Installation et ancrage de la République 1870 - 1898

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Installation et ancrage de la République 1870 - 1898 :
cadre institutionnel et tradition républicaine
crises de jeunesse
I.
De la défaite à l’examen de conscience national
1. Aux origines d’une défaite
La France est entrée en guerre sur un motif mince : pallier la candidature d’un Hohenzollern, Léopold, au trône
d’Espagne. Son retrait ayant été obtenu, le ministre des Affaires Etrangères, le duc de Gramont, exige une
renonciation définitive à toute candidature espagnole dans l’avenir.
Dépêche d’Ems, de Guillaume Ier à Bismarck.
Une guerre contre la France représente pour le chancelier de fer l’assurance que les Etats allemands les plus
réticents à une unification sous tutelle prussienne, comme la Bavière, feront bloc. La France, qui veut en finir
avec le péril prussien, fait le pari inverse → il y a très peu d’opposants à la déclaration de guerre (Thiers, Favre,
votent les crédits par patriotisme).
Impréparation militaire, erreurs de commandement, de logistique et d’organisation.
2 septembre 1870 : Désastre de Sedan
2. Le 4 septembre 1870
Une foule non violente, où se mêlent badauds et militants républicains, envahit l’Assemblée où Gambetta (avril
1838-décembre 1882), avocat républicain en vue depuis le procès Baudin (1868), proclame la déchéance du
régime. Pour assurer une légitimité au nouveau gouvernement, on le constitue avec des députés de Parsi (ou du
moins élus dans la capitale) : Arago, Favre, Ferry, Crémieux, Gambetta, Simon, Picard.
Trois directions : recherche d’alliances ; redressement de la situation militaire ; consolidation du régime.
3. Les tentatives diplomatiques
10 septembre : Thiers, à la demande de Favre, se lance dans une grande tournée diplomatique destinée à
trouver des soutiens → échec : le RU n’a pas les moyens, l’Autriche est paralysée par ses dissensions internes et
la crainte d’un engagement russe, l’Italie vient juste d’achever son unification.
Favre décide de rencontrer Bismarck, pour obtenir un armistice qui permettrait l’organisation d’élections. Mais sa
volonté de ne céder « ni un pouce de nos territoires, ni une pierre de nos forteresses », l’empêche d’accepter les
conditions de Bismarck. G. Hanotaux : « Les hommes du 4 septembre avaient reçu de la nation une sorte de
mandat de désespoir. Ils ne pouvaient justifier leur existence que par la guerre à outrance. »
4. La guerre à outrance
9 septembre : Gambetta quitte Paris assiégé en Montgolfière et gagne Tours, où il tente d’organiser la défense
nationale avec l’aide du jeune Freycinet. Leader charismatique et pragmatique, il lève 600000 hommes, fournit
des cartes et des armes. Mais il ne parvient à sauver que l’honneur
5. Etablir le régime
Pas de résistance bonapartiste, mais un affrontement entre partisans de la négociation et ceux de la guerre :
Favre, Simon, les républicains libéraux, Thiers (il traite Gambetta de « fou furieux ») jugent que Gambetta
poursuit une guerre sans espoir pour asseoir son pouvoir personnel.
28 janvier 1871 : armistice négocié par Favre et Bismarck à Versailles. La délégation se replie à Bordeaux.
Gambetta s’incline et démissionne.
Le gouvernement provisoire paraît bien vite vulnérable. Ferry, chargé de l’approvisionnement de Paris, est
surnommé « Ferry-famine ». Le 31 octobre 1870, à la tête de gardes nationaux des quartiers populaires, Blanqui
et Flourens s’emparent de l’Hôtel de Ville. Tentative sans lendemain, mais le gouvernement doit rasseoir son
autorité par un plébiscite le 22 novembre. Le cri de « vive la Commune » prend bientôt consistance.
6. La Commune de Paris - 18 mars - 28 mai 1871
a) Eléments déclencheurs
- Paupérisation et mouvement ouvrier : la section française de l’Internationale est crée en 1865, mais malgré son
influence syndicale, elle reste minoritaire. L’influence dominante est celle de Proudhon → coopératives de
productions libres et indépendantes de l’Etat + idée d’une France de communes autonomes.
- Conséquences de l’haussmannisation : le peuple aspire à reconquérir le cœur de la ville dont ils ont été
indirectement expulsés (hausse des loyers). A nuancer cependant : selon Rougerie les ouvriers et artisans ne
sont absents d’aucun arrondissement en 1872.
- Défaite et menaces sur la République : double-choc de la capitulation et de l’élection d’une assemblée
monarchiste (8 février). De plus, en s’installant à Versailles, l’Assemblée « décapitalise » Paris et semble
provoquer les Parisiens.
→ Formation spontanée d’une fédération de bataillons de la Garde Nationale en février, qui élit le Comité Central
des XX arrondissements.
b) Déroulement
18 mars : Thiers échoue à récupérer les canons de la butte Montmartre ; deux généraux exécutés.
26 mars : élections (230000 votants)
19 avril : « Déclaration au peuple français »
21 mai : entrée des Versaillais dans Paris
28 mai : fin de la Semaine Sanglante : 20000 morts.
c) Programme et action
Pas d’unité de pensée, mais deux camps qui se distinguent :
- les « majoritaires », révolutionnaires partisans d’une lutte avant tout politique : jacobins (Delescluze),
blanquistes, etc.
- les « minoritaires », fédéralistes plus soucieux de la question sociale : proudhoniens, bakouninistes,
internationaux, etc.
Durant 54 jours de pouvoir effectif, les communards s’inspirent du programme de Belleville de 1869 :
- moratoire sur les échéances des commerçants
- annulation des quittances de loyer
- réquisition des logements vacants
- restitution gratuite des objets du Mont-de-piété
- abolition de la conscription et des armées permanentes
- instruction laïque, obligatoire et gratuite
- coopératives, interdiction des amendes et retenues sur salaire, du travail de nuit pour les boulangers…
d) Conséquences
Pour les républicains, qui ont majoritairement désapprouvé la Commune, c’est bel et bien une rupture avec l’idée
révolutionnaire. L’écrasement a montré qu’il n’était pas besoin d’un souverain pour assurer l’ordre social. Cf. E.
Schérer, rédacteur en chef du Temps, en juillet 1871 : « La république aujourd’hui, c’est l’ordre, c’est la stabilité,
c’est la fin de la révolution. »
Expression d’une nouvelle peur sociale → loi Dufaure du 14 mars 1872 (interdiction de l’Internationale)
e) Analyses
W. Serman : « L’acteur principal est le petit peuple de Paris, poussé à l’insurrection par la misère et par les
souffrances du siège, par l’ardeur d’un patriotisme déçu et par la vigueur de traditions révolutionnaires presque
séculaires, par la politique intransigeante d’une assemblée réactionnaire […] que demandaient-ils au fond ? La
République et la victoire sur l’envahisseur, du pain et un toit pour tous, la justice et la solidarité sociales, la
reconnaissance de leurs droits et de leur dignité, et, couronnant le tout, la liberté. »
J. Rougerie :: « La Commune n’est que la dernière révolution du XIXe siècle, point ultime et final de la geste
révolutionnaire française du XIXe siècle. Crépuscule, et non pas aurore. »
7. Négociations de paix : le traité de Francfort
4 mai : entrée de Favre et Pouyer-Quertier (ministre des Finances) dans les négociations.
Perte de l’Alsace (sauf Belfort) et de la Moselle : Bismarck sait que cette annexion rend à long terme la paix
impossible : il veut retarder le plus possible le relèvement et la Revanche de la France. Les Alsaciens- Lorrains
ont jusqu’en octobre 1872 pour opter pour la nationalité française.
Indemnité de guerre de 4 milliards de francs-or (Thiers l’ayant fait rabattre d’un milliard) dont le paiement précoce,
avec l’aide de la banque Rothschild, permettra la libération du territoire six mois plus tôt que prévu (1873). Mais
ce sont les « provinces perdues » qui focalisent l’attention : les députés des régions concernées démissionnent et
quittent ‘Assemblée. Deux conceptions de la nation s’opposent alors : celle de Strauss, qui justifie l’annexion par
des considérations culturelles ; et celle de Renan, plus volontariste, pour qui la nation repose sur l’adhésion et la
volonté de vivre ensemble.
8. La « crise allemande de la pensée française » (C. Digeon)
« Je ne pensais pas qu’on pouvais souffrir autant pour son pays », écrit Taine. Le pacifisme d’Hugo n’est plus de
mise : les républicains se rallient à l’idée d’une armée de métier à côté de la conscription. Il faudra attendre la
remontée du socialisme et l’affaire Dreyfus pour que l’anti-militarisme sorte des cercles étroits où il se trouve
confiné. En outre, les Eglises insistent sur la nécessité d’expiation et de fraternité sociale (version catholique) ou
d’évangélisation (version protestante) du pays. En réaction, montée du dilettantisme à la fin des années 1880.
II.
Le suicide des conservateurs
1. L’assemblée de 1871
Déception de la défense nationale : rétraction du vote républicain dans les villes où il constitue déjà une culture,
et vote rural massif en faveur des conservateurs. Résultat des élections du 8 février : 182 légitimistes, 292
libéraux conservateurs (orléanistes + centre gauche), 152 républicains (modérés + radicaux). Thiers est élu dans
26 départements, contre 10 pour Gambetta.
2. Le projet de Thiers
Thiers (1797-1877) rassure et paraît irremplaçable. Son côté bourgeois, dont on lui fera grief par la suite, lui vaut
confiance et popularité parmi les divers milieux bourgeois. La République est pour lui « le régime qui nous divise
le moins ». Il veut éviter une restauration monarchique, qui serait sans lendemain et nuisible à la nation. Mais
pour l’heure, il doit compter avec une assemblée inexpérimentée où les républicains sont minoritaires : il la
ménage avec le « Pacte de Bordeaux » du 10 mars 1871, qui met en suspend la question du régime :
« Monarchistes, Républicains, ni les uns ni les autres, vous ne serez trompés ». En attendant la « constitution
Rivet » du 31 août qui le fait Président de la République, Thiers est « chef du pouvoir exécutif de la République
française ».
Thiers entame la réorganisation du pays, tout en accélérant le paiement de l’indemnité de guerre. de son armée,
tout d’abord : revue du 29 juin à Longchamp. Les cadres institutionnels du régime commencent à être définis :
Thiers, bien que plutôt favorable à la centralisation, prolonge la loi de 1866 par une loi (10 août) qui institue une
« commission départementale », exécutif du conseil général. G. Sautel : « stabilisation de la décentralisation
modérée ». En ce qui concerne la fiscalité, peu de changement : conservation des « Quatre vieilles »
(contribution foncière, contribution foncière et mobilière, patente, contribution des portes et fenêtres), relèvement
des droits de douane, de circulation et de consommation. Thiers est hostile à l’impôt sur le revenu, considéré
comme un pas vers le socialisme, mais un impôt de 3% sur le revenu des valeurs mobilières est cependant
instauré.
Aux élections partielles du 27 avril 1873, Rémusat est largement devancé par le radical Barodet : Les ennemis de
Thiers peuvent accuser celui-ci de mener au triomphe du radicalisme. C’est le duc de Broglie qui conduit
l’offensive. Thiers répond : « Dans les masses, ne vous y trompez pas, la République a une immense majorité. »
Mais il démissionne et le légitimiste Mac-Mahon est élu à sa place : le « 24 mai » est consommé.
3. Le comte de Chambord refuse la monarchie parlementaire
La voie semble libre pour une restauration, qui cependant échoue, à cause de l’intransigeance du comte de
Chambord, notamment sur la question du drapeau blanc. En effet, lui qui veut gouverner et non pas seulement
régner, refuse de commencer « un règne réparateur et fort » par un « acte de faiblesse ».
« Tout ça pour une serviette » aurait dit Pie IX, qui attendait beaucoup de cette restauration pour récupérer
Rome. Mais ce n’est plus à l’ordre du jour, le pouvoir étant aux orléanistes, peu disposés à une politique
extérieure « catholique ».
Pour l’heure, Broglie entreprend l’édification d’une République conservatrice qui doit permettre une restauration
orléaniste. Il fait voter le septennat
4. L’Ordre Moral : l’échec du libéralisme conservateur
La « restauration de l’Ordre moral » que propose Broglie aux Chambres est la mise en échec du radicalisme et
l’encouragement de l’influence de l’Eglise catholique comme facteur d’ordre social. Son gouvernement, de mai
1873 à mai 1874, est marqué par un cléricalisme certain : des députés au pèlerinage de Chartres, à La Salette, à
Lourdes, et la décision est prise d’ériger le Sacré-Cœur à Montmartre. Les enterrements civils sont interdits. Le
gouvernement retrouve le droit de nommer les maires : signe de la crise d’un libéralisme conservateur que l’on
aurait pu croire décentralisateur. Les légitimistes, pratiquant la politique du pire, contribuent à faire chuter Broglie
en 1874.
5. Les lois constitutionnelles de 1875
Malgré une situation politique confuse, le péril bonapartiste renaissant (élection du baron de Bourgoing élu dans
la Nièvre le 24 mai 74) pousse l’Assemblée à se ressaisir. Elle adopte le 30 janvier 1875 l’amendement Wallon :
« Le Président de la République est élu à la majorité des suffrages par le Sénat et la Chambre des Députés
réunis en Assemblée Nationale. Il est élu pour sept ans. Il est rééligible. » La loi du 24 février règle la question du
Sénat à la suite du ralliement de Gambetta à l’idée d’une seconde chambre. La loi du 25 février, relative à
l’organisation des pouvoirs publics, met en place un exécutif fort. Enfin une troisième loi constitutionnelle, votée le
16 juillet, règle les rapports entre les pouvoirs publics.
6. La crise du 16 mai 1877 et la « République des républicains »
Les élections de 1876 donnent 339 sièges aux républicains, contre 153 aux monarchistes. Pour l’heure, fort de la
division des républicains, Mac-Mahon choisi de cohabiter avec cette chambre. Il appelle Dufaure, puis Jules
Simon, au titre de Président du Conseil. Mais le compromis butte sur la question cléricale.
Pie IX a en effet demandé aux fidèles, lors du consistoire de mars 1877, d’agir auprès de leurs gouvernements
pour l’indépendance pontificale. Une pétition circule en France, que Jules Simon interdit.
4 mai 1877 : discours de Gambetta contre le cléricalisme : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »
16 mai : Jules Simon doit démissionner, et est remplacé par Broglie
20 mai : manifeste des 363, rédigé par Spuller
Broglie dissout la Chambre le 25 juin, et patronne une politique de restriction des libertés et d’épuration
administrative. Les gauches se ressoudent → les conservateurs sont battus sans rappel aux élections législatives
d’octobre. Une République des républicains semble effrayer de moins en moins.
III.
Cadres et figures du nouveau régime
1. Les symboles de la victoire républicaine
Mac-Mahon se résout à démissionner le 30 janvier 1879 : Jules Grévy est élu Président de la République. Au
bout de quelques jours, il fait savoir qu’il n’entrera « jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses
organes constitutionnels » : c’est la « constitution Grévy ».
Les républicains ont désormais pour eux les trois institutions. Les symboles se multiplient : retour de la Chambre
à Paris, adoption de La Marseillaise (chantée notamment aux obsèques de Thiers) comme hymne national et du
14 juillet comme fête. La réconciliation républicaine est scellée par la loi d’amnistie du 11 juillet 1880. Marianne,
coiffée du bonnet phrygien, apparaît comme la reproduction dans le cadre politique du culte marial alors en plein
essor → émergence d’un sacré politique.
mai 1885 : obsèques civiles de Victor Hugo, mené au Panthéon par une foule immense.
2. Les grandes lois libérales
30 juin 1881 : loi sur les réunions publiques, qui’ n’ont plus besoin que d’une simple déclaration préalable pour
avoir lieu.
29 juillet : loi sur la presse qui supprime le cautionnement et les demandes d’autorisation pour les journaux.
L’affichage, même politique, est libre. Restriction du délit d’opinion. Il faudra attendre les « lois scélérates » de
1893 contre l’anarchisme pour voir resurgir de sérieuses entraves à la liberté de la presse.
mars 1882 : loi municipale qui donne à toutes les communes le droit d’élire un maire.
Seul le droit d’association n’est pas accordé, victime de la lutte entre cléricaux et anti-cléricaux.
21 mars 1884 : loi Waldeck-Rousseau autorisant les syndicats
3. La laïcité républicaine : ses fondements
P. Barral : « Opportunistes et radicaux se retrouvaient pleinement d’accord et ils ne cessèrent pas de proclamer
que, pour être pleinement national, le système d’éducation devait être totalement laïque. »
A la montée du catholicisme intransigeant, et surtout au Syllabus de 1864 par lequel Pie IX accentuait la lutte
contre le monde moderne, correspond un rejet croissant de la religion chez une bonne part des élites où l’essor
du progrès technique a initié une mentalité marquée par le « scientisme » et le « positivisme ». Affadies ou
déformées, les idées positivistes entrent aussi dans la Vulgate du républicain moyen → constitution d’une
orthodoxie républicaine.
Cependant Ferry (1832-1893), persuadé que les religions révélées sont condamnées à disparaître d’ellesmêmes, veut préserver la concorde civile : d’où une grande fermeté pour laïciser l’enseignement, et une grande
souplesse dans la pratique de cet enseignement laïque.
4. La laïcité en lois
15 mars 1879 : loi interdisant aux membres de congrégations non autorisées (jésuites, maristes, dominicains)
d’enseigner. Par les décrets du 29 mars 1880, les jésuites sont expulsés par la force publique.
Ferry veut poser par sa politique scolaire les bases d’une démocratie laïque, permettant à long terme
d’« organiser l’humanité sans Dieu et sans roi ». Dans cette perspective, l’un des enjeux fondamentaux est
l’éducation des filles, futures mères et éducatrices. Ferry : « Il faut que la femme appartienne à la science, ou
qu’elle appartienne à l’Eglise. » → 21 décembre 1880 : loi Camille Sée (enseignement secondaire féminin).
Ferry commence par réformer le Conseil supérieur de l’instruction publique, permettant au corps enseignat d’y
élire ses représentants.
16 juin 1881 : gratuité de l’enseignement primaire
28 mars 1882 : instruction obligatoire et laïque
Ce n’est qu’en 1886 que la loi Goblet laïcisera le personnel enseignant.
L’école « sans Dieu » est l’objet d’attaques de la part de la presse catholique (La Croix notamment) ; cependant
dans la pratique, la laïcité prend et de nombreux catholiques envoient leurs enfants à l’école publique. Ferry,
dans sa « Lettre aux instituteurs » de 1883, les incite à respecter « un sentiment religieux dont vous n’êtes pas
juges ».
5. Quelle France enseigne-t-on ?
La République oscille entre un modèle fédérateur et un refus des particularismes. L’influence de l’école
républicaine, creuset de l’identité nationale, est en réalité à replacer dans un processus général de
désenclavement des campagnes qui a commencé bien avant l’école laïque. Cf. le célébrissime Tour de France
par deux enfants : utiliser les cultures régionales comme moyen d’insertion dans la communauté nationale.
En outre, l’enseignement est le lieu par excellence de la promotion d’une lecture de l’histoire de France destinée
à enraciner le régime : manuels scolaires d’Ernest Lavisse, qui a trouvé un point de vue consensuel. « Il ne faut
jamais oublier en lisant l’histoire de la Révolution que tous les esprits en France étaient troublés par les dangers
de la patrie. Les auteurs des crimes révolutionnaires sont de grands coupables, mais ce sont de grands
coupables aussi que les émigrés et les insurgés de Vendée : car ils ont trahi la France. » Cependant, à partir de
1895, la valorisation de la révolution se fait plus profonde.
La culture scolaire de la IIIe république recueille l’héritage grec et romain, celui du XVIIe siècle, auquel elle joint
une sorte de sagesse des nations, morale laïque que J. Baubérot voit comme le substitut d’une religion civile.
6. L’échec de Gambetta et de Ferry.
Gambetta, encore jeune, mûrit un projet pour la République : celui de mettre en place un véritable régime
parlementaire, avec deux grands partis, l’un progressiste et l’autre conservateur, dont le leader exercerait le
pouvoir, appuyé sur une majorité. Mais il se heurte à trois écueils : la division des droites françaises, la méfiance
invincible envers toute autorité personnelle, et les rancunes accumulées contre Gambetta. Cet échec apparaît
avec l’épisode du « Grand ministère » en novembre 1881 : Gambetta ne parvient ni à inscrire le scrutin de liste
dans la constitution (26 janvier 1882), ni à réviser le système des concessions de chemin de fer (cf. plan
Freycinet de 1878 et lignes « d’intérêt local » : on redoutait qu’il ne veuille étatiser le réseau).
Gambetta démissionne et décède quelques mois après. C’est Ferry qui lui succède le 18 février 1883. Il accomplit
la réforme du droit syndical, mène à bien la révision constitutionnelle de 1884 qui sauvegarde le Sénat tout en
supprimant les sénateurs inamovibles. Loi Naquet sur le divorce (27 juillet).
Cependant il suffit d’une revers au Tonkin pour faire chuter Jules Ferry le 30 mars 1885.
IV.
Puissance et isolement
1. Relèvement militaire et fortifications
J. Doise : La période 1871-1882 « est marquée par le rétablissement progressif des forces militaires terrestres de
la France. »
Deux ministres de la Guerre ont un rôle important : les généraux de Cissey (71-76) et du Barail (73-74).
27 juillet 1872 : loi qui rend obligatoire un service militaire de 1 ou 5 ans selon tirage au sort ou paiement de 1500
francs → désamorcer habilement l’anti-militarisme des élites et ménager la bourgeoisie.
Fortification de la Lorraine et de la frontière Nord par le général Séré de Rivières.
Création de l’Ecole de Guerre. Adoption du fusil Lebel.
2. La politique bismarckienne et les crises de 1875 et de 1887
Isoler diplomatiquement la France → 6 mai 1873 : alliance défensive germano-russe ; 6 juin : convention austrorusse. En 1875, le chancelier de fer fait bruire les journaux dont il dispose de l’imminence d’une nouvelle guerre
contre la France. Mais la France bénéficie du soutien anglais et des réticences russes : échec de Bismarck qui ne
parvient pas à entraver le réarmement français.
Bismarck décide alors d’inciter la France à se lancer dans l’entreprise coloniale, persuadé qu’elle se heurtera ce
faisant à la Grande-Bretagne. Mais à l’issue du Congrès de Berlin de 1878, la Russie frustrée d’une partie de son
influence dans les Balkans par Autriche-Hongrie prend un temps ses distances. Bismarck renforce alors son
alliance avec l’Autriche (Duplice) qui devient Triple Alliance le 20 mai 1882 avec l’entrée de l’Italie. La GrandeBretagne semble rejoindre le système du chancelier par un accord secret en 1887 avec l’Italie sur la
Méditerranée. Cependant les rivalité austro-russes se réveillent : Bismarck offre secrètement son appui à la
Russie en échange d’une neutralité russe dans un conflit franco-allemand : c’est le traité de « contre-assurance »
de 1887, dont les clauses sont inconciliables avec les autres engagements allemands → rupture entre Guillaume
II et Bismarck, qui démissionne.
3. Vers l’alliance franco-russe
La puissance financière de la France lui permet une coopération avec la Russie, désormais disponible. Une
alliance défensive contre la Triplice est signée le 18 août 1892. Soulagement de l’opinion.
4. L’aventure coloniale
5. La « grande dépression » et les forces économiques en République
Considérée dans sa globalité, la période 1873-1896 constitue pour les pays industrialisés une période de crise.
La France, déjà en retard sur le plan industriel, est particulièrement touchée : le fléchissement de la croissance
est plus précoce qu’ailleurs (dès les 1860s) et s’accompagne d’un recul relatif dans la hiérarchie des puissances
économiques. La décennie 1880-90 voit l’industrie française dépassée par celle de l’Allemagne. Parmi les causes
de cette exception française, il faut insister sur ce fait que la France agricole n’était pas prête pour la politique de
libre-échange initiée sous l’Empire. Ses structures petites et archaïques rendent lente sa réaction à la stimulation
de la concurrence. Les prix agricoles toujours en baisse contribuent à maintenir un grand nombre de petites
exploitations au voisinage du seuil de survie et les empêche de se moderniser. Le pouvoir d’achat de la
population agricole (entre 7 et 7,5 millions de personnes) stagne et a pour effet un affaiblissement de la demande
en produits industriels. De plus, crise du phylloxera dans les régions viticoles. Retour au protectionnisme
accentué en 1892 par Jules Méline.
En revanche, le modèle de la grande industrie commence à se généraliser : le monde du capitalisme financier et
industriel a désormais sa propre légitimité sociale (on ne voit plus les industriels devenir, fortune faite, des
rentiers du sol). Environ 60% de la population ouvrière est alors stable.
Lobbying et « circulation » entre les élites politiques et économiques.
V.
La crise boulangiste
1. Un ministre de la Guerre radical
Travailleur, Boulanger devient ministre de la Guerre en 1886. Il incarne le radicalisme dans l’armée : mesures
symboliques comme l’autorisation pour les soldats du port de la barbe, signe depuis le milieu du siècle de
républicanisme ; amélioration du sort matériel des soldats, modération de l’emploi de l’armée dans les conflits
sociaux (grèves de Decazeville notamment).
Cependant l’affaire Schnaebelé (1887) révèle un « général Revanche » dangereux.
2. Une popularité soigneusement entretenue
La popularité du général a commencé d’être forte bien avant qu’il soit ministre : son portrait est partout, colporté
dans toute la France sous forme de foulards, épingles, paniers, pipes, etc. Sa prestance personnelle, sa belle
allure et son ferme patriotisme viennent la renforcer. Cette popularité est attisé par le gouvernement qui veut
l’écarter du pouvoir en le mutant à Clermont-Ferrand : le 8 juillet 1887 une foule immense s’amasse Gare de Lyon
pour empêcher son départ.
3. Aspirations et mécontentement
La base de Boulanger reste le radicalisme, avec son hostilité aux lois de 1875, et son refus de l’aventure
coloniale au profit de la Revanche. Il cristallise des mécontentements variés : double krach boursier de 1882 à
Lyon et à Paris. Il faut aussi compter avec les aspirations des socialistes encore marginalisés, qui croient la
révolution proche et pour qui le boulangisme pourrait être le début de l’ébranlement du système. Tous les
soutiens du boulangisme ont en commun la détestation des républicains opportunistes et de ce qu’ils
représentent, à tort ou à raison : gouvernement parlementaire, ordre social bourgeois, expansion coloniale,
affairisme et scandales. A partir de novembre 1887 émerge l’affaire Wilson ou affaire des décorations, qui conduit
à la démission de Jules Grévy. Une caricature de l’époque montre Grévy et son gendre dans le pétrin sous l’œil
d’une Boulanger indigné.
En mars 1888, Boulanger est mis à pied pour s’être présenté à des élections en étant militaire : il peut alors
continuer à le faire, et utilise les élections partielles pour se faire plébisciter. Il commence à constituer une réelle
menace pour le régime.
4. Le jeu des droites
Boulanger intéresse désormais la droite. Les bonapartistes lui offrent leur soutien dès 1888 (adhésion au
mélange de gloire militaire et de contestation parlementaire). Les monarchistes se tournent vers lui en désespoir
de cause, lui apportant un soutien financier important. Il a une presse : La Presse, L’intransigeant, La cocarde.
Paul Déroulède a mis à son service la Ligue des Patriotes.
La campagne parisienne de janvier 1889 est le summum de la mobilisation : 57% de voix pour le général. Au soir
du 27 janvier, ses partisans sont en liesse : cependant Boulanger ne bouge pas. Les républicains quant à eux,
réagissent fermement : retour au scrutin d’arrondissement, dissolution de la Ligue des Patriotes, rumeur
d’arrestation qui fait fuir Boulanger en Belgique. L’exposition universelle de 1889, ainsi que le centenaire de la
Révolution, distraient l’opinion. Un procès condamne Boulanger, Dillon et Rochefort, tous trois en fuite, à la
déportation. Le 30 septembre 1891, Boulanger se suicide sur la tombe de sa maîtresse.
P. Levillain : « Miser sur Boulanger fut donc une erreur pour les droites. » Dans son « toast d’Alger » de 1890, le
cardinal archevêque Lavigerie invitera les catholiques à se rallier à la république et aura des mots très durs pour
ceux qui se sont engagés dans l’aventure boulangiste (« hontes récentes »).
5. Bilan et interprétations du boulangisme
Prolongation du mythe du sauveur bonapartiste, racine du fascisme, le boulangisme a suscité de riches débats
quant à son interprétation. Il a eu trois effets indirects : la structuration du socialisme politique, l’apparition de la
république comme capable de survivre à sa mystique et de se défendre, et la consolidation institutionnelle du
régime.
VI.
Le mouvement ouvrier et l’agitation sociale
1. La construction du socialisme politique français
Les républicains se méfient du système mutuelliste modelé par l’Empire, souvent religieux et dans lequel les
notables ont une grande place. Cependant un premier Congrès des sociétés de secours mutuel a lieu en 1883.
En 1898, la charte de la mutualité marquera la reconnaissance pleine et entière du mutuellisme par les
républicains.
En outre, l’Empire octroya le droit de grève en 1864. On a trop dit que la Commune avait brisé l’essor du
mouvement ouvrier : l’activité sociale continue, même si l’Internationale est durement touchée. C’est l’idée de
révolution sociale et la visibilité politique du socialisme qui est en crise.
La France est en retard par rapport à la Grande-Bretagne sur le plan de la construction d’une force syndicale
véritablement représentative, et par rapport à l’Allemagne sur le celle d’une force ouvrière distincte. En France,
contrairement aux deux pays cités, les mondes syndicaux et politiques ne s’uniront pas. Outre la faible
concentration industrielle, le poids de l’atelier et la proximité longtemps entretenue entre les mondes paysan et
ouvrier, la construction d’un mouvement ouvrier autonome se heurte à certains projets républicains : Gambetta
notamment veux la paix sociale et veux éviter les bouleversements.
Malgré la dissolution par Thiers de l’Union ouvrière de Paris en 1872, un congrès est réuni en 1876, où il est
prévu que seuls les ouvriers pourront prendre la parole, pour éviter la politisation. C’est à partir de ce mouvement
que le socialisme politique va tenter de se structurer en France.
Jules Guesde (1845-1922) vient du républicanisme athée. D’abord séduit par Bakounine, c’est à Paris qu’il
devient marxiste vers 1876. Il est en contact régulier avec Marx et Engels. Critique littéraire, plus intellectuel et
moins orateur que Guesde, Paul Lafargue (1842-1911), gendre de Marx, est un peu la caution intellectuelle du
marxisme français naissant. Guesde et Lafargue diffusent la doctrine dans les trois séries de l’Egalité, entre 1877
et 1882, et en collaborant avec des journaux comme Le cri du peuple de Vallès.
Pour les révolutionnaires du mouvement ouvrier (qui ne le constituent pas entièrement), la révolution est
imminente. La crise économique initiée en 1873 est pour eux la crise finale ; ce n’est qu’avec le redressement de
1895 que se posera vraiment la question de l’échéance à laquelle il faut envisager cette révolution.
En 1878 et 1879 se tiennent deux congrès (à Lyon et Marseille). Mais ambiguïtés qui donnent au débat un
caractère scissionnaire au débat dès 1880 : en septembre 1882, les guesdistes, minoritaires même au sein de ce
qui reste de la Fédération du Parti des Travailleurs Socialistes de France après le départ des modérés et des
anarchistes, se retirent et fondent le Parti Ouvrier : c’est le premier véritable parti politique au sens moderne en
France. Deux sensibilités s’affrontent dans les années 1882-1889 : l’une révolutionnaire, rassemble blanquistes,
guesdistes, et anarchistes ; l’autre, réformiste, les membres de la F.P.T.S , les longuettistes, ainsi que Benoît
Malon et ses amis. Ce socialisme divisé n’est pas marginal en Europe : c’est à Paris qu’est créée la seconde
Internationale en 1889. Et, malgré un éparpillement accru en 1890, le socialisme connaît une montée électorale,
due pour une bonne part à des grèves et des manifestations qui mettent en contact monde syndical et socialisme
politique.
2. La mobilisation ouvrière
La montée des grèves est avérée, mais pas linéaire. Elles se multiplient pendant les années où l’industrie
« marche » mieux, comme dans la période 1877-1882, connaissent une faible décrue dans les années 1882-85,
avant de reprendre leur essor à partir de 1886. Face à un patronat qui a fait le choix d’une politique paternaliste
catholique, les grèves sont spontanées dans 70% des cas entre 1871 et 1890. Elles deviennent offensives en
1891, où la grève générale de Houillères du Nord voit un calme face-à-face entre des ouvriers et un patronat
également organisés et débouche sur la Convention d’Arras » négociée à la préfecture.
Cependant le climat social reste lourdement tendu. De 1890 à 93, les 1 er mai notamment cristallisent espoirs et
peur sociale.
La Commune ayant décapité le socialisme politique, c’est le syndicat et la grève générale qui deviennent l’outil
révolutionnaire par excellence.
3. Le monde syndical face au socialisme politique
Il n’y a que 140000 syndiqués en France en 1891, mais 450000 en 1894. Ce syndicalisme est souvent d’autant
plus révolutionnaire qu’il est peu nombreux (syndicalisme minier, bien implanté = modéré).
La loi de 1884, si elle a permit un essor syndical, a été mal accueillie par les syndicalistes, très méfiant vis-à-vis
de l’Etat (héritage de la Commune), et la considérant incompatible avec l’idée de révolution sociale (le projet
républicain veut intégrer les revendications ouvrières au système social existant). Sentiment de duperie.
Le Congrès de Lyon de 1886 aboutit à une Fédération des Syndicats d’orientation modérée, mais ce sont les
guesdistes qui la contrôlent. Ces derniers échouent à forger une force syndicale liée à leur Parti Ouvrier, et se
heurtent à la concurrence de la Fédération des Bourses du travail, créée en 1892 (la première est fondée à Paris
en 1886 : d’abord salle de réunion, elle devient vite un lieu de ralliement pour l’activité syndicale). Elle rejoindra la
CGT créée en 1895.
L’apport des « anarcho-syndicalistes » renforce le syndicalisme révolutionnaire, notamment par la propagande de
fait -l’action terroriste- des années 1892-1894.
Cependant l’absence de synthèse parti- syndicat laisse la place libre à la future implantation communiste.
4. Aux origines du syndicalisme chrétien
Il existe de longue date un catholicisme chrétien, chez lequel la critique de la société moderne et de
l’industrialisation avait débouché sur un projet législatif. Il mêle volonté d’action sociale et morale et souci
d’enraciner une main-d'œuvre ouvrière longtemps mal détachée du monde rural.
1884 : fondation de l’Association catholique des patrons du Nord.
Par exemple, dans les magasins Au Bon Marché, fondés par Aristide Boucicaut, sa veuve met en place pour
environ 3000 employés un système de caisse de prévoyance, une caisse de retraite, le tout alimenté par des
cotisations prélevées sur salaire.
Sur le plan politique, le catholicisme social est représenté par deux hommes : Albert de Mun (1841-1914,
fondateur de l’oeuvre des Cercles Ouvriers) et René de La Tour du Pin La Charce. La papauté (Léon XIII) ellemême intervient, avec la publication en 1891 de l’encyclique Rerum Novarum, où elle définit la doctrine sociale de
l’Eglise : le libéralisme y est critiqué sans que la propriété privée soit remise en question, le socialisme restant
condamné par l’Eglise. La papauté déplore l’inégalité sociale, « l’affluence de la richesse dans les mains d’un
petit nombre à côté de l’indigence de la multitude », et la rétribution du capital est assimilée à « l’usure vorace ».
Léon XII se prononce en faveur des corporations : l’association est en effet préférée à l’Etat dans la conception
organique de la société que le catholicisme social partage avec l’ensemble de la pensée conservatrice.
Le bilan législatif de la IIIe République en 1893 est assez faible sur le plan social. Cependant loi de 1874 qui
interdit le travail aux enfants de moins de 12 ans et s’accompagne de la création d’un corps d’inspecteurs du
travail. Loi de 1892, qui fixe la durée maximale du travail des femmes et des adolescents à 11h par jour et impose
un jour de repos hebdomadaire. Les masses rurales ne sont pas en reste : création en 1886 de l’Union centrale
des syndicats agricoles de France. Gambetta en 1880 : « La République est décidée à venir en aide aux
travailleurs des campagnes ; elle ne sacrifiera pas plus longtemps les intérêts de la démocratie rurale à une
coterie de hobereaux et de grands seigneurs. »
VII.
Les forces spirituelles en République
1. Le protestantisme français : en crise ou à l’apogée de son influence ?
Moins de 2% de la population, diminués encore par la perte de l’Alsace. Le protestantisme français est organisé
selon le système presbytérien- synodal, conférant le pouvoir décisionnel à des assemblées régionales associant
pasteurs et laïques. Malgré une crise consécutive au schisme du synode de 1872, il est indéniable que sur le plan
de la représentation dans les élites politiques, les protestants ont dans la République une place bien plus
importante que dans l’effectif global de la nation.
Le protestantisme du XIXe connaît deux mouvements, celui du « Réveil » (qui insiste sur l’importance de la
conversion personnelle et la piété) d’une part, et celui du « protestantisme libéral » (qui préfère s’appuyer sur une
critique historique de la Bible et ne retenir que le message moral du christ) d’autre part.
Les protestants craignent la mainmise catholique sur la vie publique, d’où une convergence avec le projet
républicain de laïcité. Mais réalité à nuancer.
2. Le judaïsme français et l’assimilation
Près de la moitié des juifs français (1% de la population) vivent en Alsace-Lorraine. Leur attachement à la
révolution, qui avait fait des juifs des citoyens comme les autres, les conduit souvent à opter pour la France. Si
les juifs assimilés sont plutôt loin de la religion, de nouveaux migrants juifs, plus religieux, surviennent après les
pogroms russes de 1881. L’assimilation connaît sa première épreuve avec l’affaire Dreyfus et l’antisémitisme de
Drumont.
3. La franc-maçonnerie : « Eglise de la République » ?
La Franc-maçonnerie regroupe des hommes venus des diverses dénominations protestantes, qui affirment
traditionnellement leur croyance en Dieu, « grand Architecte de l’Univers ». Mais la mention de la divinité est
devenue purement référentielle, la vraie base étant la solidarité humaine. La symbolique de la construction
(compas, équerre) vise au perfectionnement moral et à la bonne entente civique au-delà es clivages
confessionnels.
Gambetta et Ferry ont été initiés, mais n’ont pas été des maçons assidus. Pas de soumission républicaine au
Grand Orient.
4. Etat du catholicisme français
Près de 98% des Français ont des baptisés catholiques. La bourgeoisie n’est plus vraiment voltairienne depuis
1848, au sens où la religion est souvent vue comme un ferment indispensable d’ordre social.
Diffusion de la spiritualité d’Alphonse de Liguori, qui insiste davantage sur l’amour de Dieu et les bienfaits de la
fréquente communion. Affaiblissement du rigorisme.
La piété populaire est marquée par l’essor du culte marial, et par un certain sentimentalisme (cf. art sulpicien),
d’où un relatif éloignement des élites. Ce catholicisme atteint un taux d’encadrement maximal en 1875, avec un
prêtre pour 638 habitants et impulse une puissante action caritative.
Il est un domaine où l’accord se fait entre la république des républicains et l’Eglise catholique française : c’est
celui des missions. Y-M. Hilaire : « Avant 1880 […], le missionnaire précède très souvent le colonisateur. »
5. Le ralliement, des origines à 1893
Léon XIII, devenu pape en 1878, a commencé par négocier avec Bismarck le Kulturkampf. Son pontificat marque
le retournement du catholicisme intransigeant. Il ne faut cependant pas croire que Léon XIII veuille adapter
l’Eglise au monde moderne : c’est bien l’inverse qu’il envisage par l’action des catholiques. Il n’a pas songé
d’abord à intervenir directement. Il préfère mandater une personnalité du haut clergé français, le cardinal archevêque d’Alger.
12 novembre 1890 : toast d’Alger « quand la volonté d’un peuple s’est nettement affirmée ; que la forme d’un
gouvernement n’a rien en soi de contraire […] aux principes qui seuls peuvent faire vivre les nations chrétiennes
et civilisées ; lorsqu’il faut, pour arracher enfin son pays aux abîmes qui le menacent, l’adhésion, sans arrièrepensée, à cette forme de gouvernement, le moment vient de déclarer enfin l’épreuve faite et, pour mettre un
terme à nos divisions, de sacrifier tout ce que la conscience et l’honneur permettent, ordonnent à chacun de nous
de sacrifier pour le salut de la patrie. »
Rôle positif de la bénédiction de la République par le pape aux yeux de la Russie. Mais vives réactions dans le
monde catholique français, choqué à l’idée d’accepter la république des lois laïques. Le pape doit intervenir en
personne avec l’encyclique Au milieu des sollicitudes en 1892.
En 1894, le Gambettiste Spuller par le de « l’esprit nouveau » qui doit désormais inspirer les relations de l’Eglise
et de l’Etat, et le long ministère Méline modèrera l’application de la législation contre les congrégations. Mais
renouveau d’anti-cléricalisme avec l’affaire Dreyfus.
6. Du naturalisme au renouveau spiritualiste
Le Second Empire a vu s’affirmer le réalisme : il s’agit de rompre avec l’excès et la symbolique romantique dans
une quête du vrai. En 1874 apparaît le terme d’impressionnisme, venu de la critique mais bientôt accepté par le
mouvement lui-même : il marque le retour de la subjectivité de l’artiste et de l’intériorité. Autour de 1870 se met
en place le mouvement naturaliste, théorisé par Zola, qui revendique l’application en littérature de la méthode
expérimentale et postule dans la lignée de Taine le déterminisme absolu des phénomènes humains (Le Roman
expérimental, 1880). En parallèle, roman psychologique (Paul Bourget) et symbolisme (Jean Moréas). A rebours,
de Huysmans (1884), fait apparaître au travers de la quête de Des Esseintes une grande insatisfaction spirituelle.
En outre, inversion des tendances religieuses pendant la période 1870-1893 : on passe d’un « reflux » marqué
par le positivisme à un « flux » (G. Cholvy). Vague de conversions notamment en 1886 (Charles de Foucauld).
Influence de Freud, de Bergson, de Nietzsche : critique forte de l’intellectualisme comme prétention à saisir la
totalité du réel. Cet ébranlement peut mener au retour du spirituel, mais aussi au sentiment de l’absurde et au
désarroi, d’autant que la République n’est plus celle qui pouvait animer une existence (on ne trouve plus ce type
d’idéal que dans le socialisme ou dans un retour plus ou moins appuyé aux religions révélées).
Sociétés de libre-pensée (congrès international à Paris en 1889).
IX.
La République des Modérés (1893-1898)
1. Le Scandale de Panama
La Compagnie universelle du canal inter- océanique, fondée par Ferdinand de Lesseps pour percer l’isthme de
Panam, a été mise en faillite après de nombreuses difficultés et des manœuvres frauduleuses dénoncées par La
libre Parole de Drumont et le journal boulangiste La Cocarde. La mort suspecte de l’agent financier de la
Compagnie, Reinach, le 20 novembre 1892, déclenche une crise qui secoue la république : une centaine de
député sont suspectés d’avoir été « chéquards ». Le 16 décembre, Lesseps est arrêté ; au début de 1893 les
responsables de la Compagnie sont condamnés à des peines d’amende ou de prison puis vite remis en liberté.
Seule un parlementaire, Baïhaut (ministre des Travaux Publics), est condamné, mais c’est l’ensemble du
personnel parlementaire qui est discrédité. Après le scandale des décorations qui a fait chuter Grévy, le scandale
de Panama met en évidence la collusion des milieux de la politique, de la presse et de l’argent. En outre,
l’épargne française se détourne des entreprises industrielles au profit des fonds d’Etat et se concentre sur le
continent européen (emprunts russes).
2. Après les élections de 1893
Dupuy (centre-droit) succède le 4 avril 1893 à Ribot, artisan de l’alliance franco-russe. Les élections d’août et de
septembre, marquées par une forte abstention et l’effondrement de la droite, sont fatales aux sortants compromis
dans le scandale de Panama (Rouvier, Floquet, Loubet, Clemenceau). Le scrutin ne remet pas en cause les
partisans d’une politique « progressiste », comme les nommera Deschanel pour remplacer l’appellation
discréditée d’« opportunistes ». Les socialistes exercent une influence croissante : ils conquièrent aux élections
municipales de 92 et 96 Lille, Roubaix, Calais, Limoges, Toulon, Montluçon, Sète, Marseille, Dijon… Millerand
propose le 30 mai 1896 « la substitution nécessaire et progressive de la propriété sociale à la propriété
capitaliste », par le suffrage universel, sans sacrifier à l’Internationale la patrie, « incomparable instrument de
progrès matériel et moral ».
Les années 1893 à 1898 sont marquées par l’instabilité ministérielle. Le radicalisme notamment est divisé, à la
recherche d’un juste milieu entre libéralisme et socialisme (solidarisme de Léon Bourgeois, au pouvoir de
novembre 1895 à avril 96). Le pouvoir est le plus souvent aux modérés : les cabinets Dupuy, Casimir-Perier,
Ribot, Méline, ainsi que les trois présidents de la période (Carnot, Casimir-Perier et Faure) en sont issus. Ils se
caractérisent par une grande timidité en matière sociale et par la poursuite de la conquête coloniale.
3. Les attentats anarchistes
A partir de 1892, « c’est une véritable épidémie terroriste qui se développe en France » (J. Maitron). Les
explosions répondent aux condamnations.
11 juillet 1893 : Ravachol est exécuté
8 novembre : 5 morts dans un commissariat de Paris
13 novembre : un ministre de Serbie est poignardé
9 décembre : bombe d’Auguste Vaillant au Palais-Bourbon. Dupuy : « Messieurs, la séance continue. »
5 février 1894 : Vaillant est exécuté
12 février : Emile Henri jette une bombe gare Saint-Lazare
21 mai : il est exécuté
24 juin 1894 : Sadi Carnot est poignardé par l’anarchiste italien Caserio.
15 août : il est exécuté.
Fin des actes de « propagande par le fait », qui ont suscité un vent de panique et des lois « scélérates » entre
1893 et 1894 : contre la liberté de la presse, les associations de malfaiteurs, la propagande anarchiste. Le
« procès des Trente », en août 1894 et l’acquittement des accusés de délits d’opinion (Sébastien Faure, Félix
Fénéon), marquent la fin de la vague d’attentats. Les anarchistes se rabattent sur le syndicalisme, et condamnent
« la dynamite individuelle ».
4. Le ministère Méline (29 avril 1896 - 15 juin 1898)
Le 17 janvier 1895, après la démission de Casimir-Perier, Faure est élu président. Le ministère Méline, l’un des
plus longs de la IIIe République, est formé peu après. Méline, demandant « justice pour les agriculteurs », fait
voter le double tarif douanier qui porte son nom : protection douanière manifeste d’un « anticapitalisme culturel
profondément ancré dans la société française » (P. Rosanvallon).
Méline a le soutien du Sénat et une majorité stable, l’appui des milieux d’affaires et de la petite bourgeoisie, celui
des ralliés et de la droite : selon lui, « la France qui travaille est lasse d’agitations ». Il abandonne le projet d’impôt
sur le revenu, et repousse l’anticléricalisme, « tactique des radicaux pour tromper la faim des électeurs. »
5. L’échec du Ralliement
Les élections de 1893 sont désastreuses pour les Ralliés, qui obtiennent moins de 5% des voix ; Piou, de Mun et
Lamy sont battus. Un centrisme -qui n’en prend pas le nom- rassemble potentiellement des démocrateschrétiens, des conservateurs et des royalistes. Spuller, ministre de l’Instruction Publique et des Cultes, juge que
« la grande guerre est finie avec l’Eglise », et Casimir-Perier soutient la politique d’apaisement. Mais les
monarchistes refusent « l’esprit nouveau », et « l’apaisement » raidit la gauche socialiste et radicale : les années
1893-98 sont celles où Clemenceau est le « tombeur de ministères ».
Si les relations de la république et du Saint-Siège semblent cordiales, si la forme du régime n’est plus au cœur du
débat, la question religieuse continue à diviser, notamment avec l’affaire Dreyfus.
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