Distinguer l`aide spécialisée de l`aide ordinaire apportée

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Distinguer l’aide spécialisée de l’aide ordinaire apportée par
l’enseignant dans la classe ou en petit groupe
La distinction entre les aides à l’enfant est ressentie comme un besoin par
l’ensemble des personnels spécialisés. Faute de l’argumenter de façon
convaincante, il pourrait être tentant de jouer l’exclusion de l’une par l’autre
(aide dispensée par le maître dans ou hors la classe, et aide spécialisée), en
séparant définitivement au sein des cohortes d’enfants, ceux qui relèveraient
d’une pratique ordinaire de ceux qui relèveraient de l’aide spécialisée.
Tentation mortelle, qui répond très exactement à ce que des orientations
politiques récentes veulent signifier : « - pourquoi des maîtres spécialisés dès
lors que le travail auprès des enfants en difficulté peut être fait par le maître s’il
en a le temps ? »
Or, si elles sont différentes, s’il n’y a pas de chance de les confondre - nous
supposons que cela puisse être argumenté - pourquoi faudrait il alors considérer
que l’enfant aidé par le maître spécialisé n’est, a priori, pas celui qui bénéficiera
de l’aide de l’enseignant en dehors des horaires communs à tous les enfants de la
classe ?
Il y a dans cet argument un glissement regrettable par lequel ce ne sont plus les
aides qui diffèrent, mais les enfants. Il y aurait les enfants pour le maître de la
classe, et les enfants pour l’aide spécialisée
1
. Comment se différencient-ils
alors ?
Prenons plutôt l’hypothèse inverse. Considérons les caractéristiques des enfants
qui éprouvent des difficultés importantes dans le cours de leurs apprentissages,
et les réponses adaptées des enseignants spécialisés. Nous verrons ainsi en quoi
elles sont adaptées aux enfants en difficulté d’apprentissage, à quel titre, ce dont
elles peuvent, seules, se prévaloir.
Ces enfants, a priori, s’il y a bien un a priori, fréquentent la classe ordinaire &
présentent des difficultés ou des troubles dans leurs apprentissages nécessitant
l’aide spécialisée. Ils sont donc dans les deux espaces à la fois, et requièrent
deux professionnels différents, mais ensemble - nous ne disons pas dans le
même instant « t », mais chacun à son heure et chacun à sa manière. Pour le
maître ce peut être seulement pendant l’heure scolaire, mais s’il le juge utile et
que cela est compris de toute part (par les parents, l’enfant, et le spécialisé qui
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Question cruciale, d’autant que peu sont convaincus dans l’enseignement primaire, qu’il reste encore des
enfants pour l’aide enseignante spécialisée : les enfants handicapés sont présentés le plus souvent comme
relevant d’une autre démarche, les enfants dys sont présentés comme des enfants relevant de l’aide spécialisée
médicale, donc non-enseignante, il a suffi pour cela de décréter (au sens propre du terme, c’est un décret co signé
par trois ministres qui l’a décidé, et un autre qui l’a confirmé) que la dyslexie était un trouble du langage, et que
l’on fasse de même pour la dyscalculie.
2
l’agréent) il peut utiliser le quota d’heures à sa disposition pour dispenser un
plus d’enseignement qui lui semble, grâce à cela, à la portée de l’enfant.
Les troubles des apprentissages requièrent une approche
psychologique
1. Les Troubles spécifiques des apprentissages ne sont jamais seuls
Pour apprécier les troubles des apprentissages en lecture, écriture, orthographe
ou calcul, en s’appuyant sur des critères diagnostiques fiables, le « Guide-
barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes
handicapées »
2
recommande aux praticiens de recourir aux classifications de
référence, CFTMEA R-2000, DSM IV, et CIM 10 (classification internationale
des maladies, qui émane de l’OMS)
3
.
Ces trois classifications notent, chacune à sa manière, que le trouble spécifique
de la lecture s’accompagne « souvent » de troubles émotionnels et du
comportement :
- Les troubles émotionnels sont avancés en une phrase lapidaire dans la CIM
10, sans proposer de lien de causalité avec la dyslexie : « Le trouble
s'accompagne souvent de troubles émotionnels et de perturbations du
comportement pendant l'âge scolaire ».
- Pas davantage d’explication sur le lien dans la CFTMEA-R-2000 : « Des
troubles émotionnels et des perturbations du comportement sont souvent
associés pendant l'âge scolaire. »
Les termes sont proches, sans être identiques, de l’une à l’autre, les troubles
émotionnels et du comportement « accompagnent » la dyslexie dans la première,
ils sont « associés » dans la seconde. L’accompagnement suggère une hiérarchie
dans la place des troubles dyslexiques et émotionnels, et l’association suggère
peut être davantage un « complexe » dans lequel l’un ne serait pas
nécessairement la cause de l’autre.
Un rapport récent (2007) de l’INSERM
4
(Institut national de la santé et de la
recherche médicale), intitulé « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, Bilan des
2
Annexe du Décret du 4 novembre 1993, transformé en annexe 2-4 du code de l’action sociale et des familles
par le décret du 21 octobre 2004, modifié par le décret du 6 novembre 2007
3
Bien que le même guide-barême se démarque sans le dire des classifications médicales, et assimile les troubles
des apprentissages à des troubles du langage, donc troubles fonctionnels, ce qui permet de poser un diagnostic de
déficience fonctionnelle, de déterminer la catégorie à laquelle appartiennent les troubles, et les aides susceptibles
d’être apportée aux familles.
4
Les éditions Inserm, Paris, 2007
3
données scientifiques »
5
consacre un chapitre entier - son chapitre 13 - aux
« Troubles comportementaux ou émotionnels associés à la dyslexie ».
Précisons tout de suite, pour la clarté de l’exposé, que pour l’INSERM, comme
pour les classifications internationales, la dyslexie, la dysorthographie et la
dyscalculie sont, à longueur de page, des troubles spécifiques des
apprentissages, éventuellement troubles spécifiques des acquisitions scolaires,
rien d’autre. Nous verrons que pour cette institution, le doute ne porte pas sur la
catégorie, troubles des apprentissages, mais sur la spécificité
6
.
Le chapitre 13 du rapport rend compte d’études diverses confirmant la relation,
et conclut ainsi :
« (…) même si ceci semble paradoxal avec le caractère spécifique
des troubles des apprentissages
7
, la littérature comme la réalité clinique
nous montrent que les enfants en souffrant ont aussi fréquemment des
troubles comportementaux ou émotionnels. Il peut s’agir de troubles
externalisés, dont le plus fréquemment étudié est l’hyperactivité et le
déficit d’attention. Il peut s’agir aussi de troubles internalisés, moins
visibles, qu’il convient de rechercher. Nous ne sommes pas aujourd’hui
en mesure de définir précisément la relation de causalité. Néanmoins, la
possibilité de cette association doit être reconnue pour une prise en
compte des deux types de troubles sans exclusion. Les approches
abordant différemment le développement de l’enfant, l’un cognitif basé
sur les neurosciences, l’autre psychique basé sur les modèles
psychanalytiques, sont loin d’être incompatibles. Elles peuvent même, à
condition que l’une n’exclue pas l’autre, permettre une prise en charge de
l’enfant dans sa globalité et sa diversité tant au plan cognitif, qu’au plan
de sa relation à son environnement. »
Nous laissons de côté la rhétorique du texte de l’INSERM, mais nous retenons :
1. l’affirmation de la co-présence des troubles d’apprentissages et des troubles
émotionnels ou comportementaux, chez ceux qui font l’objet du rapport,
dyslexie, dysorthographie et dyscalculie ;
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Le rédacteur précise en préambule : « Cet ouvrage présente les travaux du groupe d’experts réunis par
l’Inserm dans le cadre de la procédure d’expertise collective, pour répondre à la demande du Régime social des
indépendants, anciennement la Canam, concernant la dyslexie, la dysorthographie et la dyscalculie. Ce travail
s’appuie sur les données scientifiques disponibles en date du deuxième semestre 2006. Plus de 2 000 articles ont
constitué la base documentaire de cette expertise. »
6
Ils sont accompagnés « souvent » de troubles émotionnels qui ne sont pas la conséquence du trouble dys, et
l’on parle de plus en plus de « complexe dys » en considérant l’instabilité des troubles et la coprésence fréquente
d’autres troubles dys.
7
C’est nous qui soulignons cette intéressante précaution verbale : on se demande en effet ce que signifie ici
« spécifique » pour le rédacteur.
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2. que les troubles émotionnels et comportementaux « souvent » présents ne sont
pas a priori la conséquence des troubles des apprentissages, ils ne sont pas non
plus considérés comme leur cause
8
.
Ces troubles émotionnels et comportementaux, curieusement, ne sont définis à
aucun moment dans le rapport - ils ne le sont pas non plus dans la CFTMEA R-
2000. Pour les définir, il faut recourir à la CIM 10.
2. Que sont les troubles comportementaux et troubles émotionnels associés ?
Ils sont classés parmi les « Troubles du comportement et troubles émotionnels
apparaissant habituellement durant l’enfance et l’adolescence ». Ils comprennent
diverses catégories, associant éventuellement des troubles des conduites. Elles
sont classées de F90 à F98 dans la CIM 10 :
F90 Troubles hyperkinétiques
F91 Troubles des conduites
F92 Troubles mixtes des conduites et troubles obsessionnels
F93 Troubles émotionnels apparaissant spécifiquement dans l’enfance
F94 Troubles du fonctionnement social apparaissant spécifiquement durant
l’enfance et l’adolescence
F 95 Tics
F96 Autres troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant
spécifiquement durant l’enfance et l’adolescence
Certaines de ces catégories, F93 et F94 nous intéressent particulièrement, parce
qu’elles concernent les enfants essentiellement et non les adultes, et intègrent
des symptomatologies fréquentes, qui paraissent entrer, et souvent entrent de fait
dans le cadre des variations - larges - de la normale. Nous citons :
F93 Troubles émotionnels apparaissant spécifiquement dans l’enfance. Ils sont spécifiés par
l’ « exacerbation de tendances normales du développement plus que des phénomènes
qualitativement anormaux en eux-mêmes
9
- C’est essentiellement sur le caractère approprié
au développement que repose la différenciation entre troubles émotionnels apparaissant
spécifiquement dans l’enfance et troubles névrotiques (F40-F48) » Chaque terme de cette
définition est important, définition proposée par la CIM 10, qui ne se trouve pas ailleurs.
Comme ces troubles peuvent emprunter de nombreuses expressions symptomatiques de
malaise chez l’enfant, les catégories qu’intègre F93 sont assez étendues. Mais dans tous les
cas, il s’agit de troubles dont l’expression habituelle est transitoire, et qui n’attirent l’attention
que par leur exagération ou leur persistance. La définition insiste sur le fait qu’ils ne peuvent
et ne doivent pas être confondus avec les troubles névrotiques. Ils intègrent notamment les
catégories suivantes :
8
Et pourtant…
9
Souligné par nous
5
F93-0 Angoisse de séparation de l’enfance, « (…) dans laquelle l’anxiété est focalisée sur une
crainte concernant la séparation, survenant pour la première fois au cours des premières
années de l’enfance- Il se distingue de l’angoisse de séparation normale par son intensité, à
l’évidence excessive, ou par sa persistance au-delà de la petite enfance, et par son
association à une perturbation significative du fonctionnement social. »
F93-1 Trouble anxieux phobique de l’enfance, « (…) caractérisé par la présence de craintes
de l’enfance, hautement spécifiques d’une phase de développement, et survenant (à un certain
degré) chez la plupart des enfants, mais dont l’intensité est anormale- et qui font partie du
développement psychosocial normal (celles qui n’en font pas partie sont exclues et renvoyées
aux troubles névrotiques. »
F93-2 Anxiété sociale de l’enfance : « (…) caractérisé par une attitude de réserve vis-à-vis
des étrangers et par une crainte ou une peur concernant les situations sociales nouvelles,
inhabituelles, ou inquiétantes- Cette catégorie ne doit être utilisée que lorsque de telles
craintes apparaissent dans la petite enfance, sont à l’évidence excessives et s’accompagnent
d’une perturbation du fonctionnement social. »
F93-3 Rivalité dans la fratrie : pour le cas non habituel d’une réaction émotionnelle excessive
et persistante, au point de perturber le fonctionnement social normal de l’enfant.
F 94 Les Troubles du fonctionnement social apparaissant spécifiquement durant l’enfance et
l’adolescence constituent une ensemble composite de troubles marqués par une perturbation
du fonctionnement social propre à l’enfance, « qui ne présente pas les caractéristiques d’une
difficulté ou d’une altération sociale », apparemment constitutionnelle, envahissant tous les
domaines du fonctionnement (à l’encontre de troubles envahissants du développement)- Dans
de nombreux cas, des perturbations ou des carences de l’environnement jouent probablement
un rôle étiologique primordial - On retrouve dans cette catégorie le « mutisme électif »
(concernant une situation bien déterminée, mais s’accompagnant d’anxiété sociale), le
« mutisme sélectif », mais aussi deux troubles dits « de l’attachement »,
F94-1 Trouble réactionnel de l’attachement de l’enfance, « (…) caractérisé par la présence
d’anomalies persistantes du mode de relations sociales de l’enfant, associées à des
perturbations émotionnelles, et se manifestant à l’occasion de changements dans
l’environnement (par exemple par une inquiétude et une hypervigilance, une réduction des
interactions sociales avec les autres enfants, une auto- ou une hétéroagressivité, une tristesse,
et, dans certains cas, un retard de croissance). »
F94-2 Trouble de l’attachement de l’enfance avec désinhibition, « (…) caractérisé par un
mode particulier de fonctionnement social anormal,(…), persistant habituellement en dépit de
modifications importantes de l’environnement- Exemples : conduites d’attachement
généralisé et non sélectif, demandes d’affection et sociabilité non discriminatives, interactions
peu différenciées avec les autres enfants ; des perturbations émotionnelles et d’autres troubles
du comportement peuvent enfin être associés, variables selon les circonstances. »
Ce large emprunt à la CIM 10 laisse encore de côté de nombreux troubles
émotionnels, et comportementaux, classés dans les autres catégories. F93 et F94
que nous avons seules détaillées nous paraissent suffire à illustrer notre propos,
parce qu’elles recensent des troubles que nous connaissons bien dans la pratique
des enfants dys, d’une part, et, pour cette raison même, parce que ces troubles,
sans être toujours nommés, sont depuis longtemps l’objet de toute l’attention des
enseignants spécialisés.
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