins visibles qui guident nos pratiques comme les façons
de consommer, penser, s’habiller …. Ce sont ces façons de penser et d'agir que le sociologue aura pour tâche de
mettre à jour. Au demeurant, le fait social est un phénomène observable et explicable à l'aide de catégories, et à
ce titre il constitue l'objet propre de cette science nouvelle en formation qu’est la sociologie.
2) La méthodologie durkheimienne.
Définir un objet d'études particulier ne suffit pas à fonder une science, encore faut-il une méthode
d’analyse rigoureuse. Il rédige en 1895 les règles et la méthode sociologique dans lesquels il énonce les principes
fondamentaux de la méthode du sociologue.
Il considère les faits sociaux comme des choses.
Règles critiquées et mal comprises, et qui signifient que non pas que les faits sociaux soient réductibles à des
faits naturels, comme le biologique observe de l’extérieur l’objet d’étude, le sociologue doit savoir se mettre à
distance des faits sociaux qu'il observe. « Est chose tout ce qui est donné, tout ce qui s'offre, ou plutôt s'impose à
l'observation ». Cette règle est d’autant plus difficile à appliquer que le sociologue vit dans le monde social qui
étudie ; et il s'agit donc pour lui de se défaire de ses préjugés, de s'affranchir des fausses évidences que lui
procure son expérience sensible. Autrement dit, il convient de refuser de considérer le social comme
immédiatement donné, c'est-à-dire être transparent et être aussi objectif que possible.
Il faut construire son objet d'étude,
C'est-à-dire isoler et définir la catégorie de fait que l'on se propose d'étudier suivant la biologie médicale, il
distingue le normal du pathologique ; le normal correspondant à la moyenne en première approximation : « un
fait social est normal pour un type social déterminé, considéré à une phase déterminée de son développement,
quand ils se produit dans la moyenne des sociétés de cette espèce ». En vertu de cette approche à la moyenne, le
crime est un fait social normal, notamment car il n’existe pas de société où il soit absent.
Il faut expliquer le social par le social.
En effet, les faits sociaux (= phénomènes réguliers et explicables) n'ont d'autres causes que des faits sociaux
antérieurs et non pas des phénomènes biologiques ou psychologiques. Pour le montrer, le sociologue doit alors
privilégier la méthode des variations compromettantes, c'est-à-dire comparer les variations respectives des
variables étudiées. Ces méthodes constituent la base d'un rationalisme positiviste et pragmatique. La formule est
célèbre mais Durkheim écrivait à propos de ses recherches que si elles devaient avoir un intérêt spéculatif elles
ne mériteraient pas une heure de sa peine.
3) Les enjeux de la sociologie : exemple du suicide.
L’interrogation centrale chez Durkheim concerne l’ascension sociale. Dans son étude sur le suicide, il
met en lumière le poids déterminant de la société sur les comportements individuels, ainsi que sur l’urgence qu’il
y a de recréer des liens sociaux susceptibles d’empêcher un développement important du suicide anomique. Dans
la logique des travaux de statistiques morales qui se développent à son époque, l’enjeu de l’étude que Durkheim
consacre au suicide en 1897 est de rendre compte d’un point de vue sociologique de ce qui peut apparaître
comme un acte intime par excellence. Pour montrer que le suicide est un fait social et que chaque société est
disposée à rendre un contingent déterminé des morts « volontaires », il commence par réfuter le phénomène
d’imitation, le climat. Par exemple, il montre que le lien de causalité direct que les positivistes italiens avaient pu
déceler avant lui entre les raisons et le taux de suicide est illusoire. Il faut introduire une variable intermédiaire :
l’intensité sociale.
A partir des résultats qui se dégagent des calculs statistiques, il établit des corrélations multiples
comme : le taux de suicide augmente avec l’âge, il est plus élevé chez les hommes que chez les femmes, plus
important à Paris qu’en Province, plus élevé en début de semaine, augmente avec l’augmentation de l’activité
sociale et enfin, plus élevé chez les protestants que chez les juifs. Pour rendre compte de ces résultats, il y a trois
formes de suicide : le suicide altruiste, le suicide égoïste, le suicide anomique (et même le suicide fataliste.)
Le suicide altruiste : caractéristique des individus si fortement insérés et confondus à leur
groupe d’appartenance (militaires) qu’ils sont incapables de résister à un bouleversement de
leur établit. Reste que cette forme de suicide ne concerne qu’une minorité d’individus (milieux
très intégrés). Aussi, Durkheim privilégie-t-il l’analyse des deux autres formes de suicide
comme caractéristiques de son époque, parce que révélatrices d’un relâchement toujours plus
important des liens qui nouent la société.
Le suicide égoïste : « Lorsqu’ils songent essentiellement à eux-mêmes et se trouvent livrés à la
proie de désirs infinis, les individus ne peuvent trouvé d’équilibre que si une force extérieure
conduit à la modération ». Lorsque l’intégration au groupe social diminue, on a un
accroissement du taux de suicide, comme c’est le cas chez les célibataires, qui échappent par
définition au cadre intégrateur de la famille.
Le suicide anomique : lié à l’absence de réglementation liée au développement de la vie
économique. Il faut surtout comprendre par la définition du suicide anomique les enjeux
implicites par rapport à l’analyse durkheimienne de la réalité et des conséquences du
développement économique.
Dans Le Suicide, Durkheim veut surtout mettre en évidence l’existence d’un dérèglement social (anomos). L’anomie s’explique par l’absence de coutume qui n’encadre plus suffisamment l’activité sociale. Dans
le mesure où ces forces intégratrices se relâchent, les individus en compétition les uns avec les autres, ne peuvent
plus borner leurs désirs, demandent trop à l’existence, jusqu’à y trouver irritation et dégoût envers celle-ci. Le
suicide anomique devient dès lors un phénomène régulier et spécifique des sociétés modernes.
II) La contribution de Durkheim à la sociologie économique.
1) Institutions, division du travail et marché : l’incomplétude du marché pour
faire circuler les richesses.
Dans son ouvrage classique, il explique d’abord que les économistes ont abordés d’une manière trop
restrictive le phénomène de la division du travail, dont Adam Smith avait pourtant brillamment souligné
l’importance dans ses premiers chapitres de La Richesse des Nations en 1776. En effet, Smith, au contraire de
ses prédécesseurs, n’avait pas une vision simplifiée de la division du travail, puisque si les aspects utilitaires et
productivistes étaient soulignés, Smith leur avait associé les considérations complexes relevant de niveaux
d’analyse multiples :
Des considérations morales : « aussi inégalitaire soit-elle, la société marchande doit améliorer
la situation de tous, y compris des plus pauvres ».
Des considérations géohistoriques : selon Smith, la société marchande ou le marché général
réunit l’ensemble des zones accessibles par le transport maritime ou fluvial.
Des considérations politiques : Smith précise en effet que l’échange généralisé sur lequel
doivent désormais les individus se spécialiser, libèrent ces derniers des contraintes politiques
féodales.
De même enfin, Smith tient compte des aspects sociaux de la division du travail lorsqu’il
explique qu’en raison de la multiplication des biens produits par des individus spécialisés, ne
pouvant plus satisfaire l’ensemble de leurs besoins, il n’est plus possible socialement de faire
circuler des biens ni par l’intermédiaire des relations politiques (c’est-à-dire par la
redistribution des richesses préalablement collectées par le pouvoir politique), ni par
l’intermédiaire de relations affectives (c’est-à-dire par l’allocation des biens au sein de la
famille).
Du reste, une fois que la division du travail a pris de l’ampleur, les individus ne peuvent suffisamment
nouer de politiques pour s’approvisionner en tous les biens produits, car de telles relations exigent beaucoup de
temps. L’échange marchand, affectivement et politiquement neutre, est fonctionnellement adapté à la circulation
de richesses produites en masse, suite à la division du travail.
Par la suite, nous dit Durkheim, des auteurs (Spencer) vont être tentés d’isoler ce dernier argument pour
proposer une vision globale de la société fondée sur le modèle de l’échange. Dans cette vision, l’échange serait
un contrat librement négocié entre les partis et la société, le lien social, les obligations sociales ne seraient rien
d’autre que les produits de ces conventions librement passées entre les agents.
De fait, Durkheim rejette cette explication en faisant valoir un argument socio-économique similaire à
celui que Smith évoque pour expliquer les avantages de l’échange marchand sur la circulation politique ou
affective des richesses. Supposons, dit-il, que le lien social soit à l’image du rapport économique, c’est-à-dire
librement débattu entre les parties contractantes, la multiplication des échanges et des relations sociales
imposerait à chacun de négocier sans cesse. En conséquence, le temps social employé à négocier ces relations
contractuelles, notamment celles qui sont complexes et durables, devient considérable, si considérable que les
actions des individus seraient littéralement paralysées si ils devaient à chaque instant négocier librement les
conditions de leurs relatons sociales.
L’avantage économique que Smith accorde à l’échange marchand disparaît donc au niveau de la
définition du lien social, mais également au niveau de l’échange marchand lui-même. De ce point de vue, la
conclusion qu’en tire Durkheim est parfaitement claire : le libre contrat, tel que son objet, n’est possible qu’en
raisons d’éléments non contractuels (c’est-à-dire en prenant appui sur des institutions sociales, sur des types
préétablis de contrats qui s’imposent aux agents sans les négocier). Sur tous ces éléments, Durkheim regroupe
sur le terme générique de « fait social » pour désigner « ces manières d’agir, de penser et de sentir, extérieurs aux
individus, et qui sont doués d’un pouvoir de coercition » (contrainte).
L’analyse de Durkheim est donc plutôt holiste qu’individualiste, sociologique qu’économique ; ou
encore, pour lui c’est la société qui est déterminante et non as le comportement individuel. Surtout, et par
ailleurs, on doit noter que la solution de Durkheim est, toute proportion gardée, assez proche d’une idée de base
défendue par la théorie économique des coûts de transaction développée par Coase et Williamson. Souvent, les
transactions ont un coûts en temps, en information… et ce coût (la minimisation de coûts) permet d’expliquer ce
que ne parvenait pas à faire la théorie néoclassique, l’apparition d’institutions dans l’économie d’échanges,
notamment l’existence des entreprises avec Coase ou de droit des contrats avec Williamson. Reste que si ces
similitudes existent entre les deux approches (Durkheim vs Coase et Williamson), il y a à l’évidence une
différence marquée qu’il ne faut surtout pas négliger. Dans la théorie des coûts de transaction, les arrangements
institutionnels sont sélectionnés selon un critère de maximisation identique à celui qu’on trouve pour fonder le
comportement de l’Homo oeconomicus. C’est parce que la firme et son organisation minimisent les coûts de
transaction qu’elles apparaissent et remplacent localement le marché en internalisant les relations. De fait, ce
genre d’explications est absent de la sociologie économique durkheimienne. Par exemple, l’institution sociale
qui est le contrat en lui-même, n’est pas le fruit d’un calcul maximisateur, mais le résultat progressif de
l’évolution sociale.
En outre, Durkheim souligne à ce propos combien les représentations que la société se donne de la
justice n’est pas la justice simpliste du marché, au sens où il suffit de respecter les règles marchandes pour que
l’échange soit déclaré juste. La représentation sociale de la justice chez Durkheim est celle qui assure à chaque
groupe une rémunération qui correspond précisément à sa contribution et à son rang social. Du reste, chez
Durkheim, ces représentations sont des institutions. Il en va de même dans la théorie économique moderne chez
un auteur comme Aron qui souligne l’importance de ce qu’il appelle « les institutions invisibles », comme la
confiance ou les principes éthiques et moraux qui accompagnent et soulignent le fonctionnement réel du marché.
En conclusion, on voit donc, pour Durkheim, le marché comme principe de circulation des richesses,
qui fait suite au développement de la division du travail, ne saurait se suffire à lui-même. Autrement dit, des
institutions sont requises pour assurer le bon fonctionnement de la circulation marchande. Reste enfin que la
présence de ces institutions ne s’explique ni ne se justifie par ce seul avantage fonctionnel et matériel. En
définitive, et plus fondamentalement, c’est la cohésion d’ensemble de la société qui est en jeu selon Durkheim.
2) Lien social, formes de solidarité et division du travail social : origine et
fondements sociologiques de la division du travail.
De la Division du Travail Social, thèse centrale que soutient Durkheim. Elle avant tout pour fonction de
produire la solidarité du lien social. Cette affirmation n’est pas neutre dans le contexte intellectuel dans lequel
évolue Durkheim. En effet, prendre une telle position, c’est d’abord s’opposer aux thèses qu’analyse la division
du travail comme un facteur d’éclatement du lien social, de désordre. C’est également prendre le contre-pied des
thèses qui réduisent la division du travail à des sources de progrès économique, ou encore celles qu’analyse cette
division du travail comme un simple moyen pour les hommes de vivre sous contrainte en société, comme c’est le
cas chez Spencer : le lien social se réduit à l’échange économique. Pour Durkheim, les avantages économiques
de la division du travail sont peu de choses à côté de des effets moraux qu’elle produit. Ainsi, la division du
travail engendre, du moins de manière principale, une intégration du corps social, et permet de répondre aux
besoins d’ordre et d’harmonie.
Plus précisément, elle est un facteur promis de cohésion et de solidarité sociale. Pour le démontrer,
Durkheim se fonde sur le phénomène juridique, qui présente l’avantage selon lui de refléter clairement les deux
formes centrales de solidarité sociale. Il distingue deux formes de sanctions :
La sanction répressive : c’est-à-dire la sanction du droit pénal, qui vise à atteindre les
personnes fautives dans leur fortune, leur honneur, ou leur vie.
La sanction restitutive : c’est-à-dire la sanction du droit civil, commercial, ou administratif, qui
n’implique pas une souffrance de la personne, mais la remise en état des choses par un
phénomène correctif.
Durkheim, en partant de cette opposition, deux formes historiques de solidarité sociale :
Sociétés à solidarité mécanique : (à l’époque sociétés « primitives » ou « inférieures »). Dans
ces sociétés, les deux consciences de l’être humain (individuelle et collective) sont étroitement
liées, et les individus sont unis grâce à leur ressemblance. Surtout, dans ces sociétés, dans la
mesure où les états de conscience sont communs à tous les membres, tout écart doit être
sanctionné par le châtiment du transgresseur, ce qui est la logique du droit répressif.
Sociétés à solidarité organique : (sociétés « industrielles », « supérieures »). Dans ces sociétés,
la solidarité qui rattache les deux consciences de l’être humain résulte non plus de la
ressemblance, mais de la différenciation de plus en plus importante entre les individus. Il y a
parcellisation et complémentarité des rôles au sein du système social. Dans ces sociétés, la
division du travail remplit la fonction d’opérateur de la cohésion sociale qui était autrefois
dévolue à la conscience commune. Par extension, le droit coopératif et la sanction restitutive
l’emportent sur le droit collectif.
A partir de là et selon Durkheim, il existe une tendance inévitable du monde social qui conduit à se
ramifier au profit de la solidarité organique. Surtout, et si l’on veut rendre compte de l’essor de la division du
travail, ce n’est pas au moyen des explications fournies par les économistes classiques qu’on peut le faire. Ces
derniers croient en effet que la recherche du bonheur passe par l’obtention de davantage de richesses et que cette
richesse est produite d’autant plus facilement que la division du travail se développe. Or, Durkheim dit que les
métamorphoses que provoque la division du travail coûtent trop longtemps et rapportent trop peu immédiatement
pour qu’il soit intéressant pour une génération donnée de se sacrifier en acceptant la division du travail.
Le développement de la division du travail ne peut dès lors se comprendre que rapporté à sa capacité à
créer du lien social. Durkheim tient ainsi l’accroissement du volume et de la densité matérielle et morale des
sociétés pour l’origine réelle du développement de la division du travail. Plus concrètement, l’augmentation
démographique, la coexistence d’individus toujours plus nombreux sur un même espace et la multiplication des
communications, des relations sociales entraînent que pour survivre en société, les hommes doivent créer une
nouvelle forme de solidarité en démultipliant les rôles et en divisant le travail social.
Reste pourtant que Durkheim est parfaitement conscient que la division du travail n’est pas seulement
productrice de solidarité sociale, notamment dans les situations d’anomie. Ces situations apparaissent dans des
circonstances diverses comme par exemple les problèmes de faillite au moment des crises économiques. Ainsi, et
pour revenir au suicide anomique, Durkheim précise qu’il se révèle clairement dans les phases du cycle
économique. En période de boom économique, les ambitions et les aspirations des individus ne sont plus
bornées, mais s’étendent à l’infini. La disproportion entre aspiration, attente, et satisfaction, est la cause directe
du suicide : elle se révèle fondamentalement en période de crise.
Plus généralement, la rupture anomique se manifeste lorsqu’on brise la conscience commune collective
des individus. Ce malaise est caractéristique des sociétés modernes qui ont connu un développement
exceptionnel des activités économiques. En effet, en faisant éclater les communautés traditionnelles, l’industrie
et le commerce par définition dévalorisent au seul profit de l’intérêt de nombreuses valeurs et obligations
indispensables à la vie sociale.
Conclusion :
Du reste, pour y remédier, une nouvelle articulation entre individualisme et solidarité doit être inventé.
Au-delà du seul problème de la division du travail, l’Histoire moderne des sociétés bouscule et renverse les
régulations sociales et politiques traditionnelles. La tourmente a été la révolution française par exemple, qui a
balayé certains de ce que Durkheim appelle « les organes secondaires de la vie sociale ». Ainsi, la famille, le
fondement traditionnel de l’autorité, s’est-elle progressivement déconnectée de la vie sociale pour se transformer
en un centre unique de vie privée. Au demeurant, la famille moderne se rétrécit et elle privilégie désormais les
relations entre personnes et non plus la reproduction matérielle, et la satisfaction des besoins domestiques.
Les anciennes divisions territoriales (village…), les monastères et autres associations (notamment les
corporations de métiers) qui avaient pris le relais de la famille, ont également disparu avec la révolution
française. A l’inverse, l’Etat s’est développé et s’est imposé comme un reconnaissance distincte : il est désormais
à la fois un organe de rationalisation et un organe d’émancipation. D’abord en effet, il absorbe et rationalise des
fonctions autrefois remplies par d’autres instances, et c’est comme cela qu’on doit comprendre le développement
de la bureaucratie. Par ailleurs, grâce à son développement, les citoyens peuvent échapper aux allégeances
locales du système féodal par exemple et est donc bien facteur d’émancipation.
Mais, dit Durkheim, « l’Etat peut également être une monstruosité sociologique ». Ce dernier est en
effet tellement éloigné des réalités locales concrètes que lorsqu’il essaie de le organiser, il n’y parvient qu’en y
faisant violence et en les dénaturant. Pour cette raison, Durkheim défend une conception pluraliste et
démocratique de la société politique, et pour reconstituer un corps social dans la période moderne, il convient,
nous dit-il, de le faire en respectant désormais la personne, l’individu dont l’autonomie et la liberté sont
devenues immenses avec le développement de la division du travail.
Or, Durkheim ne croit ni au retour des doctrines religieuses, ni à la fiction de l’harmonie naturelle des
intérêts égoïstes qu’avancent les économistes libéraux, ni à l’Etat tout puissant qu’appellent de leurs vœux les
doctrines socialistes. Du reste, précisément, dans son cours sur le socialisme, Durkheim écrit que pour résoudre
le problème du lien entre individu et société, il faut une autorité dont les individus reconnaissent la supériorité, et
qui disent le droit. Or, cette autorité, ce n’est ni l’Etat, trop éloigné des individus, ni les groupes religieux, dont il
dénonce à l’époque le caractère de plus en plus abstrait et intellectuel, ni la famille, qui est devenue un cercle
étroit de vie privée, qui peuvent le détenir.
Comme son neveu Mauss après lui, Durkheim en appelle aux pouvoirs intermédiaires, aux groupes
secondaires. Plus concrètement dans sa théorie, aux corporations de métiers (ce qu’on appellerait sociétés civiles,
les associations dont Mauss sera un grand défendeur). C’est là encore une contribution importante de Durkheim
à la sociologie économique puisqu’un des champs d’apprentissage les plus productifs à l’économie est
précisément l’économie sociale, qui analyse des organismes comme des mutuelles, des coopératives et bien
entendu des associations.
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