Chloé Riban Camille Ruiz Cindy Verger Colonisation et décolonisation en Méditerranée Dossier réalisé dans le cadre du cours Le Système Méditerranéen M.Tozy 1er semestre 2011 Introduction La Méditerranée est un espace marqué par une histoire d’occupation entre les peuples. Le dictionnaire Larousse définit la colonisation comme un « territoire occupé et administré par une nation en dehors de ses frontières, et demeurant attaché à la métropole par des liens politiques et économiques étroits ». Cependant, nous estimons que ce sujet est trop complexe pour être traité dans un dossier merdique de quinze page. Nous allons cependant nous interrogerons sur l’effet de ces occupations sur le territoire méditerranéen. C’est à travers l’exemple des deux grandes vagues de colonisation et de la décolonisation que nous entendons comprendre les causes et les incidences de ce phénomène. Par soucis d’intelligibilité et du fait de la largeur du sujet, nous avons fait le choix de présenter une chronologie non exhaustive des événements et de nous concentrer sur quelques aspects essentiels. 1 Partie I. La colonisation dans l’Antiquité Les colonies grecques (Carte provenant du http://www.encyclopedie.bseditions.fr/image/article/carte/GRANTCARTE001.jpg) site S’il y a eu colonisation grecque dans l’Antiquité, en parler en ces termes relève de l’anachronisme car il ne recouvre pas les même réalités que dans le monde moderne. En effet, les mot “colonie” découle du terme latin colonia et fait donc référence à des comportements impérialistes qui ne sont pas pertinents pour l’étude de la colonisation grecque puisqu’il n’y avait pas d’unité politique. En grec, apoikia signifie simplement “une maison loin de la maison”, la transplantation de citoyens hors de la Cité. Jean Bérard propose un rapprochement entre ce phénomène et l’image d’un essaim d’abeille, qui, lorsque la population est trop nombreuse, se scinde en deux essaims. L’un reste sur place tandis que l’autre s’établit ailleurs et devient ainsi une communauté indépendante de la première. La colonisation grecque a lieu du VIIIe siècle au VIe siècle avant J.-C., lorsque des colons grecs quittent la Cité mère (métropolis) pour fonder une nouvelle ville en terres barbares. Dans un premier temps, ce mouvement se dirige vers la Mer Noire, la Lybie, ainsi que l’Italie méridionale et la Sicile. 2 Chronologie et géographie générales Le peuple phénicien est le premier à étendre son influence aux deux bassins méditerranéens, grâce aux innovations de leurs techniques de navigation, qui leur permettent d’entreprendre des voyages plus poussés et également d’établir des comptoirs commerçants sur les côtes. Les grecs s’inspirent du modèle afin de fonder des comptoirs et des ports marchands dans leurs colonies. Ainsi, les premiers colons grecs cherchent des terres agricoles et proviennent majoritairement de l’Ile d’Eubée et de Grèce Continentale. Selon des faits rapportés par Thucydide, les premières colonies sont fondées par les chalcidiens et des erétriens en -770 dans les îles Pithécousses. Des mégariens fondent Mégara Hyblaea vers -750, tandis que Syracuse est fondée par des corinthiens en -733. En général, on distingue deux phases du mouvement colonial grec : la première phase, dite modérée, se situe environ entre -775 et -675. Durant cette période, les métropoles sont encore peu nombreuses et la colonisation se réduit donc à quelques fondations isolées, dans des zones réduites. Lors d’une seconde phase, dite accélérée, de -625 à -510, le phénomène s’amplifie et les motifs commerciaux prennent de l’importance, ce qui permet l’enrichissement des cités. Certaines colonies, comme Syracuse, établiront elles-mêmes des colonies. Avant d’établir de véritables cités, les colons installent au préalable des comptoirs sur les côtes, en Occident ou sur les contours de la Mer Noire, afin d’acheminer les marchandises de l’arrière-pays. C’est ainsi, par exemple, que Phocée fonde Massalia au début du VIe, dans l’optique de se procurer des métaux. Par la suite, ces comptoirs se transforment peu à peu en cités. Cependant, à l’exception de Naucratis et Cyrone, on trouvait peu de colonies sur la côte orientale de la méditerranée et sur les côtes africaines car ces rivages étaient occupés par les phéniciens. Durant ces trois siècles, le monde grec connaît une grande extension. Cependant, les grecs n’exercent jamais un contrôle continu sur de vastes territoires comme le sera la colonisation plus tard. Il s’agit donc d’une série de comptoirs de superficie limitée, et séparés. Les causes de départ Il existe de multiples causes d’expatriations mais les principales sont le surpeuplement et la mauvaise qualité du sol, les luttes politiques internes aux communautés, ainsi que le désir de développer le commerce. En effet, la pauvreté du sol, ajoutée au surpeuplement, est telle qu’une augmentation démographique, fut-elle légère, conduit à l’impossibilité de nourrir l’intégralité de la population. Les zones de départ sont donc celles où le sol est peu propice à l’agriculture, et la répartition de la propriété foncière est inégale. De plus, certaines cités sont troublées par des luttes intestines, ce qui peut pousser un groupe de personnes à s’expatrier. Selon Strabon, la colonie de Rhégion a été en partie fondée par des Chalcidiens, qui avaient été chassés de Chalcis suite à une disette en Eubée. La cité aurait contraint un dixième de ses citoyens à quitter les lieux. 3 Enfin, l’argument commercial n’est pas négligeable dans les motivations des grecs à l’expatriation. Le premier établissement grec en Occident date de -770 à Pithécusses, dans l’île d’Ischia. Cette colonie devait constituer un lieu d’échange entre Orient et Occident. Cependant, il convient de préciser que ces mouvements ne correspondent pas à des départs massifs mais étaient souvent limités à quelques centaines de colons, provenant souvent de différentes cités. Par exemple, la colonie d’Appolonia d’Illyrie aurait été fondée par Gylax, accompagné de corinthiens et de colons venus de Corcyre. L’établissement colonial n’est donc pas le fait d’une cité unique, mais, par la suite, les récits de fondations sont remaniés voir totalement réécrits, afin que la colonie soit liée à une unique métropole. Les conditions de création de la colonie Il convient de distinguer les colonies autonomes (apoikia), dont les seuls liens avec la métropole sont religieux, et les clérouchies, instaurées par Athènes au Ve siècle, qui font partie du territoire de la Cité et dont les colons demeurent citoyens. Hérodote a montré le rôle de l’oracle d’Apollon à Delphes dans la fondation d’une cité en terres étrangères et surtout dans le choix du lieu de l’implantation. La Pythie peut encourager ou dissuader les colons. Le sacré et les divinités jouaient un rôle important dans la délimitation de l’espace. Le transfert religieux de la cité mère à la nouvelle colonie s’opère notamment par le symbole du feu sacré, que les colons amènent jusqu’à la terre nouvelle. La création de la colonie s’appuie également sur un fondateur, appelé oikiste, dont le rôle est de diriger la fondation coloniale et l’expédition. Il est, après sa mort, objet d’un culte, comme par exemple Nattos, fondateur et roi de Cyrène. Le fondateur est en général choisit dans une ancienne famille et doit consulter Delphes pour connaître l’opportunité d’un départ et le lieu choisi par les dieux. Suite à quoi, les colons partent seuls, sans femme ni enfant, afin d’établir leur domination sur les indigènes et d’installer le feu sacré de la métropole. La colonie classique devient par la suite indépendante de la métropole, même si elle a souvent adopté ses institutions et ses divinités. Les colons gardent parfois des obligations religieuses envers leur métropole mais il n’y a en revanche pas d’obligation de soutien militaire ou d’échanges commerciaux exclusifs. Ils échangent leur ancienne citoyenneté pour celle de la nouvelle colonie. L’insertion de la colonie dans un nouvel environnement peut s’avérer une réussite, comme lors de la fondation de Massilia, rapportée par Strabon, avec le mariage de Protis et de Gyptis, fille du roi des Ségobriges, qui symbolise l’union des deux populations. Dans d’autres cas, la rencontre est moins fructueuse : par exemple, en Egypte pharaonique, les grecs étaient cantonnés au comptoir de Naucratis et dépourvus de liberté de circulation dans le reste des terres. 4 La colonisation romaine (L’Empire Romain http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/images/Empire_romain2.gif) Durant la période de l’Empire Romain, la mer Méditerranée est envisagée comme le « lac romain », on parle de Mare Nostrum. La colonisation romaine est à différencier de la colonisation grecque. En effet, si les colonies grecques sont autonomes vis-à-vis de leur cité fondatrice, la colonisation romaine relève d’un plan méthodique de puissance et d’ambitions politiques, et sert en cela la cité principale. Les colonies romaines sont clairement destinées au contrôle d’un territoire. Ce sont d’abord des garnisons militaires, qui évolueront en colonies de peuplement à partir du IIIe siècle avant J.-C. Leur implantation suit l’extension de la domination romaine : en Italie, puis en Sicile, en Sardaigne, en Hispanie et enfin en Afrique. Les Res Gestae d’Auguste nous donnent des informations importantes sur la colonisation. Le but des colonies romaines est de transformer des villes déjà existantes, dans l’optique de leur procurer de l’importance et du prestige, et non pas de fonder une ville ex-nihilo comme cela a pu être le cas au temps des grecs. Il convient cependant de distinguer deux types de colonies : La colonie dite romaine (colonia civum romanorum) remonte à l’époque de la République et désigne une sorte d’avant-poste de l’état romain. Rome envoie quelques soldats sur des territoires stratégiques d’Italie. Ce type de colonie obéit à un objectif de romanisation. La cité nouvellement 5 fondée est une copie de Rome et de ses institutions, avec des magistrats et notables réunis en conseil municipal. Les colons restent des citoyens romains. Par la suite, à partir du Ier siècle, on assiste à la multiplication des colonies de vétérans, afin de satisfaire les soldats en leur distribuant des terres conquises. La colonie latine est différente car elle est constituée de citoyens romains et de latins, donc de citoyens ne bénéficiant pas de la totalité des droits civiques et politiques. Ces colonies sont destinées à devenir des cités autonomes et répondent à un objectif d’exploitation du sol. Jusqu’à sa dissolution en -338, le droit latin y demeure pour les résidents et ceux-ci n’ont pas accès aux droits civiques romains. On peut identifier trois périodes de colonisation : Les colonies sont donc en premier lieu un instrument de conquête politique et sont placées de manière stratégique, afin de relayer les fondations de la Ligue Latine. D’autres poursuivent un objectif plus agricole et contribuent ainsi à la puissance romaine. La première colonie date de la Rome Antique. Ostie est fondée en -350, par le roi Ancus Martius, dans le but de contrôler l’embouchure du Tibre. Plus tard, avec la crise de la République, elles seront un moyen de se débarrasser des prolétaires et des vétérans. C’est aussi, vers le IIe siècle avant J.-C., un moyen de répondre aux problèmes de mobilisation : afin de compléter les troupes, un système d’armée volontaire composé de prolétaires et de citoyens de seconde classe se met en place. Ceux-ci se verront assigner des terres coloniales à la démobilisation. Par la suite, à l’époque impériale, la colonisation permet la diffusion de la culture romaine sur l’Europe méridionale. Cependant, avec l’édit de Caracalla en 212, qui attribue la citoyenneté romaine à tous les hommes et femmes libres de l’Empire, la colonisation s’affaiblit. 6 Partie II. La colonisation du XIXème siècle Contrairement à l’Antiquité, le Moyen-âge n’est pas marqué par des phénomènes de colonisation. Cette période est donc caractérisée par l’ouverture d’échanges au sein de la Méditerranée mais sous d’autres formes, telles que les Croisades. Pourtant, rapidement, l’Empire Ottoman s’affirme comme une puissance dominante et dès le XVIIème siècle, des formes de colonisation réapparaissent en Méditerranée, pour prendre leur forme la plus aboutie au XIXème siècle, avec la colonisation de la rive Sud par les pays de la rive Nord. Les motifs de la colonisation La colonisation ne se fait pas « naturellement » et de nombreuses raisons et idéologies soustendent l’expansion coloniale. On peut tout d’abord citer les motivations générales qui animent les colonisateurs. Il s’agit en effet d’améliorer la croissance économique de la métropole. Or, les colonies représentent des débouchés, de la main d’œuvre, des matières premières etc. Les colonies permettent donc de développer le commerce et le crédit, dans une perspective de préférence coloniale, c’est-à-dire d’échanges privilégiés entre les deux entités. Cette motivation prend tout son sens au moment de la Révolution industrielle en Europe, qui suscite la recherche de nouveaux marchés. Des raisons démographiques sont aussi invoquées par les responsables politiques de la seconde moitié de ce millénaire, les colonies représentant un déversoir pour les populations pauvres ou trop nombreuses des métropoles. Enfin, la géopolitique joue un rôle déterminant dans les processus de colonisation, ces territoires outre-mer constituant des points d’appui pour la marine marchande mais aussi de potentielles bases militaires. Les colonies sont également l’expression du nationalisme et de la recherche de prestige des métropoles, en pleine expansion au XIXème siècle. Ces différentes raisons poussent donc au XIXème siècle les pays de la rive Nord de la Méditerranée à étendre leur territoire, faisant de cette mer le théâtre de leurs affrontements, mais elles ont aussi joué un rôle dans la création et l’expansion de l’Empire ottoman, avec des variations liées à l’époque en question. Des motifs plus particuliers, notamment de politique intérieure poussent également les pays à la colonisation. Ainsi, en 1830, la France s’empare d’Alger - alors aux mains des Turcs depuis le XVIème siècle, sous un régime de dey plus ou moins autonome - pour une sombre histoire de créances. Il ne s’agit donc à l’origine que d’une expédition militaire qui tourne pourtant à la domination absolue afin de mater les contestations naissantes – suite à une proposition en ce sens du Maréchal Bugeaud. Mais l’Algérie n’est qu’un des rares exemples de colonie de peuplement au XIXème siècle. De même, les enjeux autour du Canal de Suez en Grande-Bretagne relèvent pour une bonne part de troubles politiques intérieurs. 7 Géographie de la colonisation en Méditerranée Au XVIIème siècle, l’Empire Ottoman est très étendu. Il longe les rives Sud de la Méditerranée jusqu’à Oran et impose des régimes plus ou moins souples aux populations concernées. Ainsi, un dey est en fonction en Algérie et un vice-roi en Egypte. Figure 1 L'expansion ottomane de 1300 à 1700 - Carte Hachette multimédia Les autres pays méditerranéens (Espagne, cités Italiennes, France) luttent pour Gibraltar par exemple mais sont plus centrés sur l’Europe que sur la Méditerranée. Les jeux d’alliance mis en place tournent notamment autour de la Prusse, mais on n’assiste pas à des mouvements de colonisation à proprement parler, les intérêts étant davantage portés sur l’Europe centrale et orientale. 8 Figure 2 La Méditerranée au XVIIème siècle Au XVIIIème siècle, avec Napoléon, la France commence à revendiquer une expansion territoriale. Ainsi, sous le Directoire, la lettre de Tayllerand posant les prémices de l’expansion coloniale en Méditerranée marque le coup d’envoi du projet colonialiste et le justifie par un discours méditerranéiste. Ainsi, l’influence française se manifeste avec l’organisation de l’Italie en républiques sœurs en 1797 - à l’image de la France - et l’occupation de l’Espagne (où la révolte est écrasée dans le sang les 2 et 3 de Mayo 1808). Mais l’intérêt pour la Méditerranée va plus loin, nourrie par une curiosité naissante pour l’Egypte qui prend forme dans la campagne de 1798 pour couper la route aux Britanniques. C’est au XIXème siècle, que la remise en cause progressive de l’Empire ottoman ouvre la voie à l’expression des revendications territoriales des pays de la rive Nord. En effet, en 1814, la Grèce commence à lutter pour son indépendance contre les Turcs et ce mouvement se répand dans les Balkans dans la seconde moitié du XIXème siècle avec la création de la Ligue balkanique. De même, Mohamed Ali, le vice-roi d’Égypte, acquiert des terres au Proche-Orient par des batailles contre les Ottomans dans la première moitié du XIXème siècle. Il devient ainsi Pacha héréditaire de l’Egypte et du Soudan - mais la souveraineté demeure ottomane. En 1880, les Ottomans sont cependant toujours présents jusqu’à l’Algérie (alors devenue française). Or, l’ouverture du canal de Suez en 1869 augmente l’importance de la Méditerranée et du Proche-Orient aux yeux de la rive Nord car il mène à la route des Indes. La Grande-Bretagne achète donc une partie des parts du canal à l’Egypte en 1875, prélude à une réimplantation britannique en Egypte en 1882. 9 En 1884, la Conférence de Berlin permet aux puissances européennes de se « partager » l’Afrique, les pays méditerranéens de la rive Sud se trouvant alors dans une position centrale : à la fois potentielles expansions territoriales mais aussi voies de passage vers le Sud du continent africain. Plus spécifiquement et pour les raisons invoquées ci-dessus, la France notamment, mais aussi l’Italie cherchent à augmenter leur zone d’influence en Méditerranée. En 1881, la France impose donc un protectorat au bey de Tunisie par le traité du Bardo et fait de même en 1912 au Maroc par le traité de Fès (seule une petite partie du Maroc continue à dépendre de l’Espagne). En 1912, l’Italie s’impose aussi en Lybie face aux Turcs suite à une guerre qui se solde par le traité de Lausanne – ce sera sa seule réussite en Méditerranée. En 1914, le Maghreb est donc entièrement occupé par la France et l’Italie et seule l’Egypte est colonisée (depuis 1882) par un pays non-méditerranéen, la Grande-Bretagne. L’Espagne, ébranlée par la perte de ses anciennes colonies en Amérique du Sud au cours du XIXème siècle (la dernière, Cuba, devient indépendante en 1898) ne prend pas part à ce partage de la rive Sud. Figure 3 Le monde méditerranéen au début du XXème siècle - Carte Le Monde Diplomatique On assiste donc, à partir du XVIIème siècle et avec une vigueur plus particulière au XIXème siècle, à la colonisation systématique des pays de la rive Sud de la Méditerranée. Les effets de la colonisation La colonisation en Méditerranée au XIXème siècle a eu de nombreux effets. Il faut néanmoins être conscient que de nombreuses formes de colonisation ont eu cours, de la colonie de peuplement au protectorat et de l’assimilation à l’association. En effet, la vision universaliste de la Nation en France a tendu, en Algérie notamment, à provoquer l’assimilation des populations autochtones, par 10 le biais de l’école et la formation des élites par exemple, mais également au travers des institutions et des infrastructures. Pourtant, le racisme était toujours présent, sous une forme paternaliste par exemple. En revanche, les Britanniques ont moins cherché à imposer leurs cadres de référence, ce qui ne dénote pas moins du racisme ambiant, exprimé par la condescendance envers les peuples colonisés. Par ailleurs, on peut considérer que la colonisation a globalement généré une paupérisation des peuples autochtones, leurs ressources étant détournées au profit de la métropole et les populations étant exploitées. L’imposition de la culture des colonisateurs a aussi créé une pauvreté plus intellectuelle, tous ne bénéficiant pas des structures mises en place par les forces colonisatrices. Cette tendance a bien sûr été préjudiciable par la suite, les indigènes n’ayant donc pas pris l’habitude de gérer par eux-mêmes les institutions garantes de la bonne marche du système ou dépendant dorénavant des méthodes imposées par la rive Nord. Enfin, des inégalités au sein des peuples colonisés ont été cultivées par les colons afin d’asseoir leur domination, mettant en péril la reconstruction future de ces pays. A ce titre, la fondation en France en 1889 de l’Ecole coloniale révèle les réels effets qu’a eus la colonisation sur la formation des élites des deux côtés de la rive. Le maintien de la présence française – et plus généralement de toutes les puissances colonisatrices – apparaît donc comme un enjeu de pouvoir sur la scène méditerranéenne. Toutefois, l’importation de techniques en provenance de la rive Nord a aussi contribué à une circulation des capitaux en Méditerranée, qui s’est certes, déroulée au détriment de certaines populations mais a permis une mise en contact des différentes civilisations et a renforcé les imbrications entre les pays méditerranéens, même si cela n’a pas toujours été positif. Une autre conséquence de la colonisation en Méditerranée est la diffusion d’une représentation imaginée et imaginaire des pays de la rive Sud. L’exotisme, les clichés se sont développés des deux côtés de la mer. Une mythification de la colonisation et des pays colonisés est donc apparue, marquant profondément l’inconscient collectif des peuples. 11 Partie III. La décolonisation Le processus de décolonisation s’opère dès la fin de la seconde guerre mondiale et concerne la rive sud de la Méditerranée et en particulier les pays d’Afrique du Nord tels que l’Algérie, la Lybie, le Maroc, la Tunisie. La décolonisation illustre un rapport de forces inégal entre la rive sud et la rive Nord (l’Europe). Ce processus ne concerne pas que des pays méditerranéen, la Grande Bretagne est impliquée car elle possède des colonies. Cela confirme une attraction forte pour la Méditerranée parce que c’est un lieu intéressant de transit et de richesses. Les facteurs clé de ce processus est la vision ethnocentrique et infantilisante qu’avaient les européens des pays colonisés. Ils jugeaient ainsi qu’il faudrait de nombreuses années avant que l’Afrique ne puisse accéder à l’indépendance. Ils pensaient aussi que l’Afrique n’a pas d’histoire. Bien que certains européens soient installés dans des colonies, ils en y en ignoraient souvent la culture. Aussi, les peuples décolonisés n’emploient pas le terme « décolonisation » mais préfèrent : « lutte de libération » ou encore « résurrection de l’indépendance ». L’après seconde guerre mondiale Le contexte d’après-guerre Le déclin de l’Europe est amorcé dès la première guerre mondiale et se renforce durant la seconde guerre mondiale. La plupart des pays colonisateurs, dont la France notamment, n’apparaissent plus comme de grandes puissances. De plus, les peuples colonisés ne supportent plus la tutelle de pays qui leur demandent de combattre en première ligne sans leur accorder ensuite de droits. On leur demandait en effet de se battre pour des principes qui n’étaient pas appliqués dans les colonies. Durant la seconde guerre mondiale, la rive nord est tantôt envahie, tantôt un lieu de repli pour les Américain (débarquement en 1942) et les résistants. C’est donc un territoire qui apparait décisif dans cette guerre. Le déroulement de la guerre donne naissance à des mouvements nationalistes. Avec la capitulation d’une partie de l’Europe, les chefs locaux reprennent une partie de leur souveraineté. Tunisie : Bey Moncef crée un gouvernement autonome fait de nationalistes. Il est déporté par le gouvernement du général Juin. Bourguiba prend le relais avec le Néo-Destour. Maroc : L’élan nationaliste encouragé par les américains retombe lors de la libération de la France. Algérie : Le manifeste du peuple Algérien en 1943 structure le mouvement nationaliste. Les britanniques sont plus opportunistes que les français car ils savent depuis le début que la colonisation ne peut durer : une fois devenue forte une colonie aspire à son indépendance. Il ne faut pas résister à la dissolution mais plutôt la préparer de manière à garder de bonnes relations diplomatiques et commerciales ensuite. La seconde guerre mondiale engendre un véritable bouleversement des consciences et un besoin de changements sociaux importants. Ainsi l’adoption de la Charte des Nations unies et la Déclaration universelle des droits de l’Homme vont servir aux colonisés. 12 La Crise du canal de Suez Cette crise fait comprendre aux britanniques que le monde a changé. En 1952 en Egypte un coup d’Etat est réalisé par de jeunes officiers qui renversent le roi Farouk et installent le Colonel Gamal Nasser au pouvoir. Celui-ci négocie en 1954 un traité avec la Grande Bretagne pour que les troupes britanniques quittent le canal de Suez en 1956. Puis, Nasser nationalise le canal. Cette décision va à l’encontre des intérêts français et britanniques qui contrôlaient auparavant les activités du canal. Ils sont en effet très dépendants du pétrole qui transite par le canal de Suez. Ils forment alors un accord avec Israël pour attaquer l’Egypte sans consulter l’OTAN. L’ONU condamnant l’action, les Etats-Unis mettent en place des pressions financières et ils se retirent. URSS Durant la guerre froide, l’URSS soutient les pays afro-asiatiques dont les revendications sont portées par l’Egypte et défendues à l’ONU. En 1945, certain groupes nationalistes adoptent l’idéologie marxiste et se fédèrent autour de grandes personnalités comme Bourguiba en Tunisie. Beaucoup d’hommes lient théorie et action militante. On lutte pour l’autodétermination et l’égalité sociale. Staline dès 1947, proclame la nécessité de développer la subversion dans les pays colonisés. Les partis communistes européens quant à eux, sont plus nuancés : l’émancipation des colonies et le processus d’indépendance doivent se mettre en place si les colonies ont acquis une maturité suffisante. Le PC français se montre très réservé sur « le cas » algérien en 1954. Les Etats-Unis : un jeu ambigu Le droit à l’autodétermination des peuples - Wilson, Les quatorze points, 1918 Les Etats-Unis quant à eux jouent un rôle ambigu entre promotion des peuples opprimés (principe wilsonien depuis 1918) et préservation de la puissance européenne pour faire bouclier contre l’URSS. Les Etats-Unis, ont un rôle très important. Ils renouent dès 1941 avec la tradition wilsonienne interventionnisme. La Charte de l’atlantique d’août 1941, reprend de nombreux thèmes abordés par Wilson en 1918 dans son célèbre texte, Les quatorze points, qui défend « le droit de chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre. » Les Etats-Unis vont surtout jouer un double jeu. En effet, pour s’assurer le soutien de ces peuples durant la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis leur laissent entrevoir la possibilité de leur émancipation. Ainsi, Roosevelt insiste plusieurs fois sur le fait que les Etats-Unis ne sont pas rentrés en guerre pour que les Etats européens conservent leurs empires coloniaux. Une refonte du statut politique des colonies est nécessaire une fois la paix assurée. Ils prévoient un processus d’indépendance avec au départ une tutelle internationale. Mais avec la guerre froide et le soutien de l’URSS aux peuples colonisés, les Etats-Unis reviennent sur leurs premiers propos. 13 Conférence de San Franscisco (avril-juin 1945) : l’émancipation se transforme en simple autonomie. Dans cette zone sud de la méditerranée la « contagion » marxiste est moins forte et les Etats-Unis se montrent plus conciliateurs qu’en Asie. Le rôle de l’ONU Deux bloc s’affrontent : un bloc colonial (France, Belgique, Pays-Bas et Grande Bretagne) et un bloc anti-colonialiste (pays latino-américain et arabo asiatique). L’Egypte se fait le porte-parole des pays arabes et demande en 1951 à inscrire dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le droit à l’autodétermination. Les Etats-Unis s’y opposent. La direction prise par l’ONU va vers une disparition des systèmes coloniaux et elle accuse les pays Européens de ne pas respecter les droits de l’Homme. La conférence de San Francisco accélère la mise sous tutelle des pays colonisés et la transition vers l’indépendance : elle parle de « favoriser le progrès politique, économique et social des population (…) vers la capacité de s’administrer elles-mêmes ou l’indépendance ». L’ONU permet un règlement statutaire des indépendances. La Résolution 328, votée en 1949 , incite les colonisateurs à promouvoir l’usage des langues indigènes. Avec le Traité de février 1947, les colonies italiennes deviennent indépendantes. Les nationalistes et l’indépendance Les nationalistes et leurs revendications Les nationalistes de la zone méditerranéenne se mobilisent dès l’entre deux guerre. La direction qu’ils prennent est différente selon qu’il s’agit de colonies françaises ou britanniques. Deux groupes ont joué un rôle important dans la décolonisation : les groupes syndicaux et les mouvements de jeunesse. Les leaders des groupes syndicaux sont souvent des jeunes instruits en l’Occident, mais qui ont peu d’espoir d’accéder à des positions dominantes. Deux courants différents s’affrontent : - Les réformateurs religieux qui veulent un retour aux sources de l’Islam et sont inspirés par les intellectuels musulmans de l’université d’El-Azhar en Egypte. Le mouvement des réformateurs laïcs (en Tunisie Bourguiba) qui prône la modernisation de leur pays pour le libérer. La Tunisie connaît une révolution politique et institutionnelle. Ainsi, le Destour (parti traditionnaliste) s’oriente vers une lutte politique et institutionnelle. En 1934, le Néo-Destour animé par Bourguiba revendique une indépendance par étape et le suffrage universel. Le Maroc suit le modèle tunisien et s’oriente avec le mouvement des « jeunes Marocains » (derrière le sultan Mohammed Ben Youssef) vers la revendication de libertés démocratiques et l’égalité entre marocains et français. En 1944, le parti de l’Istiqlal réclame la fin du protectorat et la proclamation d’une monarchie constitutionnelle. 14 Le nationalisme algérien est plus virulent. En 1931, l’association des Ulémas revendique le droit des Algériens à constituer une nation ayant sa propre race, sa propre langue et sa propre religion. Les Ulémas considèrent les français comme des étrangers et dénoncent la politique d’assimilation. Face aux Ulémas existe un parti plus laïc, le parti populaire algérien qui réclame une indépendance mise en place avec l’appui de la France. En 1943, une unification des nationalistes autour du Manifeste du peuple algérien se met en place : il n’est plus teinté de références religieuses et réclame avec force la constitution d’un Etat algérien autonome et démocratique. La décolonisation s’opère en douceur pour les colonies britanniques avec le principe de « Indirect rules » (l’autonomie indirecte). La Grande Bretagne nuance sa politique en fonction des réalités locales. Avant la seconde guerre mondiale, des cadres nationaux sont élaborés qui préparent l’accès à l’indépendance. Les mouvements nationalistes sont plus souples et engagent une action moins virulente car ils n’ont pas besoin de transgresser la loi ou d’entrer en conflits pour accéder à l’indépendance. Les Etapes de cette décolonisation : Les colons sont souvent établis depuis de nombreuses années et détiennent les branches de la vie économique. A partie de 1950 des troubles commencent à survenir. C’est en Egypte que les mouvements nationalistes s’amorcent. Les fellaghas attaquent les fermes françaises. Mendès France reconnait assez rapidement l’autonomie interne de l’Etat tunisien le 31 juillet 1954 lors de la rencontre de Carthage. Le 20 mars 1956, est proclamée l’indépendance de la Tunisie. Bourguiba devient président. Au Maroc, les tensions entre les deux communautés sont encore vives et le sultan Mohammed V doit s’exiler en août 1953. Mais très vite la France se rend compte qu’il est un partenaire important pour l’amorce des négociations. Il constitue un gouvernement qui engage l’indépendance du pays 20 mars 1959. En Algérie, cela se déroule bien autrement et la France s’enlise dans le conflit. Le pays a connu une importante immigration en provenance de la France, beaucoup de « pieds noirs » ne sont pas prêts à retourner en métropole. La perte du pouvoir de la France en Tunisie encourage les nationalistes algériens. Un Front de Libération national (FLN) se constitue dirigé par Ben Bella contre le Mouvement nationaliste algérien (MNA). La guerre débute le 1er novembre 1954 lors de l’insurrection des nationalistes. La France refuse de négocier et se montre intransigeante jusqu’en 1958 (arrestation de Ben Bella en 1956, bataille d’Alger en janvier 1957, répressions brutales contre les nationalistes…). La France « s’embourbe » dans ce conflit et connait de nombreuses critiques et pressions de la part de l’ONU notamment. Le Général De Gaulle est alors « appelé » pour résoudre la crise et s’engage dans la négociation : le 16 septembre 1959, il reconnait le droit des Algériens à l’autodétermination, cela mène à la proclamation de l’indépendance le 18 mars 1962 avec les accords d’Evian. La Lybie, colonie italienne, est partagée entre la France et la Grande Bretagne après la seconde guerre mondiale. L’Italie y renonce définitivement en 1947. Le 21 novembre 1949, l’ONU se prononce pour l’indépendance du pays. La première constitution est proclamée en 1951. 15 La Syrie se libère de l’occupation Ottoman en 1918 et passe très vite sous mandat français. Vers 1920, la France et le Royaume Unis décident de se partager le proche orient. Le territoire qu’acquière le France n’a plus rien à voir avec la Syrie ancienne (Liban, Palestine, Jordanie). Durant la seconde guerre mondiale les alliés occupent le pays mais ceci ne fait qu’insuffler un peu plus une volonté nationaliste. La Syrie accède à l’indépendance en 1946. L’après-colonisation Deux choix s’offrent aux pays décolonisés : - donner la priorité au développement économique et de ce fait adopter les structures capitalistes des ex colonisateurs. Le choix socialiste qui privilégie les liens avec les pays de l’Est et l’adoption d’un parti unique se chargeant de la politique économique du pays. On voit apparaître un souhait de développement autonome. Cependant, sur la rive sud de la Méditerrannée, les pays sont marqués par un système de troc qui influence la conception et la manière de commercer. De plus, autre « handicap » pour ces pays, les colonisateurs ont privilégié les cultures rentables au profit des cultures vivrières. Les impératifs de productions qui vont naitre bouleversent les organisations sociales et imposent de nouvelles habitudes et de nouvelles visions du monde. Enfin, les capitaux nationaux sont bien souvent insuffisants pour faire démarrer l’économie. Il faut donc avoir recours aux organisations internationales comme la BIRD, FIM, ONU, UNICE mais cela induit de devoir se soumettre à certains critères imposés par ces organisations et des réformes du système économique et parfois politique. De nouvelles inégalités apparaissent : les villes se développent au détriment des campagnes, une nouvelle élite jouit de privilèges. Les entreprises étrangères (notamment pétrolières - et les Etats qui les soutiennent) s’installent dans ces pays et profitent des débuts des jeunes gouvernements pour fixer des prix et ententes très avantageuses. Les élites au pouvoir vont réclamer l’indépendance économique et politique de leur pays. Ces élites formées pour la plupart en métropole, rapportent une vision moderne. Beaucoup sont amis avec les anciens pays colonisateurs et nouent de fortes amitiés et ententes commerciales très avantageuses pour les ex pays colonisateur. On parle alors de néo colonialisme. Beaucoup de pays sont « pillés » par ces élites et les inégalités grandissent car la population ne bénéficie pas des retombées économiques. Les ex colonisateurs ont beaucoup gagné en accordant l’indépendance parce qu’ils n’ont plus à investir dans les infrastructures mais bénéficient à des prix très avantageux des ressources de ces pays. Cependant, ce néo-colonialisme est en train de se renverser aujourd’hui, les ex pays colonisateurs n’ont plus les moyens de le maintenir : crise européenne, perte d’influence dans le monde au profit de nouvelles puissances comme la Chine. Ceux qui ont plus de poids sont les entreprises pétrolières. Ce sont les pays anciennement colonisés qui fixent désormais les prix et les conditions. 16 Conclusion La colonisation a beaucoup contribué à créer le mythe du système méditerranéen. En effet, depuis la Grèce Antique jusqu’au XIXe, elle a permis au cours de l’histoire à certains peuples d’uniformiser les rives méditerranéennes selon des critères qui n’était pas forcément universels. De ce fait, on ne peut parler de « système méditerrannéen » sans se référer au phénomène de colonisation qui en est à la fois la cause, et l’une des conséquences. Il est donc difficile de savoir si l’uniformité de cet espace n’est qu’une conséquence des entreprises de colonisation, ou une de leurs causes. 17 Sources Articles et ouvrages Berstein Serge & Milza Pierre, Histoire du XIXème siècle, Hatier, 1996 Bérard, Jean, L’expansion et la colonisation grecque jusqu’aux guerres médiques, Édition Montaigne, Paris, 1960 Cabanes, Pierre, La colonisation grecque en Méditerranée (disponible http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/la_colonisation_grecque_en_mediterranee.asp) sur Calame Claude , « Ulysse, un héros proto-colonial ? » Un aspect de la question homérique, L'Homme, 2002/4 n° 164, p. 145-153. Norwich John Julius, Histoire de la Méditerranée, Perrin, 2006 Sirinelli, Jean-François, La France de 1914 à nos jours, Presses Universitaires de France – PUF, édition 2004 Tréziny Henri , Les colonies grecques de Méditerranée occidentale, Histoire urbaine, 2005/2 n° 13, p. 51-66. Pages internet Wikipédia http://www.memo.fr/article.asp?id=ant_gre_012 http://www.cours-univ.fr/licence-droit-histoire-droit-3.html http://www.yrub.com/histoire/pimcolonies.htm 18