
— Certes, répondit le sage, vos élites ont été bien scolarisées. Elles ont lu Al-Jahidh et Al-Ma‘arrî; elles ont 
fait des maths et de la physique, les lettres et les sciences naturelles et même un peu de philosophie. Elles ont 
connu la gravité universelle, la thermodynamique et la sélection naturelle. Elles ont su que la terre est ronde, 
qu'elle tourne autour du soleil, que les planètes s'attirent selon la loi de Newton, que le cœur se trouve à 
gauche, qu'il bât, comme l'a montré Harvey, en envoyant le sang dans les artères et en le recueillant par les 
veines, que l'humanité plonge ses racines dans l'animalité, etc. Mais un jour, elles ont décidé d'oublier tout 
cela, de cadenasser leur tête et d'aller s'assoir devant un «meddeb» (maître d'école coranique, Ndlr) qui croit 
que la terre est plate, qu'elle est au centre du monde, que le soleil tourne autour d'elle; qui ne sait de quel côté 
se trouve le cœur, ni comment il bat, ni comment se fait la digestion, ni la respiration, ni où se trouve 
Ndjamena, ou Tombouctou; qui croit fermement que l'humanité provient d'Adam qui a tiré sa compagne de sa 
côte inférieure, que nous sommes surveillés par deux anges et menacés par les djinns, etc. C'est chez ce 
«meddeb» que vos élites, enseignants, ingénieurs, médecins et avocats, sont allées apprendre comment 
approcher son épouse, comment se comporter avec ses enfants, avec ses voisins, ses patients et ses clients; 
comment égorger le mouton, par quoi rompre le jeune, sur quel pied descendre du lit le matin et quantité 
d'autres questions hautement métaphysiques ! 
— Oh grand sage, avions-nous répondu, mais quel est l'origine de ce terrible mal ? 
— Le despotisme, mes enfants, le despotisme ! C'est lui qui est responsable de vos maux ; c'est lui qui, 
imposant l'idée de despote/père, fait régresser les peuples et infantilise les hommes ; c'est lui qui avilit les 
consciences et asservit les âmes. C'est lui qui, vidant les lycées et les universités de leur substance, fait qu'au 
lieu de produire des savants et des poètes, ils produisent plutôt de hauts techniciens de la mort! 
— Oh grand sage! Vous nous avez terrassés par ces révélations, mais que faire? 
— Battez-vous mes enfants, battez-vous courageusement contre l'obscurantisme; diffusez les Lumières. 
Ouvrez les livres, consultez vos marabouts: ils vous diront tous: «Lumières, Lumières!» D'Al-Fârâbî à Ibn 
Rushd, de Galilée à Descartes, de Diderot à Rousseau, pour ne pas en citer d'autres, ils vous répéteront tous, 
comme Mhamed Ali et Hached, la même leçon, celle qu'a résumée depuis longtemps le vieux sage de 
Kœnigsberg: «Accédez à la majorité, pensez par vous mêmes!». 
Tout d'un coup, une tempête se leva qui emporta à l'instant Zarathoustra, ne nous laissant qu'un écho qui 
retentissait dans les airs : Lumières, Lumières, Lumières ! 
(Chroniques des années surréelles, 28/6/15). 
* Professeur de philosophie.  
 
 
 
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