Comment trouve-t-on du travail ?
Document 3 : l’enquête de Boston
Granovetter ne se contente pas d’énoncer les principes théoriques qui fondent la « force des liens faibles », il en propose une
vérification empirique en l’appliquant à l’étude des processus de recherche d’emploi. L’échantillon de l’étude est composé
d’environ 300 cadres, techniciens et gestionnaires ayant récemment changé d’emploi. Premier constat, ces salariés
américains trouvent plus souvent leur emploi par leurs relations personnelles que par n’importe quel autre moyen : c’est le
cas de 56 % des personnes interrogées dans cette enquête. Ensuite, Granovetter s’intéresse à la fréquence de leurs contacts
avec l’individu qui leur avait donné l’information leur ayant permis de trouver cet emploi. Or il apparaît qu’à la question «
combien de fois avez-vous vu le contact au cours de la période où il a fourni l’information pour l’emploi ? », les réponses
sont : souvent (au moins deux fois par semaine) pour seulement 16,7 % des personnes interrogées, contre occasionnellement
(moins de deux fois par semaine) pour 55,6 % et rarement (une fois par an ou moins) pour 27,8 % d’entre elles
respectivement. À partir de ces résultats, et de ceux obtenus dans d’autres enquêtes, Granovetter [1973, p. 72] concluait que
les liens faibles, souvent dénoncés comme source d’anomie et de déclin de la cohésion sociale, pouvaient apparaître au
contraire comme « des instruments indispensables aux individus pour saisir certaines opportunités qui s’offrent à eux, ainsi
que pour leur intégration au sein de la communauté », alors que les liens forts engendraient de la fragmentation sociale.
Mercklé, sociologie des réseaux sociaux, La Découverte, coll. Repères, 2011
Document 4 : Marché du travail et relations sociales
Sans parler des économistes insatisfaits par une représentation théorique laissant largement inexpliquée la persistance d'un
chômage de masse sur plusieurs décennies, la sociologie économique étudie la recherche d'emploi en posant la question suivante:
comment les emplois à pourvoir sont-ils occupés par ceux qui en recherchent un ? Cette question, faussement simpliste, est le
point de départ de toute une série de recherches qui aboutissent à identifier les institutions et rapports sociaux grâce auxquels
fonctionne le marché du travail. […]
Granovetter fait état des réponses fournies par un échantillon de 256 cadres de la région de Boston. À la question «Avez-vous
cherché activement un nouveau travail avant d'obtenir celui que vous occupez? » environ 30 % des personnes répondent
négativement. De plus, le taux de réponses négatives progresse avec le niveau du salaire annuel (24 % pour un salaire inférieur à
10000 dollars; 43 % pour un salaire supérieur à 25 000 dollars). L'auteur mentionne aussi la situation symétrique d'emplois qui
n'étaient pas à pourvoir, mais qui ont été créés parce qu'une personne apte à les remplir s'est présentée - 35 % des personnes de son
enquête sont dans ce cas. L'approche économique du marché du travail est donc prise en défaut puisque, d'un côté, un nombre
significatif d'emplois est attribué à des individus qui ne les ont pas cherchés, alors que, d'un autre côté, un nombre tout aussi
significatif d'emplois n'est pas offert sur le marché, mais donne lieu à des créations lorsque se présente une personne adéquate
pour les occuper. Quel mécanisme autre que le marché permet l'adéquation entre les emplois à occuper et les personnes à leur
recherche?
Granovetter suggère de considérer les moyens utilisés par les individus pour trouver un emploi. Il en distingue trois: la démarche
directe ou candidature spontanée auprès d'entreprises vis-à-vis desquelles l'individu n'a aucun contact personnel; les médiations
formelles telles que les annonces, les organismes privés ou publics de placement; les contacts personnels pour lesquels il existe un
intermédiaire entre l'emploi et la personne qui va l'occuper. 56 % des personnes de son échantillon sont passées par des contacts
personnels, contre 19 % pour la démarche directe et pour les médiations formelles (6 % passant par d'autres modalités). Les
résultats de l'enquête de Granovetter [montrent qu’] une forte proportion d'individus trouve son emploi par l'intermédiaire de
contacts personnels. De surcroît, […] les personnes appartenant à l'échantillon étudié ont des emplois mieux rémunérés et un
indice de satisfaction au travail plus élevé lorsque l'emploi a été obtenu grâce à un contact personnel - surtout par rapport à ce qu'il
en est des emplois obtenus grâce aux médiations formelles.
Arrivé à ce point, on ne peut manquer de se demander pourquoi tous les individus ne passent pas par une telle méthode d'obtention
de l'emploi. C'est ici que la structure sociale dans laquelle l'action des individus est immergée prend toute son importance. On ne
peut pas dire qu'il y ait véritablement une situation dans laquelle l'individu se déterminerait parmi un ensemble de choix possibles.
En fait, certains ont les bons contacts et d'autres ne les ont pas: « En général, un déterminant plus important (que les
caractéristiques culturelles ou religieuses) du comportement réside dans la position occupée dans le réseau social. Par ce terme, il
s'agit de tenir compte de l'identité non seulement des personnes que l'individu connaît et des relations qu'il a avec eux, mais aussi
de l'ensemble des personnes connues par les relations et ainsi de suite. La structure et la dynamique d'un tel réseau, quelque
difficile que soit leur analyse, déterminent largement quelle information sera à la disposition d'un individu et dans quelle mesure
telle ou telle opportunité s'offre à lui» [Granovetter, 1974, p. 17-18]. […]
Steiner, sociologie économique, La Découverte, coll. Repères, 2007, p.60-62
Document 5 :
[L’analyse de réseaux - comme formes de coordination des actions économiques - appliquée au] marché du travail permet de
comprendre comment les marchés sont encastrés dans des réseaux de sociabilité. Dans Getting a job. A Study of Contacts and
Careers (1974), Granovetter montre en quoi le marché «concret» du travail est diffère de la représentation que s'en font
traditionnellement les économistes. Au début de son étude, il se demande, de manière apparemment triviale comment font
réellement les gens pour trouver du travail (Granovetter, 1973, 1974, 1982). À partir d'une enquête empirique menée auprès
d'environ 300 cadres travaillant près de Boston, le sociologue constate que de nombreuses personnes – surtout les cadres
supérieurs travaillant pour des petites et moyennes entreprises - n'ont en réalité jamais cherché l'emploi qu'elles occupent.
L'idée selon laquelle le marché du travail résulte d'un ajustement entre l'offre et la demande de travail s en trouve relativisée.
Granovetter met alors en évidence l'importance des réseaux informels par lesquels les individus accèdent à un emploi.