Distinguer l’aide spécialisée de l’aide ordinaire apportée par l’enseignant dans la classe ou en petit groupe La distinction entre les aides à l’enfant est ressentie comme un besoin par l’ensemble des personnels spécialisés. Faute de l’argumenter de façon convaincante, il pourrait être tentant de jouer l’exclusion de l’une par l’autre (aide dispensée par le maître dans ou hors la classe, et aide spécialisée), en séparant définitivement au sein des cohortes d’enfants, ceux qui relèveraient d’une pratique ordinaire de ceux qui relèveraient de l’aide spécialisée. Tentation mortelle, qui répond très exactement à ce que des orientations politiques récentes veulent signifier : « - pourquoi des maîtres spécialisés dès lors que le travail auprès des enfants en difficulté peut être fait par le maître s’il en a le temps ? » Or, si elles sont différentes, s’il n’y a pas de chance de les confondre - nous supposons que cela puisse être argumenté - pourquoi faudrait il alors considérer que l’enfant aidé par le maître spécialisé n’est, a priori, pas celui qui bénéficiera de l’aide de l’enseignant en dehors des horaires communs à tous les enfants de la classe ? Il y a dans cet argument un glissement regrettable par lequel ce ne sont plus les aides qui diffèrent, mais les enfants. Il y aurait les enfants pour le maître de la classe, et les enfants pour l’aide spécialisée1. Comment se différencient-ils alors ? Prenons plutôt l’hypothèse inverse. Considérons les caractéristiques des enfants qui éprouvent des difficultés importantes dans le cours de leurs apprentissages, et les réponses adaptées des enseignants spécialisés. Nous verrons ainsi en quoi elles sont adaptées aux enfants en difficulté d’apprentissage, à quel titre, ce dont elles peuvent, seules, se prévaloir. Ces enfants, a priori, s’il y a bien un a priori, fréquentent la classe ordinaire & présentent des difficultés ou des troubles dans leurs apprentissages nécessitant l’aide spécialisée. Ils sont donc dans les deux espaces à la fois, et requièrent deux professionnels différents, mais ensemble - nous ne disons pas dans le même instant « t », mais chacun à son heure et chacun à sa manière. Pour le maître ce peut être seulement pendant l’heure scolaire, mais s’il le juge utile et que cela est compris de toute part (par les parents, l’enfant, et le spécialisé qui Question cruciale, d’autant que peu sont convaincus dans l’enseignement primaire, qu’il reste encore des enfants pour l’aide enseignante spécialisée : les enfants handicapés sont présentés le plus souvent comme relevant d’une autre démarche, les enfants dys sont présentés comme des enfants relevant de l’aide spécialisée médicale, donc non-enseignante, il a suffi pour cela de décréter (au sens propre du terme, c’est un décret co signé par trois ministres qui l’a décidé, et un autre qui l’a confirmé) que la dyslexie était un trouble du langage, et que l’on fasse de même pour la dyscalculie. 1 1 l’agréent) il peut utiliser le quota d’heures à sa disposition pour dispenser un plus d’enseignement qui lui semble, grâce à cela, à la portée de l’enfant. Les troubles des apprentissages requièrent une approche psychologique 1. Les Troubles spécifiques des apprentissages ne sont jamais seuls Pour apprécier les troubles des apprentissages en lecture, écriture, orthographe ou calcul, en s’appuyant sur des critères diagnostiques fiables, le « Guidebarème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées »2 recommande aux praticiens de recourir aux classifications de référence, CFTMEA R-2000, DSM IV, et CIM 10 (classification internationale des maladies, qui émane de l’OMS) 3. Ces trois classifications notent, chacune à sa manière, que le trouble spécifique de la lecture s’accompagne « souvent » de troubles émotionnels et du comportement : - Les troubles émotionnels sont avancés en une phrase lapidaire dans la CIM 10, sans proposer de lien de causalité avec la dyslexie : « Le trouble s'accompagne souvent de troubles émotionnels et de perturbations du comportement pendant l'âge scolaire ». - Pas davantage d’explication sur le lien dans la CFTMEA-R-2000 : « Des troubles émotionnels et des perturbations du comportement sont souvent associés pendant l'âge scolaire. » Les termes sont proches, sans être identiques, de l’une à l’autre, les troubles émotionnels et du comportement « accompagnent » la dyslexie dans la première, ils sont « associés » dans la seconde. L’accompagnement suggère une hiérarchie dans la place des troubles dyslexiques et émotionnels, et l’association suggère peut être davantage un « complexe » dans lequel l’un ne serait pas nécessairement la cause de l’autre. Un rapport récent (2007) de l’INSERM4 (Institut national de la santé et de la recherche médicale), intitulé « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, Bilan des Annexe du Décret du 4 novembre 1993, transformé en annexe 2-4 du code de l’action sociale et des familles par le décret du 21 octobre 2004, modifié par le décret du 6 novembre 2007 2 3 Bien que le même guide-barême se démarque sans le dire des classifications médicales, et assimile les troubles des apprentissages à des troubles du langage, donc troubles fonctionnels, ce qui permet de poser un diagnostic de déficience fonctionnelle, de déterminer la catégorie à laquelle appartiennent les troubles, et les aides susceptibles d’être apportée aux familles. 4 Les éditions Inserm, Paris, 2007 2 données scientifiques »5 consacre un chapitre entier - son chapitre 13 - aux « Troubles comportementaux ou émotionnels associés à la dyslexie ». Précisons tout de suite, pour la clarté de l’exposé, que pour l’INSERM, comme pour les classifications internationales, la dyslexie, la dysorthographie et la dyscalculie sont, à longueur de page, des troubles spécifiques des apprentissages, éventuellement troubles spécifiques des acquisitions scolaires, rien d’autre. Nous verrons que pour cette institution, le doute ne porte pas sur la catégorie, troubles des apprentissages, mais sur la spécificité6. Le chapitre 13 du rapport rend compte d’études diverses confirmant la relation, et conclut ainsi : « (…) même si ceci semble paradoxal avec le caractère spécifique des troubles des apprentissages7, la littérature comme la réalité clinique nous montrent que les enfants en souffrant ont aussi fréquemment des troubles comportementaux ou émotionnels. Il peut s’agir de troubles externalisés, dont le plus fréquemment étudié est l’hyperactivité et le déficit d’attention. Il peut s’agir aussi de troubles internalisés, moins visibles, qu’il convient de rechercher. Nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de définir précisément la relation de causalité. Néanmoins, la possibilité de cette association doit être reconnue pour une prise en compte des deux types de troubles sans exclusion. Les approches abordant différemment le développement de l’enfant, l’un cognitif basé sur les neurosciences, l’autre psychique basé sur les modèles psychanalytiques, sont loin d’être incompatibles. Elles peuvent même, à condition que l’une n’exclue pas l’autre, permettre une prise en charge de l’enfant dans sa globalité et sa diversité tant au plan cognitif, qu’au plan de sa relation à son environnement. » Nous laissons de côté la rhétorique du texte de l’INSERM, mais nous retenons : 1. l’affirmation de la co-présence des troubles d’apprentissages et des troubles émotionnels ou comportementaux, chez ceux qui font l’objet du rapport, dyslexie, dysorthographie et dyscalculie ; Le rédacteur précise en préambule : « Cet ouvrage présente les travaux du groupe d’experts réunis par l’Inserm dans le cadre de la procédure d’expertise collective, pour répondre à la demande du Régime social des indépendants, anciennement la Canam, concernant la dyslexie, la dysorthographie et la dyscalculie. Ce travail s’appuie sur les données scientifiques disponibles en date du deuxième semestre 2006. Plus de 2 000 articles ont constitué la base documentaire de cette expertise. » 5 6 Ils sont accompagnés « souvent » de troubles émotionnels qui ne sont pas la conséquence du trouble dys, et l’on parle de plus en plus de « complexe dys » en considérant l’instabilité des troubles et la coprésence fréquente d’autres troubles dys. C’est nous qui soulignons cette intéressante précaution verbale : on se demande en effet ce que signifie ici « spécifique » pour le rédacteur. 7 3 2. que les troubles émotionnels et comportementaux « souvent » présents ne sont pas a priori la conséquence des troubles des apprentissages, ils ne sont pas non plus considérés comme leur cause8. Ces troubles émotionnels et comportementaux, curieusement, ne sont définis à aucun moment dans le rapport - ils ne le sont pas non plus dans la CFTMEA R2000. Pour les définir, il faut recourir à la CIM 10. 2. Que sont les troubles comportementaux et troubles émotionnels associés ? Ils sont classés parmi les « Troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant habituellement durant l’enfance et l’adolescence ». Ils comprennent diverses catégories, associant éventuellement des troubles des conduites. Elles sont classées de F90 à F98 dans la CIM 10 : F90 Troubles hyperkinétiques F91 Troubles des conduites F92 Troubles mixtes des conduites et troubles obsessionnels F93 Troubles émotionnels apparaissant spécifiquement dans l’enfance F94 Troubles du fonctionnement social apparaissant spécifiquement durant l’enfance et l’adolescence F 95 Tics F96 Autres troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant spécifiquement durant l’enfance et l’adolescence Certaines de ces catégories, F93 et F94 nous intéressent particulièrement, parce qu’elles concernent les enfants essentiellement et non les adultes, et intègrent des symptomatologies fréquentes, qui paraissent entrer, et souvent entrent de fait dans le cadre des variations - larges - de la normale. Nous citons : F93 Troubles émotionnels apparaissant spécifiquement dans l’enfance. Ils sont spécifiés par l’ « exacerbation de tendances normales du développement plus que des phénomènes qualitativement anormaux en eux-mêmes9- C’est essentiellement sur le caractère approprié au développement que repose la différenciation entre troubles émotionnels apparaissant spécifiquement dans l’enfance et troubles névrotiques (F40-F48) » Chaque terme de cette définition est important, définition proposée par la CIM 10, qui ne se trouve pas ailleurs. Comme ces troubles peuvent emprunter de nombreuses expressions symptomatiques de malaise chez l’enfant, les catégories qu’intègre F93 sont assez étendues. Mais dans tous les cas, il s’agit de troubles dont l’expression habituelle est transitoire, et qui n’attirent l’attention que par leur exagération ou leur persistance. La définition insiste sur le fait qu’ils ne peuvent et ne doivent pas être confondus avec les troubles névrotiques. Ils intègrent notamment les catégories suivantes : 8 Et pourtant… 9 Souligné par nous 4 F93-0 Angoisse de séparation de l’enfance, « (…) dans laquelle l’anxiété est focalisée sur une crainte concernant la séparation, survenant pour la première fois au cours des premières années de l’enfance- Il se distingue de l’angoisse de séparation normale par son intensité, à l’évidence excessive, ou par sa persistance au-delà de la petite enfance, et par son association à une perturbation significative du fonctionnement social. » F93-1 Trouble anxieux phobique de l’enfance, « (…) caractérisé par la présence de craintes de l’enfance, hautement spécifiques d’une phase de développement, et survenant (à un certain degré) chez la plupart des enfants, mais dont l’intensité est anormale- et qui font partie du développement psychosocial normal (celles qui n’en font pas partie sont exclues et renvoyées aux troubles névrotiques. » F93-2 Anxiété sociale de l’enfance : « (…) caractérisé par une attitude de réserve vis-à-vis des étrangers et par une crainte ou une peur concernant les situations sociales nouvelles, inhabituelles, ou inquiétantes- Cette catégorie ne doit être utilisée que lorsque de telles craintes apparaissent dans la petite enfance, sont à l’évidence excessives et s’accompagnent d’une perturbation du fonctionnement social. » F93-3 Rivalité dans la fratrie : pour le cas non habituel d’une réaction émotionnelle excessive et persistante, au point de perturber le fonctionnement social normal de l’enfant. F 94 Les Troubles du fonctionnement social apparaissant spécifiquement durant l’enfance et l’adolescence constituent une ensemble composite de troubles marqués par une perturbation du fonctionnement social propre à l’enfance, « qui ne présente pas les caractéristiques d’une difficulté ou d’une altération sociale », apparemment constitutionnelle, envahissant tous les domaines du fonctionnement (à l’encontre de troubles envahissants du développement)- Dans de nombreux cas, des perturbations ou des carences de l’environnement jouent probablement un rôle étiologique primordial - On retrouve dans cette catégorie le « mutisme électif » (concernant une situation bien déterminée, mais s’accompagnant d’anxiété sociale), le « mutisme sélectif », mais aussi deux troubles dits « de l’attachement », F94-1 Trouble réactionnel de l’attachement de l’enfance, « (…) caractérisé par la présence d’anomalies persistantes du mode de relations sociales de l’enfant, associées à des perturbations émotionnelles, et se manifestant à l’occasion de changements dans l’environnement (par exemple par une inquiétude et une hypervigilance, une réduction des interactions sociales avec les autres enfants, une auto- ou une hétéroagressivité, une tristesse, et, dans certains cas, un retard de croissance). » F94-2 Trouble de l’attachement de l’enfance avec désinhibition, « (…) caractérisé par un mode particulier de fonctionnement social anormal,(…), persistant habituellement en dépit de modifications importantes de l’environnement- Exemples : conduites d’attachement généralisé et non sélectif, demandes d’affection et sociabilité non discriminatives, interactions peu différenciées avec les autres enfants ; des perturbations émotionnelles et d’autres troubles du comportement peuvent enfin être associés, variables selon les circonstances. » Ce large emprunt à la CIM 10 laisse encore de côté de nombreux troubles émotionnels, et comportementaux, classés dans les autres catégories. F93 et F94 que nous avons seules détaillées nous paraissent suffire à illustrer notre propos, parce qu’elles recensent des troubles que nous connaissons bien dans la pratique des enfants dys, d’une part, et, pour cette raison même, parce que ces troubles, sans être toujours nommés, sont depuis longtemps l’objet de toute l’attention des enseignants spécialisés. 5 Insistons cependant sur la définition initiale de ces troubles de la catégorie F 93 de la CIM 10 : « troubles dont l’expression habituelle est transitoire, et qui n’attirent l’attention que par leur exagération ou leur persistance ». Et, par ailleurs « troubles qui ne peuvent et ne doivent pas être confondus avec les troubles névrotiques. » 3. Prévalence des troubles émotionnels Un document de l’INSERM10, consacré à la prévention des troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent fait état d’une prévalence importante des troubles émotionnels dans la population scolaire des 6 à 11 ans : « Une enquête réalisée à Chartres sur plus de 2 000 enfants âgés de 6 à 11 ans rapporte une prévalence de 5,9 % pour les troubles émotionnels et de 1 % pour l’hyperactivité. » Donc au total 7 enfants sur 100 fréquentant les classes primaires présenteraient des troubles émotionnels. Dans une perspective différente, si les troubles émotionnels sont considérés avec les troubles du comportement, comme « troubles mentaux communs », pour le même rapport INSERM (p. 3), alors « La prévalence des troubles mentaux communs (y compris les troubles des conduites) varie de 5 % à 25 %, et la moyenne des taux effectuée à partir des résultats de 49 enquêtes a été estimée à 12,5 %. Une enquête française chez l’enfant d’âge scolaire a donné une estimation très voisine (12,4 %). Ces taux concernent deux grands groupes de troubles, émotionnels (troubles anxieux, troubles de l’humeur) et comportementaux (hyperactivité, troubles oppositionnels),dont la fréquence est à peu près comparable et voisine de 5 % à 6 %. D’après ces enquêtes, seule une minorité d’enfants ayant des troubles sont en contact avec des services spécialisés. » Retenons la prévalence des troubles mentaux communs, qui comprennent les troubles émotionnels et les troubles comportementaux (en association ou non) : 12,4%. Ils sont supérieurs aux chiffres donnés pour la prévalence des troubles d’apprentissage. Bien entendu, cela ne signifie pas que les mêmes enfants conjuguent toujours les uns avec les autres, mais sans doute, comme le disent les classifications, « souvent »11. Telles que, ces données indiquent que les troubles émotionnels sont très fréquents, et, que si ces enfants ne sont pas tous en contact avec les services spécialisés - précisons services spécialisés de soin - ils le sont avec l’école. A ce Troubles mentaux, dépistage et prévention chez l’enfant et de l’adolescent, Expertise collective, Cahiers de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale), décembre 2002 10 Des chiffres à pondérer : par troubles émotionnels, le rapport de l’INSERM comprend les « troubles anxieux et troubles de l’humeur ». Ce qui est en contradiction avec la CIM10. Celle-ci regroupe les troubles de l’humeur dans une catégorie à part entière, des rubriques F30 à F39 ! Une précision utile pour signifier la difficulté que l’on retrouve au plus haut niveau à cerner le concept de « emotional disturbances ». 11 6 taux de prévalence, ils constituent même, pouvons-nous penser, la matière de base des échanges entre l’école et ses maîtres spécialisés. En d’autres termes, et sans le dire, les maîtres spécialisés déploient leur savoir faire depuis bien longtemps avec les enfants qui n’apprennent pas, ou mal, ou seulement dans certains cadres d’aide, qui auraient pu être diagnostiqués comme présentant des troubles émotionnels et/ou du comportement. 4. Pourquoi le diagnostic médical n’a-t-il pas été posé sur les troubles émotionnels ? A cela plusieurs réponses, non exclusives et non exhaustives : - Parce que les troubles émotionnels comme le dit la catégorie F 93 ne sont qu’une manière particulière, exacerbée, plus ou moins voyante, de montrer que l’on grandit. Ils entrent de ce fait dans le cadre des variations larges de la normale, et ils ont pour destin de passer avec le temps dans une autre pathologie ou dans le caractère. - Ils sont absents en tant que tels de la classification française CFTMEA R2000, malgré les efforts faits par son équipe de rédaction pour poser des équivalences entre telle catégorie de la CIM10 et telle catégorie de la CFTMEA R-2000. Une bonne partie des troubles émotionnels de la CIM 10 ont une équivalence dans la CFTMEA dans le chapitre 9, Variations de la normale. On trouve là les entités suivantes : angoisses, rituels, peurs ; moments dépressifs ; conduites d’opposition ; conduites d’isolement ; difficultés scolaires non classables dans les catégories précédentes ; retards ou régressions transitoire et quelques autres… Une autre partie des troubles émotionnels de la CIM 10 sont répertoriés dans les troubles à expression somatique et/ou comportementale. C’est le cas de l’énurésie, de l’encoprésie, de l’angoisse de séparation par exemple, mais encore de troubles du sommeil, de troubles des conduites alimentaires… - Et parce que l’abord particulier que nécessitent certains de ces troubles est depuis longtemps passé dans le savoir faire des maîtres spécialisés. Sans qu’il paraisse à tout coup nécessaire à ceux-ci, comme aux enseignants, comme aux parents, de considérer que le règlement des problèmes posés requiert une compétence dans le domaine du soin, tel qu’il se pratique hors de l’école, dans les CMP et CMPP. - En effet, tout cela n’est pas absolument nouveau. Sous une forme différente, et pour ne citer qu’elle, l’approche de Colette Chiland traitait bien, en 1971 de cette réalité. Dans L’enfant de six ans et son avenir1 cet auteur distinguait deux groupes d’enfants en grande difficulté dans les apprentissages fondamentaux : les enfants inhibés, et les enfants hypomanes. Elle précisait : 1 C.CHILAND, L’enfant de six ans et son avenir, PUF, 1971, p. 242 7 « Ces enfants perturbés qui ne parviennent pas à apprendre à lire se caractérisent par leur négation de la réalité intérieure. Dans l’inhibition, gel de la relation et gel du monde intérieur sont solidaires ; (…) Chez d’autres enfants, dans l’hypomanie s’exprime la négation proprement dite de la réalité intérieure, correspondant à ce que WINNICOTT appelle après MELANIE KLEIN « la défense maniaque ». L’auteur relevait, à propos des enfants « hypomanes », le contraste entre cette négation du monde intérieur et une insertion et une connaissance très bonne des réalités pratiques et sociales. Bien sûr, ce sont des termes de spécialiste, et des références théoriques de spécialiste, mais celui qui bénéficiait d’une formation consistante en psychologie pouvait bien pressentir ce que signifie les concepts de « négation de la réalité intérieure », « hypomanie », « défense maniaque »… 5. Les troubles émotionnels si divers ont-ils quelque chose en commun ? Dans la CIM 10, les troubles émotionnels qui nous semblent le plus proche de ce que l’on rencontre quotidiennement chez les enfants en difficulté d’apprentissage appartiennent à deux catégories, notées F 93 et F 94. La première, « exacerbation de tendances normales du développement plus que des phénomènes qualitativement anormaux en eux-mêmes », fait référence aux troubles transitoires du développement dans lesquels l’anxiété est au premier plan, phobique incluant ou non la réalité sociale environnante - ici l’école, ou expression de l’angoisse de séparation. La seconde, « Troubles du fonctionnement social apparaissant spécifiquement durant l’enfance et l’adolescence » fait état de troubles de l’attachement, avec ou sans inhibition. Les enseignants spécialisés connaissent bien ces enfants dont le contact est affecté, soit par une trop grande réserve, avec tristesse ou non, soit par une trop évidente avidité affective qui amène l’enfant à se précipiter sur tout nouvel arrivant comme s’il l’attendait depuis toujours, quitte à le délaisser aussi vite. Dans tous les cas, l’attitude vis à vis de l’école est affectée, et selon les cas peut aller jusqu’au refus. La problématique de séparation est alors au premier plan, et avec elle les angoisses qui s’y rapportent, qui, quand elles sont massives peuvent être dites d’abandon. Angoisse d’abandon, angoisse de perte de vue, retrait vis à vis de ce qui doit rester étranger à soi, - craintes persécutives vis à vis de l’école et ce qui s’y rapporte parce qu’elle signifie la séparation qui est toujours « trop de séparation » - adhésion sans distance, ou quête affective évidentes sont autant de problèmes posés à l’enseignant, qui doit nécessairement lier sur ce sujet sa pédagogie à ce qu’il connaît de la psychologie de ses sujets. 8 6. Si ces troubles sont méconnus, ignorés dans nos classifications, peu souvent diagnostiqués en tant que tels, que peuvent les maîtres spécialisés pour eux ? Ils sont ignorés parce qu’ils concernent un grand nombre d’enfants, et paraissent être une exagération de traits habituels à l’enfance. Ils sont considérés comme banals, et quasiment comme le fonds de commerce des enseignants spécialisés. Ce qui ne signifie pas que ces enseignants n’en fassent pas cas, bien au contraire. C’est précisément parce que la réalité des troubles est connue dans l’enseignement qu’une partie des enseignants a pu choisir et choisit encore d’approfondir ses connaissances dans le domaine de la psychologie de l’enfant, cognitive et pathologique, pour aborder les enfants en difficulté en connaissance de cause. Dans ces questions par exemple, les premières qui se présentent : - Quel cadre est le mieux approprié ? A coup sûr, cela relève de l’évidence, un cadre de proximité pour juguler l’angoisse de perte de vue, un cadre qui rassure parce que peu nombreux les enfants se savent vus tous ensemble. Un cadre que l’on retrouve de manière régulière, bien qu’il reste un cadre non ordinaire, pour inscrire au fil des séances une nouvelle histoire ayant son origine propre et sa logique de déroulement, dont on repère et on ordonne les moments. Maîtrise du temps et de l’espace s’acquièrent ici avec la certitude d’une histoire en propre qui a ses témoins. - Quelle utilisation du temps dans le travail avec l’enfant ? temps réglé de la rencontre, qui ne supporte pas d’être bousculé « pour un oui ou pour un non12 », temps où l’on sait que l’on va retrouver l’autre, qu’il n’est pas perdu, temps que l’on apprend donc à anticiper, puis à garder ? Un temps donc qui ne peut être choisi en dépit du bon sens (pas pendant les heures de gym, le travail en petit groupe avec le maître spécialisé est un travail à part entière). Toutes des conditions initiales devront progressivement conduire l’enfant à oser utiliser le temps pour différer, ne pas se précipiter sur la première perception, pour réfléchir, analyser. - Comment résoudre la difficulté posée par une opposition latente de l’enfant ? Le petit groupe permet d’éviter la question directe, posée par l’adulte à l’enfant. Sachant pourquoi et comment la question adulte suscite trop vite le refus (pas explicite, simplement une incapacité évidente à réfléchir à ce qui est demandé autrement qu’en remâchant les termes de la question) le jeu consistera pour l’enseignant spécialisé à jouer ou à faire jouer autrement la relation verbale, en plaçant par exemple celui qui est au bord du refus dans une position avantageuse d’expert intervenant après coup dans l’échange entre un enfant et l’enseignant. Ou bien en construisant sa séance de manière à ce que les questions soient posées entre eux, sans sanction des erreurs… « Pour un oui ou pour un non », en référence à une pièce de théâtre de Nathalie Sarraute, dans laquelle l’auteur met en évidence ce que l’apparence anodine du conflit « pour un oui ou pour un non » masque d’ambivalence dans une relation d’amitié, c’est à dire d’agressivité déjà là pour l’intégrité d’autrui. 12 9 - Faut il ou non prendre en compte immédiatement l’urgence des apprentissages ? C’est selon, selon l’âge, selon la demande implicite de l’enfant (s’il a besoin d’être rassuré sur le fait « qu’à l’école, on fait du scolaire »), selon l’ampleur des problèmes psychoaffectifs posés. Maître E ou maîtres G peuvent se distinguer là-dessus, s’ils n’oublient pas que la différence ne hiérarchise pas leurs professions : il n’est ni mieux ni moins bien d’aborder un trouble d’apprentissage accompagné « souvent » par des troubles émotionnels, par le matériel d’apprentissage ou par un support différent. - Quel rapport faut il entretenir avec les évaluations (la notation, la notion de « bonne ou mauvaise réponse », le juste et le faux), faut-il féliciter l’enfant qui a réussi ? Aucun rapport, croyons nous. Il appartient à l’école, au maître de noter, de porter des appréciations sur le travail de l’enfant, d’aider l’enfant à mesurer l’écart qui le sépare encore de l’efficience du bon écolier. L’aide spécialisée, soucieuse de l’enfant, s’attache à instaurer une relation de confiance, une relation qui sera maintenue sans considération pour la manière dont l’enfant nous a fait plaisir. Une relation qui n’use pas de la sanction, dans laquelle le plaisir de fonctionner ensemble suffit à justifier notre présence mutuelle, chaque progrès étant un progrès de l’alliance dans le groupe (même quand ce groupe se réduit à deux personnes, l’enfant et l’adulte - ce qui est la formule à notre sens la plus difficile). Toutes ces questions sont écrites pour servir d’exemple. Elles se rapportent très précisément aux troubles dits émotionnels, selon des quantités variables. De même que les réponses ici trop vite ébauchées, elles ne sont qu’un fragment du questionnement ouvert par la problématique des difficultés psychologiques conjointes aux difficultés d’apprentissages. Les réponses ne sont pas équivalentes aux thérapies dispensées dans les établissements de soin, simplement elles apportent leurs solutions à des difficultés qui sont et devraient continuer d’être conçues comme transitoires. Des difficultés appartenant au développement normal, mais dépendantes quant à leur issue d’une aide spécialisée compréhensive, qui n’ignore pas qu’elle traite d’une difficulté d’apprentissage et d’une difficulté psychologique qui peut être transitoire selon que l’aide lui est apportée ou non. Les écrits pour le dire et se former sont considérables en volume dans le domaine de l’enseignement spécialisé. Peut être avec le durcissement des rapports sociaux en est-on venu à oublier l’un des piliers de son approche ? Alors, nommons-le. Ce pilier, c’est la psychologie, l’approche psychologique appliquée dans le champ scolaire. 10