comportements individuels sont donc socialement déterminés. On appelle le point de
vue de Durkheim le paradigme holistique. Pour lui et tous ceux qui se réclament de
son héritage, la société est un holon, un tout qui est supérieur à la somme de ses
parties ; elle préexiste à l’individu et les individus sont agis par elle. Dans ce cadre, la
société englobe les individus et la conscience individuelle n’est vue que comme un
fragment de la conscience collective. L’objet de la sociologie doit être le fait social : il
est extérieur à l’individu et exerce une contrainte sur celui-ci. Les individus sont
encadrés dans des institutions. L’holisme se rapproche sensiblement de
l’objectivisme, qui est une vision fonctionnelle de la société : au sein de celle-ci, les
normes constituent un élément de régulation et le respect de ces normes est la
condition de l’intégration.
Dans Règles de la méthode sociologique, publié en 1895, Durkheim établit la
spécificité et l’autonomie du social comme domaine de connaissance. Les
phénomènes sociaux ne se réduisent pas à des idées, des représentations et des
sentiments. Ils sont extérieurs aux individus, et s’imposent à eux, même lorsqu’ils
semblent être aussi intimes que le sentiment du respect ou de la pitié. De tels
phénomènes, bien loin de nous être immédiatement connus, sont en réalité opaques.
La familiarité qu’ils présentent à nos yeux est source d’idées fausses. « Il nous faut
considérer les phénomènes sociaux en eux-mêmes, détachés des sujets conscients
qui se les représentent ; il faut les étudier du dehors, comme des choses
extérieures. » Avec Le Suicide, publié en 1897, Durkheim met à l’épreuve son
postulat de la réductibilité des phénomènes sociaux au principe de causalité. Il se
propose d’étudier sociologiquement les tables de suicide fournies par les statistiques
officielles. Il ressort de son œuvre que le suicide manifeste des propriétés
particulières, irréductibles à une simple somme de comportements aléatoires. Il
apportait là un exemple à la thèse selon laquelle c’est bien la société qui fait
l’individu, jusque dans ce qui est sans doute le plus intime et le moins social des
actes, le suicide.
Durkheim est véritablement l’auteur représentatif du modèle holiste, ou du
déterminisme social. Selon ce modèle, l’homme est un être passif ; il est façonné par
la société, et celle-ci prime sur l’individu. La société impose des valeurs, des normes,
des rôles qui exercent une contrainte sur les individus. L’action de l’individu est
conditionnée. La conséquence de ce modèle est la production d’individus normaux
conformistes, c’est-à-dire qui respectent les normes et agissent conformément aux
rôles qui leur ont été attribués. Il existe cependant des ratés : ce sont les cas de la
délinquance et de la déviance. On parle de déviance lorsque, dans le modèle de
l’objectivisme, il y a une transgression des normes : l’acte déviant résulte d’une telle
transgression.
Bourdieu et l’habitus
Pierre Bourdieu relaie cette conception selon laquelle la société façonne l’individu
avec son concept de l’habitus, qu’il développe en 1972 dans Esquisse d’une théorie
de la pratique puis en 1980 dans Le Sens pratique. Pour Bourdieu, l’acteur a, lors
des différents processus de socialisation qu’il a connus, incorporé un ensemble de
principes d’action, qui sont des reflets des structures objectives du monde social
dans lequel il se trouve, et qui sont devenus en lui, au terme de cette incorporation,
des « dispositions durables et transformables. » Aussi Bourdieu préfère-t-il au terme
d’acteur le terme d’agent, qui lui permet d’insister sur les déterminismes auxquels est
soumis l’individu. L’action des individus est fondamentalement le produit des
structures objectives du monde dans lequel ces individus vivent, et qui façonne en